Avec le réchauffement climatique qui est en train de s’accélérer, de nombreux terriens commencent à en sentir les effets désastreux… le monde tel que nous le connaissons est en train de s’effondrer et le monde futur apparaît très incertain. La littérature et le cinéma d’anticipation et de science-fiction nous ont toutefois déjà habitué au possible rebond de l’humanité suite aux diverses apocalypses possibles (hiver nucléaire, guerre biologique, catastrophe sanitaire, etc.). Sauf que ces centaines de romans et de films qui prédisent une suite optimiste à un effondrement de notre civilisation nous trompent : il n’y a pas de suite heureuse avec l’énergie nucléaire !
La pandémie de 2020 n’était pas grand-chose par rapport à ce qui pourrait arriver. Pourtant, rien qu’avec elle, le personnel des centrales nucléaires françaises a déjà été mis à l’épreuve. Certes, le plan pandémie, fondé sur des scénarios très pénalisants, a permis de tourner dans les centrales avec 25 % des effectifs absents pendant douze semaines, ou avec 40 % d’absents pendant trois semaines. Certaines centrales, comme celle de Flamanville, ont même tourné avec seulement 12 % des effectifs habituels. Mais que se passerait-il si aucun agent ne pouvait assurer son travail en cas de pandémie plus sévère, ou en cas d’impossibilité physique d’accéder à une centrale suite par exemple à un tremblement de terre, ou en cas d’absence d’alimentation électrique plus longue que la durée de vie des dispositifs de secours ?
Et que se passerait-il si plusieurs évènements arrivaient en même temps ? Une tempête, un tremblement de terre et une erreur humaine ? Une pandémie, une sécheresse et un crash d’avion de ligne sur une piscine de combustible ? Une inondation, une guerre et une panne électrique ? Un incendie, un attentat terroriste et un défaut de refroidissement ? Malheureusement, nos gouvernements ne le prévoient pas. On le sait maintenant, une centrale nucléaire peut être attaquée et occupée durant une guerre, une rivière censée refroidir des réacteurs peut être asséchée, un feu de forêt peut menacer une centrale, un pilote d’avion peut décider de se suicider en faisant tomber son avion où il veut, une pandémie peut décimer des équipes complètes de techniciens.
Eh bien, les accidents viennent toujours d’un cumul de problèmes qu’on n’avait pas imaginés se produire en même temps. Ces derniers temps, les ennuis sur cette planète ayant une fâcheuse tendance à s’accumuler mondialement, je m’inquiète. Évidemment le réchauffement climatique m’effraie mais, bien que je sois optimiste par nature, je m’inquiète également du monde d’après. Le nucléaire, contrairement à ce que le lobby politico-atomique essaie de nous faire croire, ne sera jamais la solution pour contrer le réchauffement climatique – il faudrait construire des milliers de réacteurs pour soi-disant produire moins de CO2 d’ici une douzaine d’années en considérant qu’elles fonctionnent sans problème – mais pire, le nucléaire risque de produire une fin tragique au vivant sur l’ensemble de la planète.
En effet, que se passe-t-il quand il n’y a personne pour s’occuper d’une centrale nucléaire en activité ou quand on en perd le contrôle d’une manière ou d’une autre ? Il y a malheureusement l’exemple de Fukushima : l’absence de refroidissement produit des explosions d’hydrogène qui endommagent les cuves de confinement et produisent des pollutions atmosphériques massives et irréversibles. L’absence de refroidissement d’un réacteur peut produire aussi l’explosion de la cuve contenant le combustible, comme à Tchernobyl. Il y a plus de 400 réacteurs nucléaires dans le monde. Est-ce qu’une catastrophe mondiale pourrait mettre en péril le refroidissement de ces 400 réacteurs en même temps ? Dans le cas d’une pandémie sévère, c’est effectivement possible. Et d’autres configurations d’évènements peuvent également produire cette possibilité.
En plus des réacteurs, il y a les piscines de refroidissement. Il y en a généralement une par réacteur, pour refroidir les barres de combustibles très chaudes après leur utilisation, et d’autres plus grandes pour refroidir, sur le long terme, le stock important de combustible usé. À Fukushima Daiichi par exemple, il y a 6 réacteurs, 6 piscines de réacteur et une piscine commune de plus grande capacité. En France, on a choisi de rassembler tous les combustibles usés pour le stockage à long terme à la Hague. Cet immense site de stockage a une capacité de 10 000 tonnes de combustible, soit environ 50 fois le combustible qu’il y avait dans le réacteur n°4 de Tchernobyl avant son explosion.
Pourquoi je parle des piscines ? Tout simplement parce qu’elles sont aussi dangereuses – voire plus dangereuses car elles n’ont pas d’enceinte de confinement – que les réacteurs en eux-mêmes car quoi qu’il arrive, il faut être en mesure de refroidir l’eau. En cas de non refroidissement, l’eau peut s’évaporer en quelques jours à quelques semaines selon la chaleur des barres et le zirconium des gaines de combustible peut s'enflammer spontanément vers les 800°C. Un incendie de combustible usé pourrait ressembler à un front de combustion qui avance sur les barres comme on le voit par exemple dans un incendie de forêt ou en pyrotechnie avec les cierges magiques. Sauf que cet incendie larguerait dans l’atmosphère des radionucléides très toxiques comme le plutonium, le strontium, le césium, etc.
Pour bien montrer la dangerosité d’un incendie de combustible et du fait que les nucléocrates en ont bien conscience, il faut se souvenir de ce qui s’est passé le 16 mars 2011 lors de l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi : les Étatsuniens ont demandé à leurs ressortissants de s’éloigner à au moins 80 km de la centrale car ils craignaient un incendie de combustible de la piscine du réacteur n° 4. Pour les 444 réacteurs nucléaires opérationnels dans le monde (source AIEA, septembre 2021), il doit y avoir autant de piscines de désactivation, ce qui fait en ajoutant les sites de stockage sur le long terme, environ 900 sites nucléaires dans le monde qui doivent être surveillés 24 h sur 24 et dont les combustibles doivent impérativement être refroidis en permanence.
J’alerte donc sur le fait qu’il faudrait mieux prévoir une transition énergétique rapide vers les énergies renouvelables qui, même si elles ont toutes un impact néfaste à un moment ou à un autre sur notre écosystème, permettent de voir un avenir au vivant sur cette terre. J’alerte sur le fait qu’une centrale nucléaire ne s’arrête pas avec un interrupteur, qu’il faut prévoir les choses très longtemps à l’avance. Le combustible atomique, une fois utilisé, reste chaud durant des années et il est impératif de le refroidir en continu. Comment fait-on s’il n’y a plus assez d’eau dans les rivières ? Devra-t-on un jour les refroidir avec de l’eau potable nécessaire à notre survie ? Comment fait-on si la source d’énergie nécessaire à faire fonctionner les pompes n’existe plus ?
J’alerte sur le fait qu’il faut arrêter les centrales nucléaires au plus tôt pour arrêter de produire des combustibles à refroidir, qu’il faut prévoir et construire des centres de refroidissement du combustible sécurisés contre les guerres, les attentats et les chutes d’avion, avec des sources de refroidissement redondantes. J’alerte sur le fait qu’un centre d’enfouissement des déchets nucléaires à 500 m sous terre n’est pas une solution à long terme vu le risque d’explosion et d’incendie sur ce genre de matière en milieu confiné. Si un incendie radioactif se produit dans un souterrain, personne ne sera volontaire pour aller l’éteindre et ses fumées mortelles arriveront toujours en surface par les cheminées d’aération. J’alerte sur le fait qu’il faut trouver des solutions responsables tout en respectant les générations futures.
J’alerte sur le fait que mettre les combustibles dans des piscines sous des hangars en tôle n’est pas non plus une solution à long terme. Je redis encore une fois qu’une piscine de combustible, si elle n’est pas refroidie, conduit à la même catastrophe que Tchernobyl : l’eau s’évapore et le combustible finit par s’enflammer à l’air libre en libérant des tonnes de radionucléides dans l’atmosphère. J’alerte sur le fait qu’un ou plusieurs évènements concomitants mondiaux imprévus impactant la possibilité de s’occuper correctement des centrales nucléaires et des piscines de refroidissement pourra conduire à des catastrophes nucléaires en chaine dans les centaines de sites existants et rendre la terre invivable pour des dizaines de milliers d’années.
J’invite les ingénieurs des entreprises productrices d’électricité nucléaires à réfléchir urgemment à ces questions pour trouver des solutions en faisant preuve d’innovation dans les techniques du refroidissement à sec, et les gouvernements à prendre la décision d’arrêter suffisamment tôt les centrales nucléaires avant qu’il ne soit trop tard. J’alerte la population à prendre conscience de ces avenirs possibles ou infernaux et à faire pression sur les décideurs pour changer de cap tant qu’il en est encore temps.
Pierre Fetet
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En savoir plus
- À propos du danger des feux de piscine, lire l’exposé de Robert Alvarez, chercheur à Institute for Policy Studies :
« Piscines de combustible nucléaire usé et déchets radioactifs », in Collectif, Les conséquences médicales et écologiques de l'accident nucléaire de Fukushima, Actes du symposium de New York des 11 et 12 mars 2013, Éditions de Fukushima, 2021, p. 272-792.
- À propos de l'entreposage à sec, l'IRSN dit que c'est possible : article de Reporterre de 2019
"L’enfouissement des déchets radioactifs n’est pas la seule solution, affirme l’IRSN"