Au sujet de mon travail dans la centrale nucléaire de Fukushima
Un recruteur
Le 19 décembre 1979 (mercredi)
Je suis parti pour Fukushima par le train express Hitachi No2, qui partait de la station Ueno à Tokyo à 10 heures du matin. J'étais avec M. Kamiyama, qui est mon "maître" à partir d'aujourd'hui. Il a 45 ou 46 ans. Il n'est pas bavard, mais parfois il plaisante à voix basse. Il est charmant quand il rit à travers ses petits yeux. Il me semble qu'il a bon coeur. On le nomme "recruteur professionnel", il recrute des ouvriers pour les centrales nucléaires.
M. Sawada, qui devrait être dans ce train avec nous, n'a pas eu la permission de venir à la centrale de Fukushima. Il s'est trouvé incompatible lors de l'examen de santé.
Après que nous avions fini le travail à la centrale nucléaire de Mihama dans la province de Fukui, nous avons rencontré M. Kamiyama dans un café de la ville de Tsuruga. Ce fut une rencontre de seulement 4-5 minutes. Sans s'informer de notre carrière, il nous a tout de suite proposé un salaire:
"Qu'est-ce que vous en pensez ? Evidemment 3 repas, logement et billets de train, je m'en occuperai" Il a écrit un 7 avec le doigt sur la table. 7000 yens par jour. Un salaire très élevé, par rapport à Mihama. Là, on nous payait 5500 yens par jour, repas et logements inclus, et il ne me restait plus beaucoup. Nous étions très contents de cette proposition.
"Voilà, c'est fait ! "
Voyant le sourire sur le visage de M. Sawada, il constata que l'arrangement était conclu.
"On veut que vous veniez à Fukushima le plus tôt possible, donc nous allons maintenant ensemble à l'hôpital pour votre examen de santé"
Sans s'inquiéter de notre disponibilité, il se mit debout aussitôt. Je suis allé à l'hôpital de Hayashi. Dans la salle d'attente, il a sorti un billet de sa poche et il m'a dit "Voilà pour vous" et il m'a donné 20 000 yens. Jugeant qu'il était généreux, je l'ai remercié. Mais quand il a été parti, M. Sawada m'a dit" M. Horie, ne pensez pas que cet argent puisse être un cadeau, c'est un prêt. On reprendra certainement cette somme sur votre salaire". Et il parla de son expérience amère au sujet de l'argent. D'après lui, c'est l'habitude chez les recruteurs. "Cependant, nous pouvons peut-être faire confiance à M. Kamiyama" ajouta-t-il. Mais je regrettais d'avoir accepté cet argent. Je l'avais déjà pris, et ne pouvais pas le redonner. Je devais faire confiance à ce M. Kamiyama.
L'examen de santé commença. Examen radio, capacité visuelle, poids, taille, sang et pression sanguine. M. Sawada avait une pression sanguine excessive: 220 . C'était trop.
"Votre pression sanguine est trop élevée " a dit une infirmière.
"Soyez gentille de me faire une faveur...."
Il la supplia en faisant une révérence. S'il n'était pas bon à cet examen, il ne pourrait pas aller à Fukushima. Sa volonté de gagner davantage chez un autre patron dépendait de cet examen.
"Eh bien, quel nombre voulez-vous?" demanda tout simplement l'infirmière
"Ah, je voudrais 170"
"Eh bien,180 ; ça vous va?"
Ayant entendu ces derniers mots, j'ai été content qu'il ait réussi son examen de santé, et en même temps j'ai été consterné que l'on pouvait si facilement falsifier les résultats. Le nombre de globules blancs viendrait plus tard.
Malgré le rapport favorable que l'hôpital avait fait pour M. Sawada, il ne réussit pas son examen de santé. M. Sawada avait un problème de globules blancs.
Une autre chose imprévue m'attendait. Depuis peu de temps, la Compagnie d'électricité TOKYO avait décidé de ne pas embaucher d'ouvriers sans "cahier de contrôle nucléaire". Je n'avais pas ce cahier. Pour cela, mon recruteur a fait le nécessaire. J'ai dû attendre, et au bout de 2 semaines, le 18 décembre, j'ai finalement pu aller à Fukushima.
A 13h24, M. Kamiyama et moi avons atteint la ville de Namie. Il neigeait un peu. Nous avons pris un taxi. Nous avons parcouru la campagne toute plate. Ni dans le train, ni dans le taxi, mon "maître" ne m'a beaucoup parlé. Cela me convenait, car je ne voulais pas parler de ma carrière.
Au bout de 20 minutes, nous avons traversé la ville de Futaba, puis nous sommes entrés à Ōkuma. Après avoir descendu une longue côte, nous nous sommes écartés de la route nationale et avons tourné à gauche. Un panneau est apparu "Centrale Nucléaire No 1 de Fukushima de la Compagnie d'Electricité Tokyo". Cinq minutes plus tard, nous étions en vue de la porte principale de la centrale, et devant elle nous avons tourné à gauche, et ensuite nous nous sommes arrêtés devant le bureau.
Sur une pancarte était écrit "Valvo Utchida". A partir d'aujourd'hui je vais travailler sous le nom de cette compagnie.
Il y avait deux bâtiments préfabriqués : un pour le bureau et l'autre pour les ouvriers. J'ai rencontré le chef du bureau. "Merci de votre long voyage". Ce fut tout, et ensuite j'ai attendu et attendu dans le bureau.
Là, dix hommes assis à une table écoutaient parler un jeune employé. Cela semblait un cours sur des affaires nucléaires. Il utilisait un tableau noir et lisait divers documents. Le contenu était sérieux. A la centrale nucléaire de Mihama, où je travaillais auparavant, l'instruction était très rudimentaire. On montrait un petit film et c'était tout. Ici on ne faisait pas d'explications à but de propagande sur la différence entre une bombe atomique et l'énergie atomique. Cependant ils utilisaient des abréviations de termes anglais comme FB, PD ,TLD ,RWP, etc...
Le texte comportait 41 pages en format A5 et contenait ceci " Manuel de sécurité pour les compagnies sous contrat" "Procédure pour entrer et sortir des installations radioactives" "Manuel pour les travailleurs" "Connaissance de base sur la radioactivité" etc... écrits en petites letttres.
Le texte était très bon, mais les personnes présentes n'étaient pas sérieuses ; certains écoutaient vaguement, d'autres dormaient. Ces comportements étaient tout à fait normaux, car les gens ne peuvent pas apprendre ces choses difficiles pendant un temps si court.
Vers 4 h du soir, les ouvriers sont revenus du travail, et les salles étaient pleines de bruit. Au contraire de Mihama, les vieux ouvriers étaient peu nombreux. Ici les plus âgés avaient 45 ans. Beaucoup étaient des jeunes d'environ 18 ans avec des cheveux frisés. Ils ont inscrit quelque chose sur un papier. On y voyait des nombres comme 30 ou 50. J'ai été surpris. Quand je travaillais à Mihama, le plus grand nombre était 10 milirems. Ces nombres étaient plusieurs fois plus grands. J'ai commencé à être inquiet.
A 5 h, tous se sont préparés pour rentrer à la maison. Alors est venu un responsable qui travaillait au bureau et il m'a dit : "Je vais rentrer à la maison, votre logement a déjà été déjà réservé par l'employé". Et il a disparu.
Un employé d'âge moyen m'a accompagné en voiture jusqu'à mon logement, qui se trouvait à côté de la gare de Namie, d'où j'étais descendu le matin.
Après le souper, je me suis promené dans la ville. Une très petite ville. Au bout de dix minutes de promenade, le quartier commercial s'arrêtait et c'était la campagne obscure. Il était 7 heures, mais déjà de nombreux magasins étaitent fermés. Peu de gens se trouvaient dans les rues. Ceux que je rencontrais étaient en vêtements de travail, sur lesquels on lisait "Compagnie X" et "Compagnie d'électricité X". Tous étaient des ouvriers de la centrale.
Chez le marchand de poissons pendaient des saumons séchés. On s'approchait du Nouvel An.
Bombe atomique
Le 20 décembre (mercredi)
A 7 heures du matin, l'employé de bureau qui m'avait accompagné la veille est venu à mon logement. Il faisait très froid. On ne pouvait pas ouvrir les fenêtres de l'automobile à cause du gel.
"Votre travail commence à 8 heures, c'est pourquoi nous pourrons partir plus tard, la
route est trop encombrée avec les voitures des compagnies sous contrat". En effet la route nationale No 6 en direction de la centrale était déjà pleine d'une file de voitures.
A 8 heures, dans la cour du bureau, des ouvriers faisaient de la gymnastique et ensuite avait lieu une réunion de 5 minutes, dans laquelle les responsables de la sécurité et le chef du bureau faisaient part de leurs observations. 60 ouvriers et employés écoutaient. Il faisait très froid, avec des courants d'air. Tous grelottaient. Quand la réunion fut finie, tous se hâtèrent dans leur salle et se chauffèrent autour du fourneau.
A huit heures sont venus 5-6 employés de bureau dans la salle des ouvriers et ils ont appelés des noms. Les appelés sont montés dans un bus .
On n'a pas appelé mon nom. Aucune consigne ne m'a été donnée. Dix hommes se sont assis autour du fourneau et ont commencé à bavarder. Tout le monde avait déjà été renseigné sur ses tâches la veille. Peut-être n'aurions-nous pas de travail aujourd'hui.
Ces travailleurs étaient jeunes, environ vingt ans. D'après leur dialecte, ils n'étaient pas du pays. Leur langage était si différent que je ne comprenais presque rien. Ils ne me parlèrent pas, c'est pourquoi j'écoutai en silence leur "langage à eux"
Vers 11 heures, des hommes revenaient déjà du travail. Certains parlaient le dialecte de la province d'Hiroshima, d'autres celui d'Osaka. Il semble que dans cette compagnie viennent des hommes de diverses préfectures du Japon.
L'après midi, il s'est mis à neiger un peu. Les ouvriers en attente se firent plus nombreux. Ils se disaient entre eux: " L'alarme a sauté". A cause du travail du matin, ils avaient été soumis à trop de radioactivité, plus que la limite journalière, c'est pourquoi ils ne pouvaient plus continuer.
Voilà les quantités limites qu'un ouvrier peut subir :
par jour: moins de 100 milirems
par semaine: moins de 300 milirems
par trimestre: moins de 3000 milirems
Peut-être ces travailleurs qui attendaient l'après-midi avaient-ils été déjà soumis à 100 milirems de radioactivité. Cette quantité est équivalente à celle de la radio-activité naturelle qu'un homme ordinaire reçoit en un an.
A trois heures, un jeune employé est venu vers moi et m'a donné un questionnaire
"Bilan d'exposition à la radioactivité". Il y avait nom, adresse, domicile, et ensuite 4 questions successives : "Avez-vous déjà travaillé dans une centrale nucléaire?"
Lesquelles? Combien de temps?" et à la fin venait une question choquante "Avez-vous déjà été exposé à une bombe atomique?"
Les centrales nucléaires sont faites pour ne pas exploser, c'est pourquoi celles-ci et les bombes atomiques sont différentes... Les compagnies d'électricité et le gouvernement essaient de les dissocier, expliquant la différence entre les deux, mais, quoique toutes les deux soient différentes dans leur structure, elles sont pareilles en ce qui concerne l'émission de radioactivité, c'est à dire un effet lourd sur le corps humain. Le questionnaire montrait cette vérité.
Aujourd'hui je n'ai fait que répondre par écrit à cette enquête. Pendant toute la journée, je me suis assis, dormant à moitié. Le soir je suis revenu à mon logement par un petit bus. A partir de demain je le prendrai.
Après le souper, je suis allé au café. Des ouvriers d'âge moyen assis à côté de ma table lisaient un journal avec un visage préoccupé.
"Ah, c'était vrai, de la radioactivité s'est échappée"
"Dans le réacteur Numéro 1"
"Chaque fois que l'on contrôle le réacteur, on trouve des pannes"
On avait certainement trouvé une panne dans une centrale. Après leur départ, j'ai lu le journal en question. Je me suis aperçu que ce réacteur était justement celui sur lequel j'allais travailler le lendemain.
" Une cassure dans les barres de combustibles" "Trouvée lors du contrôle du réacteur No 1"
Le journal "Fukushima Miyuu" rapportait ceci:
"On a commencé à contrôler le réacteur No1 à partir du 1er septembre et on a changé 163 paquets de barres de combustible parmi les 400. On a trouvé des cassures dans certaines barres qui allaient être remplacées. En contrôlant la radio-activité, on soupçonne que 22 paquets sur ces 163 ont laissé échappé de la radioactivité. Et avec un contrôle plus précis, on a trouvé que 6 parmi ces 22 ont une cassure.
J'ai lu cet article et j'ai dit: "Encore!" Oui, d'avril à septembre 1978, on a trouvé les pannes suivantes (rien que dans le rapport du gouvernement) :
1- Rupture d'épingle dans le réacteur No3 de Mihama.
2- Mouvement anormal de de la pompe dans le réacteur No1 de la centrale de Takahama.
3- Panne de 2 valves du refroidisseur dans le réacteur No 1 de Ikata.
Tant de pannes dans la réalisation prouvent le danger des centrales nucléaires.
Le 21 décembre (jeudi)
Beau temps. Aujourd'hui encore, je me suis occupé du fourneau. Il ne s'est trouvé personne avec qui parler. Nulle part des journaux ou des revues. Une journée très ennuyeuse.
Centre pour la santé et la sécurité
Le 22 décembre (vendredi)
Il fait beau, cependant le matin il faisait vraiment très froid. Pendant que j'attendais le bus, mes genoux tremblaient de froid.
Je supposais qu'aujourd'hui encore mon travail serait d'attendre, mais après la réunion du matin, on m'a dit que j'allais avoir un "examen complet de tout le corps"
Douze hommes sont montés dans un bus, moi y compris, il y avait ces jeunes qui avaient reçu l'information sur le nucléaire il y a deux jours, et d'autres travailleurs qui devaient se soumettre à l'examen régulier de radioactivité chaque trois mois.
Pour la première fois, je suis entré sur le territoire de la centrale. Au contraire de Mihama, nous sommes entrés et assis dans le bus sans montrer notre identité. Le chauffeur a fait seulement un salut au gardien. Quoiqu'on nous ait souvent mentionné le danger d'une attaque terroriste dans les centrales, nous avons passé la porte tout à fait librement.
Le terrain était immense. D'après l'information, il est de 320 hectares, six fois plus grand que celui de Mihama. On aurait pu construire 320 terrains de baseball comme celui de Korakuen à Tokyo. Il est à cheval sur deux villes, Ōkuma et Futaba.
Nous avons franchi la porte. Le long du chemin se trouvent les bureaux de Toshiba, Kashima, Hitachi et d'autres, et même une fabrique de béton.. cela ressemble à un grand combinat.
Nous avons tourné à droite au croisement qui était pourvu d'une signalisation, et nous avons monté une côte. On voyait l'Océan pacifique. On pouvait voir deux cheminées à notre droite et une à gauche. Autour de celles-ci se trouvait une construction carrée en béton. C'était peut-être le couvercle du réacteur. En descendant nous avons vu le bâtiment principal de Toshiba.
Après l'avoir dépassé, nous avons continué, tourné à gauche et nous sommes arrêtés.
"Centre pour la santé et la sécurité"
A la porte se trouvait une queue de quelques mètres. J'étais à la fin. Il a fallu attendre 20 minutes pour passer à l'accueil, mais la file s'allongeait de plus en plus.
A 9 heures, la réception a commencé. Après avoir mis des pantoufles, je suis entré dans la salle d'accueil. Nos groupes avaient à peine été admis que d'autres devaient attendre jusqu' à midi.
On y trouvait 4 appareils de mesure pour tout le corps, mais deux d'entre eux comportaient un papier avec l'inscription"en panne"et les deux autres fonctionnaient correctement.
Nous avons attendu 3 heures pour un examen de 2 minutes, car entre-temps étaient venues des personnes importantes de la Compagnie d'électricité Tokyo, trois ouvriers devaient être réexaminés après la douche (et ils rouspétaient, que la douche donnait seulement de l'eau froide par ce temps froid) et l'appareil de mesure avait un problème. J'étais le dernier de notre groupe.
A l'entrée de la salle de mesures, j'ai pianoté les chiffres 150 872, c'était mon numéro pour Fukushima. Dans cette salle, on m'a donné cette consigne : Enlevez votre vêtement de dessus et mettez le blanc. A Mihama sous le vêtement blanc, nous portions seulement un caleçon.
Les mesures étaient finies. Je suis revenu dans la salle d'accueil, où il n'y avait personne de mon groupe. Peut-être étaient-ils déjà partis dans le bus, ai-je pensé. A ce moment on a entendu une annonce. "M. Horie, venez à la réception"
"C'est possible que le chiffre de ma radioactivité soit trop élevé" ai-je pensé avec crainte.
Un employé de bureau de 34-35 ans m'attendait avec une mine sévère.
- Vous êtes bien M. Horie?
- Oui
- Dans quelle centrale avez-vous travaillé jusqu'à présent?
- Dans la région de Kantō...
- Votre indice est trop élevé
- Elevé? Combien? J'ai pris conscience que je balbutiais
- 6400
- C'est beaucoup?
- Oui, beaucoup. Beaucoup trop.
- "Quel est le nombre normal?
- 700 ou 800.
Nous avons poussé ensemble un gémissement. Mon indice était 10 fois plus élévé que la normale. Je réfléchissais. Pourquoi un nombre si élevé était-il apparu? J'ai essayé de me souvenir. Lorsque j'avais arrêté de travailler à Mihama, j'avais été examiné. C'était le 2 décembre, 3 semaines auparavant. Si un nombre aussi anormal était apparu à ce moment-là, on me l'aurait fait remarquer, mais on ne m'a rien dit. Pourquoi ce nombre si élevé était-il apparu? Il restait une seule possibilité.
"Est-ce que l'appareil de mesure n'aurait pas fonctionné de travers?"
"Ne dites pas une telle sottise. Tous ont été examiné avec cet appareil, et personne n'a reçu un indice élevé. Quel travail faisiez-vous à Mihama?"
Il parlait brutalement, peut-être offensé par mon allusion à une panne de l'appareil.
Je lui ai raconté ce qui concernait mon travail et à combien de radioactivité j'avais été exposé..
Après avoir écouté mes explications, il est resté silencieux un moment.
"Si vous avez vraiment travaillé de cette manière, vous n'avez pas reçu une telle radioactivité"
"Oui"
"J'ai compris. Je vais vous refaire les mesures. Enlevez tous vos vêtements sauf le caleçon.
Je me suis couché sur le lit. Si le même nombre apparaissait... cela signifiait que d'une façon ou d'une autre j'avais une quantité anormale de radioactivité dans le corps. Est-ce qu'il existe un remède pour soigner cela? Je ne pourrai pas travailler à Fukushima. Dans mon coeur apparurent de la crainte et de l'inquiétude. Je ne voulais même plus savoir le résultat.
Et deux minutes passèrent. Une sonnerie retentit, et le lit se déplaça. Je me dirigeai en hâte au bureau à côté de salle de réception.
- Quel a été le résultat?
- Attendez un peu. Cela va bientôt apparaître.
Devant nos yeux une imprimante se mit en marche et tapa quelque chose.
- Quel est le résultat?
- Hmm, bizarre.
- C'est combien?
- 800. Normal.
Ayant entendu cela, je me suis senti fatigué, mais joyeux. Je me suis étiré et j'ai pu rire de bon coeur.
L'employé ne comprenait pas le résultat, et il me dit qu'il voulait recommencer la mesure, non pas de mon corps, mais de mes affaires, par exemple les vêtements, la montre, les lunettes et tout le reste. J'ai mis ces objets sur le lit, et il a fait les mesures de contrôle. Le nombre était peut-être 2000. Je ne me souviens pas du nombre, car je n'ai pas entendu avec précision. Si mon corps n'était pas radioactif, le reste n'avait pas d'importance.
Alors est venu un membre du groupe, qui s'est occupé de moi. L'employé a renoncé à faire d'autres explorations à propos de cet indice élevé, et il est retourné dans la salle.
La radioactivité dans mon corps et dans mes affaires était d'environ 3000, moins de la moitié du nombre 6400. Est-ce que, par hasard, il y avait eu une panne dans la machine ? Mais pendant tout ce temps j'avais bien assez ressenti la terreur de la radioactivité.
J'ai pris tard le repas de midi. A 1 heure et demie, je suis retourné au "Centre pour la santé et la sécurité " avec d'autres membres du groupe. On m'a photographié et ce fut la fin de mon travail. Ensuite je me suis encore une fois occupé du fourneau.
Dans le domaine des employés de bureau de TEPCO
Le 23 décembre (samedi)
Il faisait beau. Après la réunion, M. Hamaoka (34-35 ans), contrôleur de la radioactivité de la compagnie "Utchida Valvo" m'a fourni une "pièce d'identité de
travailleur chez Utchida Valvo", une "Carte pour pénétrer dans la centrale", un "dosimètre film-badge"(ce dosimètre est un film qui noircit plus ou moins selon les radiations reçues, on l'appelle aussi dosifilm) et des vêtements de travail. A partir d'aujourd'hui j'irai à la centrale pour travailler.
"La carte d'identité de travailleur" est une carte plastifiée de 6 cm de long et 8 cm de large. Dessus, à gauche, il y a ma photo que l'on a faite hier, à droite il y a mon nom, mon numéro (150 872), le nom de la compagnie Utchida Valvo, et en bas il y a 6 petits trous comme dans une carte pour ordinateur.
La "carte pour pénétrer dans la centrale" a 20 cm de long et 15 cm de large.
Sous le nom de la centrale est écrit " Permis de pénétrer dans la centrale et prêt d'un appareil d'alarme". Il semble que ce soit une carte pour noter le nombre que donne l'appareil de poche servant à mesurer la radioactivité, car sur les deux côtés sont imprimés "la date", "le nombre que donne l'appareil de mesure de radioactivité entre le contrôle A et le controle B", "le total de radioactivité", etc..;
Et en dehors du cadre, il y a cette note:
1- quand le nombre de A et B dépasse 100 roentgens, l'annoncer au responsable.
2- le compteur prêté devra être absolument redonné.
Sur ma carte à la date du 19 décembre il est écrit "a fini le cours d'instruction sur la radioactivité". Ce jour-là je venais pour la première fois au bureau. Certes ce cours avait eu lieu, mais j'étais à côté en train de lire un journal. On ne m'a jamais donné la consigne d'aller à ce cours. Quand j'ai commencé à le regarder, il était déjà presque fini.
Le dosimètre film-badge est le même qu'à Mihama. Il était dans le paquet avec le compteur TLD.
Les préparatifs pour entrer à la centrale consistent à porter au cou deux sortes de cartes et le dosifilm.
A 8h et demie, accompagné de M. Tashiro qui a 44-45 ans, je suis monté dans le bus vers mon lieu de travail.
" Aujourd'hui votre travail est de nettoyer le réacteur No 1, cependant aujourd'hui c'est votre premier jour, donc vous travaillerez à votre guise à titre d'entrainement"
Dans le bus, M. Tashiro m'a dit spontanément: "Je suis venu de Hiroshima avec quelques amis, et lundi prochain je rentre à la maison après ma période de 6 mois, et l'année prochaine je travaillerai encore ici". Il a un visage hardi et il est costaud. Il semble qu'il soit vétéran dans ce travail, mais contrairement à ce que je supposais, il a bon coeur et il est bavard.
Nous avons passé le bureau central de TEPCO et avons tourné à droite, et au bout de 100 m, nous nous sommes arrêtés.
A la suite de M. Tashiro, je suis entré dans l'enceinte du réacteur complètement recouverte de béton.
"Cette entrée est pour les réacteurs 1 et 2 " a dit M. Tashiro.
Le réacteur No 1 a été examiné le 1er septembre, et le No 2 le 1er décembre .
A l'entrée, il y avait un jeune gardien avec un casque blanc, sur lequel était écrit: "Compagnie de sécurité de Tōhoku" et sur le mur se trouvait une affiche avec une jeune fille à moitié nue pour la "Journée de l'énergie atomique"
A côté de cette affiche était le vestiaire. Après avoir pris une caisse plastique à l'entrée, j'ai enlevé mes souliers et mes vêtements et je les ai donnés au responsable installé à une table. Il y avait quelques-uns de ces responsables, et tous étaient âgés, ils portaient une veste de travail avec le nom de leur compagnie: "Responsable des bâtiments"
Au-dessus du caleçon, j'ai mis une chemise à manches longues et un pantalon long.
Sur la poitrine et le ventre, il y avait un insigne jaune avec des lettres rouges "Ne pas emporter à l'extérieur".
"Personne ne voudrait voler ces vêtements, même si on nous en donnait l'ordre" a ricané M. Tashiro.
Ensuite j'ai enfilé des chaussettes jaunes en nylon, un vêtement blanc avec l'inscription "vêtement pour traverser", comme celui que portent les médecins, un casque, et pour finir des bottes de caoutchouc jaunes, dont certaines parties étaient couvertes de fer.
"Maintenant nous sommes fin prêts. Ensuite nous devons recevoir un compteur de poche au contrôle. Nous allons ici et là, donc ne vous perdez pas"
En suivant M. Tashiro je suis entré dans la salle voisine. Au milieu se trouvaient 4 tables et voici le processus:
1 - recevoir l'appareil d'alarme et le mettre dans le sac en plastique
2 - prendre un ATLD (qui mesure la radioactivité) dans la caisse en carton sur la table
3 - le mettre avec la carte d'identité dans le "lecteur ATLD"
4 - recevoir un compteur de poche de radioactivité, inscrire son numéro et le nombre lu sur le permis d'entrer.
5 - mettre "la carte de travailleur" et le "permis d'entrer" dans l'armoire disposée selon le nom de la compagnie.
"Maintenant la première étape est finie. Quand vous aurez fait ceci plusieurs fois, vous vous habituerez au processus ", a dit M. Tashiro pour me consoler. Depuis le début jusqu'à ce moment-là, il s'était écoulé une heure. Il y avait certes beaucoup d'ouvriers qui attendaient leur tour pour le lecteur ATLD, mais c'était beaucoup trop long.
Nous avons visité les toilettes à côté, et nous sommes entrés par la porte en bois. Maintenant nous étions dans le district "sous contrôle". Nous avons traversé un couloir de 3 m de large. Les deux murs étaient en béton. Il faisait sombre.
"Maintenant nous allons mettre le vêtement C", a dit M. Tashiro.
Extrait du livre de M. HORIE Kunio
"Mon expérience en centrale nucléaire"
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Illustration d'entête : Mizuki Shigeru