2 octobre 2022 7 02 /10 /octobre /2022 20:56

Zaporijia n’est pas Fukushima. Mais la pression de la guerre actuelle sur la centrale nucléaire ukrainienne occupée par les Russes et plusieurs fois bombardée pourrait engendrer une catastrophe nucléaire de même importance, voire de plus grande ampleur à cause d’interventions de secours rendues difficiles par le conflit. Mais la menace ne s’arrête plus à l’atome civil puisque la Russie, dans une escalade continue, menace d’utiliser son armement nucléaire contre l’Occident.

Jean-Marc Royer, auteur de nombreuses contributions du blog de Fukushima, suit de près l’évolution de ce conflit. Le discours de Poutine du 30 septembre 2022 est-il un tournant historique qui pourrait faire basculer le monde dans une tragédie ? L’auteur de Le monde comme projet Manhattan nous propose d’ausculter les événements récents autour de la centrale de Zaporijia (carnet 3) et d’analyser le contexte de la guerre entre l’OTAN et la Russie qui mène aux menaces atomiques de Poutine (carnet 4) dans deux « carnets de guerre » qui font partie d’une série publiée dans le site lundimatin.fr.

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Remarque : les deux articles publiés dans cette page sont téléchargeables en pdf, ce qui est recommandé en particulier pour une lecture facilitée des notes de bas de page (les numéros et les liens des notes sont ici malheureusement non fonctionnels).

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Carnets de Guerre #3, Jean-Marc Royer

 

UN DÉSASTRE NUCLÉAIRE EST D’ACTUALITÉ EN EUROPE (I)

(Les nuages radioactifs ne s’arrêteront pas aux frontières)

 

(paru dans lundimatin#349, le 7 septembre 2022. https://lundi.am/Un-desastre-nucleaire-est-d-actualite-en-Europe-I)

 

 

 

Dans un premier « Carnet de Guerre », nous avions esquissé une brève histoire des rapports de l’Otan et du pacte de Varsovie. Nous rappelions les « engagements » des uns et des autres au moment de la Perestroïka/Glasnost et vis-à-vis de l’Ukraine, après la dissolution de l’URSS. Encore que dans ce domaine tout un travail de dépouillement des archives reste à faire. Nous avions ensuite débuté une chronologie des évènements depuis avril 2021, ce qui nous avait entraîné au rappel des huit guerres engagées par le clan Poutine depuis 1999. Car l’échec de l’armée russe devant Kiev étonnait : Poutine allait-il rester le maître de l’escalade malgré cette déroute ? Mais dans cette analyse du terrain militaire, il était apparu que la question nucléaire devait être examinée de près, et sous ses multiples aspects, ce que nous avions commencé à faire.

Dans le second Carnet de Guerre, nous revenions sur un point de bascule fondamental de l’histoire contemporaine : la « révolte volée des Allemands de l’Est en 1989 » que l’on pourrait aussi appeler « l’Anschluss de la RDA par le capital ouest-allemand » ou plus exactement, « le point d’orgue de la contre révolution internationale des néolibéraux débutée en 1973 au Chili », une série d’évènements que l’idéologie vient recouvrir en la dénommant « chute du mur de Berlin ». On le sait depuis l’invention de l’écriture cunéiforme : l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs.

Dans ce troisième Carnet, une des dimensions nucléaires de cette guerre, mais pas la seule, nous a obligé à revenir de plus près à ce qui se passe dans la centrale de Zaporijia, tant la médiocrité du bavardage médiatique est indigne à ce sujet. Encore cela n’est-il qu’une des dimensions nucléaires de cette guerre, une autre résidant dans les conséquences du fait que les stratégies d’emploi « des armes nucléaires de théâtre » ont changé, aussi bien aux États-Unis en 2019, qu’en Russie en 2021. Ainsi cela invalide-t-il l’increvable postulat de la dissuasion nucléaire auquel s’accrochent encore tous les pays qui possèdent cette arme. Il est vraiment minuit moins deux dans le siècle !

 

 

 

Historiquement, la banalisation du mal occidental s’est répandue à grande échelle à partir du moment où le travail et les êtres humains ont été « industrialisés », c'est-à-dire coupés de leur réalité nourricière, terrestre, pour être encasernés, prolétarisés, disqualifiés, déréalisés et finalement déshumanisés. A partir de ce moment, tout a été possible dans l’ordre de la banalisation et tout est devenu acceptable dans l’ordre du mal, puisque toutes les fins humaines ont été discréditées au seul profit de l’aliénation productiviste et marchande[i].

 

 

 

C’est une situation sans précédent sur Terre car c'est la première fois qu'un pays qui possède des armes nucléaires en attaque un autre, lui-même doté d’une quinzaine de réacteurs. C’est aussi le retour d’un passé mal digéré, dans le sens où l’Europe est malheureusement redevenue, pour de multiples raisons sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement, le théâtre d’une guerre dont nul ne peut dire avec certitude qu’elle restera militairement conventionnelle, ni territorialement circonscrite. Cette situation de guerre, qui introduit des risques élevés de désastre planétaire a toujours été déniée par les promoteurs et les constructeurs du nucléaire, mais voilà que nous y sommes ; à minima, cela nous oblige à une « analyse interne »[ii] de ce qui se passe, analyse dont voici le premier volet.

Rappelons tout d’abord brièvement l’inventaire du parc électronucléaire en Ukraine. Les quinze réacteurs sont répartis dans quatre centrales : celle de Rivné est au nord-ouest (deux de ses réacteurs n’ont pas d’enceintes de confinement) ; à l’ouest il y a Khmelnitski, au sud-ouest Konstantinovka et au sud la plus puissante d’Europe, Zaporijia qui compte six réacteurs, mis en service entre 1985 et 1995.

 

 

[i] Extraits de l’appel international rédigé en 2012, traduit en six langues et intitulé : « Hiroshima, Tchernobyl, Fukushima : des crimes contre l’Humanité » http://www.fukushima-blog.com/article-appel-international-hiroshima-tchernobyl-fukushima-des-crimes-contre-l-humanite-101458831.html

[ii] Pour illustrer ce que nous entendons par « analyse interne » nous renvoyons à celle que nous avons faite de la première explosion atomique du 16 juillet 1945 dans « Le Monde comme projet Manhattan. Des laboratoires du nucléaire à la guerre généralisée au vivant ». Elle a permis de qualifier cette « innovation » d’écocide et de crime contre l’Humanité, ce que l’analyse des carottes glaciaires antarctiques confirmait dans les années 1960. On se doute que si cette qualification avait été dûment et publiquement établie dès ces années-là, cela aurait sans doute modifié le cours de l’opposition au nucléaire. Malheureusement cette ignorance perdure. Le même type « d’analyse interne »concernera l’important business nucléaire qui se poursuit « à bas bruit » entre capitalistes occidentaux et russes, pour le plus grand profit des uns et des autres.

Maquette de la centrale de Zaporijia

Maquette de la centrale de Zaporijia

Les centrales nucléaires prises dans la guerre représentent d’énormes dangers

Même si des travaux de modernisation ont été entrepris dans ces centrales après la catastrophe de Fukushima, cela n’a pas permis d’atteindre le niveau de sûreté observé ailleurs et encore moins de les préparer à une guerre prolongée. Or, l’instabilité d’une telle situation est propice non seulement à l’émergence d’évènements inattendus, mais aussi à leurs enchaînements imprévus, ce que certains nomment « l’effet domino » ou « l’effet papillon ». Et assurément, la tactique de bombardements massifs et indiscriminés de l’armée russe dans le cadre de sa « guerre industrielle, totale et à caractère génocidaire »[i], peut conduire à tout moment à une erreur de ciblage touchant les équipements d’une centrale. D’autant que l’imprécision des frappes de ses vieux missiles « reconvertis » a déjà été documentée et que la centrale de Zaporijia se situe très précisément sur la ligne de front, du mois en cette fin du mois d’août 2022. Des actes de guerre peuvent également entraîner, de manière aléatoire ou délibérée, une coupure générale des lignes d’alimentation électriques extérieures qui permettent le fonctionnement normal des réacteurs, des installations de contrôle-commande ou de refroidissement.

Si chaque réacteur de la grande centrale de Zaporijia dispose bien de trois groupes électrogènes de secours fixes et qu’il y a deux groupes mobiles sur le site, il reste cependant des doutes importants quant à la fiabilité de ces générateurs, à l'état actuel des mises à niveau techniques et à leur réserve de carburant qui est de dix jours au total, en espérant que leurs réservoirs n’aient pas été vidés pour alimenter des véhicules militaires de l’occupant.

 

 

[i] Nous reviendrons sur la caractérisation précise de cette guerre. Disons pour le moment que le rythme des bombardements quotidiens en Ukraine (~50 000) est comparable au rythme moyen des bombardements durant guerre de 1914-1918, mais que leur puissance est nettement plus élevée. Source, « Les conflits en carte » du 20 août 2022,  https://www.youtube.com/channel/UCkLlDQmNhyGpaTWDsBs4lqA  . Bien évidemment, cela ne constitue en rien une croyance dans la propagande occidentale, cf. Les Carnets de guerre #1.

Doc. Insider. Pour comparer avec 2019, entrer les coordonnées : 47.50831861, 34.58747352 sur Google Maps

Doc. Insider. Pour comparer avec 2019, entrer les coordonnées : 47.50831861, 34.58747352 sur Google Maps

En outre, il faut bien comprendre que, comme dans toutes les centrales, les innombrables câbles et canalisations – qui joignent les installations et qui ne sont pas conçus pour résister à des roquettes, à des missiles, des bombes ou des mines – constituent autant de vulnérabilités. De plus, l’alimentation en eau de toutes les installations et des piscines de refroidissement est vital, même lorsque les réacteurs sont à l’arrêt. Il faut savoir par exemple que la puissance thermique de 20 000 MW dégagée par la centrale de Zaporijia exige d'énormes quantités d'eau de refroidissement qui sont pompées dans le Dniepr. Les systèmes d’extinction des incendies ont eux aussi besoin d’eau et d’électricité. Il est à noter à ce propos que la question des cinq grands barrages du Dniepr situés en amont et en aval de la centrale n’est jamais abordée[i]. D’autre part, les assemblages[ii] irradiés stockés dans les piscines des réacteurs ou dans des conteneurs à l’air libre, représentent également un grand danger : il y en a plus de 4 200 qui sont parqués au nord-est du site[iii].

 

[i] Le plus grand de ces barrages avait pourtant fait l’objet de deux bombardements durant la seconde guerre mondiale.

[ii] Par assemblages, il faut entendre ce que la presse nomme à tort « combustibles » car il ne se produit aucune combustion dans un réacteur nucléaire. Une fois extraits de la cuve d’un réacteur, ils continuent à dégager une très forte chaleur pendant des années. Or les pompes de refroidissement nécessitent de l’électricité et de l’eau pour fonctionner. Dans le cas contraire, la température dans les piscines augmente, les assemblages commencent à fondre et des substances radioactives sont ensuite libérées dans l’environnement.

[iii] Il y a au total 2 300 tonnes d’assemblages usé entreposés sur le site (855 t à l'intérieur des piscines et 1445 t à sec). Voir Greenpeace https://bit.ly/3pH4huz  et les plans compilés par la Criirad ici : http://balises.criirad.org/pdf/Guerre_Ukraine_2022/2022_03_06_annexe.pdf

Ces 174 silos en béton contiennent quelques 4 200 assemblages au total.

Ces 174 silos en béton contiennent quelques 4 200 assemblages au total.

Près de 30 000 personnes sont nécessaires au fonctionnement H 24 de l’ensemble des centrales ukrainiennes et à la surveillance des niveaux de radiation. Il est inutile de préciser que leur savoir-faire, leur attention et leur disponibilité physique et psychique sont extrêmement sollicités depuis le début de la guerre. Cela augmente évidemment les risques d’erreurs humaines. D’autre part, une rupture de la chaîne logistique d’approvisionnement en services, en équipements et en composants de remplacement accroîtrait les risques de toute nature[i].

 

[i] Un rapport de 98 pages du gouvernement autrichien de la sécurité des réacteurs de Zaporizhzhia avait conclu en 2017 que « les documents fournis et disponibles mènent à la conclusion qu'il existe une forte probabilité que les scénarios d'accident se transforment en un accident grave qui menace l'intégrité du confinement et entraîne un rejet important ». https://www.umweltbundesamt.at/fileadmin/site/publikationen/rep0775.pdf

Salle de contrôle-commande de Zaporijia

Salle de contrôle-commande de Zaporijia

Répétons-le : L’intégrité physique des personnels et celle des installations est vitale[i]. Si leur fonctionnement était interrompu par des destructions irréparables, alors il pourrait se produire une nouvelle catastrophe nucléaire en Europe. Ajoutons qu’en temps de guerre, l’acheminement de matériels de rechange ou de sauvetage, la protection des populations contre les radiations ou leur évacuation, la mobilisation de milliers de sauveteurs autour d’une centrale seraient évidemment rendus beaucoup plus difficiles, sinon impossible.

 

Des nouvelles du site de Tchernobyl qui est resté vulnérable et dangereux

Les deux sarcophages de Tchernobyl n’ont évidemment pas été conçus pour résister à une agression de type militaire, fut-elle involontaire. Le 24 février 2022, l’armée russe s’est emparée de la centrale située au cœur d’une zone d’exclusion, contaminée et inhabitable pour longtemps. L’exploitant ukrainien avait ensuite informé l'Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA[ii]) que l’équipe de Tchernobyl en place depuis cette date, ne pouvait plus procéder aux réparations et à la maintenance des équipements liés à la sécurité, du fait de la fatigue cumulée et du manque d’approvisionnement. Ce n’est que le 21 mars, après la retraite des forces russes du nord, que le personnel technique qui y travaillait sans repos depuis plusieurs semaines, a enfin pu être relevé.

Le lac qui sert au refroidissement des réacteurs de Tchernobyl fut l’exutoire de forts rejets radioactifs. Il est extrêmement contaminé. Une brèche dans la digue qui le sépare de la rivière Prypiat pourrait entraîner une forte contamination de ce cours d’eau qui se jette dans le Dniepr duquel dépend l’approvisionnement en eau potable des millions d’habitants en aval et notamment de la ville de Kiev.

D’après l’AIEA, le SNRIU (autorité de sûreté ukrainienne) et les images satellites de la NASA, des incendies ont été observés durant le mois de mars, au sein de la zone d’exclusion de Tchernobyl, à moins d’un kilomètre de la centrale, sans qu’il soit possible d’en déterminer les causes. À ce sujet, rappelons qu’à la suite du désastre de 1986, les sols de Biélorussie, d’Ukraine et de Russie ont été contaminés par les radionucléides qui, avec les pluies, se sont introduits en profondeur. Comme ils ont ensuite été absorbés par les racines de tous les végétaux, ils sont « remontés une seconde fois à la surface » lors de leur croissance. En cas d’incendie, ces radionucléides sont donc libérés dans les fumées et conduisent à une contamination de l’air. Ce phénomène concerne en particulier le césium 137, principal radionucléide dispersé en 1986 et encore quantifiable dans l’atmosphère.

Or, du fait du conflit en cours, les sondes de surveillance dans la zone d’exclusion et celles qui sont à proximité des réacteurs de la centrale, sont restées inactives pendant plusieurs semaines. Elles n’étaient donc pas en mesure de fournir des données quant à la radioactivité dans cette zone pendant les incendies observés en mars.

Last but not least, la totale ignorance de la chose nucléaire par les gradés russes en campagne a été constatée avec effarement par les autorités ukrainiennes au début du mois d’avril : des photos et des vidéos montrent les tranchées qui ont été creusées par les hommes de troupe dans une des zones les plus radioactives du monde. Dans les jours qui ont suivi l’occupation du site et plus encore après la retraite de l’armée, des ambulances russes spécialement équipées ont été vues à Homiel, ville voisine de Biélorussie, sans que l’on ait pu savoir si elles étaient destinées à convoyer des soldats contaminés. En effet, si la durée et le niveau de l’irradiation ambiant n’ont peut-être pas été suffisamment élevés pour provoquer des maladies, le sol creusé, lui, pouvait contenir des « résidus radioactifs ». D’autre part, l’inhalation, l’absorption ou la pénétration de radionucléides par une plaie présentent un tout autre caractère de gravité qu’un niveau de radiation mesuré à 1m au dessus du sol en avril[i].

 

[i] Florian Gouthière, « Des soldats russes ont-ils pu développer un syndrome aigu d’irradiation après avoir creusé des tranchées près de Tchernobyl ? », Libération, CheckNews, 8 avril. Fabien Magnenou, « Guerre en Ukraine : qu'est-il advenu des soldats russes déployés dans le secteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl ? », France télévision, 8 avril 2022.

 

Une situation dégradée dans la centrale la plus importante d’Europe[i]

Le 4 mars dans la nuit, des bâtiments annexes de la centrale de Zaporijia ont été touchés par les bombardements de l'armée russe, ce qui a entraîné un incendie et au moins 3 morts parmi le personnel de sécurité. Les pompiers n’ont pas pu intervenir immédiatement, mais le feu fut ensuite maitrisé. Depuis la fin de cette matinée-là, ce site a été investi par les militaires russes. Une semaine après, des ingénieurs de Rosatom sont arrivés pour en superviser l’exploitation, puis en prendre le contrôle.

Le 16 mars, le réseau ukrainien (ainsi que celui de la Moldavie), qui était interconnecté jusqu’alors au réseau russe, a été synchronisé avec le réseau électrique européen[ii], un process qui était à l’étude depuis 2017 et ne devait aboutir qu’en 2023. Ainsi, les gestionnaires européens peuvent dorénavant aider à stabiliser le système ukrainien et répondre à une demande de fourniture électrique de secours mais ils doivent également gérer le fait inédit qu’un des équipements de production (la centrale de Zaporijia) est sous le contrôle militaire d’un occupant.

Le 22 mars, la situation était la suivante : seuls les réacteurs 2 et 4 fonctionnaient ; les autres étaient à l’arrêt mais pouvaient éventuellement être redémarrés. La centrale était alors connectée au réseau électrique ukrainien par une ligne de 330 kV et par deux des quatre lignes de 750 kV, les autres étant indisponibles à la suite des combats.

Le 28 avril, dans son rapport de synthèse sur la sûreté, la sécurité et les garanties nucléaires en Ukraine, le directeur général de l’AIEA déclarait que les forces d’occupation et les personnels de Rosatom envoyés sur le site exigent des rapports quotidiens de la direction locale sur des questions « délicates » concernant : le fonctionnement et la gestion de la centrale, les activités de maintenance et de réparation, la sécurité et le contrôle d'accès, la gestion du combustible nucléaire, du combustible usé et des déchets radioactifs.

En raison de l’occupation militaire et de la présence des ingénieurs de Rosatom, la situation du site s’est dégradée : l’exploitant ukrainien signalait l’impossibilité d’exercer la surveillance réglementaire de la sécurité nucléaire et radiologique du site tandis que le personnel de la centrale « travaillait sous une pression constante et effroyable »[iii].

À ce moment-là, le clan Poutine envisageait vraisemblablement d’administrer cette centrale sur le long terme afin d’alimenter les zones occupées et en particulier la Crimée, ce qui explique que la presse embedded y fut invitée le 1er mai, à l’occasion d’une mise en scène dont il a le secret.

Le 21 juillet, selon plusieurs sources et Energoatom, les militaires ont placé des dizaines d'équipements, des blindés, des camions et des munitions dans plusieurs bâtiments[iv] dont la salle des turbines attenante au premier réacteur n°1.

Le 5 août à 14h30, la centrale nucléaire de Zaporijia (dont 3 réacteurs étaient en production et 3 à l’arrêt) a fait l’objet de plusieurs bombardements : au niveau d’un transformateur de la ligne électrique haute tension 330 kV (ou 750 kV), mettant hors service un transformateur électrique de puissance et deux transformateurs de secours. Les destructions ont entrainé l’arrêt automatique du réacteur n°3, le démarrage de ses groupes électrogènes de secours et sa déconnexion d’avec le réseau.

Un peu plus tard dans la journée, un deuxième bombardement a endommagé une des stations de production d’azote (qui sert à inerter les réservoirs présentant un risque d’explosion d’hydrogène) à proximité des bâtiments de stockage des effluents radioactifs.

Le 6 août dans la soirée, un nouveau bombardement du site a eu lieu. Au moins cinq roquettes – dont certaines tombées à proximité de l'installation d’entreposage à sec du combustible irradié – ont endommagé des bâtiments administratifs et blessé l’un des employés qui a dû être hospitalisé. Trois des capteurs du système de surveillance des niveaux de radiations sur le site et ses abords auraient également été endommagés. Aucune source d’information ne fait état de rejets radioactifs incontrôlés et personne ne sait si le personnel de la centrale a encore accès aux données des autres capteurs[v]. D’après Energoatom, les militaires russes et le personnel de Rosatom s’étaient réfugiés à l'avance dans les bunkers du centre de crise et du centre de soutien technique de la centrale.

Le 12 août, l'exploitant ukrainien a déclaré que le bombardement de la vielle a causé des dommages, notamment à l'équipement de surveillance des radiations proche de la caserne des pompiers du site.

Le 15 août, Petro Kotin, le président d’Energoatom a déclaré que l’armée russe stockait « 14 unités d’équipement militaire lourd » dans la « première unité de puissance » et « six véhicules » dans la « deuxième salle des turbines », ce qui sera confirmé par la suite[vi].

Le 19 août, Energoatom signale que les militaires russes ont envoyé à la direction de la centrale un ordre visant à limiter l'admission des employés : seuls les personnels d'exploitation qui assurent le fonctionnement des groupes électrogènes seraient autorisés à être présents sur site. Selon certaines informations, les forces d'occupation prévoiraient d'arrêter le fonctionnement des réacteurs dans un proche avenir et de les déconnecter des lignes alimentant le système énergétique ukrainien.

Le 24 août et les jours suivants, des incendies de forêt se sont opportunément déclarés au sud des arrivées/départ des lignes de 750 kV, ce qui a isolé la centrale qui n’était plus alimentée que par la ligne de 330 kV en provenance de la centrale thermique voisine[vii]. L’occupant est en train de préparer activement les personnels et les habitants proches à l’arrivée d’une commission de l’AIEA.

 

[i] Les informations qui suivent sont en partie redevables au travail de la CRIIRAD https://balises.criirad.org/actu_guerre_Ukraine_2022.html et à celui de l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest, le 25 février 2022 : https://www.acro.eu.org/lassociation/presentation/

[ii] RTE. Le réseau électrique Ukrainien est désormais connecté au réseau européen, 16 mars 2022.

[iii] Plusieurs sources rapportent qu’un employé récalcitrant serait décédé dans des conditions troubles, mais nous n’avons pas pu le vérifier.

[iv] Energoatom : Gestionnaire Ukrainien du parc nucléaire. Voir les images de la première à la quatrième minute de cette émission de LCI du 10 août : https://www.youtube.com/watch?v=q5MkrZOfVeU   Voir également les mages du 18 août, filmées sur le vif par un membre du personnel : https://liveuamap.com/fr/2022/18-august-russians-placed-equipment-and-ammunition-directly

[v] Le dispositif de surveillance est constitué de 39 capteurs situés dans le périmètre de la centrale et à proximité. Informations tirées du communiqué de presse de la Criirad, le 8 aout 2022 à 17h.

[vi] The Press Free 19 août,    https://thepressfree.com/centrale-nucleaire-de-zaporizhzhia-des-vehicules-russes-vus-a-linterieur-de-la-salle-des-turbines/

[vii] Vue satellite de la NASA : https://firms.modaps.eosdis.nasa.gov/map/#t:adv;d:2022-08-25;@34.7,47.5,12z

Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire

Remarques et commentaires

Concernant les bombardements de la centrale de Zaporijia, envahisseurs et agressés sont en permanence renvoyés dos à dos dans les médias. Certes, la communication de guerre est avant tout une propagande, mais il est horripilant de constater une énième fois la paresse et l’incompétence de certains journalistes qui se contentent d’une présentation symétrique des « motivations des uns et des autres » laquelle renvoie à l’increvable « juste milieu » des analphabètes de la pensée. Car enfin, il y a bien un occupant militaire qui n’a pas hésité à bombarder la centrale à plusieurs reprises dans la nuit du 4 mars pour en prendre le contrôle[i].

D’autre part, il faut replacer les évènements dans leur contexte global pour s’en faire une idée un peu plus juste et circonstanciée. L’ensemble de la population ukrainienne a déjà durement payé, dans sa chair, les suites du désastre soviétique de Tchernobyl. Qui oserait dire qu’elle l’a oublié ? Par ailleurs, il y a eu depuis six mois entre cinquante et cent mille morts de civils en Ukraine, selon les sources consultées. Les Ukrainiens seraient-ils prêts à en multiplier le nombre suite à un nouveau cataclysme nucléaire ? Dans ces conditions (et à l’aide d’informations vérifiées et recoupées), il faut faire la différence : l’armée russe se sert de cette centrale comme d’un bouclier et a stocké dans le bâtiment des turbines[ii] des réacteurs n°1 et 2 des véhicules militaires et des munitions, entre les réacteurs n°5 et 6 du matériel militaire[iii] et cinq cents hommes de troupe seraient déployés dans et autour de la centrale.

 

 

[i] URL de la caméra de vidéosurveillance : https://youtu.be/fYUT36YGOh8

[ii] The Insider (https://youtu.be/dQ_Gua00oiI   site proche de l’opposition russe) a publié des images amplement relayées d’un déploiement de camions russes sur la centrale, cf. les notes 10 et 11. Nous avons comparé ces images avec d’autres vues prises « en temps de paix » à l’intérieur d’une salle des turbines. Cf. ce site : https://www.thedrive.com/the-war-zone/russian-military-vehicles-inside-sensitive-building-at-ukraine-nuke-plant

[iii] « Zaporijia : une centrale au cœur de la guerre », Le Monde du 28 août 2022.

Image satellite de Maxar Technologies publiée dans ISW. « Russian offensive campaign assessment, august 29, 2022 ». Coordonnées géographiques dans Google Maps : 47.513810883, 34.589179

Image satellite de Maxar Technologies publiée dans ISW. « Russian offensive campaign assessment, august 29, 2022 ». Coordonnées géographiques dans Google Maps : 47.513810883, 34.589179

Par ailleurs, étant donné les nombreux crimes de guerre déjà sciemment commis par l’armée russe depuis le 24 février 2022, ce qu’elle continue à faire chaque jour en bombardant les bâtiments d’habitation la nuit, à quelques heures d’intervalle afin d’empêcher les habitants qui en réchappent de trouver le sommeil[i] ; étant donné qu’elle a déjà montré, il y a vingt-trois ans à Grozny[ii], puis à Alep en 2015, de quels massacres de masse et crimes contre l’Humanité elle était capable, il ne fait pas de doute qu’elle puisse se servir du site nucléaire pour bombarder quotidiennement les villes de la rive opposée du Dniepr tenues par les ukrainiens. Que ceux-ci aient effectué des frappes de « drones suicides » Warmate, d’origine polonaise, notamment en visant les tentes militaires russes ci-dessous, ne change absolument rien au fond de l’affaire.

 

[i] Au 3 juillet 2022, les destructions sont estimées à : 44,8 millions de mètres carrés d'habitations ; 256 entreprises ; 656 institutions médicales ; 1177 institutions d'éducation ; 668 écoles maternelles ; 198 entrepôts ; 20 centres commerciaux ; 28 dépôts de pétrole ; 141 lieux religieux ; 203 bâtiments culturels ; 11 aéroports civils. Source : Wikiwand, https://www.wikiwand.com/fr/%C3%89conomie_de_l%27Ukraine

[ii] Rappelons également les cinq attentats de 1999 qui ont fait des centaines de morts en Russie et qui furent le prétexte au déclenchement de la 2e guerre de Tchétchénie. Le 25 janvier 2011, Hélène Blanc, chercheuse au CNRS et au Collège de France disait à ce propos sur France Inter : « Je crois qu'il faut se garder d'interpréter rapidement les attentats, par exemple de 1999, qui ont servi d'alibi à déclencher la seconde guerre de Tchétchénie. Eh bien il est aujourd'hui clair, ça ne l'était pas à l'époque bien entendu, mais maintenant nous savons que ces attentats n'étaient pas du tout l'œuvre des Tchétchènes auxquels on les a attribués, mais l'œuvre du FSB. D'ailleurs, il y a eu trois attentats au total dans différentes villes, mais la quatrième ville, Riazan, là le FSB [dont Poutine était le chef dès juillet 1998] a été pris la main dans le sac. Par la suite, on a su que non seulement le modus operandi n'était pas du tout dans l'habitude tchétchène, mais qu'en plus les explosifs n'étaient pas des explosifs tchétchènes mais bien des explosifs russes. Le FSB est capable de beaucoup de choses, y compris contre son peuple. »

Doc. Insider. Tentes militaires russes sur le site de la centrale en 2022. Pour comparaison avec novembre 2019, entrer les coordonnées : 47.508, 34.5888 sur Google Maps pour comparaison.

Doc. Insider. Tentes militaires russes sur le site de la centrale en 2022. Pour comparaison avec novembre 2019, entrer les coordonnées : 47.508, 34.5888 sur Google Maps pour comparaison.

Les véhicules militaires sur le site de la centrale de Zaporijia

Comparaison des images vidéo avec les captures d’écrans sur Google Earth et Google Maps

 

Ci-dessous, la vidéo d’Insider (https://youtu.be/dQ_Gua00oiI) déjà citée montre la progression de véhicules militaires russes sur le site de la centrale, mais sans légende. On voit d’abord les camions passer un point de contrôle (carré de visée rouge), mais à la 9e seconde il y a une coupure : on ne voit pas que les camions tournent immédiatement à leur droite après le contrôle d’entrée. Ils vont ensuite se diriger vers le réacteur n°1.

Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire

Ci-dessous, dans la zone de visée rouge, on voit le camion qui est à l’angle du réacteur n°1. Sur sa droite, le petit bâtiment avec 3 cheminées abrite les groupes électrogènes des secours du R1.

Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire

Ci-dessous, le camion longe maintenant le bâtiment des turbines dont on voit l’entrée ouverte sur sa gauche. À droite, le dôme rouge du réacteur n°2.

Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire

Ci-dessous, un véhicule blindé MT-LB russe entre dans le bâtiment des turbines du réacteur n°1.

Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire

En nous basant sur des copies d’images satellite de Google Earth et Maps datant du 9 novembre 2019 (coordonnées : 47.50714658787, 34.58528483) nous avons reconstitué ci-après l’itinéraire des véhicules militaires russes. Sur chaque capture, on voit – sous la forme d’un petit carré blanc – le point de contrôle d’entrée du site (en haut à gauche ou en bas à droite). 35 m après, les véhicules ont tourné à droite. Ils sont passés sous deux constructions traversantes puis longé le réacteur n°1 sur leur gauche (dôme rouge). Ensuite ils ont tourné à gauche, entre le réacteur et le petit bâtiment rectangulaire des groupes électrogènes de secours. Ils ont longé le bâtiment des turbines attenant au réacteur et au bout à gauche, ils ont pénétré à l’intérieur de la salle des turbines.

 

Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire

 

 

Une seconde vidéo (https://twitter.com/i/status/1560303702912733186) a été prise « en marchant » dans une salle des turbines identique à celle qui est ci-dessous. À l’évidence, l’appareil se balance…

Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire

Le « marcheur » vient du fond, il longe le flanc gauche (ici à droite) des turbines (en jaune) en se dirigeant vers nous.

Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire

Sur ces deux images (vidéo du marcheur ci-dessus et ci-dessous image de l’autre source « en temps de paix »), on peut voir la « rambarde de protection en tôle ondulée bleue ».

Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire
Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire

Dès la 6e seconde de la vidéo on reconnaît l’ossature métallique caractéristique de ce bâtiment des turbines et l’on voit également la construction gris clair et gris foncé qui est dans l’axe du générateur (au-dessus de la main gauche de l’observateur casqué) et qui apparaît à droite ci-dessous dans la vidéo du marcheur. Les cinq camions sont là avec le Z peint en blanc…

Zaporijia et au-delà : les menaces du nucléaire civil et militaire
Membre de l’AIEA découvrant d’autres véhicules militaires russes dans la centrale de Zaporijia, le 2 sept. 2022. On les voit en faire le tour. Espérons qu’ils en inspecteront l’intérieur… https://t.me/DonbassDevushka/22372

Membre de l’AIEA découvrant d’autres véhicules militaires russes dans la centrale de Zaporijia, le 2 sept. 2022. On les voit en faire le tour. Espérons qu’ils en inspecteront l’intérieur… https://t.me/DonbassDevushka/22372

« La perspective d’avoir à survivre en territoire contaminé ne peut être exclue

Dans les territoires contaminés par les dépôts de Tchernobyl, il est dangereux de s’occuper d’agriculture, il est dangereux d'arpenter les forêts, dangereux de pêcher le poisson, il est dangereux de consommer les denrées produites localement sans contrôler leur radioactivité, dangereux de boire le lait et même l’eau. Tout ce qui constituait depuis des millénaires la plus sûre et la plus fidèle des sources de vie – l’air, les eaux naturelles, les fleurs, les fruits de la terre, les forêts, les fleuves et les mers – tout cela est devenu en quelques jours source de danger pour l’homme et l’animal. La catastrophe ukrainienne nous l’a enseigné, il faut également prendre en compte les effets délétères sur la santé des « faibles doses », inhalées ou ingérées via l’alimentation, qui vont ensuite se fixer dans l’organisme et produire leurs effets des années plus tard » (extraits de l’appel de 2012 déjà cité).

 

Jean-Marc Royer, septembre 2022

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Carnets de Guerre #4

 

VERS L’EMPLOI DE L’ARME NUCLEAIRE EN EUROPE ?

 

De Jean-Marc Royer

 

« La porte du feu nucléaire est ouverte depuis le 24 février 2022 en Europe et à ce jour, elle n’a pas été refermée »[i].

 

Évidemment, lorsque survient une guerre industrielle, totale et à caractère génocidaire[ii] comme celle qui se déroule en ce moment sur le sol ukrainien et menace de déborder le cadre dans lequel les médias s’évertuent à l’enfermer quotidiennement, on est amené – ou bien à détourner le regard d’un champ de bataille ou des dizaines de milliers de cadavres sont en train de se décomposer – ou bien à se demander par quels enchaînements de faits, par quels glissements progressifs de la défense des intérêts des uns et des autres, cette guerre d’agression débutée en 2014, s’est ainsi aggravée.

Tenter d’en rendre compte entraîne une nécessité, celle de porter un regard rétrospectif sur ce qui s’est passé durant ces trois dernières décennies pour en arriver là. Ce qui suit n’en est qu’une esquisse, dans un domaine particulier, car elle vise à éclairer autant que faire se peut, les risques d’emploi des armes nucléaires dans la guerre en cours ; il y a là, on le verra, un danger réel et inédit, dont les dimensions sont contemporaines du fait que le monde est en train de changer, profondément. Il est même en plein bouleversement, ce qui, toute analogie simpliste mise à part, fait penser aux débuts du xxe siècle, car c’est bien d’une reconfiguration des rapports de forces entre impérialismes et de ses conséquences civilisationnelles dont il s’agit, ce qui nous avait déjà conduit à écrire que nous pourrions bien être confrontés à de multiples états d’exception (climatique, écologique, sanitaire, économique, sécuritaire…) combinés à un « totalitarisme démocratique »[iii] étendu en Occidentalie.

D’un point de vue plus restreint – disons plus socio-économique – on a vu s’installer depuis trois décennies une lutte acharnée qui s’approfondit entre capital étatsunien et capital chinois (mais pas qu’entre eux) et dont la dégénérescence en un conflit armé ne surviendra que lorsque les protagonistes se sentiront suffisamment forts pour l’engager ou inexorablement conduits à cette décision pour s’imposer. La nouveauté par rapport à la « Guerre de trente ans »[iv], c’est que la survie de l’Humanité et du vivant serait alors en cause.

Dans les deux premiers « Carnet de Guerre », nous avions esquissé une brève histoire des rapports de l’Otan et du pacte de Varsovie, rappelant les engagements des uns et des autres et revenant sur ce que nous estimons être un point de bascule fondamental de l’histoire contemporaine : « l’Anschluss de la RDA par le capital Ouest-allemand » qui constituait de fait « le point d’orgue de la contre révolution internationale des néolibéraux débutée en 1973 au Chili » et dont nous reparlons plus bas. Le troisième Carnet était entièrement consacré à l’analyse détaillée de ce qui se joue dans la centrale nucléaire de Zaporijia, une des dimensions nouvelles de cette guerre puisque le pays ne compte pas moins de quinze réacteurs[v].

Dans ce quatrième Carnet, nous analysons de plus près l’autre aspect nucléaire de cette guerre, à savoir le statut des armes nucléaires dites tactiques (ou non stratégiques), tel qu’il a évolué dans les doctrines états-unienne et russe, les changements induits depuis quelques années dans le domaine militaire et les répercussions que cela pourrait entraîner actuellement.

 

[i] Stéphane Audoin-Rouzeau, « L’Europe dans la tourmente », France Culture 11 juillet 2022. Audoin-Rouzeau qui disait déjà depuis mars « Nous n’avons pas pris la mesure de l’évènement guerrier qui vient de s’ouvrir » dans Médiapart du 15 mars 2022.

[ii] Termes empruntés à l’historiographie et sur lesquels nous reviendrons.

[iii] Concept défini dans plusieurs textes depuis 2013 in « Revue Ecologie et Politique » n°46 ou dans « Carnet de réclusion #1 » du 23 mars 2020.

[iv] 1914-1945. Concept emprunté aux historiens Eric Hobsbawm et Enzo Traverso.

[v] La mission de l’AIEA ne nous pas appris grand-chose sur le sujet. Le courage de son directeur Rafael Grossi aurait été de dire à Zaporijia : « Maintenant, nous sommes là et nous y resterons tant que la zone n’aura pas été démilitarisée », au lieu de faire un petit tour de 36 heures et puis de s’en aller. Que risquaient ce directeur et ses agents ? D'être expulsés de la centrale ? Imagine-t-on le retentissement international des images montrant les agents de l'AIEA se faire raccompagner hors de la zone occupée par l'armée russe ? Les choses auraient été un peu plus claires. Leurs vies, elles, n’étaient pas en danger, contrairement à celles des employés ukrainiens. Enfin, ils ont vu ce qu'on a bien voulu leur montrer et n’ont pas dû beaucoup insister pour examiner les sous-sols de la caserne des pompiers et du bâtiment de la police, transformées en salles de torture. Nous y reviendrons.

Des élargissements de l’Otan[i] aux manœuvres guerrières de part et d’autre

Le 9 février 1990 à Moscou, dans une phrase devenue célèbre depuis, le secrétaire d’état James Baker avait dit à Gorbatchev que : « les discussions entre les deux Allemagnes et les quatre forces d’occupation doivent garantir que l’Otan n’ira pas plus loin : sa juridiction militaire actuelle ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est »[ii]. Le lendemain, Helmut Kohl, affirmait à son tour : « Nous pensons que l’Otan ne devrait pas élargir sa portée ». Neuf ans plus tard, fin avril 1999, le plan d'action pour l'adhésion de nouveaux membres était adopté lors de son 15e sommet à Washington. La Pologne, la Hongrie, la République Tchèque rejoignaient l'organisation militaire et à partir de 2004, onze nouveaux membres étaient successivement intégrés[iii].

Lors de la conférence de Munich sur la sécurité en 2007, Poutine avait publiquement et clairement indiqué qu'il considérait l'élargissement de l'alliance Atlantique comme une provocation sérieuse qui réduisait le niveau de confiance mutuelle. C’est un fait, l'Otan s'est rapprochée de 1 200 kilomètres des frontières occidentales de la Russie depuis la fin de la guerre froide et la frontière lettone est à moins de 600 km de sa capitale.

 

En 1999 également, durant la guerre du Kosovo, l'Otan a participé au conflit par des bombardements massifs (trois cents par jour durant quatre mois !), sans avoir l'approbation du Conseil de sécurité et en violation des articles 5 et 6 de ses statuts qui précisent qu’elle n'est pas une structure offensive, mais défensive[iv]. D’autre part, depuis la fin de l’année 2001, l’organisation Atlantique a mené des opérations très largement en dehors de ses périmètres géographiques et légaux d’intervention, à savoir : en Afghanistan, en Mer Rouge, dans le golfe d’Aden, en Océan Indien et en Lybie.

De son côté, Poutine allait mener huit guerres entre la fin de 1999 et 2022. Pour le récapituler rapidement, il intègre l’administration présidentielle en mars 1997, juste après la première guerre contre la Tchétchénie. Pendant la période où il est chef du FSB – de juillet 1998 à décembre 1999 – se produisent les cinq attentats qui serviront de prétexte au déclenchement de la seconde guerre tchétchène afin de « laver l’affront » de la défaite précédente[v]. Il devient président de la Russie fin 1999, pendant le siège de Grozny. Les combats dévastèrent la capitale tchétchène au point qu’en 2003, les Nations unies la qualifièrent de « ville la plus détruite sur Terre ». En 2008, Poutine a mené une guerre éclair contre la Géorgie. En 2014, le Donbass et la Crimée étaient envahis, causant la mort de 18 000 personnes en huit années. À partir du 30 septembre 2015, l’État russe a commencé à se déployer militairement en Syrie[vi] afin de soutenir Bachar Al Assad et ses propres intérêts au Moyen-Orient. En 2016, après Grozny et avant Marioupol, Alep était réduite à un champ de ruines. En septembre 2020 une intervention de « maintien de la paix » dans le Haut-Karabakh avait lieu et en janvier 2022, l'armée russe est intervenue au Kazakhstan.

 

 

[i] Nous avons largement abordé cette question dans « Carnets de guerre #1 et #2 ». Cf. également, Philippe Descamps, Hélène Richard, « Quand la Russie rêvait d’Europe. L’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est », Le Monde Diplomatique, septembre 2018. Pour mémoire, le 1er juillet 1991, le Pacte de Varsovie était dissous et en octobre 1999, le dernier soldat russe quittait les trois États baltes.

[ii] Cf. Carnets de Guerre #1, Notes sur l’invasion russe de l’Ukraine.

[iii] Il s’agit de la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie ; en 2009 de l’Albanie et de la Croatie ; en 2017 du Monténégro et en 2020 de la Macédoine du Nord.

[iv] Après enquête, les États-unis ont admis avoir utilisé plus de 31 000 munitions d'uranium appauvri sur 112 sites identifiés. Les secteurs concernés par les frappes risquent d'être contaminés pour des milliers d'années, et il n’est pas exclu qu’il y ait des problèmes d'infiltration dans les nappes phréatiques. « L’uranium appauvri est un danger déclarent des chercheurs yougoslaves », l’OBS, 7 janvier 2001.

[v] C’est ce qu’expliquait en détail Hélène Blanc, chercheuse au CNRS et au Collège de France le 25 janvier 2011, sur France Inter.

[vi] C’est à partir de ce moment-là que la milice Wagner, créature paramilitaire du système Poutine fondée en 2014, fera parler d’elle. Cf. les 90 notes et références de Wikipédia à ce sujet.

Les traités de limitation des armes nucléaires sont devenus caducs

En fait, après avoir promulgué le « Patriot Act » à la fin du mois d’octobre 2001, l’administration états-unienne commençait à mettre en œuvre ce qui fut par la suite théorisé comme le « continuum de sécurité globale »[i]. Le 13 décembre suivant, les États-Unis se retirèrent unilatéralement du traité ABM (Anti Balistique Missile)[ii] qui limitait drastiquement l’emploi de ces armes nucléaires. George W Bush présenta ce retrait comme une première étape vers la mise au point et le déploiement d'un bouclier de défense anti-missiles destiné, selon lui, à protéger les États-Unis et ses alliés, dont la Russie ( ! ), d'une attaque de missiles tirés par des « États voyous », mentionnant notamment l'Iran, la Corée du Nord ou la Somalie... De fait, les anciens traités de maîtrise des armements nucléaires issus de la guerre froide et l'accord de Ciel ouvert[iii] entré en vigueur en 2002 ont été remis en cause. Il ne reste à présent que le traité New Start.

Le 2 août 2019, les États-Unis sortaient officiellement du traité de limitation des Forces Nucléaires à portée Intermédiaire (INF en anglais)[iv] conclus en 1987, suivis par la Russie quelques mois plus tard. La route était libre pour une relance de la course aux armements. Dès le lendemain du retrait, le Pentagone publiait la photo du tir d’un nouveau missile Tomahawk suivi de deux autres essais de missiles sol/sol – l’ATACMS « upgraded » et le « Precise Strike Missile ». Un peu plus tard, cette même année, le Pentagone signalait le déploiement du Sous-marin Nucléaire Lanceurs d’Engins « USS Tennessee » avec des missiles Mer-Sol Balistique à tête nucléaire de 5 à 7 Kilotonnes de puissance, tandis que Poutine annonçait la mise au point par la Russie d’une panoplie de nouvelles armes stratégiques toutes réputées quasi impossibles à intercepter, et capables de frapper en n’importe quel point du globe[v].

 

 

[i] D’états d’exception en états d’urgence, les atteintes aux libertés fondamentales sont banalisées, renforcées et étendues en étant progressivement intégrées à la loi ordinaire. Ici même, les députés LRem Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue (ex chef du RAID) ont rédigé un rapport intitulé « D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale », finalisé le 11 septembre 2018, qui donnera lieu au vote de la loi du 25 mai 2021.

[ii] Traité ABM signé à Moscou le 26 mai 1972, entre Washington et Moscou. Les Défenses ABM doivent être strictement fixes et terrestres ; ne pouvaient être déployés que 100 missiles et pour défendre un seul site.

[iii] Le 22 mai 2020, les Etats-Unis ont fait part, de leur décision de se retirer du traité « Open skies » signé par 35 pays. Il permettait de survoler les territoires des pays signataires afin de surveiller les mouvements militaires et les stocks d'armements.

[iv] Le traité INF entraînait l'élimination de tous les missiles de croisière et missiles balistiques, à charge conventionnelle ou nucléaire, états-uniens et soviétiques, lancés depuis le sol et ayant une portée se situant entre 500 et 5 500 km.

[v] Cela va du missile intercontinental « Sarmat » de 11 000 km de portée, au planeur hypersonique « Avangard » (Mach 20 à 25), à la torpille à propulsion nucléaire « Poséidon », en passant par différents missiles de croisière comme le « Bourevestnik-9M730 » subsonique mais de portée supérieure au tour de la planète, ou encore le missile hypersonique Kinzhal (Mach 10) porté par le MIG 31.

La nature « évolutive » des exercices annuels de l’Otan

Depuis 2013, les manœuvres annuelles de l’Otan sur la frontière orientale de l’Europe – de la Baltique à la Mer Noire – et les thèmes tactiques adoptés ont remis « en selle l’ennemi russe » : cette année-là, « Steadfast Jazz » fut une manœuvre impliquant 6 000 soldats des États membres de l’Otan en plus de ceux de la Finlande, de la Suède et de l’Ukraine. L’objectif était de « s’assurer que la force de réaction rapide serait prête à se déployer n’importe où et à faire face à quelque menace que ce soit ». En 2015 « Trident Juncture » engageait sur Terre, Air et Mer 36 000 participants de plus de trente pays.

Dans l’exercice « Anaconda » de 2016, une « union des rouges » envoyait ses « petits hommes verts » envahir une « union de pays bleus » (la Pologne et les pays Baltes). Les analogies employées par la soldatesque sont souvent assez grossières… Ce fut également le cas lorsque l’exercice de 2018, sur le même scénario, s’est appelé « Saber Strike » (Sabre, c’était le nom de code avec lequel l’Otan avait désigné les missiles Soviétiques SS 20 pendant les années 1980).

Finalement, dans le plan de l’exercice « Defender 2020 » prévu entre janvier et juin, le « concept de frappe nucléaire tactique de théâtre » fut mis en œuvre contre l’envahisseur de la Pologne et des États Baltes qui n’était plus désigné par la métaphore « l’Union des rouges » mais par son vrai nom : la Russie. Nous verrons que cela était en phase avec la nouvelle stratégie militaire états-unienne.

 

En 2013, Poutine s’engouffre dans la porte ouverte…

En août 2012, un mois après que le régime de Bachar el Assad ait reconnu posséder des armes chimiques, Barack Obama déclarait que l’utilisation de telles armes constituait « une ligne rouge » à ne pas franchir sous peine « d’énormes conséquences ». Lorsqu'en août 2013, 1 400 personnes dont 426 enfants décédaient suite à l’usage de gaz toxiques lors d'attaques dans la banlieue de Damas, Obama reculait piteusement. Poutine a ainsi trouvé la voie ouverte à une présence impériale en Syrie. Et Bachar a donc continué à se servir du chlore, ce qui fut le cas au moins à trois reprises en 2014 et 2015, sur des localités de la province d'Idleb, ce qu’une commission d'enquête de l'ONU a ensuite confirmé. On ne peut évidemment s’empêcher de rapprocher la reculade d’Obama – et de ses terribles suites pour les populations locales – de la spectaculaire défaite des Etats-unis en Afghanistan en août 2021, laquelle fut contemporaine des préparatifs militaires d’invasion de l’Ukraine par Poutine.

 

L’invasion de l’Ukraine en 2014 et les implantations de missiles US en 2016

Lorsque George W. Bush avait annoncé la sortie du traité ABM au profit d’un « bouclier anti-missiles » dont les premiers éléments devaient être déployés en Pologne et en République tchèque, cela fut assez vite contesté par la fédération de Russie qui y vit une invalidation de sa propre dissuasion nucléaire. En effet, ces missiles pouvaient tout aussi bien permettre des tirs défensifs sol-air – le « bouclier » de G. W. Bush – que des tirs offensifs sol-sol de missiles nucléaires vers le territoire russe. De fait, cela constituait une remise en cause de « sa capacité de frappe en second » et invalidait du même coup la stratégie dite de « dissuasion nucléaire » de la Russie. Les implantations de missiles du « bouclier » devaient finalement se concrétiser, d’abord en Roumanie en mai 2016, puis en 2018 en Pologne. Pour y répondre, les russes déployèrent alors leur système sol-sol Iskander dans l’enclave de Kaliningrad.

L’invasion du Donbass et l’annexion de la Crimée en 2014 furent un « coup de poker » minutieusement mis au point par le clan Poutine. Ceci dit, cette blitzkrieg fut d’autant plus facile à réaliser que les Européens ont détourné les yeux et se sont bouchés les oreilles afin de « sécuriser » leurs gigantesques investissements en Russie. Devant les opinions, ils ont continué à justifier leur attentisme par un dogme vieux de deux siècles : « continuons à faire du commerce avec les russes, ils progresseront vers notre modèle libéral ».

Ce vieux credo raciste[i] a particulièrement sévi en Allemagne depuis 1990, car ce capital voue une reconnaissance éternelle au pouvoir de Gorby (un sobriquet affectif particulièrement en vogue outre-Rhin) pour l’avoir laissé faire le casse du siècle en RDA, un Anschluss plus connu sous le nom de « réunification »[ii]. C’est également ce qui explique que, malgré les renseignements concordants et les images satellites à profusion, les européens ne voulaient toujours pas croire à l’invasion de l’Ukraine quelques jours avant qu’elle se produise. « Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir » (dicton populaire).

 

[i] Une autre version de ce credo louait « la mission civilisatrice du capital »…

[ii] Les algarades de l’ancien chancelier socialiste Schroeder illustrent à merveille cette complicité du capital allemand avec son homologue russe, sans parler du véto imposé à la livraison de chars Léopard espagnols à l’Ukraine.

TOUT S’ACCELÈRE À PARTIR DE JUIN 2019

 

Le nucléaire dans la nouvelle stratégie militaire des USA

Le 11 juin 2019, l’état-major US publie un document intitulé « Nuclear Operations Joint Publication 3-72 »[i] qui précise le mode d’emploi de l’arme nucléaire dite tactique : « Integration of nuclear weapons employment with conventional and special operations forces is essential to the success of any mission or operation ». Cette nouvelle conception intègre d’emblée dans la confrontation militaire une dimension nucléaire conçue comme un « continuum de l’engagement conventionnel » avec l’emploi possible de charges nucléaires de faible puissance sur la ligne de front. Ce qui signifie que le nucléaire peut s’utiliser comme n’importe quelle arme dès lors que la cible est militaire et qu’obtenir la victoire l’impose, une évolution qui sera aussi celle de Moscou l’année suivante. Face aux armées chinoise ou russe, ce type d’engagement provoquerait vraisemblablement une riposte du même ordre, suivie d’une escalade nucléaire impliquant tous les membres de l’Otan, selon les implications de son article 5.

Autrement dit, si l’on rapproche cette nouvelle stratégie militaire des manœuvres annuelles de l’Otan[ii] et de ses implantations de missiles, on peut avancer qu’au moins depuis 2016, les Etats-Unis préparent, organisent et accoutument de facto les européens à l’éventualité d’une « bataille nucléaire de l’avant » contre la Russie – pour reprendre la terminologie de la guerre froide – sauf qu’à présent « le glacis » séparant l’Europe de l’Ouest de la Russie est réduit à l’Ukraine.

En outre, il ne faudrait pas négliger ceci : durant la « guerre froide », les affrontements entre blocs ne se sont pas déroulés en Europe pour de multiples raisons, mais ailleurs, sur ce qui fut alors appelé « des terrains secondaires ». Il se trouve qu’aujourd’hui l’affrontement principal est celui qui se joue entre les États-unis et la Chine en Asie-pacifique et que l’Europe est justement devenue une sorte de « terrain secondaire » dans ce face à face, de tous les points de vue : militaire, économique, politique.

Last but not least, du point de vue de la « dissuasion », la nouvelle stratégie états-unienne (puis russe, un an après) rend en grande partie caduque l’activation d’un « ultime avertissement unique » dont se prévalaient et se prévalent encore des pays dotés de l’arme nucléaire… Exit donc tous les arguments militaires qui soutenaient ladite « dissuasion nucléaire » depuis plus d’un demi-siècle.

 

 

[i] Nuclear Operations Joint Publication 3-72,   https://irp.fas.org/doddir/dod/jp3_72.pdf

[ii] https://www.i24news.tv/fr/actu/international/1571727969-les-forces-de-l-otan-meneraient-des-exercices-militaires-simulant-une-guerre-nucleaire-media

La nouvelle stratégie nucléaire de la Russie

Le texte de 2020, listant les « conditions déterminant la possibilité d’emploi de l’arme nucléaire »[i] (point 19), prévoit quatre circonstances :

- l’obtention « d’informations fiables sur le lancement de missiles balistiques attaquant le territoire russe et (ou) celui de ses alliés » ;

- la réalisation par l’adversaire « d’actes contre des sites étatiques ou militaires d’importance critique de la Fédération de Russie dont la mise hors de fonctionnement conduirait à compromettre la riposte des forces nucléaires » ;

- « l’emploi par l’adversaire d’armes nucléaires ou d’autres types d’armes de destruction massive contre le territoire de la Fédération de Russie et (ou) de ses alliés » ;

- « une agression contre la Fédération de Russie engageant des armements conventionnels, quand l’existence même de l’État est menacée »[ii].

Le 3 juillet 2021, durant ce qui s’est avéré être des préparatifs de guerre, Poutine a également signé une nouvelle stratégie de sécurité nationale qui se substitue à celle qui était en vigueur depuis 2015, laquelle envisageait encore comme possible le rétablissement d’une relation constructive avec les États-Unis et leurs alliés... Ce n’est plus le cas ici : la confrontation avec l’Occident serait appelée à durer, car ces pays seraient déterminés à affaiblir la Russie aux niveaux militaire, technologique, économique et « spirituel ». Une tentative « d’occidentalisation de la Russie », présentée comme en passe de réussir, serait en jeu[iii]. Il y est explicitement indiqué que des forces étrangères tenteront d’exploiter les difficultés internes de la Russie. En outre, à la différence du texte de 2015, l’UE n’est plus mentionnée dans ce texte, ce que les propositions de traité et d’accord de décembre 2021 – uniquement et ostensiblement adressés aux Etats-unis et à l’Otan – viendront entériner. En d’autres termes, le clan Poutine ne considère pas l’UE comme une puissance militaire, ce qui renforce malheureusement la possibilité de considérer l’Europe comme un « terrain secondaire d’affrontements », et que les Ukrainiens sont en train de vivre dans leur chair.

 

[i] Cyrille Bret, « Le recours à l'arme nucléaire, une étape crédible de la doctrine russe », Slate, 23 septembre 2022.

[ii] Isabelle Facon, Bruno Tertrais, « Les armes nucléaires tactiques et la sécurité de l’Europe », Fondation pour la Recherche Stratégique, n°3/2008.

[iii] Michel Duclos, « La stratégie de sécurité nationale russe 2021 : l’heure de la confrontation informationnelle », 26 juillet 2021.

C’est une guerre à « plusieurs dimensions nucléaires »

1- Poutine s’est autorisé à conduire des opérations offensives, des destructions et des crimes majeurs, abrité derrière ses capacités nucléaires stratégiques.

2- Le 24 février il évoquait, comme prétexte de l’agression, l’éventualité fantasmatique que l’Ukraine puisse se doter de l’arme nucléaire.

3- Le changement constitutionnel biélorusse du 15 mars 2022 autorise le déploiement d’armes nucléaires russes sur ce territoire.

4- Les opérations militaires autour et dans les centrales nucléaires ukrainiennes (Tchernobyl, Zaporijia) constituent de facto le brandissement d’une menace et d’un chantage historiquement inédits.

5- La nouvelle doctrine d’utilisation des armes nucléaires dans un conflit conventionnel la rend moins improbable.

6- Depuis le mois de février 2022, l’usage possible des armes nucléaires par le clan Poutine a été rappelé dans la douzaine de circonstances rappelées en annexe.

 

En outre, depuis l’invasion de l’Ukraine, les forces russes ont réalisé des frappes de Kalibr, d’Iskander et de Kinjal, systèmes à double usage, ce qui contribue à la persistance de la dimension nucléaire en toile de fond de cette guerre d’agression. Un autre de ces systèmes, le missile de croisière hypersonique Zircon, a fait l’objet de nouveaux tests depuis fin mai.

Dans sa déclaration du 24 février 2022, Poutine décrit la politique des États-Unis et de leurs alliés comme une « stratégie d’endiguement de la Russie, avec la constitution d’une anti-Russie sur ses territoires historiques contigus ». Évoquant les coopérations et manœuvres militaires de l’Otan, il présente le tout comme « une question de vie ou de mort, une question de notre avenir historique comme peuple… Une menace réelle non seulement pour nos intérêts, mais pour l’existence même de notre État, pour sa souveraineté. C’est cette même ligne rouge dont nous avons parlé sans cesse. Ils l’ont franchie ».

 

Une question importante se pose : Poutine et ses proches, arc-boutés sur la préservation de leur régime, ne seraient-ils pas enclins – dans une situation perçue comme critique, voire désespérée ou inacceptable – à confondre « l’existence de l’État » et la survie de leur propre régime pour user de l’arme nucléaire comme prévu par la doctrine de 2020 ? Autrement dit, quel est le risque que le chef du Kremlin emploie des armes nucléaires tactiques pour compenser ses échecs sur le terrain militaire en Ukraine (et garder la maîtrise de l’escalade dans son agression) ? Pour s’en faire une première idée, il est nécessaire de compléter cette question par une autre : que feraient les États-unis dans ce cas, étant donné que Poutine a tenu compte de leur attitude pour mener toutes ses offensives depuis 2013 ? Voici un début de réponse à cette question.

Le 10 février 2022, dans une interview à la chaîne NBC, Joe Biden avait déclaré qu'il n'enverrait pas de soldats, ne serait-ce que pour évacuer ses propres concitoyens bloqués en Ukraine. Lors de son discours sur l’état de l’Union le 1er mars, il a répété qu’il n’y aurait pas d’engagement des troupes états-uniennes pour deux raisons : d’une part afin d’éviter une escalade nucléaire avec la Russie, mais aussi – c’est nous qui transcrivons ses propos – parce que les États-Unis venaient de connaître une défaite cuisante en Afghanistan au mois d’août précédent. Comme en 2013, nul doute que Poutine aura reçu le message cinq sur cinq même si, dans sa tribune du 31 mai, Biden rectifiait le tir en affirmant : « Tout emploi d’armes nucléaires dans ce conflit, à quelque échelle que ce soit, serait totalement inacceptable à nos yeux et à ceux du reste du monde et entraînerait des conséquences sévères ». Mais ce dernier message est-il apparu comme suffisamment dissuasif et convaincant aux yeux du clan Poutine ? On peut en douter.

Par ailleurs, que disent les « géostratèges de plateaux »[i] ? Force est de constater tout d’abord qu’en décembre 2021, ils affirmaient tous en chœur que l’invasion russe était « hautement improbable » ; ils affirment encore à présent que Poutine ne s’aviserait pas d’utiliser l’arme nucléaire sachant « qu’il se mettrait ainsi à dos la communauté internationale, voire qu’il en deviendrait un paria ». La belle affaire, pour celui qui, sortant le 16 septembre de la conférence de Samarcande où étaient réunis les dirigeants chinois, indien, turc, iranien, savait déjà que son projet d’annexion des quatre provinces ukrainiennes – avec ses conséquences politiques, militaires et nucléaires possibles – ne serait pas soutenu par les membres de l’organisation de Coopération de Shangaï. Et en effet, Xi Jinping déclarait à cette occasion : « La Chine est disposée à travailler avec la Russie pour assumer sa responsabilité de grande puissance, jouer un rôle de premier plan et injecter de la stabilité et de l’énergie positive dans un monde parcouru par le chaos »[ii]. Une phrase typique de la novlangue bureaucratique du PCC qui plaçait Poutine en vassal turbulent. Narendra Modi, plus direct, envoyait : « Excellence, je sais que l’heure n’est pas à la guerre », tandis qu’Erdogan, lui aussi, prenait ses distances avec l’allié russe. Ce même 16 septembre, Biden déclarait sur un ton théâtral « Ne le faites pas, ne le faites pas, ne le faites pas, vous allez changer le visage de la guerre comme jamais depuis la seconde guerre mondiale », ce qui signifiait : n’utilisez pas l’arme atomique. Nous ne sommes pas des thuriféraires de l’impérialisme états-unien, mais force est de constater qu’ils sont bien renseignés (et pour cause…) et que, si Biden insiste sur l’utilisation possible de l’arme nucléaire tactique par Poutine, c’est qu’il a des raisons pour cela[iii].

Au lendemain du sommet de Samarcande, Poutine savait donc à quoi s’en tenir quant à la position diplomatique de ses alliés, et par conséquent il en avait déjà fait son deuil lorsque, quatre jours plus tard, avec son accord évidemment, les administrations d'occupation des territoires de Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporijjia, ont annoncé la tenue d'un référendum de rattachement à la Russie. Le lendemain 21 septembre, il signait un décret de mobilisation partielle (en fait un décret de mobilisation extensible), entérinant ainsi le fait que son opération de police devenait une guerre, mais qui plus est, une « guerre de défense contre l’Occident »[iv]. Quelques heures plus tard, Wang Wenbin, l'un des porte-paroles du ministère des Affaires étrangères chinois déclarait : « L'intégrité territoriale de tous les pays doit être respectée… La Chine appelle toutes les parties concernées à aplanir leurs différents par le dialogue et la consultation, et est prête à travailler avec la communauté internationale pour continuer à jouer un rôle constructif dans la désescalade de la situation ». Comme aux temps soviétiques, il est nécessaire de décoder le vocabulaire employé par le PCC ainsi que sa temporalité ; si les chinois ont aussitôt et publiquement réagi, ce qui n’est pas leur habitude, c’est qu’eux aussi ont de bonnes raisons pour cela.

Le dimanche 25 septembre, deux jours avant la proclamation des « pourcentages soviétiques » de réponses favorables au rattachement lors du référendum truqué, le conseiller états-unien à la sécurité nationale, Jake Sullivan déclarait : « Nous avons fait savoir au Kremlin, directement, en privé et à des niveaux très élevés, que toute utilisation d'armes nucléaires aurait des conséquences catastrophiques pour la Russie et que les États-Unis et leurs alliés répondront de manière décisive. Nous avons été clairs et précis sur ce que cela impliquerait ». Les remarques de Sullivan représentaient « le dernier avertissement états-unien » suite à la menace nucléaire à peine voilée faite par Poutine dans son discours du 21 et répétée par Lavrov, son ministre des Affaires étrangères qui déclarait que les régions annexées bénéficieraient d'une « protection complète ».

Le problème, c’est qu’au mois de juin 2022, des responsables influents de l'administration états-unienne « ont choisi d'informer les journalistes qu’en cas d’utilisation de l’arme nucléaire par le président russe Vladimir Poutine dans le cadre de son agression contre l'Ukraine, la réponse américaine serait presque certainement non nucléaire […] Le président [Biden] doit comprendre que de telles déclarations insouciantes, qui reflètent les espoirs naïfs de certains, mais ignorent les dures exigences de la sécurité dans un monde dangereux, se traduira par des catastrophes. Ils risquent d'encourager Poutine à briser le tabou nucléaire post-1945 » [v]. Si tel est le cas comme l’écrivent ces deux anciens hauts responsables, alors effectivement, une fois encore, Poutine aura reçu le message cinq sur cinq. Le 27 septembre, Dimitri Medvedev, qui est à l’heure actuelle vice-président du Conseil de sécurité, écrivait sur son compte Telegram que « la Russie a le droit de se défendre avec des armes nucléaires si elle est poussée au-delà de ses limites et ceci n'est certainement pas du bluff ».

Devant la répétition des menaces, il vint alors à la bouche de nos politologues de plateaux leur ultime argument : « Poutine ne décide pas tout seul, même si c’est lui qui donne l’ordre [du feu nucléaire] ». Certes, mais c’est bien mal connaître ce clan dont la loi est d’origine maffieuse : quiconque ne peut y appartenir qu’en ayant prouvé son absolue soumission et en sachant pertinemment que tout écart sera le dernier. D’ailleurs, dans le quatrième cercle, celui des oligarques et des responsables économiques, on dénombre une dizaine de suicidés depuis le début de l’année 2022. À bon entendeur, salut.

Enfin, nous terminerons par l’axiome qui constituera également le début du prochain « Carnet de guerre » (moins centré sur la question nucléaire) : pour de nombreuses raisons à développer,

Poutine en est à sa huitième guerre et n’a jamais accepté une défaite.

 

PS : Dans un discours excessivement guerrier tourné en très grande partie contre « l’Occident », Poutine a demandé aux Ukrainiens de déposer les armes, en faisant allusion aux quatre provinces récemment annexées.

 


[i] Membres de l’Institut de Relations Internationales et stratégiques ou de la Fondation pour la Recherche Stratégique.

[ii] https://www.ouest-france.fr/europe/russie/vladimir-poutine/guerre-en-ukraine-taiwan-ce-que-se-sont-dit-poutine-et-xi-lors-de-leur-rencontre-en-ouzbekistan-6ca3e2c2-34ef-11ed-919d-c96701fa2e2f

[iii] Emission de CBS News 60 Minutes : https://www.cbsnews.com/news/president-joe-biden-vladimir-putin-60-minutes-2022-09-16/ . Cf. également les premières minutes de l’interview du Général Christian Quesnot, ex-chef d’état-major de Mitterrand et Chirac à ce sujet : « Général, pourquoi est-ce que tout d’un coup Biden dit n’envoyez pas d’armes chimiques ou nucléaire ? – Eh bien, c’est parce qu’il a un service de renseignement qui fonctionne bien (avec un petit sourire) et pense que Poutine envisage des frappes chimiques ou nucléaires tactiques ». https://www.youtube.com/watch?v=aGhfnu_iNTo

[iv] À ce stade de la guerre, on entrevoit bien que l’unique « compromis recevable » par Poutine – mais ô combien inadmissible pour les Ukrainiens – serait de garder sous sa coupe tous les territoires militairement annexés depuis 2014, de manière à pouvoir proclamer une victoire intermédiaire tout en continuant à grignoter peu à peu l’Ukraine.

[v] Eric S. Edelman (ancien ambassadeur et sous-secrétaire à la défense) and Franklin C. Miller (haut responsable de la politique nucléaire et du contrôle des armements au Pentagone), « Biden Is Trying to Deter Putin from Using Nukes. His Staff Isn’t Helping », The Bulwark, June 15, 2022.

 

Annexe. Les différentes menaces nucléaires russes en 2022

 

Le 19 février 2022, l’armée russe a organisé des exercices à composante nucléaire engageant les forces aérospatiales, le District militaire Sud, les forces de missiles stratégiques et les deux flottes nucléaires stratégiques (Nord et Pacifique). Poutine avait supervisé ces exercices en compagnie de son homologue biélorusse.

 

Le 21 février 2022, lors d’une réunion du Conseil de sécurité russe, le ministre de la Défense Choïgou avait avancé que l’Ukraine avait « beaucoup plus de capacités que l’Iran et la Corée du Nord » pour développer un arsenal nucléaire et qu’elle pourrait doter ses missiles Tochka-U de têtes nucléaires. Poutine avait repris cette fable selon laquelle l’Ukraine pourrait se munir d’armes nucléaires tactiques compte tenu « des savoir-faire et capacités hérités de l’URSS » mais aussi du « soutien technologique étranger » dont elle pourrait bénéficier dans une telle entreprise. Et d’estimer que la Russie ne pouvait « pas ne pas répondre à ce réel danger ».

 

Le 24 février 2022, Poutine s'est adressé à ceux « qui tenteraient d'interférer avec son armée qui doivent savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et conduira à des conséquences que vous n'avez encore jamais connues ».

Le 27 février 2022, le chef du Kremlin ordonna la mise en alerte des forces stratégiques russes, estimant que les « hauts responsables des principaux pays de l’Otan » venaient de faire des « déclarations agressives » contre la Russie.

Le 1er mars 2022, Sergueï Lavrov évoquait à Genève les plans de l’Ukraine pour se doter de son propre armement nucléaire car elle « disposerait encore de technologies nucléaires soviétiques et de vecteurs pour de telles armes », un projet qui « mettrait en cause l’effort international en faveur de la non-prolifération des armes de destruction massive »...

 

Le 27 avril 2022, Poutine évoquait une nouvelle fois, devant le parlement russe, les possibles tentatives de certains acteurs de s’impliquer dans le conflit, tentatives susceptibles, selon lui, de représenter « pour la Russie des menaces de nature stratégique inacceptables ».

 

Début mai 2022, les forces déployées à Kaliningrad ont procédé à des simulations de tirs de missiles Iskander et fin juin des avions et des missiles à « capacité duale » ont été déployés en Biélorussie.

 

Jean-Marc Royer, le 30 septembre 2022

_________________________

 

En savoir plus…

 

 

Carnets de Guerre #1

NOTES SUR L’INVASION RUSSE DE L’UKRAINE

https://lundi.am/Notes-sur-l-invasion-de-l-Ukraine

 

 

Carnets de Guerre #2

L’ANSCHLUSS DE LA RDA, PREMIERE EXTENSION DE L’OTAN EN 1990

https://lundi.am/L-annexion-de-la-RDA-premiere-extension-de-l-OTAN-en-1990

 

_________________________

Photo d'entête : AIEA

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