Les investigations menées par Tepco fin janvier 2017 ont permis de visualiser une partie de l’intérieur de l’enceinte de confinement du réacteur 2 de Fukushima Daiichi. A cette occasion, Tepco a fait semblant de s’étonner de deux choses pourtant très prévisibles : 1) le corium a pu faire un trou dans une plateforme métallique située juste en dessous de la cuve du réacteur. 2) l’endroit est excessivement radioactif : 530 Sieverts/h (dose létale quasi immédiate), mesure de radioactivité la plus haute jusqu’à présent révélée par Tepco.
(Mises à jour régulières en bas de page)
Le trou d’un mètre de côté observé le 30 janvier (photo Tepco)
Cette découverte a été rendue possible grâce à une caméra conduite à distance. Ce n’est pas la première fois que Tepco fait des recherches dans l’enceinte de confinement du réacteur 2, mais les images obtenues jusqu’alors n’étaient pas aussi explicites.
Ouvriers à l’action dans le BR2 (photo Tepco)
Situation de la cavité explorée (document Tepco)
Aire d’investigation (Illustrations d’après des documents Tepco)
Les employés de Tepco ont utilisé un accès existant destiné au remplacement des barres de contrôle qui ne peut se faire que par le bas. Pour cela, une ouverture est aménagée dans l’enceinte de confinement suivie d’une passerelle qui permet d’accéder à la cavité située juste en dessous de la cuve. A cet endroit, les systèmes de commande des barres peuvent être vérifiés lors des visites d’entretien et les barres de contrôle peuvent être remplacées si besoin. Voici par exemple une photo d’une inspection du dessous de cuve du réacteur 4 de la centrale nucléaire de Fukushima Daini, le 8 février 2012.
Les barres de contrôle sous le réacteur 4 de Fukushima Daini (Reuters/Kyodo)
Ces barres sont nécessaires au bon fonctionnement du réacteur car elles permettent de réguler sa puissance. Le 11 mars 2011, les barres sont remontées automatiquement dans les réacteurs de Daiichi et ont stoppé la réaction en chaîne.
Aujourd’hui au réacteur 2 de Fukushima Daiichi, le paysage du dessous de cuve est tout autre, voilà ce qu’on peut en voir :
Commandes des barres de contrôle du réacteur 2 de Fukushima Daiichi (photo Tepco)
A partir d’un montage de Tepco, le site Simply Info a évalué l’emplacement du trou dans la grille ("HOLE" sur l’illustration ci-dessous).
Tepco a également fourni un plan de la plateforme avec la situation du trou :
Aire d’investigation et évocation des dégâts (Illustration Asahi Shimbun)
Le caillebotis est recouvert de morceaux de matière noire qui pourrait bien être du corium solidifié. Le trou dans la plateforme, juste sous la cuve, évoque le passage du corium. Ayant pu chauffer à l’intérieur de la cuve jusqu’à 2 à 3000°C, celui-ci a facilement pu faire fondre les barres de contrôle et comme le fond de cuve est percé de multiples trous (voir photos ci-dessous), le magma radioactif n’a pas eu de mal à traverser la passoire.
Ces trous servent à faire coulisser les barres de contrôle qui sont situées sous la cuve. C'est un vieux système des réacteurs Mark-I ou Mark-II, conçus par General Electric, qui a démontré sa grande faiblesse. Aujourd'hui, il existe encore beaucoup de centrales nucléaires qui l'utiisent, notamment aux Etats-Unis. En France, le système est différent, il est actionné par le haut.
Les fonds de cuve des réacteurs de Fukushima Daiichi sont des passoires (97 trous pour le n°1, 137 pour les réacteurs 2, 3, 4, 5 et 185 pour le réacteur n°6)
On peut facilement imaginer, puisque trou il y a, que le corium est tombé sur le caillebotis, l’a rendu mou à cause de la chaleur et l’a déformé jusqu’à percement à cause de sa densité 20 fois plus importante que celle de l’eau. La suite logique est qu’il est tombé dans le fond de l’enceinte de confinement. Là, l’interaction corium-béton, bien connue des spécialistes, a fait disparaître le béton petit à petit. On ne connaît pas la profondeur du trou – n’ayez crainte Tepco nous l’annoncera un jour – mais peu importe, le mal est fait depuis 6 ans déjà et la pollution est permanente à cause de l’eau. L’investigation du 26 mars 2012 nous avait appris qu’il y avait 60 cm d’eau au fond de l’enceinte à une température d’environ 50°C, malgré un apport de plus de 100 m3/jour. Le corium est donc bien proche et l’eau extrêmement contaminée file dans les sous-sols et la nappe phréatique. Le corium n’a pas besoin de s’être enfoncé dans le sol pour polluer la nappe phréatique et l’océan Pacifique.
De fait, les niveaux de pollution de la nappe phréatique en aval du réacteur 2 ont toujours été gigantesques. Les dernières données de Tepco relevées par le site Fukushima Diary montraient des niveaux importants en strontium 90 pour des échantillons pris non loin du réacteur 2, côté mer : puits 1-06 : 750 000 Bq/L, puits 1-14 : 54 000 Bq/L, puits 1-16 : 200 000 Bq/L (5 février 2016). Et il faut se souvenir que Tepco a avoué durant l’été 2013 que 300 m3 d’eau contaminée allaient directement des sous-sols de la centrale à l’océan Pacifique chaque jour.
Une partie du corium du réacteur 2 a pu aussi se déverser dans la piscine torique. On en retrouvera partout assurément. Il faut se souvenir du corium de Tchernobyl qui se trouve encore, 30 ans après les faits, réparti sur plusieurs niveaux de la centrale ukrainienne.
Répartition du corium de Tchernobyl. Aucun démantèlement depuis trente ans.
A Fukushima Daiichi, Hiroshi Miyano, professeur à l'Université Hosei et président de la commission d'étude pour le démantèlement de la centrale de Fukushima Daiichi, a déclaré que « Le niveau extrêmement élevé de radiations mesuré à un endroit, s'il est exact, peut indiquer que le combustible n'est pas loin et qu'il n'est pas recouvert d'eau ».
Mais les plus de 500 Sv/h relevés sous la cuve et le trou dans la grille risquent fort d’empêcher Tepco de poursuivre ses investigations comme il l’avait prévu. En effet, le petit robot qu’ils comptaient envoyer en éclaireur devait passer sur cette grille. Or il n’a pas été conçu pour rencontrer des débris collés à la grille ou des trous. Il était prévu également pour mener une mission de 10 heures (la dernière investigation avait donné une radioactivité de 73 Sv/h). La radioactivité ambiante réactualisée le rendra inutilisable probablement au bout d’une ou deux heures seulement.
Le robot que Tepco compte utiliser pour les explorations futures
Pour mémoire, le réacteur 2 de Fukushima Daiichi a subi une explosion, sans doute au niveau de la piscine torique, le 15 mars 2011 vers 6h10. A partir de cette date, une énorme quantité de radioactivité s’est échappée de ce réacteur qui, malgré ses murs extérieurs intacts, rejetait un panache de vapeur permanent par le trou du panneau d’évent (déjà ouvert le 13 mars 2011).
Panache de vapeur visible le 23 mars 2011
Trou du panneau d’évent du BR2 (façade est)
Cette radioactivité venait soit directement du puits de cuve, à la verticale du réacteur, comme le montre cette photo gamma (880 mSv/h en juin 2013) (ce qui prouve au passage que le couvercle de la cuve n'est plus étanche),
L’intérieur du réacteur 2 (d’après une photo gamma Tepco)
soit par une cheminée de ventilation provenant du sous-sol, qui est bien visible sur la photo ci-dessous (angle nord-ouest du bâtiment-réacteur).
Cheminée de ventilation du réacteur 2 (photo Tepco)
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Mise à jour (08/02/17)
Tepco a donné plus d'informations sur la localisation de la mesure de 530 Sv/h (qui d'ailleurs n'est qu'une estimation faite à partir de la caméra avec marge d'erreur de 30%).
Voici le nouveau schéma diffusé par l'opérateur qui montre l'endroit précis (point n°2) où l'estimation de 530 Sv/h a été faite, suivi de la photo reconstituée de l'endroit :
Schéma de localisation des mesures (merci à Masaichi Shiozaki pour la traduction !)
Partie de la passerelle où a été observée une masse de métal fondu très radioactif selon l'estimation (530 Sv/h)
Si la masse fondue est du corium, on s'explique mal comment il a pu arriver à cet endroit. On observe également qu'il n'y a "que" 20 Sv/h sous la cuve (à l'entrée du socle), alors que l'on se rapproche du trou dans la plateforme. Les investigations futures dans ce secteur devront essayer de répondre à ces problématiques. Dernière remarque relevée par Masaichi Shiozaki : Tepco précise qu'au moment de l'arrêt du réacteur 2, donc en 2011, le débit de dose pour les assemblages de combustible était de plusieurs dizaines de milliers de Sv/h. Tepco nous habitue progressivement aux grands nombres. Plus on se rapprochera du corium, plus on mesurera une haute radioactivité. Ce qu'il ne faut pas confondre avec une augmentation de la radioactivité.
Source des deux dernières illustrations :
http://www.tepco.co.jp/nu/fukushima-np/handouts/2017/images1/handouts_170206_05-j.pdf
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Mise à jour (09/02/17)
Selon Kyodo News, lors du nettoyage de la passerelle avec un jet d'eau à haute pression, l'image transmise par la caméra est devenue sombre. Bref, la caméra a grillé. Tepco a relevé une radioactivité de 650 Sieverts par heure, soit 120 Sieverts de plus que la dernière mesure communiquée fin janvier. De ce fait, l'opération a été interrompue. Cela ralentit (voire compromet ?) la poursuite des investigations. La passerelle doit en effet être dégagée de tout débris pour laisser passer le petit robot prospecteur Scorpion, censé supporter une radioactivité de 1000 Sv/h.
(Source : http://english.kyodonews.jp/news/2017/02/457859.html)
Selon Tepco, les "sédiments" (peut-être des fragments de corium) ont été détachés sur un mètre (sur les 5 mètres planifiés). Car plus on approche du socle de la cuve, plus la couche est épaisse et difficile à décoller.
Localisation du nettoyage (Extrait du rapport de Tepco du 9 février 2017)
La vidéo du décapage des "sédiments" est visible à cette adresse :
http://www.tepco.co.jp/tepconews/library/archive-j.html?video_uuid=x9n765q1&catid=69619
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Mise à jour (15/02/17)
Tepco continue de communiquer des infos sur les investigations du réacteur 2.
La photo reconstituée montre que la plateforme comporte au moins 3 trous et qu'elle est déformée par endroit.
Vue globale de la plateforme (photo Tepco)
Plan de la plateforme. Les parties rouges sont manquantes.
Le plan de la plateforme ne montre que deux trous. La photo commentée en montre un troisième du côté sud du réacteur non représenté sur le plan. On peut en déduire que le corium a fui par plusieurs trous depuis le fond de la cuve.
Le corium, en toute logique, doit se trouver en dessous, en fond de cuve de confinement, ou encore plus bas s'il y a eu une interaction corium-béton. Pour en savoir plus, le robot Scorpion devra s'approcher d'un trou et diriger sa caméra vers le fond de l'enceinte.
Source : http://www.tepco.co.jp/nu/fukushima-np/handouts/2017/images1/handouts_170215_08-j.pdf
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Mise à jour (16/02/17)
Le robot Scorpion est entré dans l'enceinte de confinement et s'est avancé sur la passerelle jusqu'à la plateforme sous la cuve, mais sans pouvoir aller plus loin car une chenille ne fonctionnait plus.
Le robot Scorpion avançant sur la passerelle
Ouverture du socle (photo Tepco)
A trois mètres du socle, le robot a relevé 210 Sv/h et 16,5°C.
Extrait du rapport de Tepco
Vidéo de l'exploration visible ici :
http://www.tepco.co.jp/en/news/library/archive-e.html?video_uuid=ptc4lm8y&catid=61785
Rapport Tepco du 16/02/17 : http://www.tepco.co.jp/en/nu/fukushima-np/handouts/2017/images/handouts_170216_01-e.pdf
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Mise à jour (25/02/17)
Tepco diffuse à nouveau cette image du dessous du réacteur 2 avec les barres de contrôle.
Barres de contrôle sous la cuve du réacteur 2 (photo Tepco)
Il diffuse aussi une nouvelle image de l'état de la passerelle avec ses trous.
Plateforme sous la cuve du BR2 (photo Tepco)
Tepco diffuse également un rapport, mais uniquement en japonais.
Celui-ci envisage une autre mission robotique d'exploration du réacteur 2.
Toujours par le même conduit, un robot de même type que le précédent (assez fin pour passer dans un tuyau) sera envoyé sur une passerelle qui se situe autour du socle de la cuve. Après avoir fait la moitié du tour du socle, le robot laissera pendre une caméra et un dosimètre pour voir l'état de la base de l'enceinte de confinement à côté du socle. A cet endroit, on devrait également apercevoir une ouverture d'accès au dessous de la cuve du réacteur, là où en toute logique, le corium est tombé.
Chose très rare pour Tepco, une flaque de corium est représentée sortant par cette ouverture. Manifestement, Tepco s'attend à en trouver sur tout le fond.
A droite, corium apparaissant sous forme de flaque bleue (schéma Tepco-IRID : 燃料デブリの広がり(イメージ)
Reconstitution de la passerelle autour du socle (photo Tepco)
Adresse du rapport complet (en japonais)
http://www.tepco.co.jp/nu/fukushima-np/roadmap/2017/images1/d170223_08-j.pdf
La passerelle d'accès aux barres de contrôle du réacteur 5 (photo Mainichi)
La plateforme sous la cuve du réacteur 5 (photo Mainichi)
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Mise à jour (10/05/17)
IRID et Tepco ont édité un rapport final en anglais sur les investigations du réacteur 2.
Il a été publié par le site Simply Info avec des commentaires à cette adresse :
http://www.fukuleaks.org/web/?p=16208