Treize ans après le début de la catastrophe nucléaire, Tepco n’a pas encore retiré un seul gramme des 880 tonnes de corium gisant au fond des réacteurs. C’est dire si la tâche est difficile, voire insurmontable dans les délais fixés à 40 ans.
Lors de la dernière investigation, Tepco a découvert un trou mais il n’en fait pas mention dans son rapport. Essayons d’y voir plus clair avec cette nouvelle visite à l'intérieur du BR1.
La dernière investigation en date est celle réalisée du 28 février au 14 mars 2024 dans l’enceinte de confinement du réacteur n° 1. Tepco a diffusé des photos prises par le robot introduit dans l’enceinte. Les voici, avec des explications en partie tirées du rapport correspondant édité le 18 mars 2024. Mais avant de commencer la visite, je dois vous expliquer ce que signifie CRD. C’est un acronyme pour « Control Rod Drive », littéralement « commande de barre de contrôle ». Il faut se souvenir que dans ce type de réacteur (Mark 1), les barres de contrôle, qui permettent de contrôler la réaction en chaîne, sont en dessous de la cuve avec un mécanisme hydraulique pour pouvoir les monter ou les descendre. Sont donc en jeu dans les CRD des barres de contrôle, des boîtiers ou logements pour les guider et les protéger quand elles ne sont pas dans la cuve et des moteurs complexes pour les mouvoir.
Tepco a également diffusé deux vidéos de cette investigation (filmée par 4 mini-drones) que vous trouverez en fin d’article.
Une image explicative (ci-dessous) a été ajoutée au dossier publié le 18 mars. Elle est tirée d’un rapport d’investigation intitulé « État d'enquête interne de l’enceinte de confinement primaire de l'unité 1 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi » publié le 4 avril 2023 mais introuvable pour l’heure sur le site de Tepco. Je vous mets cette illustration en début d’article pour savoir où on se trouve et de quoi on parle, ainsi qu’une vue aérienne de la centrale prise début mars.
L’ex-centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi le 8 mars 2024 (source : capture d’écran vidéo ANN-News)
1. L’ouverture dans le socle du réacteur 1
Cette ouverture rectangulaire de largeur d’homme est destinée, en fonctionnement normal, à pénétrer sous la cuve, là où sont les barres de contrôle, afin de pouvoir les remplacer en cas d’avarie. La photo est prise depuis l’extérieur du socle en béton qui soutient la cuve. Tous ces petits points blancs que l’on voit voler partout dans cet espace, ce ne sont pas des confettis mais l’effet de la forte radioactivité sur les capteurs photographiques du robot. Tepco précise que « les murs de l’ouverture ne sont pas gravement endommagés ». Alors oui, à ce niveau ça va. C’est quelques mètres plus bas que ça craint puisque le corium a mangé le béton en laissant les fers à nus, j’en avais parlé l’année dernière ici. À ce propos, Tepco a depuis affirmé que la stabilité de l’ensemble n’était pas en danger. C’est loin d’être l’avis de tous les experts.
2. Vue sur le robot-serpent
Cette photo prise par un drone montre l’avant du robot à l’approche de l'ouverture utilisée pour remplacer les CRD.
3. Boîtier de CRD
Cette photo, prise depuis l'intérieur du socle, est censée montrer le boîtier d’un CRD tombé près de l'ouverture mais on n’y voit pas grand-chose. Des adhérences en forme de stalactites et de « touffes » sont visibles en haut. Peut-être des restes du corium qui est passé par là.
4. Pièces d’équipement de CRD
C’est un zoom de la zone centrale de la photo 3. Le boîtier du CRD est tombé avec plusieurs pièces d'équipement liées au CRD.
5. Bas d’un boîtier de CRD
C’est un zoom de la zone centrale de la photo 4. Selon Tepco, il semble que le bas d’un boîtier de CRD soit tombé sur les rails de remplacement du CRD.
6. Amas de matière fondue
Photo avec flou artistique dû probablement à la forte radioactivité. Il s’agit d’amas de matière de couleur or dans la partie supérieure des boîtiers de CRD, probablement du corium.
7. Stalactites
Des stalactites attachées aux amas sont visibles. Ce sont probablement des coulures de corium.
8. Amas de matière fondue
Selon Tepco, il s'agit d'objets en forme de touffes qui se trouvent plus à l'intérieur du socle que le boîtier du CRD tombé à proximité de l'ouverture. Ceux-ci sont suspendus à l'équipement lié aux CRD. Tepco suppose que ces objets ont migré vers le bas depuis le haut. Avec une densité comprise entre 6 et 9, le corium est un bon candidat pour l’identification de cette matière qui, en refroidissant, a pu créer des formes bizarres.
9. Mur du socle
Ceci est une photo du mur du socle prise à l'intérieur du socle. Tepco remarque qu’aucun dommage significatif n’est observé et que le béton est toujours présent.
10. Câbles
Cette photo montre un autre endroit du mur à l'intérieur du socle. À gauche, on observe un boîtier-relais de câbles et, fixés au mur, des câbles déformés.
11. Vue de l’intérieur du socle
Cette photo de l'intérieur du socle montre, selon Tepco, une « ouverture TIP existante » et des objets supposés être des équipements liés au « TIP » pendant vers le bas. Tepco n’explique pas ce qu’est un TIP, mais il est possible, selon la documentation mise en ligne par la NRC, qu’il s’agisse d’un ensemble de détecteurs de neutrons destinés à « obtenir une répartition axiale et radiale du flux de neutrons au sein du cœur du réacteur » (TIP = Traversing Incore Probe System). À confirmer.
12. Boîtier CRD à l’envers
Cette photo montre un boîtier CRD qui est à l’envers par rapport à sa position d'origine. En incrustation, on voit une photo d’un boîtier en position normale. Il faut reconnaître que tout est sens dessus dessous à l’intérieur du socle.
Tepco conclut son rapport d’investigation en disant que « des objets sont probablement tombés du haut de la cuve sous pression, mais il n'est pas possible de déterminer s'il s'agit de débris de combustible ou d'équipement brûlé pour le moment ». Vu les amas de matière fondue et les stalactites, il s’agit très probablement de corium, avec une proportion variable de combustible nucléaire et d’équipements à l’intérieur plus ou moins fondus.
Par ailleurs, la vidéo du 28 février, l’air de rien, montre une image que Tepco ne mentionne pas dans son rapport : un gros trou dans le caillebotis métallique. Est-il possible que ce trou ait été formé par une coulée de corium (dont on aperçoit quelques éclaboussures sur le bord) ? Il rappelle celui découvert en février 2017 sous la cuve du réacteur n° 2 (lien), même si celui-ci semble plus petit. C’était prévisible que Tepco ne parle pas de cette découverte. Il semble en effet y avoir deux enquêtes, une interne où on ne communique pas les informations essentielles et une publique où on fait de la communication qui n’abîme pas l’image du nucléaire et/ou de Tepco. On attendrait un rapport plus sérieux, avec l’analyse de la formation de ce trou, sa localisation et les débits de doses enregistrés. L’enceinte avait déjà été visitée en 2015 par un robot qui donnait des débits de dose allant jusqu’à 9 Sv/h (lien vidéo) dès que le robot s’approchait d’un résidu fondu.
Or, selon le cheminement du drone, ce trou est situé à l’extérieur du socle, ce qui voudrait dire que du corium a pu s’échapper de la cuve de manière latérale et non pas verticale comme attendu. Il existe de nombreux trous dans la partie verticale de la cuve pour faire passer des tuyaux. Rien que sur la photo de l’enceinte de confinement ci-dessous qui date de la construction du réacteur 1, on peut compter une bonne dizaine de tuyaux qui sont autant de brèches potentielles (Le confinement est bien relatif !).
Est-ce que ceux qui sont situés en bas de cuve pourraient avoir laissé passer du corium ? C’est possible. Si l’on regarde la coupe d’une cuve de réacteur de ce type, on observe que deux tuyaux partent bien de la partie inférieure de la cuve. Il s’agit de deux tuyaux de recirculation de l’eau du circuit primaire (entrée et sortie) reliés à des pompes de jet. Dans la vie réelle, quand on veut vider une casserole, on la retourne. Dans le monde atomique, la cuve est fixe donc pour renouveler ou faire circuler l’eau du circuit primaire, il faut des tuyaux et des pompes.
Il se trouve que ces tuyaux se situent juste au-dessous du plateau qui porte les assemblages de combustible. Puisque fonte du cœur il y a eu, est-il possible qu’une partie du corium ait emprunté ces tuyaux pour faire une petite sortie en dehors du socle ? Les tuyaux, n’appréciant guère la chaleur intense du corium (de 2 à 3000 °), ont-ils pu céder et le laisser s’échapper, ce qui expliquerait ce trou inédit ? Le drone n’ayant passé que 3 secondes à considérer ce trou, il est évident que l’opérateur le connaissait déjà. Une autre hypothèse serait que le trou coïncide avec le passage vertical d'un tuyau de ce diamètre qui aurait disparu dans la catastrophe. Encore un truc bizarre dont Tepco parlera peut-être un jour.
Pierre Fetet
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Vidéos
Vidéo de la première investigation avec les drones 1 et 2 publiée par Tepco le 28 février 2024.
Vidéo de la seconde investigation avec les drones 3 et 4 publiée par Tepco le 14 mars 2024.
Parallèlement aux investigations de Tepco, la NRA (Nuclear Regulation Authority) poursuit ses recherches pour comprendre tous les évènements qui ont eu lieu en 2011 dans les réacteurs et surveiller les opérations de démantèlement. Ainsi, le 22 décembre 2023, des agents de cette institution sont allés inspecter l'intérieur du bâtiment du réacteur de l'unité 1 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. La radioactivité ambiante était environ de 300 µSv/h, soit 1500 à 2000 fois plus élevée que la normale avec des pointes à 1 mSv quand ça sonne. On est étonné de voir les risques radiologiques que prennent ces personnes pour enquêter.
Enquête à l'intérieur du bâtiment réacteur de l'unité 1 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi de TEPCO (film du 22 décembre 2023, NRA)
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Sources :
*Avec le concours d’Evelyne Genoulaz pour la source et l’aide à la traduction.
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