Le toit du BR3 est horizontal. Il est maintenu par une charpente de poutres métalliques que l'on voit très clairement sur cette photo datant d'avant 2011.
Fig. 29 : Charpente du BR3 avant mars 2011
La structure charpentée, très solide, est restée solidaire dans son ensemble durant les explosions. Ses 5 grandes doubles poutres maîtresses reposaient sur les 10 piliers centraux des faces est et ouest.
Fig. 30 : Visualisation des 5 poutres principales
Les piliers ouest ayant disparu durant les explosions, la charpente s'est affaissée de ce côté et n'est restée maintenue du côté est que sur le pilier central.
Fig. 31 : Etat des 5 poutres après les explosions
Deux secteurs de cette charpente ont été fortement dégradés par les explosions. La double poutre maîtresse située à l’extrémité sud (poutre 5) s’est détachée de l’ensemble de la charpente et a été en grande partie ensevelie par les décombres du toit. Celle de l'extrémité nord (poutre 1) a été fortement détériorée, il en reste une grande partie visible du côté nord-est mais très déformée.
Fig. 32 : Repérage de la poutre 1 située sur le côté nord (en jaune)
2.7.3. Les zones d'explosions
L'étude de la toiture a permis de localiser deux zones très dégradées, l'une au sud, l'autre au nord.
Fig. 33 : Localisation des deux zones d’explosion
2.7.3.1. La zone sud
Cette zone correspond à l’emplacement de la piscine de combustible. L'explosion qui a eu lieu à cet endroit a pulvérisé entièrement la toiture et sa charpente, ainsi que l'intégralité du mur sud aux niveaux CRF et 5F. Les poutrelles métalliques issues de la toiture semblent avoir été déformées par une intense chaleur et jonchent la surface technique parmi les gravats. La double poutre maîtresse située à l’extrémité sud (poutre 5) s’est désolidarisée du reste de la charpente et est tombée sur la surface technique le long de ce qui était le mur sud. A l’emplacement de la piscine de combustible, une zone d’environ 20 m² semble vide de débris, du moins c’est ce qu’on observe à la surface de l’eau.
Fig. 34 : Une zone vide de débris est visible dans la piscine de combustible (rectangle bleu)
Avec le plan de la piscine de combustible fournie par Tepco, on peut localiser l’endroit correspondant à cette zone vide faisant penser à un « trou ». Il y avait bien du combustible à cet endroit mais Tepco n’a jamais fourni aucune photo de ce secteur de la piscine où l’on apercevrait des assemblages.
Fig. 35 : Secteur de la piscine de combustible correspondant à la zone vide de débris
2.7.3.2. La zone nord
C'est la zone du BR3 la plus endommagée. Les inquiétudes s'étant focalisées sur la piscine de combustible au sud, ce secteur est presque passé inaperçu. Pourtant c'est de ce côté nord, associé à une partie du côté ouest, que le niveau 4F a été éventré. La torsion de la poutre maîtresse nord (poutre 1) indique que le souffle de l'explosion avait pour origine le côté de l'angle nord-ouest.
L’explosion qui a eu lieu de ce côté provenait d’un niveau inférieur à celui de la surface technique (5F). On trouve au niveau 4F les condenseurs de secours, c’est-à-dire le système qui permet de refroidir le cœur automatiquement en cas de panne des pompes. Il est constitué de deux grosses cuves remplies d’eau. En cas d’urgence, la vapeur provenant du réacteur est acheminée directement par des tuyauteries robustes dans les condenseurs où, comme leur nom l’indique, la vapeur d’eau se condense, refroidit, puis revient au cœur à l’état liquide par simple gravité pour continuer le cycle du refroidissement du combustible.
Fig. 36 : Détail des tuyauteries entre la cuve du réacteur, les condenseurs et l’extérieur
Selon les plans du bâtiment réacteur, les condenseurs se trouvent proches du puits de cuve. L’explosion qui s’est produite au niveau 4F est peut-être liée à un disfonctionnement des condenseurs.
Fig. 37 : Localisation des condenseurs dans le BR3
2.7.4. Les panaches
Après les explosions et dans les jours suivants, des panaches de différentes couleurs ont été visibles s’échappant du BR3.
2.7.4.1. Juste après l’explosion
Un panache de couleur blanche, provenait du centre du bâtiment, donc de l'enceinte de confinement. Il indiquait qu'il y avait des fuites de gaz importantes au niveau du puits de cuve sur plusieurs points comme on peut le constater sur cette photo satellite qui a été prise seulement 3 minutes après l’explosion.
Fig. 38 : Plusieurs panaches blancs sortent du puits de cuve juste après l’explosion (Détail photo Digital Globe)
Le 27 mars, il a été remarqué que le principal dégagement gazeux provenait de l'angle sud-ouest de la piscine d'équipement (3) qui communique avec le puits de cuve.
(3) La piscine d’équipement se trouve au point 2 du plan d’Oyster Creek présenté au chapitre 1. Cette piscine n’est pas orientée de la même manière à Fukushima, cf. paragraphe 2.7.6.2.
Fig. 39 : Fuite de gaz à l’angle sud-ouest de la piscine d’équipement (capture vidéo 27 mars 2011)
On a observé également un panache blanc au-dessus de la piscine de combustible. Voici une capture d’une vidéo non datée (fin mars ou avril 2011) que nous avons colorisée.
Fig. 40 : Mise en évidence de panaches d’origines différentes
2.7.4.2. Panaches noirs
Le 21 mars, puis le 23, une fumée noire s’échappait du BR3, entrainant l’évacuation d’une partie du personnel. Des photos de Tepco conservent le souvenir de ces évènements.
Fig. 41 : Fumée noire provenant du BR3 le 21 mars 2011
Cette photo du 21 mars montre un panache gris-noir provenant de la partie nord du bâtiment. Il ne s’agit pas d’un effet de contraste avec le ciel clair car l’évaporation de l’eau de la piscine du réacteur 4 en arrière-plan donne bien un panache de couleur blanche.
Un communiqué de Tepco précisait ce jour-là que de la fumée grise puis noire s’échappait « du toit du réacteur », plus exactement, selon la photo, de l’emplacement de la piscine d’équipement qui, rappelons-le, était vide. On observe également sur cette photo qu’il n’y a pas de panache blanc sortant du BR3.
Deux jours plus tard, on observe ce 23 mars un mélange de deux panaches noir et blanc. Il est possible que le panache blanc soit celui du BR4. A propos de la fumée noire, un porte-parole de Tepco affirmait qu’ils ne savaient pas si elle provenait du bâtiment des turbines ou de l’enceinte de confinement. Manifestement, elle ne provenait pas du bâtiment des turbines.
Fig. 42 : Instantané de la caméra de surveillance de Tepco le 23 mars 2011 à 17 h
On peut observer également ce qui ressemble à un panache gris-noir s’échappant de la piscine de combustible sur une photo aérienne prise le 30 mars 2011. Cependant, il est fort probable qu’il ne s’agisse que du reflet du panache blanc sur la surface de l’eau de la piscine ou d’un effet de contraste d’un léger panache blanc à la surface sombre de l’eau de la piscine de combustible.
Fig. 43 : Probable reflet sur la surface de la piscine de combustible le 30 mars 2011
2.7.4.3. Jet de vapeur
Une vidéo aérienne publiée à l’origine par NHK, puis reprise par des médias étrangers comme CNN ou TV9, montre un jet de vapeur formant un champignon au-dessus du BR3. Ce fait a été considéré par plusieurs observateurs comme l’explosion du BR4. Or la vidéo de cet évènement n’a jamais été diffusée.
Fig. 44 : Jet de vapeur au-dessus du BR3
En situant exactement les réacteurs à leur place respective, on peut s’apercevoir que cette vapeur sort bien du BR3.
Fig. 45 : Localisation des réacteurs 2, 3 et 4
Fig. 46 : Localisation du jet de vapeur sur le BR3
La vidéo, sauvegardée sur différents comptes Youtube, ne mentionne pas la date mais comme le BR4 est encore intact, elle a certainement été tournée le 14 mars après-midi, quelques heures après l’explosion du BR3.
Le nuage qui est monté en altitude a pris la direction de l’est, se dirigeant donc vers l’océan Pacifique. Cependant, une dizaine d’heures plus tard, le vent a changé de direction et a porté le nuage jusqu’à Tokyo.
Fig. 12 : Changement de la direction du nuage de l’explosion du BR3
2.5. Les projections
La première explosion détruit une partie du toit et des murs du bâtiment mais la vidéo ne permet pas d’en visualiser des fragments, contrairement à la seconde explosion qui projette de très gros objets à près de 200 mètres d’altitude dont le plus gros a une longueur de plus de 13 mètres.
Fig. 13 : Des objets retombent après l’explosion (T + 11 s)
La plupart de ces objets, probablement des blocs de béton ou des éléments métalliques issus des installations, retombent à la verticale de l'axe de visée de la cheminée d’évent, précisément dans l’axe de la deuxième explosion.
Certains objets lourds, en retombant, ont traversé des toitures des bâtiments annexes du réacteur.
Fig. 14 : Les trous dans la toiture du bâtiment des turbines du BR3
Au nord, gît au milieu des gravats un objet circulaire de grandes dimensions (8 m de diamètre environ), une sorte de palonnier qui pourrait servir à soulever le couvercle de la cuve lors de la maintenance du réacteur ou une machine à visser-dévisser les boulons du couvercle de l’enceinte de confinement (« bolt driver »). Habituellement entreposé au niveau de la surface technique, il semble avoir été emporté par le souffle de l'explosion et être retombé à cet endroit.
Fig. 15 : Objet retombé sur les ruines du BR3 dans le secteur nord
Fig. 16 : C’est sans doute ce type de matériel qui est retombé sur le BR3 (photo d’avant mars 2011)
Un autre objet est retombé sur le bâtiment des turbines du BR4 en perçant aussi le toit.
Fig. 17 : Objet visible à la 14ème seconde retombant près du BR4
Enfin certains gravats issus de l’explosion sont extrêmement radioactifs. Par exemple, le 23 avril 2011, un ouvrier a trouvé un débris de béton ayant un débit de dose de 900 millisieverts par heure près du BR3 (2). Par ailleurs, le New York Times rapporte que des fragments de barres de combustible ont été trouvés près du BR2 et qu’ils ont été recouverts à l’aide de bulldozers.
(2) Cette dose est extrêmement élevée : en une heure, elle correspond à plus de 900 fois la dose admissible annuelle et en 24 heures, le total est de plus de 20 Sieverts, soit une dose mortelle.
2.6. Localisation des explosions
En utilisant l’image donnée par la caméra avant l’explosion du BR3 et les rapports de distance entre les différents éléments visibles (cheminées, bords de bâtiments), nous avons déterminé l’azimut de visée de l’objectif : 33°E. Cela nous permet de l’appliquer aux plans de la centrale et des réacteurs fournis par Tepco.
Fig. 18 : Détermination de l’angle de visée de la caméra
Ainsi, en tenant compte de l’orientation du bâtiment, on sait que la première explosion se situe exactement dans l’angle sud-est du bâtiment. C’est là que le toit commence à se soulever et que la flamme est visible. L’installation la plus proche de cet angle est la piscine de combustible.
Fig. 19 : Situation de la flamme de la première explosion
Le nuage 3 de la seconde explosion se situe précisément dans l’axe de visée de la cheminée d’évent centrale.
Fig. 20 : Nuage 3 axé sur la cheminée d’évent
L’axe de visée de la cheminée d’évent passe par l'angle sud-ouest du BR3 ; il ne passe donc pas par le centre du réacteur.
Fig. 21 : Différents axes et zones impactées rapportés au plan du BR3
2.7. Observation du bâtiment après les explosions
2.7.1. Les murs
Les premières photos et vidéos du BR3 après les explosions montrent un bâtiment ravagé. Il y a eu tant de dégâts que beaucoup d’observateurs ont cru dans les premiers jours que le réacteur-même avait explosé.
Observons les dégâts côté par côté.
2.7.1.1. Face est
Fig. 22 : Face est du BR3
C'est la façade est qui a le mieux résisté aux explosions. Elle a gardé sa hauteur en conservant les piliers et les poutres, sans panneau, des deux niveaux supérieurs (CRF et 5F), ainsi que la moitié sud de la poutre horizontale supérieure.
2.7.1.2. Face sud
Fig. 23 : Face sud du BR3
La façade sud a aussi relativement bien résisté aux explosions, excepté les deux niveaux supérieurs dont les piliers et les panneaux ont totalement disparu (CRF et 5F).
2.7.1.3. Face ouest
Fig. 24 : Face ouest du BR3
La façade ouest a perdu ses deux niveaux supérieurs (CRF et 5F) et la quasi-totalité des panneaux du niveau suivant (4F), situé sous le niveau technique. Les piliers manquants sont visibles à la base de la façade, à l’envers.
Fig. 25 : Piliers de la façade ouest à la base du mur
2.7.1.4. Face nord
La façade nord a énormément souffert des explosions et il est difficile de la discerner sous les ruines. Elle a perdu la quasi-totalité des 3 niveaux supérieurs CRF, 5F et 4F. Pour le niveau 4F, seul deux panneaux sur cinq restent en place à l'est.
Fig. 26 : Face nord du BR3
Les piliers de la façade nord ont été projetés sur un bâtiment annexe.
Fig. 27 : Piliers de la façade nord sur un bâtiment annexe
2.7.1.5. Élévations
L'observation de ces documents nous a permis de dresser les élévations schématisées des 4 façades.
Le 14 mars 2011, à 11 h 01 exactement, une explosion d’une rare intensité s’est produite dans le bâtiment du réacteur n° 3 (BR3) de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Selon la seule vidéo connue, l’explosion s’est manifestée en deux temps : une première explosion est visible sur le côté sud engendrant une flamme gigantesque et, moins d’une demi-seconde plus tard, une deuxième explosion se produit de manière verticale, générant un nuage aux couleurs sombres sur plusieurs centaines de mètres de hauteur.
Les images du bâtiment réacteur diffusées après cet événement montrent que le bâtiment a énormément souffert : s'il reste 3 niveaux de poutres de béton armé côté est, les 3 autres côtés ont disparu pour cette même hauteur correspondant aux niveaux 4F, 5F et CRF du bâtiment, soit une hauteur de 23 mètres de murs détruits sur un total de 46 m.
Jusqu’à présent, l’opérateur Tepco et tous les organismes officiels ont affirmé qu’il s’agissait d’une simple explosion d’hydrogène. Pourtant, d’autres hypothèses existent et c’est l’objet de cet article de les exposer et de les analyser. Après avoir présenté succinctement le réacteur, nous observerons objectivement ce qui s’est passé, puis nous présenterons les différentes hypothèses qui tentent d’expliquer ces évènements. Enfin, nous confronterons ces propositions avec les faits relevés et nous exposerons notre point de vue argumenté.
Remarque importante au sujet du contenu de cet article :
Cet article utilise les données disponibles, à savoir les documents, vidéos et photos fournis par les médias et l’opérateur de la centrale Tepco. Ce dernier ne donne bien évidemment pas toutes les informations qu’il possède. Il partage les informations sur la centrale de manière parcimonieuse et souvent celles-ci sont décalées dans le temps. C’est l’observation de l’ensemble des données collectées depuis quatre ans qui permet aujourd’hui d’aborder l’analyse des explosions du bâtiment réacteur 3 de manière plus complète et avec plus de recul. Cet article se veut une ébauche de compréhension de l’explosion du bâtiment réacteur n° 3 de Fukushima, en fonction des connaissances actuelles. Sa présente publication sur le blog de Fukushima n’est donc pas un texte totalement abouti. Il fera l’objet de corrections et d’amendements en fonction des réactions et des informations qu’apporteront les lecteurs et des éventuelles nouveautés que diffusera Tepco dans l’avenir. Le fil des commentaires est ouvert à tous ceux qui veulent faire avancer ce dossier qui, il faut le reconnaître, est devenu tabou avec les années. Merci par avance aux contributeurs. A la suite de cela, une nouvelle version sera proposée.
Etant donné le nombre important de documents de ce dossier, celui-ci sera édité en sept parties.
Un grand merci à Phil Ansois pour la relecture finale du dossier.
PF
-oOo-
Sommaire
1. Présentation du réacteur n° 3
2. Les faits
2.1. La première explosion
2.2. La seconde explosion
2.3. Les nuages de la première seconde
2.4. Direction du nuage
2.5. Les projections
2.6. Localisation des explosions
2.7. Observation du bâtimentaprès les explosions
2.7.1. Les murs
2.7.1.1. Face est
2.7.1.2. Face sud
2.7.1.3. Face ouest
2.7.1.4. Face nord
2.7.1.5. Élévations
2.7.2. La toiture
2.7.3. Les zones d'explosions
2.7.3.1. La zone sud
2.7.3.2. La zone nord
2.7.4. Les panaches
2.7.4.1. Juste après l’explosion
2.7.4.2. Panaches noirs
2.7.5. Les photos infrarouges
2.7.6. Les piscines
2.7.6.1. La piscine de combustible
2.7.6.2. La piscine d'équipement
2.7.7. La surface technique
2.7.7.1. Les dalles antimissiles
2.7.7.2. Les déformations du niveau technique
2.7.7.3. Le pont roulant
2.7.8. La porte de l’enceinte de confinement
2.8. La radioactivité mesurée au BR3
2.9. La poussière noire
2.10. Le son des explosions
3. Les hypothèses
3.1. L’hypothèse de l’explosion d’hydrogène
3.1.1. Le sas d'accès matériel (« equipment hatch »)
3.1.2. L’enceinte de confinement (« dry well »)
3.1.3. La cuve du réacteur (« RPV »)
3.1.4. La piscine d’équipement (« DSP »)
3.1.5. La piscine de combustible (« SFP »)
3.2. L’hypothèse d'un accident de criticité instantanée de la piscine de combustible
3.3. L’hypothèse de l’explosion de zirconium
3.4. L’hypothèse de l’explosion de vapeur
4. Critique des hypothèses par rapport aux faits constatés
4.1. Hypothèse d’une explosion d’hydrogène
4.1.1. Eléments favorables
4.1.2. Eléments défavorables
4.2. Hypothèse d’une explosion de vapeur
4.2.1. Eléments favorables
4.2.2. Eléments défavorables
4.3. Hypothèse d’une explosion de zirconium
4.3.1. Eléments favorables
4.3.2. Eléments défavorables
4.4. Hypothèse d’un accident de criticité instantanée dans la piscine de combustible
4.4.1. Eléments favorables
4.4.2. Eléments défavorables
4.4.3. Elément indifférent
5. Conclusions prenant en compte les faits et les critiques
5.1. Il s’est produit plusieurs explosions
5.1.1. Une explosion s’est produite dans la piscine de combustible
5.1.2. Une explosion s’est produite à l’intérieur de l’enceinte de confinement
5.1.3. Une explosion s’est produite au niveau 4F
5.2. Proposition de déroulement des explosions
********
L’explosion de l’unité 3 de Fukushima Daiichi
Pierre Fetet
(1ère partie)
1. Présentation du réacteur n° 3
Le réacteur n°3 est un réacteur à eau bouillante de type Mark I (General Electric). Construit par Toshiba à partir de 1970, il a été raccordé au réseau en 1974 et mis en service en mars 1976. Dans le contexte de la catastrophe de Fukushima, sa particularité est qu’il est le seul des 6 réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi à avoir été chargé avec du MOX, combustible français composé d’oxydes d’uranium et de plutonium.
Voici un document technique qui détaille ce type de bâtiment réacteur en deux coupes annotées et cotées.
Fig. 1 : Coupes d’un bâtiment réacteur à eau bouillante de type Mark 1
A quelques détails près, il est du même type que le réacteur d’Oyster Creek aux Etats-Unis dont voici un écorché légendé.
Fig. 2 : Réacteur d’Oyster Creek (USA)
Le BR3 se compose de plusieurs niveaux de construction qui ont été décrits avec précision par Luca da Osaka sur le site italien Giappo Pazzie. Chaque niveau a un nom composé de lettres et de chiffres : B1F pour le sous-sol, 1F pour le rez-de-chaussée, 2F pour le 1er étage, 3F pour le 2ème étage, 4F pour le 3ème étage qui est celui qui abrite le condenseur et 5F pour le 4ème étage qui est le niveau de service opérationnel où sont accessibles le puits de cuve et les piscines. Le niveau CRF n’est pas un étage, c’est le niveau du grand pont roulant qui fait la largeur du bâtiment ; celui-ci sert à la manutention des conteneurs de combustible et du matériel lourd. Nous utiliserons ces dénominations le cas échéant pour plus de clarté.
Fig. 3 : Vues latérale et frontale et plan du BR3
Fig.4 : Vue oblique du BR3 en transparence
2. Les faits
2.1. La première explosion
On peut visualiser cette explosion grâce à la vidéo qui a été diffusée sur les chaînes de télévision puis sur la toile. En voici une copie, composée de la vidéo originale puis d’un zoom sur le BR3.
On peut aussi avoir une vision précise de l’explosion grâce au site danois Gyldeng risgaard qui découpe la première seconde en 25 images. Nous disposons donc d'une image chaque 0,0334 seconde, selon la fluidité de la vidéo donnée par l’auteur (29,970 trames par seconde).
Le premier événement visible est l’explosion du côté sud du bâtiment réacteur. La première image (T) montre le début de la désintégration du toit du bâtiment réacteur avec un nuage sombre se formant avec une plus grande épaisseur sur le côté sud.
Fig. 5 : Premiers instants de l’explosion
L’image suivante montre une flamme de couleur blanche à jaunâtre se développant sur au moins 13 m en 3,34 centièmes de seconde, c'est-à-dire avec une onde de choc se déplaçant à une vitesse initiale minimale de 389 m/s (la flamme pouvant être oblique, la vitesse est probablement supérieure). Il s’agit donc là d’une détonation, la vitesse de l’onde de choc étant supersonique (1).
(1) La vitesse du son est de 331 m/s à 0 °C, au niveau de la mer. La formule est v = 331 + 0,6 x θ, θ étant la température en degrés Celsius et v la vitesse du son. Par exemple, pour calculer la distance du point d’impact de la foudre lors d’un orage, il faut compter 3 secondes pour un kilomètre. La déflagration correspond à une vitesse d’expansion plus petite que la vitesse du son, une détonation à une vitesse d’expansion plus grande que la vitesse du son, et donc à la création d’une onde de choc supersonique.
Les images suivantes montrent le changement de couleur de la combustion, avec une flamme qui devient jaune-orange et se développe sur une longueur de plus de 20 m.
Fig. 6 : Variation de couleur de la flamme
Dans le même temps, on remarque un nuage noir qui se forme du côté nord-ouest, d’abord au toit puis aux murs. On voit également du côté sud, sous et à côté de la flamme, la destruction des niveaux 5F et CRF.
Les bords de cette flamme délimitent un secteur très précis situé à l’angle sud-est du bâtiment, ce que nous analyserons plus bas.
Au bout de 2 dixièmes de seconde, la flamme commence à se retirer, comme aspirée vers le bâtiment d’où elle sort, alors qu’est en train de se produire le début de la deuxième explosion.
Fig. 7 : Retrait de la flamme
Il est à noter qu’en même temps, on aperçoit des lueurs au niveau de la cheminée d'évent. Elles pourraient n’être en fait que les reflets de la flamme sur les poutres métalliques blanches de la structure.
Dans le prolongement de la flamme au sud-est du bâtiment, 30 dixièmes de secondes après sa disparition, se produit un nuage persistant de couleur gris-blanc de grandes dimensions et qui reste bien visible les secondes suivantes.
Fig. 8 : La flamme produit un nuage gris-blanc
2.2. La seconde explosion
Cette explosion commence à être visible à partir de 3 dixièmes de seconde sous la forme d’un nuage gris distinct des premiers panaches, au moment où la flamme du côté sud est en train de reculer. Son origine en elle-même n’est pas visible car située dans le bâtiment déjà caché par la fumée de la première explosion. C’est donc indirectement, avec le nuage spectaculaire qu’elle provoque, qu’on peut l’observer.
Ce nuage peut être visualisé seconde par seconde grâce au site déjà cité Gyldengrisgaard qui présente les 17 premières secondes. La formation globale du nouveau panache qui ressemble à une sphère à la première seconde est visuellement axée sur la cheminée d’évent. Contrairement aux autres panaches inférieurs, celui-ci monte très vite en hauteur, avec une vitesse de progression estimée à 70 m/s dans les premiers instants.
Fig. 9 : Evolution du nuage de la seconde explosion
2.3. Les nuages de la première seconde
La première explosion provoque deux épais nuages qui enveloppent complètement le bâtiment. Le nuage inférieur (nuage 1) a une couleur claire et se développe de manière horizontale. Il est formé par la poussière de béton des murs qui sont volatilisés ou qui s’effondrent. Le nuage supérieur (nuage 2) a une couleur très sombre tirant vers le noir. Il se forme à la hauteur du toit et dépasse d’une dizaine de mètres le bâtiment.
La deuxième explosion produit un troisième panache (nuage 3) de couleur brune. Celui-ci semble former, au bout d’une seconde, une boule d’une soixantaine de mètres de diamètre qui monte rapidement en grossissant vers le ciel laissant une traînée verticale large d’une quarantaine de mètres sur son passage. Tout en montant, le nuage se déplace vers l’est, poussé par le vent qui, d'après la progression du nuage, a une vitesse d'environ 20 km/h. Au bout de 15 secondes après la première explosion, il atteint une hauteur de plus de 300 m.
Nous avons déjà évoqué le quatrième nuage qui est le résidu de combustion de la flamme de la première explosion, au sud-est du bâtiment.
Fig. 10 : Les quatre nuages
On pourrait s’en tenir là. Toutefois, la décomposition de la première seconde donne plus d’informations encore sur l’enchainement des évènements : le nuage 3 se forme en deux temps. La formation de ce nuage débute à partir de 0,33 s uniquement du côté sud (nuage 3a), visuellement entre la flamme et la cheminée d’évent. Puis à 0,43 s se forme le nuage 3b. Ce dernier paraît plus sombre que le nuage 3a mais avec la lumière du soleil venant du sud, on ne peut rien déduire de cette différence de couleur, le nuage 3b étant à l’ombre du nuage 3a.
Fig. 11 : Formation du nuage 3 en deux temps
Le nuage 3a, qui se situe au sud – au-dessus de la piscine de combustible – a de l’avance sur le nuage 3b qui se situe au nord. Le nuage 3b rattrape la hauteur du nuage 3a en un quart de seconde : à 0,76 s, les deux nuages 3a et 3b ne forment plus qu’une seule et même masse. L’observation de ce phasage laisse penser qu’il y a eu une succession d’explosions quasi simultanées.
Le blog de Fukushima relaie l’appel de la Criirad à signer une pétition contre le projet de règlement européen qui autorise, en cas d’accident nucléaire, la commercialisation d’aliments très contaminés.
La Commission européenne veut reconduire les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive adoptés en 1987 sous la pression du lobby nucléaire. Ces limites impliquent des risques sanitaires tout à fait inacceptables : à l’échelle de la France, cette contamination légale pourrait induire des dizaines de milliers de cancers (et bien plus si le pire advenait) sans compter les autres pathologies et la transmission d’anomalies génétiques. Les consommateurs ne pourront pas s’en protéger car ils ne pourront pas différencier les aliments radioactifs des aliments non contaminés.
Pour plus d'information sur les Niveaux Maximaux Admissibles de contamination radioactive dans les aliments en cas d'accident nucléaire, voir le dossier complet en cliquant sur ce lien.
Le texte de la pétition :
Je demande une refonte complète, transparente et démocratique de la réglementation incluant la réduction drastique des niveaux de contamination autorisés en cas d’accident nucléaire.
En cas d’accident nucléaire, je demande l’interdiction immédiate des productions agricoles issues des zones contaminées, cette mesure ne pouvant être assouplie qu’après obtention d’informations fiables sur l’étendue, la nature et l’intensité des retombées radioactives.
La distribution d’aliments non contaminés doit être privilégiée et garantie, dans tous les cas, aux nourrissons, aux enfants en bas-âge, aux femmes enceintes et aux femmes qui allaitent.
Les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive doivent être définis en fonction des groupes à risque et des individus les plus vulnérables de façon à protéger l’ensemble de la population. La règlementation doit mentionner clairement les niveaux de risque et de dose jugés acceptables par les autorités, les hypothèses retenues par les experts ainsi que les obligations et modalités de leur vérification en situation réelle.
Je demande que les normes de radioprotection ne soient plus définies dans le cadre du traité Euratom qui a pour mission le développement de l’industrie nucléaire, mais dans le cadre du traité de l’Union européenne. La protection sanitaire des populations ne doit pas être subordonnée aux intérêts du lobby nucléaire.
La Criirad - Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité – est née en mai 1986, au lendemain de la catastrophe de Tchernobyl, à l’initiative d’un groupe de citoyens révoltés par les mensonges officiels et qui souhaitaient connaître la vérité sur la contamination réelle du territoire français. Indépendante de l’Etat, des exploitants du nucléaire et de tout parti politique, cette association existe grâce au soutien moral et financier de quelques milliers d’adhérents.
Possédant son propre laboratoire d’analyses, elle mène ses propres investigations, informe le public et les médias. Si nécessaire, elle interpelle les responsables et les pouvoirs publics, engage des actions en justice et contribue ainsi à faire évoluer la règlementation en vigueur.
Suite à la catastrophe de Fukushima le 11 mars 2011, le laboratoire de la Criirad a effectué un suivi spécifique de l’impact des retombées sur le territoire français. Elle a pu apporter également un soutien scientifique à des ONG Japonaises, conduire une mission scientifique à Fukushima en mai -juin 2011 et contribuer à la création de laboratoires indépendants (CRMS).
traduit de l'espéranto par Paul SIGNORET avec l’aide de Ginette MARTIN
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Des réacteurs soumis à l'examen de l'Autorité Nucléaire de Régulation
Le tribunal de Fukui n'a pas approuvé la remise en marche de la centrale nucléaire de Takahama
Le tribunal de Kagoshima a approuvé la remise en route de la centrale nucléaire de Sendai
Cinq réacteurs vont être démantelés
L'électricité nucléaire est la moins chère !
Éruptions et séismes sont fréquents
70% de la population redoute la survenue de nouveaux accidents
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La politique énergétique du gouvernement
et l'opposition des citoyens
Au cours des trois derniers mois, ont eu lieu divers événements ayant trait à la politique énergétique du gouvernement et à l'opposition des citoyens. Ce sera le thème de mon rapport d'aujourd'hui.
Des réacteurs soumis à l'examen de l'Autorité Nucléaire de Régulation.
Le tribunal de Fukui n'a pas approuvé la remise en marche de la centrale nucléaire de Takahama
Le 14 avril, le tribunal de Fukui a interdit la remise en marche des réacteurs n° 3 et 4 de la centrale nucléaire de Takahama, dans le département de Fukui. Le verdict a été prononcé dans le cadre du “Processus provisoire”, dont le prononcé est immédiat, alors qu'un jugement ordinaire nécessite de nombreuses années avant la conclusion finale. La compagnie d'électricité Kansai est mécontente et exige l'annulation de ce verdict, mais elle devra patienter plusieurs années avant la décision définitive, et en attendant elle n'aura pas le droit d'utiliser ces réacteurs.
Le verdict précise que la nouvelle norme de sécurité de la centrale nucléaire, que le gouvernement a inscrite dans la loi après l'accident nucléaire de mars 2011, est tout à fait insuffisante, et donc que le fait que ces réacteurs soient conformes à la norme ne garantit nullement leur sécurité.
Ce verdict a porté un coup sérieux à la compagnie et au gouvernement. Il est encourageant et m'a réjoui.
Le tribunal de Kagoshima a approuvé la remise en route de la centrale nucléaire de Sendai
Le 22 avril le tribunal de Kagoshima a approuvé la remise en route des réacteurs n° 1 et 2 de la centrale nucléaire de Sendai. Il a aussi approuvé la nouvelle norme et a conclu que les réacteurs qui seront en conformité avec elle présenteront un niveau de dangerosité négligeable.
Ainsi, même après l'accident nucléaire de Fukushima, il se trouve encore un tribunal qui suit aveuglément le gouvernement. C'est vraiment une chose incroyable.
Cinq réacteurs vont être démantelés
Le 17 mars, deux compagnies d'électricité ont pris la décision de démanteler trois de leurs réacteurs et le 18 mars, deux autres compagnies ont décidé d'en démanteler deux. Ces décisions sont motivées par le fait que ces réacteurs sont anciens (entre 39 et 44 ans) et que leur capacité de production est faible (entre 360 et 560 milliers de kilowatts). Pour les mettre en conformité avec les nouvelles normes, les compagnies dépenseraient beaucoup d'argent et n'en retireraient aucun profit.
Pour mener à bien ce démantèlement, trente ans au moins seront nécessaires. Il ne peut être encore décidé ni où ni comment pourront être entreposés ou conservés les combustibles nucléaires et les déchets radioactifs qui seront retirés des bâtiments des réacteurs avant que ceux-ci ne soit démolis.
Le 30 avril, la compagnie d'électricité Kansai a sollicité un allongement de la durée de fonctionnement de deux de ses réacteurs, les numéros 1 et 2 de Takahama qui auront bientôt quarante ans d'âge. D'après les normes en vigueur, on peut obtenir une seule fois, une prolongation de vingt ans. Pendant les dix prochaines années, dix autres réacteurs dépasseront leurs quarante années de fonctionnement.
J'espère que l'Autorité de régulation nucléaire, qui examinera les réacteurs, ne donnera pas son feu vert à leur prolongation. Y a-t-il, autour de nous, des machines de quarante ou de soixante ans d'âge? C'est une folie de la part des compagnies que de considérer ces vieux réacteurs comme étant encore utilisables en toute sécurité.
L'électricité nucléaire est la moins chère !
Le ministère de l'économie et de l'industrie a publié son plan concernant les pourcentages prévus des sources d'énergie du Japon en 2030.
Source
2010
2013
2030
Énergie renouvelable
10%
11%
20%
Pétrole
7%
15%
5%
Gaz naturel
29%
43%
25%
Charbon
25%
30%
30%
Énergie atomique
29%
1%
20%
Avant l'accident nucléaire de Fukushima, le Japon dépendait de l'énergie nucléaire à hauteur de presque 30%, mais à présent toutes les centrales nucléaires sont à l'arrêt. Le gouvernement et les compagnies d'électricité nous ont effrayés en disant que, sans l'énergie nucléaire, le Japon allait revenir à l'époque féodale, or au cours de ces quatre dernières années il n'y a eu aucun problème. Notre économie progresse et les gens profitent de la vie. Nous n'avons donc nul besoin de l'énergie atomique et pourtant, comme les centrales nucléaires apporteront de grands profits aux politiciens et aux capitalistes avides d'argent, ceux-ci ont bien l'intention, de toute façon, de les remettre en route, et c'est pourquoi le ministère considère le nucléaire comme l'une des quatre sources majeures d'énergie.
Pour étayer son plan, le ministère a publié ses chiffres concernant le coût du kilowatt/ heure d'énergie fournie par les diverses sources :
Énergie atomique : 10,1 yens par kw/h
Charbon : 12,3 "
Gaz naturel : 13,4 "
Pétrole : 28,9/41,6 "
Eau : 11,0 "
Géothermie : 19,2 "
Énergie éolienne : 13.9/21.9 "
Énergie solaire : 12,7/15,5 "
C'est vrai, le coût de l'électricité nucléaire est le meilleur marché ! Mais on a fait les calculs de façon très roublarde, en excluant certaines dépenses nécessaires. De plus on a, de façon ridicule, divisé par deux la fréquence probable d'accident gravissime, sous le prétexte qu'après Fukushima, les centrales nucléaires japonaises sont devenues plus sûres.
Pour l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima, le gouvernement et TEPCO ont déjà dépensé et dépenseront encore d'énormes sommes se répartissant ainsi :
Indemnités : 5 421 milliards de yens
(40 milliards d'euros)
Dépollution : 2 500 milliards de yens
(18 milliards d'euros)
Construction de lieux de stockage pour matières nucléaires :
1 100 milliards de yens
(8 milliards d'euros)
Démantèlement des réacteurs et contre-mesures pour l'eau polluée
2 000 milliards de yens
(15 milliards d'euros)
Il m'est intolérable de voir estimer les dommages subis par les habitants en sommes d'argent. À présent, dans le département de Fukushima, cent mille, deux cent mille hommes vivent dans la tristesse et le désespoir. Comment pourrait-on chiffrer les pertes de vie subies ? Si l'on pouvait prendre en compte leurs souffrances, le coût de l'électricité d'origine nucléaire deviendrait incalculable. Pour vraiment consoler ces victimes, les choses les plus importantes sont de démanteler tous les réacteurs et de faire du Japon un pays sans énergie atomique.
Éruptions et séismes sont fréquents
Des sismologues affirment qu'après un grand séisme il y a souvent des éruptions. Ils ont raison. Au Japon, dans la période actuelle, des éruptions se sont produites, se produisent et se produiront. En septembre 2014, il y a eu celle du mont Ontake, au cours de laquelle plus de soixante personnes ont trouvé la mort, en novembre celle du mont Aso, en janvier celle du mont Sakurajima, en mai ce fut le tour du mont Hakone, à la fin mai celui du mont Kuchinoerabu et tous les habitants ont évacué leur île, et en juin celui du mont Asama.
Le 30 mai, a eu lieu un séisme terrifiant, au tremblement lent et qui a duré longtemps. Il a pris naissance à 682 kilomètres de profondeur, dans l'Océan Pacifique, ce qui est inhabituel. Les sismologues ne comprennent pas ce qui a bien pu le provoquer.
L'archipel japonais est situé sur quatre plaques de la lithosphère, il est donc un vrai nid de séismes et d'éruptions. En cet endroit dangereux sont installés plus de cinquante réacteurs nucléaires. L'Autorité Nucléaire de Régulation elle-même, quoique travaillant selon la politique énergétique du gouvernement, n'a pas approuvé la remise en route des réacteurs Shiga et Tsuruga, en raison de deux failles actives se trouvant à proximité ou au-dessous d'eux.
70% de la population redoute la survenue de nouveaux accidents
La crainte de beaucoup de Japonais face à de nouveaux accidents s'exprime ainsi :
1) Pensez-vous qu'un accident de même échelle que celui de Fukushima se reproduira?
Se reproduira certainement : 22%
Se reproduira peut-être : 52%
Ne se reproduira peut-être pas : 24%
Ne se reproduira sûrement pas : 1%
2) Les plans d'évacuation sont-ils préparés de façon suffisante ?
Tout à fait insuffisante : 37%
Insuffisante : 50%
3) Êtes-vous pour ou contre la remise en marche des centrales nucléaires ?
Tout à fait contre : 26%
Contre : 45%
Pour : 24%
Je la juge bienvenue : 4%
4) Sur la politique énergétique :
Pour la reprise actuelle et la réduction progressive du nombre de réacteurs : 53%
Pour le démantèlement immédiat de tous les réacteurs : 30%
Pour la reprise et le maintien du niveau actuel : 12%
(Selon une enquête menée auprès de 1 200 personnes âgées de 15 à 79 ans, en deux cents points de l'ensemble du pays, enquête faite en avril par le professeur Hirose Hirodata de l'Université Féminine de Tokyo.)
L’association « Fukushima c’est eux, Fukushima c’est nous » offre chaque année un voyage en France à des enfants de Fukushima.
Celui-ci a plusieurs effets :
- Le premier sur la santé : alimentation bio, exercices au grand air.
- Le deuxième leur redonne le sourire à l'extérieur et non pas une demi-heure par jour, comme là-bas, mais dix heures par jour
- Le troisième leur permet de découvrir une autre culture et des personnes solidaires de leur situation. Ça leur fait un bien immense de s'apercevoir que nous ne les oublions pas et ça leur redonne confiance en eux
- Le quatrième est d'être les messagers pour tous ceux qu’on aimerait faire venir et de ne pas garder pour eux les traumatismes des conséquences réelles d’une catastrophe nucléaire
- Le cinquième, très important, est de retrouver des gestes naturels d'enfant qu'ils ont malheureusement perdu.
Pour aider le projet 2015, vous pouvez participer directement avec cette collecte en ligne :
L'an dernier nous avons réussi à faire venir un groupe de 5 enfants de Fukushima avec traducteurs, afin qu'ils puissent se ressourcer et témoigner des réels risques et des conséquences sur le ...
Les 1103 € vont servir à payer les billets d'avion, ça ne suffira pas à tous les payer, mais il vaut mieux demander moins pour permettre une aide minimum. Ce chiffre a été choisi parce qu'il fait référence au 11 mars (03) 2011, jour de la catastrophe nucléaire et du tsunami.
Si la collecte dépasse ce chiffre, cela servira à l'organisation des événements culturels et pédagogiques.
Ce voyage est aussi l'occasion pour Yoshino, qui accompagne ces enfants, de faire des conférences sur leur situation à Fukushima et sa région. Il expose aussi le travail qu'il fait au quotidien dans les rues de Fukushima pour que ces enfants n'empruntent pas des parcours contaminés par la radioactivité en se rendant à l'école.
Informer afin de prévenir ces erreurs humaines aux retombées catastrophiques…
traduit de l'espéranto par Ginette MARTIN avec l’aide de Paul SIGNORET
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Sommaire
Plan remanié pour le démantèlement des réacteurs
Des robots ont exploré l'intérieur du réacteur n°1
Les muons travaillent pour explorer l'intérieur du réacteur
État conjecturé des combustibles nucléaires dans les réacteurs 1, 2,et 3
Problème des déchets contaminés
Problème de l'eau contaminée
Une énorme quantité de déchets contaminés
L'accident n'est pas du tout terminé
Comment progresse le démantèlement des réacteurs endommagés ?
Dans la centrale nucléaire n°1 de Fukushima se trouvent 6 réacteurs, dont 4 (n°1 à 4) ont été endommagés par le tsunami. Au début, nous pensions que le réacteur n°4 connaissait la situation la plus grave, parce que des combustibles nucléaires étaient dans la piscine de son bâtiment dégradé. Si un autre tremblement de terre avait lieu et ébranlait davantage le bâtiment, l'eau fuirait et les combustibles seraient mis à nu. Cependant, on a réussi à retirer tous les combustibles et à les mettre dans un autre bassin, de sorte que la menace d'une crise majeure à présent n'existe plus pour le réacteur n°4.
Plan remanié pour le démantèlement des réacteurs
Le 12 juin 2015, le gouvernement et TEPCO ont publié un plan remanié pour le démantèlement des quatre réacteurs endommagés.
Y figurent 3 étapes:
1. Préparation* (enlever les débris autour des réacteurs et préparer les conditions pour l'enlèvement des combustibles nucléaires)
* Ces préparatifs sont en cours.
2. Retirer les combustibles nucléaires encore dans les bassins des bâtiments.
3. Retirer* les combustibles nucléaires fondus du bâtiment.
* Pour ce faire, on est en train d'explorer l'intérieur des réacteurs à l'aide de robots et de muons (électrons lourds, avec 207 fois plus de masse qu'un électron normal).
Plan initial hachuré, plan remanié en gris foncé. On voit déjà que les travaux se prolongeront jusqu'à 2025 et au-delà.
Selon ce plan, dans trente, dans quarante ans on travaillera encore pour les réacteurs. Est-ce que les générations futures pourront faire face à un travail d'une telle importance, et en même temps si stupide ? Il est tout à fait certain, que je ne verrai pas la fin de la centrale.
Des robots ont exploré l'intérieur du réacteur n°1
Le 13 avril, TEPCO a réussi à photographier l'intérieur du réacteur n°1 avec un robot. L'intensité de la radioactivité y était de 10,3 sieverts par heure. Les humains ne peuvent pas approcher de cet endroit en raison de la forte radioactivité.
Il semble que les robots soient très utiles, mais un chercheur déclare ceci :
"Jusqu'à présent on n'avait pas utilisé de robots pouvant intervenir en cas d'accidents nucléaires, car on croyait qu'au Japon des accidents graves ne se produiraient pas. Cependant, même si on arrive un jour à avoir des robots efficaces, ils ne pourront effectuer que peu de travaux. Finalement, les humains doivent tout faire de leurs propres mains ".
Dans le bâtiment du réacteur, la radioactivité est si forte que la durée de vie de ces robots est seulement de 10 heures. Les réacteurs n'étant pas tous dans le même état, on doit utiliser des robots de diverses formes et diverses sortes.
Un robot de 60 centimètres de longueur, 9,5 cm de hauteur, 7 cm de largeur et d'un poids de 10 kg , liniforme quand il rampe dans le tuyau d'accès, arrivé dans le bâtiment se dispose en forme de U pour travailler. Son prix n'apparaît pas dans Internet.
Les muons travaillent pour explorer l'intérieur du réacteur
Lorsque des muons traversent un matériau dense comme l'uranium, ils sont absorbés ou bien changent leur trajet. L'université de Nagoya a publié les résultats d'un essai d'utilisation de muons pour voir l'intérieur des réacteurs à travers leur paroi. Selon les recherches, les combustibles nucléaires dans les trois réacteurs sont dans l'état suivant :
État conjecturé des combustibles nucléaires dans les réacteurs 1, 2,et 3
Problème des déchets contaminés
Trois bâtiments ont explosé, de sorte que sur le terrain de la centrale nucléaire n°1 des débris de ces bâtiments ont été projetés ici et là. On les collecte, on en fait des monticules que l'on couvre de terre, mais la quantité augmentera toujours plus, car on va commencer à démolir les bâtiments endommagés. Certains détritus sont fortement radioactifs, de sorte qu'on ne peut pas simplement les jeter, mais on doit en gérer attentivement le stockage.
Lieu d'entreposage des tours d'absorption
Le nombre de tours d'absorption pour les substances radioactives est également en augmentation. On purifie l'eau contaminée par le procédé ALPS et grâce à d'autres machines, mais on ne peut pas anéantir les substances radioactives. Celles-ci sont regroupées dans les tours d'absorption. Le nombre de ces tours est maintenant de 1621 ( janvier 2015) et ne cesse de croître. Le plus gros problème est qu'on ne dispose pas du moyen ultime pour traiter ces déchets.
Problème de l'eau contaminée
Chaque jour, arrivent 300 tonnes d'eaux souterraines sous les bâtiments endommagés et elles se chargent de radioactivité. Actuellement, on les pompe et on les met dans d'énormes cuves. Le nombre de ces cuves est de plus de 1000. Ceci est un très gros problème, donc TEPCO a commencé à construire un mur de terre gelée de 1500 mètres de long autour des bâtiments pour empêcher l'arrivée de l'eau, mais il est douteux que le plan réussise.
Cette eau polluée, stockée, est purifiée par le procédé ALPS, mais on ne peut éliminer le tritium, donc on doit continuer à garder cette eau «purifiée». TEPCO et le gouvernement veulent la rejeter en mer, mais les pêcheurs du département n'ont pas confiance en TEPCO et s'y opposent fortement.
Les déchets contaminés sont recouverts de plastique vert pour être "en harmonie" avec la nature
Une énorme quantité de déchets contaminés
Partout dans le département de Fukushima, on racle la terre contaminée et on la met dans des sacs. Cela constitue 22 millions de mètres cubes. Le gouvernement envisage de conserver ces déchets dans les villes d'Ōkuma et de Futaba, où se trouve la centrale nucléaire n°1. Ces villes appartiennent à la zone déclarée "inhabitable pour une longue durée" en raison de la radioactivité. Elles ont accepté ce plan sous la condition que, au bout de 30 ans, le gouvernement transporterait les déchets contaminés hors du département de Fukushima. Les habitants des villes comprennent bien dans leur cerveau que l'on doit conserver ces déchets contaminés quelque part, mais dans leur cœur ils ne peuvent accepter la perte de leurs champs et de leurs maisons. En outre beaucoup ne croient pas que cette condition sera respectée et craignent que le dépôt reste à jamais dans leur ville.
En mars, on a commencé le transport de terre polluée dans ces deux villes sur le terrain préparé à cet effet. Selon le plan, le gouvernement va construire un "avant-dernier stockage" sur une zone de 16 kilomètres carrés contre la somme de 1100 milliards de yens (11 milliards d'euros), mais presque personne parmi les propiétaires de terrain n'accepte de vendre ses terres, car le prix proposé est trop faible.
Déjà depuis plus de 4 ans, ces terres et ces déchets sont stockés en plein air dans des sacs en plastique sur 720 lieux de stockage provisoire et 50.000 terrains privés. De nombreux sacs se sont rompus et cela inquiète les habitants.
Non seulement dans le département de Fukushima, mais également dans les départements environnants, se trouve une énorme quantité de terre contaminée :
Les départements respectifs doivent éliminer ou conserver ces terres et détritus, mais nulle part on ne peut décider de l'endroit pour cela.
* Je vis dans le Gunma (10), mais ces derniers temps je n'entends jamais dire comment on conserve ces déchets contaminés.
L'accident n'est pas du tout terminé
Le premier ministre Abe a prétendu devant le monde entier que l'accident était désormais sous contrôle, mais c'est un mensonge. Nous pouvons dire que presque aucun problème n'est résolu.
Dans le journal Akahata du 8 avril 2015, est paru un article disant que, dans de l'eau de mer collectée sur la côte de l'Océan Pacifique de l'Etat de Colombie-Britannique, au Canada, on a détecté des substances radioactives provenant de Fukushima.
Dans le journal Fukushima-Minyū du 25 avril, le professeur Aoyama Michio de l'université de Fukushima a publié qu'en raison de l'accident 3 500 000 milliards de becquerels de césium 137 s'étaient écoulés dans la mer, qu'entre 12 et 15 millions venus par les airs y étaient tombés, et que l'eau de mer contaminée se déplaçait vers l'est à la vitesse de 3 à 7 km par jour.
L'eau contaminée se déverse continuellement dans la mer depuis la survenue de l'accident qui, de fait, n'est pas terminé et continue de menacer le monde.
traduit de l'espéranto par Paul SIGNORET avec l’aide de Ginette MARTIN
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"Il y a deux ans, j'ai fait une conférence dans Sapporo, le chef-lieu d'Hokkaido, l'île la plus septentrionale du Japon, et là j'ai rencontré une dame âgée. Elle m'envoie souvent diverses informations sur Hokkaido et entre autres, des rapports concernant la centrale nucléaire Tomari, située dans l'île. Contre cette centrale, se déroule un procès au cours duquel deux femmes ont exprimé leur expérience et leur opinion au sujet de l'accident nucléaire de Fukushima. J'ai trouvé la chose digne d'être traduite.
Témoignage de Mme Honda Junko
Je suis Honda Junko. J'ai fui la ville de Kagamīshi, située au centre du département de Fukuŝima, pour la ville de Sapporo, dans Hokkaido. Ce qui m'a déterminée à fuir, c'est la détérioration de la santé de ma fille.
En avril 2011, après l'accident nucléaire de Fukushima, celle-ci, âgée de douze ans, a recommencé à fréquenter l'école. Bientôt j'ai remarqué, sur son visage, l'apparition d'exanthèmes que je n'avais jamais vus auparavant. J'ai été surprise et nous avons consulté un médecin. Celui-ci a dit qu'il ne s'agissait pas d'impétigo. Plus tard j'ai su qu'après l'accident nucléaire de Tchernobyl, des gens à peau sensible avaient souffert du même mal.
J'ai téléphoné à l'école, en demandant qu'au repas de midi des produits provenant de Fukushima ne soient pas servis aux élèves, au déjeuner, et qu'on ne leur permette pas de jouer à l'extérieur. Mais la réponse fut, que ces repas et les activités des enfants à l'extérieur ne posaient aucun problème, car le gouvernement les avait reconnus sans danger.
Jugeant que, dans ces conditions, nous ne pouvions plus vivre là, j'ai décidé d'aller loger à Sapporo dans Hokkaido. Mon mari et ma fille sont partis en juin et moi en juillet, après que j'ai fermé mon institut de beauté. J'aimais ma ville, j'y avais travaillé assidûment pendant quinze ans, et voilà que je devais la quitter, ainsi que mon salon et mes collègues de travail, mes amis et mes parents. En rangeant nos affaires dans la maison et en regardant les photos de mes jeunes enfants, je fus prise d'une affreuse tristesse. Je ne cessais de me demander en pleurant, ce qui m'avait attiré ce malheur. J'ai longuement pensé à tout cela, mais finalement j'ai décidé de n'agir qu'en fonction de la santé de ma fille.
C'était la première fois que je venais à Hokkaido. La vie y est difficile. Mon mari a eu un nouvel emploi au bout de quelques mois, mais son salaire n'était que de cent mille yens (mille euros). J'ai ouvert un institut de beauté, mais chaque mois j'étais en déficit. Je devins si fatiguée, que mon corps souffrit de raideurs et ne pouvait bouger. Je dormais toute la journée. Je perdis toute confiance en moi pendant cette période de ma vie.
Mon fils, qui loge dans une autre ville, a cessé de fréquenter son collège car nous ne pouvions plus payer les frais d'études. Ma fille devait passer un examen d'entrée pour une école moyenne dans une ville étrangère. Quelle détresse était la sienne ! Tous souffraient physiquement et moralement jusqu'à la limite du supportable, dans une ville qui leur était étrangère et des conditions de vie changées. Tous pleuraient en cachette, en évitant de montrer leurs larmes aux autres.
Comme nous sommes des réfugiés volontaires, TEPCO ne nous verse aucune indemnité. Nous vivions avec un petit salaire et l'argent de notre épargne. Nous avons vendu notre voiture, résilié l'assurance et, une année plus tard, nous avons cédé notre maison et l'institut de beauté dans le département de Fukushima.
Nos liens d'amitié avec nos relations et la bonne entente avec nos parents se sont rompus, car nous n'avions pas la même opinion ni la même attitude face à la radioactivité. Je ressentais une telle fureur, que j'ai appelé TEPCO et j'ai hurlé dans le téléphone, mais après j'ai eu honte de mon indécence.
Je pense que si je me tais, le gouvernement et TEPCO nous ignoreront et déclineront toute responsabilité, aussi ai-je accepté toutes les interviews, à la télévision et dans les stations de radio, et je suis intervenue dans diverses réunions. J'ai également pris part au procès. En m'interrogeant sur les raisons que j'avais d'agir ainsi et sur ce qui motivait ma douleur et ma tristesse, je restais sans dormir de nombreuses nuits. Je souriais aux autres mais à l'intérieur de moi-même, je pleurais. Je sentais que j'allais me briser si je ne riais plus. Deux ans et demi ont passé, ma vie s'est un peu stabilisée et désormais je peux rire un peu, cependant il me sera impossible de vivre aussi heureuse que je l'étais dans le Fukushima.
Face à l'affection thyroïdienne, le gouvernement réagit très lentement, aussi ai-je fait examiner ma fille à mes frais. Sa glande a grossi plus que l'an dernier. Le médecin dit que cela n'a pas d'importance, mais je m'inquiète.
Nombreux sont ceux qui ont déjà oublié la catastrophe, pourtant je pense que de vraies souffrances vont apparaître à partir de maintenant. Parmi mes amis, quatre déjà ont divorcé en raison peut-être de divergence d'opinion sur la radioactivité. Quelles douleurs ont été les leurs ? Pourtant j'ai décidé de ne plus pleurer, car la colère affecte mes cellules, mais aussi les gens de ma famille et mes amis autour de moi. Je me suis réfugiée à Sapporo pour sauver ma fille et ce n'est pas en tombant malade que je pourrai la sauver. Il vaut mieux vivre dans les rires que dans les pleurs. Je dois donc agir en riant, c'est la leçon que j'ai tirée de ma dure expérience. Cependant je ne peux pardonner au gouvernement ni à TEPCO qui nous ont volé notre tranquillité, qui nous terrorisent par la radioactivité et qui font fi de nos souffrances. Si nous, les victimes, ne protestons pas contre eux, qui le fera ?
Témoignage de Mme Tsuzuki Hiroko
Le 21 juillet 2011, quatre mois après l'accident nucléaire, j'ai quitté ma maison avec mon mari et mes deux enfants. J'ai fait mes adieux à mes parents, mais je n'ai pu prononcer « Au revoir ! », car ma maison était ici, et je ne savais pas quand je pourrais y revenir. Mon cœur vacillait. Pour retenir mes larmes, j'ai levé les yeux : le ciel bleu était là, comme auparavant, mais je savais que tout déjà était changé à cause de l'accident nucléaire. Je ne peux plus vivre tranquille comme avant.
Mon mari et moi sommes nés et avons grandi tous deux à Tokyo. En 1995, mes parents, qui aiment la montagne, ont choisi de s'installer dans la ville de Shirakawa. Nous leur rendions souvent visite, nous aussi nous aimions beaucoup cette ville et nous y avons emménagé en 1997. Mes deux enfants sont nés dans le département de Fukushima, qui est donc leur foyer. Nous avions vécu quatorze ans dans la ville. Ce jour-là nous avons dû lui dire adieu, en laissant derrière nous nos parents et notre chère maison, ce qui nous causa une grande tristesse.
La ville de Shirakawa est distante de 80 kilomètres de la centrale n° 1 de Fukushima. Quand se produisit l'accident, on entendait dire seulement : “Ici ça n'a pas d'impact”, “Il n'y aura aucun problème”, “Soyez tranquilles”. Je ne pouvais approuver ces propos, car l'accident était sans précédent.
En avril a commencé la nouvelle année scolaire. J'ai suggéré à l'école, que l'on nettoie le gymnase et qu'en attendant on interdise aux élèves de l'utiliser, mais la réponse, toujours la même, a été : “Il est bon que les élèves fassent comme d'habitude” et cependant, de façon inconséquente, le port d'un masque, d'une chemise à manches longues et d'un pantalon leur a été prescrit. En voyant mes enfants partir chaque matin à leur cours, je me demandais pourquoi l'école tentait d'imposer aux élèves une “vie normale” dans une “situation anormale”.
En mai s'est déroulée la Journée sportive dans un gymnase toujours pas dépollué. J'ai demandé au directeur pourquoi l'école organisait néanmoins cette journée et il m'a répondu : “Si nous n'approuvions pas la norme de 20 millisieverts par an décrétée par le pouvoir* et s'il fallait que le gymnase ait une pollution inférieure à un millisievert par an comme avant l'accident, la Journée Sportive de demain ne pourrait avoir lieu.” Après avoir entendu cette réponse, j'étais plus effondrée que furieuse. L'école attachait plus de prix aux règlements qu'à la vie des enfants. C'est alors que j'ai décidé de partir.
*À cette époque, le ministère de l'éducation et de la science avait défini une norme de 20 millisieverts par an pour les écoles, bien que jusqu'alors – et même jusqu'à présent – la norme fût et soit encore d'un millisievert par an. L'un des membres du comité, mis en colère par cette décision, donna sa démission.
Cet accident nucléaire s'est vraiment produit. De ces réacteurs explosés s'est envolée une énorme quantité de matières radioactives qui se sont répandues non seulement dans le département de Fukushima, mais encore dans tout le territoire du Japon, polluant le sol et l'air. Inodores, invisibles, ces particules radioactives ont eu aussi une influence considérable sur le cœur des hommes. Les réfugiés ont été critiqués comme étant des traîtres, et les gens restés dans Fukushima le sont souvent comme étant peu soucieux de la santé de leurs enfants. Des amis, des membres d'une même famille sont entrés en désaccord et se sont séparés. Aussi bien les réfugiés que ceux qui sont restés sur place ont beaucoup perdu et souffrent toujours d'un manque dans leur cœur.
Aller de l'avant ne signifie pas simplement oublier le passé. Lorsque nous pouvons savoir ce qui a eu lieu, et que nous pouvons voir ce qui aura lieu, alors nous pouvons avancer. Je veux savoir la vérité.
Pourquoi nos droits humains sont-ils négligés ? Pourquoi n'apprécie-t-on pas notre volonté de protéger de faibles enfants ? Pourquoi aucun responsable du pouvoir ou de TEPCO n'est-il inculpé, quoique l'accident soit le fait d'hommes ? Nous-mêmes, gens ordinaires, ne sommes-nous pas coupables par ignorance et par manque d'intérêt ?
Je veux que, grâce à ce procès, nous puissions clarifier les responsabiltés dans l'accident, réacquérir nos droits humains et notre dignité pour vivre heureux et sainement.
Pour finir, écoutez ce que disait ma fille, alors âgée de quatorze ans : “Ce sera bien si un jour je peux rire, en ayant la preuve que notre départ n'était pas nécessaire, mais si un jour nous avions la preuve qu'il l'était, jamais plus je ne pourrais rire”. Imaginez ce qu'elle avait en tête en prononçant ces mots et ne l'oubliez jamais."
traduit de l'espéranto par Ginette MARTIN avec l’aide de Paul SIGNORET
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Sommaire
Région côtière du département de Fukushima
Nous avons roulé le long de la voie Jōban
Nous avons visité les réfugiés dans la ville de Minami-Sooma
Nous avons visité la ville de Namie
Qu'est-il arrivé?
Région côtière du département de Fukushima
Le 26 mai, l' "Association de la ville de Maebashi pour le démantèlement de toutes les centrales nucléaires du Japon" organisait une excursion en bus dans la région côtière du département de Fukushima, où sont les centrales nucléaires n°1 et n°2. Quarante-deux personnes y participaient, de sorte que le bus était presque plein.
Mon département de Gunma est voisin de celui de Fukushima, si bien que, lorsque l'accident nucléaire s'est produit, des nuages contenant des substances radioactives ont flotté jusqu'ici, de sorte la terre n'est pas très fortement contaminée, mais l'est tout de même. Dans le bus, deux personnes ont mentionné la souffrance due à l'accident nucléaire dans mon département :
A: Je suis agriculteur. Parfois, mes légumes sont plus contaminés que la norme, alors je les jette.
B: Dans la petite ville de Komochi, où l'on produit du thé, depuis l'accident les feuilles de thé sont contaminées. Les agriculteurs ont perdu espoir, et certains ont déjà cessé de travailler.
La département évite de publier des rapports concernant la pollution due à l'accident, aussi les habitants, ignorant la gravité de la situation, vivent-ils heureux, mais en réalité leur santé décline même un peu chaque jour.
Nous avons roulé le long de la voie Jōban
Traversant le département de Tochigi, notre bus est entré dans le département de Fukushima. Entre les villes de Tomioka et Namie, la route a été longtemps fermée en raison de l'accident nucléaire, mais le 1er mars elle était ouverte, cependant les villes traversées par la route appartiennent au district inhabitable fortement contaminé. Dans le parking de Junotake, le taux de pollution est indiqué en neuf points de cette partie de la chaussée :
Minami-Sōma – Namie 1,3, 0,4, 0,2(microsieverts)
Namie – Tomioka 3,0, 5,6, 1,0
Tomioka – Hirono 0,2, 0,7, 2,3
La norme maximale que le gouvernement a décidée est de 0,23 microsieverts, donc la radioactivité dans 6 des 9 sites a dépassé la norme.
Le bus est entré dans la ville de Tomioka. Les chiffres ont encore augmenté, même dans le bus: 0,22, 0,34, 0,45, 0,52.
Dans la ville de Futaba, les chiffres ont augmenté encore: 0,45, 0,60, 0,80, 1,15 (le plus élevé)
Pendant ce temps, des deux côtés de la route, défilaient des champs couverts de mauvaises herbes, des maisons désertées, et d'énormes quantités de terre contaminée dans des sacs de plastique. La surface des terrains désertés est la moitié de celle de la métropole de Tokyo. Alors que de nombreuses générations n'ont cessé de cultiver les champs à la sueur de leur front et produit du riz et des légumes délicieux, et que, si l'accident nucléaire n'était pas arrivé, les champs donneraient, maintenant et à l'avenir, pour eux et pour nous, les fruits bénis de la terre, l'accident leur a fait perdre presque à jamais ces héritages.
Récemment, le ministère de l'économie et de l'industrie a commencé à nouveau à plaider pour le faible coût de l'électricité nucléaire. Comment ont-ils calculé le coût? Comment ont-ils calculé le coût de la terre inhabitable et des champs incultivables, les pertes de vie, culture, tranquillité, espoir et avenir? Ces pertes sont incalculables. Les bureaucrates et les politiciens qui plaident sans honte pour elle sont trop arrogants, ils n'ont pas de cœur.
Notre guide M. Itō nous a expliqué, en montrant du doigt les champs, que celui-ci était un beau champ, que cet autre aussi était beau, mais sur ces domaines les saules ont déjà commencé à pousser. Ces gens arrogants ne peuvent pas ressentir la tristesse et le désespoir des agriculteurs. M. Itō a déclaré: "Le gouvernement actuel n'hésite pas à sacrifier Okinawa, l'obligeant à accepter une base militaire US sur son sol, pour remplir une promesse faite aux États-Unis, et il n'a aucune hésitation non plus à sacrifier le département de Fukushima pour continuer sa ”politique d'énergie nucléaire".
Tas de terre polluée couverts de bâches de plastique. Les champs blancs sont déjà dépollués.
Nous avons visité les réfugiés dans la ville de Minami-Sooma
Nous attendaient six réfugiés (deux hommes et quatre femmes) dans la salle de rencontre des maisons provisoires dans le district de Ushikoshi. Tous étaient des gens âgés. M. Satō, le responsable, a expliqué la situation:
Dans ce district il y a 379 maisons provisoires, dans lesquelles vivent 800 personnes. Je viens du village de Takanokura et habite dans la ville de Minami-Sōma. Au début, j'ai pris refuge dans la ville de Kitakata, mais je suis retourné à la maison en juin 2011, donc à ce moment-là, j'ai certainement été beaucoup exposé à la radioactivité. Je suis arrivé ici en avril 2012. Une personne isolée recevait une petite chambre, une famille avec deuxpersonnes, deux chambres, et une famille plus nombreuse, trois chambres.
De chaque côté logent 10 familles.
Dans ma maison de Takanokura, l'intensité de la radioactivité est de 2,2 microsieverts, de sorte qu'il est trop dangereux d'y vivre, mais le gouvernement a décidé que mon district est un "lieu habitable" et il a cessé de nous donner les indemnités compensatoires, alors je subsiste avec ma pension et l'argent économisé. Dans mon district logeaient auparavant 85 familles, mais maintenant il n'y en a plus que trois."
Un homme à côté de lui a déclaré : " Je suis un éleveur de bovins âgé de 35 ans. Quand je suis revenu à la maison après l'accident nucléaire, toutes les vaches étaient des squelettes. En quelque sorte, je vis ici, mais la chose la plus difficile est que je n'ai rien à faire. N'utilisant jamais mon cerveau, je ne fais que manger, dormir et regarder la télé sans but. Auparavant, je travaillais à temps partiel dans les centrales nucléaires. On nous a fait croire queles centrales nucléaires étaient absolument sûres, mais je savais que rien d'absolu n'existe.
J'ai visité personnellement un homme dans la maison voisine. Il a expliqué sa vie: " Quand j'étais jeune, je m'étais engagé dansdans l'armée japonaise, et je m'étais porté candidat kamikaze, mais avant que je ne vole, la guerre était terminée. Ensuite, je suis revenu ici et ai commencé l'élevage de bovins. Après l'accident nucléaire, je suis rentré à la maison et ai constaté que toutes les 30 vaches étaient devenues des squelettes. C'étaient peut-être les sangliers qui les avaient mangées."
Il a frôlé la mort pendant la Seconde Guerre mondiale, et maintenant il souffre de la politique énergétique injuste. Il a des raisons suffisantes pour être en colère contre le gouvernement et TEPCO, mais il m'a semblé qu'il n'était pas mécontent de sa vie actuelle. Il a même dit : "La vie ici est agréable."
Ces six hommes non plus n'exprimaient jamais de colère ni de haine envers le gouvernement et TEPCO. Il semblait qu'ils acceptaient leur vie actuelle comme étant leur destin naturel mais quand je suis sorti de la réunion et que j'ai trouvé l'annonce suivante, j'ai eu honte de ma compréhension superficielle.
Cabinet de consultations pour votre cœur
Psychiatre Sōma Hiroshi
Ne soyez pas affligé !
Venez à moi, vous qui
avez une colère inexprimable,
un courroux contre TEPCO,
qui désespérez de votre avenir,
ne savez plus comment survivre,
ne pouvez plus entrevoir votre avenir,
êtes rompus de chagrin.
Déjà quatre années ont passé, mais rien n'a été résolu, au contraire tout s'est aggravé. Dans ce contexte, ils agissent et parlent comme s'ils n'avaient pas de problèmes, mais au fond de leur cœur on trouve la tristesse et le désespoir. Ils sont si fragiles qu'ils n'ont d'autre choix que de rester assis, silencieux et désespérés . Le gouvernement et TEPCO, profitant de leur faiblesse, les négligent et ne veulent plus s'en soucier, prétextant l'intervalle de quatre ans et visant à économiser l'argent des indemnités.
Nous avons visité la ville de Namie
La situation actuelle de la ville est la suivante :
1. Le nombre d'habitants avant l'accident était 21 000, mais maintenant il est de
19 000.
2. 70% de la population s'est réfugiée dans le département de Fukushima lui-même, et 30% dans d'autres départements. 3700 personnes vivent dans des maisons provisoires dans 30 endroits du département de Fukushima.
3. La ville organise des "communautés de citoyens déplacés" dans les villes de Minami-Sōma, Nihonatsu et Iwaki, construisant des "appartements de restauration". Elle a installé ici et là des "aides à la restauration" en 10 endroits dans d'autres départements.
4. L'administration principale de la ville est maintenant dans la ville de Nihonmatsu, mais quarante personnes travaillent aussi dans le bureau de Namie.
Selon le plan municipal pour la restauration, la ville construira une base sur le site qui va bientôt devenir "habitable", et élargira cet endroit, arrangeant diverses fonctions pour les habitants. Et il est prévu que, lorsque la ville entière sera habitable en 2017, le nombre d'habitants sera de 5000 (2500 familles"), mais selon une enquête auprès des habitants (en août 2014) :
Je désire revenir à la ville assez vite: 17,6%
Je n'ai pas encore décidé : 24,6 %
J'ai décidé de ne pas revenir : 48,4 %
Certes, ceux qui veulent revenir sont des personnes âgées, donc la disparition de la ville est prévisible dans un court laps de temps.
Voici le paysage devant la gare de Namie : le dosimètre devant la gare montre 0,628. Sur mon dosimètre le chiffre était de 1,23 microsieverts. Dans ce lieu fortement radioactif personne ne peut résider.
Des liasses de journaux chez un marchand de journaux. En première page dansent les mots "Explosion des réacteurs," Les journaux sont venus, mais les habitants ont fui.
Stationnement pour vélos. Sur le panneau est écrit "Aidez tous les enfants avec le même amour que les vôtres." Les vélos sont restés ici depuis ce jour-là.
Nous sommes allés au district d'Ukedo, qui a été détruit par le tsunami. Quand je suis arrivé ici il y a un an, sur les champs nageaient des bateaux, mais maintenant ils ont disparu.
L'école primaire d'Ukedo était dans le même état. Nous avons pu voir des salles détruites et un grand salon au plancher pourri. Sur la photo ci-dessous, le bâtiment de l'école était dans le brouillard. Des grenouilles de pierre nous regardaient on ne sait pourquoi.
En bus, nous avons traversé la ville de Futaba. Il y avait là un panneau célèbre sur lequel était écrit " L'énergie atomique est l'énergie pour un avenir lumineux." La ville veut l'enlever, en faisant valoir qu'il serait devenu vieux et dangereux, mais la raison est certainement tout autre. Peut-être le gouvernement et TEPCO obligent-ils la ville à l'enlever, parce que ce panneau montre clairement que l'énergie nucléaire est une énergie pour un avenir sombre.
Ce slogan, contribution de M.Ōnuma Yūji, 39 ans, résidant dans le département d'Ibaraki, à cette époque-là étudiant dans la ville, a été installé en mars 1988. Celui-ci a visité la ville en mars et a proposé que le slogan soit conservé en tant que patrimoine négatif, car il montre clairement la bêtise humaine.
Ici mon dosimètre a indiqué 2,57 microsieverts dans le bus, alors bien sûr au dehors l'intensité était le double, pourtant dans cet endroit se trouvaient des gardiens dans les rues.
Pour finir, je vais traduire un poème de M. Itō, notre guide ce jour-là.
Qu'est-il arrivé ?
On trouve des maisons
et des champs,
on trouve de douces
montagnes et la mer.
Chaque jour se présentent
le matin et la nuit.
Il vente
et parfois il pleut.
Mais personne n'habite là,
on trouve des villages bien-aimés
où les hommes ont disparu,
ils ne peuvent y habiter.
Une telle chose s'est produite
Le long du Hamadōri, la côte de Fukushima
Comme le nom de cet endroit sonne joliment !
L'Abumaka-kōchi
se trouve, lui aussi, entre les monts
Là
les vents sentaient bon,
les pluies avaient de belles couleurs,
le soleil matinal avait de la force,
le soleil du soir avait de la tendresse.
Au début du 21ème siècle
dans cet endroit du Fukushima
le parfum des vents a disparu.
Ont disparu les couleurs de la pluie, du soleil matinal et vespéral, ils ne restent que dans nos souvenirs
En avril l’année dernière, Michelle Pini a interviewé le Docteur Helen Caldicott sur la catastrophe de Fukushima. Étant donné qu’IA fut le premier media à couvrir en Australie la fusion des cœurs, à douze reprises, au plus près du déroulement de la catastrophe, nous avons tout lieu de croire que nos lecteurs apprécieront pleinement la pertinence de cet entretien.
« En Australie nous n’avons pas d’énergie nucléaire, nous nous contentons d’exporter la radioactivité pour le bonheur et au bénéfice du reste du monde - c’est immoral. »
Dr Helen Caldicott
Le Docteur Helen Caldicott ne peut laisser personne indifférent. Sa maîtrise parfaite du sujet et sa ferveur semblent sans limites. Elle joint souvent le geste à la parole, vous regarde droit dans les yeux et a dans la voix des accents qui imposent le sens de l’urgence.
Physicienne australienne et militante antinucléaire réputée dans le monde entier, ainsi qu’éducatrice, elle s’est rendue disponible pour cette interview tout juste de retour d’une campagne de conférences au Japon et au Danemark. Les effets du décalage horaire ne semblent même pas l’’atteindre.
Caldicott me dit avec emphase :
« Fukushima est plus démesuré et beaucoup plus grave que Tchernobyl dans la mesure où l’on achète des produits alimentaires importés du Japon, on consomme du poisson probablement contaminé et l’on n’a aucune assurance que le nuage radioactif qui a survolé le ciel du Japon dès le début de la catastrophe ne va pas se retrouver ici. »
Nous discutons des événements qui se sont déroulés en 2011 à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, que l’UNSCEAR (Comité Scientifique des Nations Unies sur les Effets de la Radiation Atomique) décrit comme «l’accident nucléaire le plus considérable depuis…Tchernobyl. » (Cf. The Fukushima-Daiichi nuclear power plant accident, 2014. )
Le déroulement de l'accident de Fukushima Daiichi (IRSN)
A l’âge de 16 ans, Caldicott a lu « On the beach », un roman dont l’action située à Melbourne est une guerre nucléaire qui finit par éteindre toute vie sur terre.
« Avec ce livre j’ai un peu perdu mon innocence et ne me suis plus jamais sentie en sécurité »
Puis Caldicott a fait médecine en étudiant les effets de la radioactivité, les mutations et les cancers. Elle raconte en détail les événements qui alimentent son obsession de longue date (Caldicott milite contre l’extraction d’uranium et l’énergie nucléaire depuis 43 ans).
« Au même moment, la Russie et l’Amérique ont testé leurs bombes comme s’il n’y avait plus d’avenir — une pure folie. On ignore la provenance des productions agricoles, et comme la radioactivité ne peut être perçue ni du regard, ni au goût ou à l’odeur, personne ne devrait consommer la soupe de Miso, le riz ni tout autre produit importé du Japon. Les oiseaux migrateurs ou encore les poissons véhiculent les éléments radioactifs — peut-être jusqu’en Australie. Mais on ne teste pas nos importations ni le poisson. »
Elle m’explique que des poissons comme le thon remontent les courants sur des milliers de kilomètres, il faudrait donc s’intéresser à l’accumulation de radioéléments dans le vivant en prévision du moment où l’être humain en sera atteint, parce qu’il se trouve au sommet de la chaîne alimentaire.
Caldicott estime également que les voitures de seconde main importées du Japon ont sans doute des filtres à air contaminés dès le début de la catastrophe.
Le Docteur Stephen Salomon, le scientifique en Chef de la Radioactivité et la Santé à l’ARPANSA (Agence Australienne de Protection contre la Radioactivité et de la Sûreté Nucléaire) a confirmé que les contrôles sanitaires des produits alimentaires importés du Japon ont cessé après janvier 2014. Il précise que le Département de l’Agriculture « a mis en place un programme de contrôle d’isotopes radioactifs dans tout produit alimentaire importé du Japon…plus de 1000 échantillons ont subi ce contrôle…or, aucun des échantillons n’excédait les limites de dose du standard international. »
Salomon ajoute qu’un projet de recherche conduit par l’ARPANSA a analysé des échantillonnages de produits de la mer en provenance des pêcheries du Queensland au nord du territoire ainsi que de l’ouest de l’Australie, mais n’a détecté absolument aucun effet de l’accident de la centrale nucléaire Daiichi. Il ajoute :
« L’ARPANSA va renouveler cette étude en 2016, c’est-à-dire à la date où l’on s’attend potentiellement, dans les eaux australiennes, à un pic de césium radioactif provenant de l’accident au Japon. »
Contrôle de radioactivité suite à l’interdiction, en Corée du sud, de l’importation de poisson du Ja-pon.
L’estimation d’un pic de radioactivité à cinq ans provient d’une modélisation de la propagation des radionucléides de Fukushima dans l’atmosphère et l’océan.
(Provinec et al, “Dispersion of Fukushima radionuclides in the global atmosphere and the ocean. Applied Radiation and Isotopes”, 2013.)
Par ailleurs, les moteurs neufs ou usagés importés du Japon ont fait l’objet de contrôles aléatoires, mais selon Salomon
« on n’a trouvé aucun véhicule contaminé. De rares substances radioactives ont pu être détectées à titre épisodique et à des niveaux très faibles dans un prélèvement atmosphérique à Darwin.
Mais, dit-il, aujourd’hui c’est fini. »
Le Docteur Caldicott ne se satisfait pas de ces conclusions. Elle commente :
« On a coutume de dire que les niveaux [d’isotopes radioactifs] sont insignifiants, mais il suffit d’un seul coup sur un gène régulateur, dans une seule cellule, pour attraper le cancer — un jeu de hasard comme à la Roulette russe. »
Sur le sujet de la culpabilité de l’Australie, Caldicott est intransigeante :
« N’oublions pas que l’uranium de Fukushima était notre uranium — nous n’avons pas le droit d’ignorer la situation. Nous avons l’obligation morale de prendre nos responsabilités vis-à-vis de cet accident. »
Caldicott ajoute :
« En Australie, nous n’avons pas d’énergie nucléaire, nous nous contentons d’exporter la radioactivité pour le bonheur et au bénéfice du reste du monde — c’est immoral. »
La Fondation pour la Préservation de l’Australie fait écho à ce point de vue, en soulignant que les réacteurs dévastés furent alimentés par notre uranium :
Cette crise a des implications profondes en Australie parce que la catastrophe de Fukushima a commencé chez elle, à l’arrière d’un gros camion jaune…les pierres excavées dans la région nord de l’Australie du Sud et au Kakadu sont à l’origine des retombées radioactives que le vent a dispersées sur le Japon et au-delà, responsabilité originelle également pour l’eau polluée qui verse sans fin dans le Pacifique.(Sweeney, D, Fukushima: three years on and still no action, 2014.)
Manifestation à Muckaty Station devant le bureau de l’ex-ministre des ressources fédérales, Martin Ferguson, avant le retrait de ses projets.
Daniel Zavattieroest Directeur exécutif pour l’Uranium à l’Association de l’Uranium en Australie, le groupe d’influence de l’industrie. Indiquant une photo de fûts d’entreposage de déchets provenant d’une centrale nucléaire américaine, il a tenu ces propos non sans conviction :
« J’aime vraiment beaucoup cette photo. Dans ces quelques conteneurs impénétrables il y a 28 années de déchets. C’est splendide. Vous pouvez toujours essayer de rouler dessus avec un semi-remorque, ils sont pratiquement indestructibles. N’est-ce pas formidable ? »
Son intonation déborde tellement d’excitation qu’on a peine à concevoir qu’il est question d’isotopes radioactifs. De l’avis de Zavattiero, l’Australie devrait supprimer l’interdiction actuelle visant le développement du nucléaire, pour « permettre à la technologie d’affronter la concurrence avec ses propres atouts ».
Il oriente habilement la discussion sur le terrain de ce qui lui paraît être les atouts de l’énergie nucléaire en répétant des phrases comme « zéro émissions », « facilement disponible » ou « moteur de croissance et de prospérité économique dans le monde entier ».
Bien qu’il convienne que Fukushima (de même que Tchernobyl auparavant) a eu des répercussions défavorables sur le débat autour du nucléaire en Australie, c’est le seul secteur où il observe des ramifications concernant l’Australie.
Il me cite un passage du rapport de l’UNSCEAR sur les effets de la catastrophe de Fukushima, qui stipule ceci :
‘Aucun lien n’a pu être établi, parmi les travailleurs ou l’ensemble des individus exposés à la radioactivité post-accidentelle,entre les maladies aiguës ou les décès et la radioactivité.’
Zavatterio dit,
« non qu’il faille minimiser son impact sur la population japonaise ; nous en sommes préoccupés, c’est d’ordre émotionnel. Mais les problèmes à Fukushima ont été causés par un tsunami qui a entraîné une perte de puissance des réacteurs — les réacteurs eux-mêmes n’en sont pas la cause. »
Zavatterio a anticipé la plupart des questions de notre entrevue et de son propre chef il précise souvent ses réponses :
« Pourquoi devrions-nous nous sentir redevables d’une dette morale vis-à-vis du Japon, sous prétexte que c’est notre uranium qui se trouvait dans la centrale nucléaire ? Il s’est agi d’un accident industriel, pas d’un acte terroriste. La question se pose-t-elle en ces termes pour tout autre accident industriel dans le monde ? »
Sur la question de l’exportation d’uranium, il est à l’aise :
« Nous ne vendons qu’aux pays qui en font une utilisation pacifique — c’est une clause obligatoire » répond-il, et il ajoute « Il y a de la radioactivité partout. Toutes les technologies font face aux pro et aux anti ; les aspects singuliers de l’industrie nucléaire sont gérables. »
AFFICHE de contre-propagande intitulée : « L’Inde détient le record absolu de la non-prolifération » Tony Abbott, premier ministre de l’Australie Absolument. Sauf qu’elle développe ses propres armes nucléaires et fait des essais. Sur ce point, l’Iran détient un record encore plus imbattable. L’ambiguité australienne : saper le TNP [Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires] en acceptant d’approvisionner en uranium les proliférateurs nucléaires en dehors du traité… …mais engagée pour un monde sans armes nucléaires. SI NOUS SOMMES CONFUS ? ASSUREMENT ON L’EST ! - - - - - - - - - - - -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - WILDFIRE : Le premier ministre australien Tony Abbott signe un contrat pour saper le TNP par l’exportation d’uranium en Inde. Encore plus profond dans l’ambiguité !
En ce qui concerne le combustible usé, Zavatterio dit ceci :
« Ce n’est pas si préoccupant. D’ailleurs l’Australie a la chance d’avoir une position centrale pour affronter ce défi. »
Suite à notre entrevue, j’ai relu le rapport de l’UNSCEAR. Il donnait encore les précisions suivantes :
« On peut conclure à une augmentation du risque de cancer de la thyroïde, en particulier
chez les nourrissons et les enfants ». (UNSCEAR, Rapport du Comité Scientifique des Nations-Unies sur les Effets de la Radioactivité Atomique, 2013).
Sur ce point, Caldicott est furieuse :
« La désinformation à ce sujet est incommensurable. La radioactivité est un tueur invisible — C’est la carte gagnante qui fait le jeu de l’industrie nucléaire. On n’attrape pas un cancer du jour au lendemain, cela prend des années…et il sera impossible de prouver la cause de ce cancer. »
Elle ajoute :
« La période de latence pour une leucémie est de 5 à 10 ans, et de 15 à 80 ans pour les cancers solides. »
Il est donc prématuré et fallacieux, dit-elle, de conclure qu’aucun décès ne puisse être rattaché à l’accident de Fukushima.
Le docteur Peter Karamoskos est radiologiste nucléaire et représente les populations au comité de la santé liée à la radioactivité de l’ARPANSA. Il s’exprime avec douceur, de façon calme et posée.
Karamoskos compare le comité à un conseil d’administration qui se réunirait pour débattre des dernières avancées scientifiques sur les normes réglementaires ; il explique :
« Ma mission en tant qu’avocat du public a été expressément créée à cette fin par l’ARPANS Act. Je puis m’exprimer librement si bien que mes points de vue n’ont pas besoin de refléter la position de l’ARPANSA. »
Il confirme que Fukushima est « extrêmement contaminée », la flore, la faune, les sols ainsi que les sédiments marins sont affectés et il en sera ainsi pendant « des dizaines de générations ». Karamoskos dit ceci :
« Il était bien entendu indispensable d’évacuer, et même si la contamination s’arrêtait demain, la région demeurerait contaminée pour les 200 prochaines années. »
Il s’est rendu à Fukushima après la catastrophe et il en est vraiment revenu profondément bouleversé :
« Même si vous nettoyez une parcelle pour permettre aux gens d’y vivre, ils se trouveront cernés de terrains contaminés. Ils ont vécu là depuis des générations, or ils ont perdu leur identité. Leur vie actuelle c’est de la survie — les communautés ne pourront pas renaître. »
Selon lui, les préfectures locales se considèrent elles-mêmes comme des victimes et n’ont aucune confiance dans le gouvernement.
« Les niveaux de contamination sont au cœur des préoccupations des Japonais ; ils pensent à ‘la dose’ à chaque moment de la journée. »
Karamoskos confirme :
« Les substances radioactives continuent à être déversées dans l’océan à Fukushima et on ne m’a pas rapporté une quelconque solution pour arrêter ça. »
Toutefois, il estime que la pollution des eaux de surface « ne devrait pas être surestimée » puisque l’eau de mer dilue les isotopes de sorte qu’on n’y trouve plus loin que des traces de [radio]éléments. Il dit :
« Il y aurait des saignements en équateur mais à un niveau non-significatif. »
Agricultrice bio, Tatsuku Ogawara vit à 40 km de Fukushima. Elle n’est pas assurée de pouvoir poursuivre son activité car il est probable que les sols soient contaminés.
L’avocat public de l’ARPANSA admet l’effet catastrophique du désastre de Daiichi, mais observe qu’il ne présente pas de risque direct pour les Australiens. Il concède néanmoins qu’étant donné que « les mesures sont locales et relatives à l’état de santé de l’individu testé », on ne peut pas avoir l’assurance absolue que des productions alimentaires ne passent pas entre les mailles du filet ».
Karamoskos reconnaît aussi que l’étiquetage des produits importés, en particulier ceux qui transitent par des pays à la réglementation moins stricte, est source d’inquiétudes légitimes et qu’on n’a en définitive aucune garantie sanitaire.
Caldicott pointe des conflits d’intérêts à tous les niveaux de responsabilité de cette réglementation.
« Le gouvernement du Japon s’applique avec acharnement à maîtriser la situation mais sans y parvenir. Le peuple japonais lui-même ne croit plus le gouvernement. »
Sur la question de l’extraction d’uranium et des obligations morales de l’Australie au regard de son exportation, Karamoskos fait écho aux points de vue de Caldicott :
« L’exportation d’uranium est un vrai problème parce que nous n’avons aucune assurance qu’il ne servira pas à fabriquer des armes. La Chine ou l’Inde vont-elles nous permettre d’inspecter leurs réacteurs ? et il y a également le problème de l’élimination des déchets — l’entreposage n’est pas une solution.
Fukushima est l’illustration qu’une mauvaise réglementation et des partenariats industriels confortables, dans un pays technologiquement avancé, peuvent déboucher du jour au lendemain sur une situation désastreuse. »
Caldicott s’est engagée dans le projet d’instruire les Australiens (et le monde) sur Fukushima et ses implications :
« Ce sujet a été presque totalement ignoré par les médias en Australie, or il est nécessaire de le porter sur la place publique. Nous parlons en effet d’un problème qui a, globalement parlant, de profondes ramifications. »
En outre elle est convaincue que la catastrophe de Fukushima n’est pas terminée :
« C’est une bombe atomique à retardement car un certain nombre de bâtiments pourraient s’effondrer en cas de nouveau séisme. De plus on est en train de construire dans la ville de Fukushima un important hôpital en cancérologie — cela parle de soi. »
Cependant, le Docteur Helen Caldicott envisage l’avenir avec un certain optimisme :
« Le premier pas vers une grande mutation c’est une énorme prise de conscience, vous connaissez le mot de Jefferson ‘une démocratie éclairée se comportera de façon responsable’ — il est de notre devoir de les bombarder d’information. »
Les révélations actuelles sur les conséquences de la catastrophe de Fukushima vont dans le sens des craintes du Docteur Caldicott. Ce matin les news du site Global Research révèlent que Michio Ayoama de l’Université de Fukushima a informé Kyodo que la Côte Ouest de l’Amérique du Nord sera atteinte d’ici 2016 par 80 % des dépôts de césium qui ont déjà touché le Japon.
Dossier sur le rejet des eaux contaminées dans le Pacifique
« Fukushima - Rejets dans le Pacifique : clarification et mise en perspective »
Une analyse critique des données concernant les rejets des eaux radioactives de la centrale de Fukushima Daiichi initiés en août 2023, dossier réalisé par la CRIIRAD qui tente de répondre à ces questions : Quels sont les principaux défis auquel est confronté l’exploitant de la centrale ? Quels sont les éléments radioactifs rejetés dans le Pacifique ? Les produits issus de la pêche sont-ils contaminés ? Est-il légitime de banaliser le rejet d’éléments radioactifs, notamment du tritium, dans le milieu aquatique ? Qu’en est-t-il en France ?
« Sans le web, mémoire vive de notre monde, sans ces citoyens qui n’attendent pas des anniversaires, de tristes anniversaires, pour se préoccuper du sort des réfugiés de Fukushima, eh bien le message poignant de Monsieur Idogawa (maire de Futuba) n’aurait strictement aucun écho. » (Guy Birenbaum, Europe 1, 1er mars 2013)