22 septembre 2025 1 22 /09 /septembre /2025 08:00
Ouvriers travaillant sans protection avec de la terre radioactive (source : capture d’écran vidéo NHK)

Ouvriers travaillant sans protection avec de la terre radioactive (source : capture d’écran vidéo NHK)

La doctrine du lobby nucléaire est de tout minimiser et d’effacer les traces du crime. Après avoir décidé de disséminer la radioactivité des eaux contaminées de Fukushima Daiichi en la déversant diluée dans le Pacifique, le gouvernement japonais vient de décider de disséminer les sols radioactifs récupérés après l’accident atomique à travers le pays, en commençant par Tokyo. C’est Fonzy (1) qui nous donne cette information qui n’a pas encore été diffusée en France, tant les mauvaises nouvelles pleuvent de toutes parts sur la planète...

 

 

-oOo-

 

 

Bonjour, ça fait longtemps ! Je vais bien. J’habite toujours à 250 km de la centrale de Fukushima Daiichi, accidentée en mars 2011, et qui est complètement tombée dans l’oubli en 2025. En effet, peu de personnes en parlent. Il est difficile de savoir ce qui se passe à l’intérieur de la centrale, comment vivent les habitants tout autour, ou encore quel est le niveau de contamination radioactive dans le voisinage.

 

Il y a quelques jours, j’ai appris, complètement par hasard, une nouvelle qui m’a vraiment choquée : de la terre radioactive (4000 Bq/kg) stockée autour de la centrale a été transférée à Kasumigaseki, le cœur administratif de Tokyo, pour… y planter des fleurs !

 

Je vous joins la traduction d’un article publié sur le site de la NHK et traduit par DeepL, ainsi qu’un petit résumé que j’ai rédigé en me référant à une note très instructive et très intéressante publiée par Atsuko Masano, journaliste scientifique, qui analyse minutieusement le contexte dans lequel a éclaté ce scandale.

 

Fonzy 

 

-oOo-

 

Article sur le site de la NHK

 

La terre décontaminée (4000 Bq/kg) de Fukushima est réutilisée dans les ministères centraux de Kasumigaseki, au centre de Tokyo. La terre est transportée dans les parterres de fleurs.

(source : https://www3.nhk.or.jp/.../20250914/k10014922581000.html)

 

Les travaux de recyclage de la terre retirée lors de la décontamination après l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi ont commencé dans les ministères centraux de Kasumigaseki, à Tokyo. Le 14, cette terre a été transportée dans les parterres de fleurs du ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie.

 

Après l'accident nucléaire, les grandes quantités de terre retirées lors de la décontamination dans la préfecture de Fukushima ont été stockées dans des installations de stockage intermédiaire dans la préfecture. La loi stipule qu'elles doivent être définitivement éliminées en dehors de la préfecture de Fukushima d'ici 2045.

 

Afin de réduire la quantité à éliminer définitivement, le gouvernement a décidé de réutiliser la terre à faible concentration en substances radioactives pour le remblayage de chantiers publics dans tout le pays. En juillet dernier, cette opération a été menée dans l'enceinte de la résidence du Premier ministre.

 

Dans la foulée, neuf bâtiments abritant des ministères centraux à Kasumigaseki ont également décidé de réutiliser cette terre. Les travaux ont commencé le 13 dans les bâtiments abritant le ministère de l'Environnement, le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, le ministère de l'Économie, de la Commerce et de l'Industrie, ainsi que l'Agence pour la reconstruction.

 

Dans le bâtiment abritant le ministère de l'Économie, de l’Industrie et du Commerce, des travaux ont été effectués le 14 pour recouvrir d'une couche de 55 cm de terre provenant de Fukushima le parterre de fleurs situé devant le parking.

 

Une couche de 20 cm de terre normale sera ensuite ajoutée par-dessus afin d'empêcher la dispersion.

 

Le ministère de l'Environnement a fixé une norme selon laquelle la terre utilisée pour le recyclage doit avoir une concentration en césium radioactif inférieure à 8 000 becquerels par kilo. La terre utilisée cette fois-ci contient environ 4 000 becquerels par kilo.

 

Le ministère de l'Environnement mesure régulièrement les niveaux de radiation et publie ces informations sur son site web afin de favoriser la compréhension du public. »

 

(Traduit avec DeepL.com, version gratuite)

 

 

 

-oOo-

 

 

Note d’Atsuko Masano

 

(source : https://note.com/masanoatsuko/n/n8be053b7c4f3?sub_rt=share_pb)

 

Question 1

 

Combien de temps a duré l’examen entre la demande d’autorisation d’utiliser des sols dépollués à 4 000 Bq/kg dans un parterre de fleurs d’un ministère central et l’octroi du feu vert ?

 

Réponse : La demande a été faite le vendredi 5 septembre 2025, et le feu vert a été donné le vendredi 12 septembre.

 

À noter que le rapport final de la réunion d’experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui avait donné son aval à l’utilisation de sols contaminés en dessous de 8 000 Bq/kg, recommandait au ministère de l’Environnement de séparer la « fonction de régulation » de la « fonction de mise en œuvre ». Or, le « Responsable de la planification de l’examen réglementaire pour la réutilisation dans la reconstruction et l’élimination finale » est affecté au même service que la mise en œuvre, à savoir le Groupe des projets de restauration environnementale du Bureau de la restauration environnementale et du recyclage des ressources du ministère de l’Environnement.

 


 

Question 2

 

Sur les photos de presse montrant des ouvriers travaillant dans le parterre sans masque (ce qui aurait servi à éviter l’inhalation de sols contaminés et donc l’exposition interne), qui a donné cette instruction : le ministère de l’Environnement, l’entreprise titulaire du marché ou un sous-traitant ?

 

Réponse : « Dans les lignes directrices de mars concernant la réutilisation pour la reconstruction, il est indiqué que cela peut se faire sans nécessiter de mesures de protection particulières. Nous avons agi en conséquence. Le ministère de l’Environnement a donné instruction à l’entreprise de procéder en tenue de travail ordinaire. »
Autrement dit, il s’agissait bien d’une directive du ministère de l’Environnement.

 

Ouvriers travaillant sans protection avec de la terre radioactive (source : capture d’écran vidéo NHK)

Ouvriers travaillant sans protection avec de la terre radioactive (source : capture d’écran vidéo NHK)

Contexte

  • En juillet 2015, un Comité d’examen de la stratégie de développement technologique pour la réduction du volume et la réutilisation des sols dépollués destinés à l’entreposage intermédiaire a été mis en place.
  • En 2016, ce comité a conclu qu’il serait « peu réaliste » de garantir des sites finaux de stockage en dehors de la préfecture, et a donc décidé que les sols seraient « réutilisés uniquement pour les travaux publics ».
  • La modification du décret ministériel basée sur la loi spéciale stipule que « les sols contaminés à moins de 8 000 Bq/kg doivent être utilisés sous une gestion appropriée ».
  • Les usages possibles ont été limités, de manière stricte, à trois catégories : « remblai », « remblayage » et « matériau de remplissage ».

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6 août 2025 3 06 /08 /août /2025 22:09

La piscine de combustible usé de l'unité 5 stockait encore 1542 assemblages de combustibles (1 374 assemblages de combustibles usés et 168 assemblages de combustibles neufs) le mois dernier.

 

Dans un rapport daté du 23 juillet 2025, Tepco a annoncé avoir commencé le transfert de ces assemblages vers la piscine commune.

 

Avant le début de ce transfert, il restait encore sur le site de Fukushima Daiichi 2977 assemblages (environ 500 tonnes) dans les piscines des réacteurs 1, 2, 5 et 6. On a appris par ailleurs que des préparatifs étaient en cours pour vider aussi la piscine de l’unité 1. Le transfert devrait démarrer en 2026.

 

En théorie, selon la feuille de route de Tepco, tous les assemblages devraient avoir été retirés des piscines des réacteurs en 2031. La piscine commune (2) en revanche restera bien pleine...

 

(Photo ci-dessus : retrait d'un assemblage de combustible de l'unité 5 - Source : Tepco)

 

État du combustible stocké dans les unités 1 à 6 de Fukushima Daiichi au 23 juillet (source : Tepco). Tepco ne précise pas combien il y a de combustible usé dans la piscine commune (2). Il y en avait 1000 tonnes en 2011.

État du combustible stocké dans les unités 1 à 6 de Fukushima Daiichi au 23 juillet (source : Tepco). Tepco ne précise pas combien il y a de combustible usé dans la piscine commune (2). Il y en avait 1000 tonnes en 2011.

Il faut garder à l’esprit que ces piscines restent très dangereuses car, comme les piscines de la Hague (10 000 tonnes de combustible) ou de la plupart des autres centrales en activité dans le monde, elles n’ont pas d’enceinte de confinement ! En cas d’absence de refroidissement de ces piscines, l’accident nucléaire majeur est toujours possible. Un simple feu de piscine (1) produirait le même désastre que la catastrophe de Tchernobyl, c’est-à-dire la libération dans l’atmosphère au niveau mondial de radionucléides extrêmement toxiques.

 

Pierre Fetet

 

 

  1. Pour en savoir plus sur les dangers d’un feu de piscine, reportez-vous à l’article de Robert Alvarez, « Piscines de combustible nucléaire usé et déchets radioactifs » (pages 272-292 du livre Les conséquences médicales et écologiques de l'accident nucléaire de Fukushima, Actes du symposium de New York des 11 et 12 mars 2013, Éditions de Fukushima, 2021)

 

  1. Voir cet article : La piscine commune de combustible usé de Fukushima Daiichi

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13 juin 2025 5 13 /06 /juin /2025 15:36
Échantillon prélevé en avril

La JAEA (Agence japonaise de l'énergie atomique) et Tepco ont produit, le 29 mai dernier, un rapport préliminaire sur des échantillons de corium prélevés dans le réacteur 2 de Fukushima Daiichi.

Lors d'une première opération qui a eu lieu en novembre, un échantillon pesant un peu moins de 0,7 gramme avait été prélevé au fond de la cuve de confinement du réacteur n° 2. Au cours du deuxième essai de récupération le 23 avril dernier, un prélèvement de corium a été extrait du réacteur 2 puis confié le 25 avril à l'Institut d'ingénierie nucléaire JAEA d’Oarai (préfecture d'Ibaraki), dédié à la surveillance des combustibles. L'analyse non destructive a commencé le 28 avril.

Sans surprise, aucun élément constitutif de ces échantillons n’existe naturellement, il s’agit bien d’un cocktail de substances radioactives provenant de la fonte des barres de combustible, autrement dit, du corium.

 

Résultats de la mesure par spectrométrie de rayons γ du deuxième échantillon de débris de combustible (document JAEA/Tepco)

Résultats de la mesure par spectrométrie de rayons γ du deuxième échantillon de débris de combustible (document JAEA/Tepco)

La mesure réalisée par spectrométrie de rayons γ révèle plusieurs éléments radioactifs : américium 241, europium 154, antimoine 125, césium 137, cobalt 60.

- L’américium Am 241 est un métal lourd radioactif de la famille des actinides ayant une demi-vie de 432 années. Produit par la réaction de capture de neutrons de l'U-238 dans le combustible nucléaire, il émet majoritairement des rayonnements alpha. Après dissémination dans l’environnement, l’américium peut être incorporé dans tous les constituants de la chaine alimentaire et présenter diverses formes chimiques plus ou moins solubles. L’américium se dépose principalement dans le squelette, le foie et les organes reproducteurs.

- L’europium Eu 154, important émetteur de rayon gamma, est un radioisotope se désintégrant principalement par radiation β en gadolinium 154. Il a une demi-vie de 8,6 années.

- L’antimoine radioactif Sb 125 est un métalloïde toxique et cancérigène d’une demi-vie de 2,73 ans. Cet élément est un puissant vomitif et/ou irritant pour les muqueuses et la peau, voire l'estomac et l'intestin. Il est toxique pour le spermatozoïde, génotoxique et reprotoxique.

- Le Césium Cs 137 est un radionucléide très connu, massivement rejeté lors de la catastrophe survenue en 2011. Émetteur gamma et béta, il possède une demi-vie de 30,2 ans. Des études chez l'homme ont montré que le Césium 137 se répartit uniformément dans la masse musculaire, dont le cœur, ce qui engendre entre autres des pathologies cardiaques. Il induit aussi une atteinte du système immunitaire, des malformations congénitales et des troubles neurologiques.

- Le cobalt Co 60 est un radionucléide d’une demi-vie de 5,27 ans, émetteur de rayons gamma, qui donne du nickel 60 par désintégration β. Le site de rétention préférentiel du cobalt assimilé est le foie, mais les reins et les os sont également affectés.

 

Informations sur le 2ème prélèvement

L'échantillon, hétérogène, est de couleur bronze brunâtre, plus clair que le premier échantillon, avec des zones noires et des trous trouvés à la surface. Le plus grand fragment de l’échantillon mesurait environ 5 mm x environ 4 mm, avait une masse de 0,187 g et un débit de dose d’environ 0,3 mSv/h à une distance de 1 à 2 cm de l'échantillon, soit 1,6 mSv/h pour 1 g.

 

Dans ce rapport, on apprend qu’un premier échantillon avait déjà été analysé.

Premier échantillon de débris de combustible du réacteur 2 (photo JAEA/Tepco)

Premier échantillon de débris de combustible du réacteur 2 (photo JAEA/Tepco)

Voici ces caractéristiques pour comparaison : hétérogène, cet échantillon est globalement brun rougeâtre avec des taches noires et brillantes à la surface. Sa taille est d'environ 9 mm × environ 7 mm, sa masse supérieure à 0,693 g et son débit de dose d’environ 8 mSv/h à une distance de 1 à 2 cm de l'échantillon, soit 11,54 mSv/h pour 1 g, ce qui représente une dose plus de 7 fois supérieure au 2ème échantillon.

 

Tepco prévoit de réaliser un troisième prélèvement cette année.

Il reste encore 880 tonnes de corium à sortir des réacteurs 1, 2 et 3.

 

Pierre Fetet

 

Résultat de mesure de spectrométrie de rayons gamma de référence : comparaison du premier et du deuxième échantillon

Résultat de mesure de spectrométrie de rayons gamma de référence : comparaison du premier et du deuxième échantillon

Coupe schématique du réacteur 2 de Fukushima Daiichi (source : JAEA/Tepco + annotations)

Coupe schématique du réacteur 2 de Fukushima Daiichi (source : JAEA/Tepco + annotations)

Coupe schématique du process de récupération robotisée d’un échantillon dans la cuve de confinement (document Tepco, traduction automatique)

Coupe schématique du process de récupération robotisée d’un échantillon dans la cuve de confinement (document Tepco, traduction automatique)

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7 octobre 2024 1 07 /10 /octobre /2024 16:36

État des tuyaux de la salle d'échangeur de chaleur (photographié avec un drone le 1er octobre 2024)

 

 

Ça aurait fait les gros titres en 2011. Aujourd’hui, cette information passe inaperçue. La catastrophe de Fukushima n’est pourtant pas terminée.

Le 3 octobre 2024, Tepco a diffusé un rapport confirmant que de l'eau fuyait du système de refroidissement primaire de la piscine de désactivation de l’unité 2. Cette piscine est remplie de combustibles usés : 587 assemblages, correspondant à une centaine de tonnes de combustible, auxquelles il faut ajouter 5 tonnes de combustible neuf. Cette fuite, supposée depuis plusieurs mois, avait pour conséquence de faire baisser le niveau d’eau de la piscine. Celle-ci étant difficilement accessible car trop radioactive, Tepco envisage toutefois une réparation du système de refroidissement en construisant un moyen de refroidissement de substitution. Selon l’enquête menée par un drone, la fuite proviendrait d’un endroit proche de la salle des pompes et de l'échangeur de chaleur du système de refroidissement et de filtrage de la piscine de combustible au troisième étage du bâtiment du réacteur. Pour l’heure, la fuite est stoppée.

État des tuyaux de la salle d'échangeur de chaleur (photographié par un ouvrier le 2 octobre 2024)

État des tuyaux de la salle d'échangeur de chaleur (photographié par un ouvrier le 2 octobre 2024)

Le vieillissement de l’ancienne centrale nucléaire est préoccupant : corrosion des tuyaux, corrosion du béton. On n’en parle pas en Europe mais un nouvel accident est toujours possible. La piscine est perchée à 30 mètres de hauteur et a subi le tremblement de terre de 2011 et les secousses des 4 explosions des unités 1 à 4 il y a maintenant 13 ans. La réparation est totalement nécessaire pour conserver le niveau d’eau indispensable au refroidissement des barres de combustible pour éviter un feu de piscine (1). Pour mesurer ce danger toujours présent, il faut se rappeler que les Etats-Unis, en 2011, avaient demandé à leurs ressortissants de s’éloigner d’au moins 80 km de la centrale de Fukushima Daiichi suite à la baisse inquiétante du niveau d’eau de la piscine de l’unité 4. En 2017, le coût d’un incendie de piscine de désactivation aux Etats-Unis était évalué à 2000 milliards de dollars, sans compter la pollution atmosphérique mondiale et le coût humain irréparable que cet accident provoquerait.

Pierre Fetet

 

  1. En savoir plus sur les dangers d’un feu de piscine avec l’article de Robert Alvarez, « Piscines de combustible nucléaire usé et déchets radioactifs » (pages 272-292 du livre Les conséquences médicales et écologiques de l'accident nucléaire de Fukushima, Actes du symposium de New York des 11 et 12 mars 2013, Éditions de Fukushima, 2021)
Schéma de l’enquête réalisée : on constate que l’opérateur est mentionné à l’extérieur du bâtiment réacteur. Or la photo du tuyau prise par un ouvrier le 2 octobre prouve qu’on l’a envoyé sur place. Tepco ne dit pas quelle dose de radioactivité il a reçue (source : Tepco ; traduction automatique : onlinedoctranslator)

Schéma de l’enquête réalisée : on constate que l’opérateur est mentionné à l’extérieur du bâtiment réacteur. Or la photo du tuyau prise par un ouvrier le 2 octobre prouve qu’on l’a envoyé sur place. Tepco ne dit pas quelle dose de radioactivité il a reçue (source : Tepco ; traduction automatique : onlinedoctranslator)

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25 avril 2024 4 25 /04 /avril /2024 10:22

Treize ans après le début de la catastrophe nucléaire, Tepco n’a pas encore retiré un seul gramme des 880 tonnes de corium gisant au fond des réacteurs. C’est dire si la tâche est difficile, voire insurmontable dans les délais fixés à 40 ans.

Lors de la dernière investigation, Tepco a découvert un trou mais il n’en fait pas mention dans son rapport. Essayons d’y voir plus clair avec cette nouvelle visite à l'intérieur du BR1.

La dernière investigation en date est celle réalisée du 28 février au 14 mars 2024 dans l’enceinte de confinement du réacteur n° 1. Tepco a diffusé des photos prises par le robot introduit dans l’enceinte. Les voici, avec des explications en partie tirées du rapport correspondant édité le 18 mars 2024. Mais avant de commencer la visite, je dois vous expliquer ce que signifie CRD. C’est un acronyme pour « Control Rod Drive », littéralement « commande de barre de contrôle ». Il faut se souvenir que dans ce type de réacteur (Mark 1), les barres de contrôle, qui permettent de contrôler la réaction en chaîne, sont en dessous de la cuve avec un mécanisme hydraulique pour pouvoir les monter ou les descendre. Sont donc en jeu dans les CRD des barres de contrôle, des boîtiers ou logements pour les guider et les protéger quand elles ne sont pas dans la cuve et des moteurs complexes pour les mouvoir.

Tepco a également diffusé deux vidéos de cette investigation (filmée par 4 mini-drones) que vous trouverez en fin d’article.

Une image explicative (ci-dessous) a été ajoutée au dossier publié le 18 mars. Elle est tirée d’un rapport d’investigation intitulé « État d'enquête interne de l’enceinte de confinement primaire de l'unité 1 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi » publié le 4 avril 2023 mais introuvable pour l’heure sur le site de Tepco. Je vous mets cette illustration en début d’article pour savoir où on se trouve et de quoi on parle, ainsi qu’une vue aérienne de la centrale prise début mars.

 

 

Extrait du rapport Tepco (traduit en français)

Extrait du rapport Tepco (traduit en français)

L’ex-centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi le 8 mars 2024 (source : capture d’écran vidéo ANN-News)

L’ex-centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi le 8 mars 2024 (source : capture d’écran vidéo ANN-News)

1. L’ouverture dans le socle du réacteur 1

Source : Tepco

Source : Tepco

Cette ouverture rectangulaire de largeur d’homme est destinée, en fonctionnement normal, à pénétrer sous la cuve, là où sont les barres de contrôle, afin de pouvoir les remplacer en cas d’avarie. La photo est prise depuis l’extérieur du socle en béton qui soutient la cuve. Tous ces petits points blancs que l’on voit voler partout dans cet espace, ce ne sont pas des confettis mais l’effet de la forte radioactivité sur les capteurs photographiques du robot. Tepco précise que « les murs de l’ouverture ne sont pas gravement endommagés ». Alors oui, à ce niveau ça va. C’est quelques mètres plus bas que ça craint puisque le corium a mangé le béton en laissant les fers à nus, j’en avais parlé l’année dernière ici. À ce propos, Tepco a depuis affirmé que la stabilité de l’ensemble n’était pas en danger. C’est loin d’être l’avis de tous les experts.

 

2. Vue sur le robot-serpent

Source : Tepco

Source : Tepco

Cette photo prise par un drone montre l’avant du robot à l’approche de l'ouverture utilisée pour remplacer les CRD.

Coupe de l’enceinte de confinement du BR1 et situation des prises de vue.

Coupe de l’enceinte de confinement du BR1 et situation des prises de vue.

3. Boîtier de CRD

Source : Tepco

Source : Tepco

Cette photo, prise depuis l'intérieur du socle, est censée montrer le boîtier d’un CRD tombé près de l'ouverture mais on n’y voit pas grand-chose. Des adhérences en forme de stalactites et de « touffes » sont visibles en haut. Peut-être des restes du corium qui est passé par là.

 

4. Pièces d’équipement de CRD

Source : Tepco

Source : Tepco

C’est un zoom de la zone centrale de la photo 3. Le boîtier du CRD est tombé avec plusieurs pièces d'équipement liées au CRD.

 

5. Bas d’un boîtier de CRD

Source : Tepco

Source : Tepco

C’est un zoom de la zone centrale de la photo 4. Selon Tepco, il semble que le bas d’un boîtier de CRD soit tombé sur les rails de remplacement du CRD.

 

6. Amas de matière fondue

Source : Tepco

Source : Tepco

Photo avec flou artistique dû probablement à la forte radioactivité. Il s’agit d’amas de matière de couleur or dans la partie supérieure des boîtiers de CRD, probablement du corium.

 

7. Stalactites

Source : Tepco

Source : Tepco

Des stalactites attachées aux amas sont visibles. Ce sont probablement des coulures de corium.

 

8. Amas de matière fondue

Source : Tepco

Source : Tepco

Selon Tepco, il s'agit d'objets en forme de touffes qui se trouvent plus à l'intérieur du socle que le boîtier du CRD tombé à proximité de l'ouverture. Ceux-ci sont suspendus à l'équipement lié aux CRD. Tepco suppose que ces objets ont migré vers le bas depuis le haut. Avec une densité comprise entre 6 et 9, le corium est un bon candidat pour l’identification de cette matière qui, en refroidissant, a pu créer des formes bizarres.  

 

9. Mur du socle

Source : Tepco

Source : Tepco

Ceci est une photo du mur du socle prise à l'intérieur du socle. Tepco remarque qu’aucun dommage significatif n’est observé et que le béton est toujours présent.

 

10. Câbles

Source : Tepco

Source : Tepco

Cette photo montre un autre endroit du mur à l'intérieur du socle. À gauche, on observe un boîtier-relais de câbles et, fixés au mur, des câbles déformés.

 

11. Vue de l’intérieur du socle

Source : Tepco

Source : Tepco

Cette photo de l'intérieur du socle montre, selon Tepco, une « ouverture TIP existante » et des objets supposés être des équipements liés au « TIP » pendant vers le bas. Tepco n’explique pas ce qu’est un TIP, mais il est possible, selon la documentation mise en ligne par la NRC, qu’il s’agisse d’un ensemble de détecteurs de neutrons destinés à « obtenir une répartition axiale et radiale du flux de neutrons au sein du cœur du réacteur » (TIP = Traversing Incore Probe System). À confirmer.

 

12. Boîtier CRD à l’envers

Source : Tepco

Source : Tepco

Cette photo montre un boîtier CRD qui est à l’envers par rapport à sa position d'origine. En incrustation, on voit une photo d’un boîtier en position normale. Il faut reconnaître que tout est sens dessus dessous à l’intérieur du socle.

 

Tepco conclut son rapport d’investigation en disant que « des objets sont probablement tombés du haut de la cuve sous pression, mais il n'est pas possible de déterminer s'il s'agit de débris de combustible ou d'équipement brûlé pour le moment ». Vu les amas de matière fondue et les stalactites, il s’agit très probablement de corium, avec une proportion variable de combustible nucléaire et d’équipements à l’intérieur plus ou moins fondus.

 

Par ailleurs, la vidéo du 28 février, l’air de rien, montre une image que Tepco ne mentionne pas dans son rapport : un gros trou dans le caillebotis métallique. Est-il possible que ce trou ait été formé par une coulée de corium (dont on aperçoit quelques éclaboussures sur le bord) ? Il rappelle celui découvert en février 2017 sous la cuve du réacteur n° 2 (lien), même si celui-ci semble plus petit. C’était prévisible que Tepco ne parle pas de cette découverte. Il semble en effet y avoir deux enquêtes, une interne où on ne communique pas les informations essentielles et une publique où on fait de la communication qui n’abîme pas l’image du nucléaire et/ou de Tepco. On attendrait un rapport plus sérieux, avec l’analyse de la formation de ce trou, sa localisation et les débits de doses enregistrés. L’enceinte avait déjà été visitée en 2015 par un robot qui donnait des débits de dose allant jusqu’à 9 Sv/h (lien vidéo) dès que le robot s’approchait d’un résidu fondu.

 

Le trou du réacteur n° 1 (capture d’écran, vidéo Tepco du 28/02/24, à 6:46).

Le trou du réacteur n° 1 (capture d’écran, vidéo Tepco du 28/02/24, à 6:46).

Or, selon le cheminement du drone, ce trou est situé à l’extérieur du socle, ce qui voudrait dire que du corium a pu s’échapper de la cuve de manière latérale et non pas verticale comme attendu. Il existe de nombreux trous dans la partie verticale de la cuve pour faire passer des tuyaux. Rien que sur la photo de l’enceinte de confinement ci-dessous qui date de la construction du réacteur 1, on peut compter une bonne dizaine de tuyaux qui sont autant de brèches potentielles (Le confinement est bien relatif !).

Les tuyaux sortant de l’enceinte de confinement du réacteur 1 (capture d’écran vidéo borrrden)

Les tuyaux sortant de l’enceinte de confinement du réacteur 1 (capture d’écran vidéo borrrden)

Est-ce que ceux qui sont situés en bas de cuve pourraient avoir laissé passer du corium ? C’est possible. Si l’on regarde la coupe d’une cuve de réacteur de ce type, on observe que deux tuyaux partent bien de la partie inférieure de la cuve. Il s’agit de deux tuyaux de recirculation de l’eau du circuit primaire (entrée et sortie) reliés à des pompes de jet. Dans la vie réelle, quand on veut vider une casserole, on la retourne. Dans le monde atomique, la cuve est fixe donc pour renouveler ou faire circuler l’eau du circuit primaire, il faut des tuyaux et des pompes.

Ecorché d'une cuve de réacteur BWR GE

Ecorché d'une cuve de réacteur BWR GE

Il se trouve que ces tuyaux se situent juste au-dessous du plateau qui porte les assemblages de combustible. Puisque fonte du cœur il y a eu, est-il possible qu’une partie du corium ait emprunté ces tuyaux pour faire une petite sortie en dehors du socle ? Les tuyaux, n’appréciant guère la chaleur intense du corium (de 2 à 3000 °), ont-ils pu céder et le laisser s’échapper, ce qui expliquerait ce trou inédit ? Le drone n’ayant passé que 3 secondes à considérer ce trou, il est évident que l’opérateur le connaissait déjà. Une autre hypothèse serait que le trou coïncide avec le passage vertical d'un tuyau de ce diamètre qui aurait disparu dans la catastrophe. Encore un truc bizarre dont Tepco parlera peut-être un jour.

 

Pierre Fetet

 

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Vidéos

Vidéo de la première investigation avec les drones 1 et 2 publiée par Tepco le 28 février 2024.

Vidéo de la seconde investigation avec les drones 3 et 4 publiée par Tepco le 14 mars 2024.

Parallèlement aux investigations de Tepco, la NRA (Nuclear Regulation Authority) poursuit ses recherches pour comprendre tous les évènements qui ont eu lieu en 2011 dans les réacteurs et surveiller les opérations de démantèlement. Ainsi, le 22 décembre 2023, des agents de cette institution sont allés inspecter l'intérieur du bâtiment du réacteur de l'unité 1 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. La radioactivité ambiante était environ de 300 µSv/h, soit 1500 à 2000 fois plus élevée que la normale avec des pointes à 1 mSv quand ça sonne. On est étonné de voir les risques radiologiques que prennent ces personnes pour enquêter.

Enquête à l'intérieur du bâtiment réacteur de l'unité 1 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi de TEPCO (film du 22 décembre 2023, NRA)

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Sources :

Rapport de Tepco*

Photos et vidéos de Tepco

Chaîne Youtube NRA

Chaîne Youtube ANN-News-CH

 

*Avec le concours d’Evelyne Genoulaz pour la source et l’aide à la traduction.

 

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En savoir plus sur le BR1

Chaîne Youtube BlogdeFukushima : playlist Réacteur 1

Articles du blog de Fukushima sur le BR1 depuis 2011

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11 mars 2024 1 11 /03 /mars /2024 10:55

Depuis le début de l’accident, Mako et Ken Oshidori font partie des rares journalistes indépendants qui, sans répit, ont minutieusement enquêté sur tous les aspects de l'accident nucléaire de Fukushima Daiichi. Revenir sur ce qui a été prévu, réalisé et mis de côté depuis le début de la catastrophe est essentiel. L’analyse du processus de la prise de décision est nécessaire, la synthèse historique indispensable. Tepco et le gouvernement ont menti sur le manque de terrain pour pouvoir continuer à stocker l’eau contaminée. La décision de rejeter l’eau dans l’océan a été prise unilatéralement par le gouvernement japonais sans tenir compte de l’avis des commissions qui ont discuté durant des années sur le sujet et en bafouant les promesses faites aux pêcheurs… Voici des extraits de l’article écrit par Mako Oshidori paru dans Kodomotachi no Kenkô to Mirai wo mamoru jôhô Magazine, magazine d’information pour protéger la santé et l’avenir des enfants, n° 29, octobre 2023. C’est en fait une partie de la republication de la traduction de l’excellent blog d’information Nos Voisins Lointains 3.11 qui l’avait partagé en octobre dernier. Avec l’aimable autorisation de Kurumi Sugita.

PF

 

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Déverser l’eau contaminée de la centrale de Fukushima dans l’océan, ça n’a pas de sens !

par Mako  Oshidori

 

Contextualisation préalable : comment la couverture par les médias et l’intérêt du grand public ont changé entre 2011 et 2023

Lorsque je couvrais les activités du « Groupe de travail sur l’eau tritiée », qui a débuté en 2013, je me disais que ça ne serait pas possible de diluer de l’eau contaminée et la déverser dans la mer. C’était deux ans après le début de l’accident nucléaire, lorsque des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées devant l’Assemblée Nationale pour manifester contre l’énergie nucléaire. Toutes les centrales nucléaires du Japon étaient à l’arrêt. De nombreux journalistes couvraient l’accident nucléaire et plusieurs dizaines d’entre eux se pressaient chaque jour aux conférences de presse de TEPCO, Tokyo Electric Power Company – Société de l’électricité de Tokyo – l’exploitant de la centrale de Fukushima Daiichi.

La fréquentation des journalistes aux conférence de presse de Tepco a chuté considérablement.

La fréquentation des journalistes aux conférence de presse de Tepco a chuté considérablement.

En 2023, le nombre de journalistes couvrant la conférence de presse de TEPCO a été radicalement réduit, souvent à seulement deux journalistes, Oshidori Mako et Ken. Les centrales nucléaires redémarraient de plus en plus et la date limite de fin d’exploitation obligatoire des centrales a été supprimée. Je n’arrive pas à croire à quel point les choses ont changé en l’espace de dix ans.

Les acteurs

  • Le gouvernement central
  • METI (ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie) / Agence des ressources naturelles et de l’énergie (Agence de l’énergie ci-après)
  • La Commission de réglementation de l’énergie nucléaire (La Commission de réglementation ci-après)
  • TEPCO
  • Le Groupe de travail sur l’eau tritiée (dénommé « le Groupe de travail » dans l’article)
  • Le Sous-comité sur la gestion de l’eau traitée par le système ALPS (Advanced Liquid Processing System – Système de filtration par absorption) (dénommé « le Sous-comité ALPS » dans l’article) et ses commissaires 
  • Populations locales

Chronologie : ce qui était prévu, ce qui a été réalisé, ce qui n’a pas été réalisé

Le gouvernement a décidé de créer le Groupe de travail et le Sous-comité ALPS.
Les deux ont été créés pour discuter du problème de « l’eau traitée » par ALPS qui continuait à s’accumuler dans les réservoirs. Le Groupe du travail devait examiner les options « techniques » pour le devenir de l’eau contaminée et le Sous-comité ALPS devait discuter de « l’impact social » de chaque option. L’Agence de l’énergie assure les secrétariats de deux groupes. Tous les deux devaient discuter « sans hiérarchiser » les options, c’est-à-dire sans privilégier une solution ou une autre. Sur la base des rapports des deux groupes, un nouveau Comité devait être mis en place pour décider des choix à faire, comme l’a expliqué le secrétariat de l’Agence de l’énergie en 2016, lorsque le Groupe de travail a rendu son rapport.

Dans les faits : 

  • En décembre 2013 : Le Groupe de travail a été mis en place
  • En juin 2016 : Il a publié son rapport, et il a été dissous
  • En novembre 2016 : Le Sous-comité ALPS a commencé ses réunions
  • En janvier 2020 : Il a rendu son rapport et il a été dissous au mois de février
  • Entre août et novembre 2019, les discussions des 13ème, 14ème et 15ème sessions du Sous-comité ALPS n’ont rien donné. Sans attendre l’aboutissement des discussions, un projet de rapport a soudainement été rendu lors de la 16ème session (décembre 2019), et la 17ème session de janvier 2020 est devenue la session finale. Le rapport était censé rendre deux argumentations opposées en juxtaposition, car la discussion n’était pas concluante, mais comme il a été préparé par le secrétariat de l’Agence de l’énergie, il était en faveur du déversement à la mer. La consultation prévue du nouveau Comité qui devait trancher sur le choix à faire n’a jamais eu lieu, ce nouveau Comité n’ayant pas été créé.
  • En avril 2021, sur la base du rapport tronqué du Sous-comité ALPS, une décision gouvernementale a été prise lors d’une réunion des ministres concernés, afin de procéder au déversement en mer dans deux ans. 
  • En août 2023, le déversement a commencé. 
17ème session du Sous-comité ALPS, le 31 janvier 2020

17ème session du Sous-comité ALPS, le 31 janvier 2020

Au cours des discussions et débats du Sous-comité ALPS (de novembre 2016 à février 2020), de nombreux membres étaient opposés au rejet.

Certaines des questions qui sont aujourd’hui soulevées par des opposants au rejet en mer de « l’eau traitée par l’ALPS » avaient déjà été bien débattues par des membres du Sous-comité. De nombreux membres étaient inébranlables et opposés aux rejets dans la mer. 

L’avis de Mako Oshidori : Nous aurions dû suivre le débat de plus près et prendre des actions au stade du Sous-comité ALPS. Dès le début, l’État avait opté pour le rejet à la mer. Ces discussions sur des années ne servaient que pour se créer une apparence démocratique. Je suis convaincue que nous aurions dû surveiller et agir à ce moment-là. Je regrette encore notre manque de forces. D’autant que nous aurions pu faire état du comportement étrange du Président de la Commission de règlementation.

En effet, au mois d’avril 2016, Shun’ichi Tanaka, le Président de la Commission, avait convoqué le Président de TEPCO, Hirose, et son directeur général, Anegawa.

Réunion extraordinaire de la Commission de réglementation de l’énergie nucléaire, le 27 avril 2016.

Réunion extraordinaire de la Commission de réglementation de l’énergie nucléaire, le 27 avril 2016.

Le Président de la commission a demandé « Que voulez-vous faire vraiment en tant que TEPCO » ? Comme TEPCO était responsable de la catastrophe, le Président de la Commission a laissé entendre que TEPCO devait se prononcer sur le rejet dans la mer. Il a même dit : « La Commission est chargée de réglementer la sécurité des sites, donc si les réservoirs disparaissent du site, ce serait souhaitable pour la Commission parce que cela réduirait le risque ». TEPCO s’est contenté de dire : « La décision appartient au gouvernement central … nous ne pouvons pas faire une telle déclaration … ». Le comportement du Président de la Commission a outrepassé la mission de cette instance qui était de se limiter au problème de la sécurité du site et de la population, et il laissait entendre qu’il préférait polluer l’océan pour faciliter son travail de réglementation sur le site de Fukushima Daiichi. 

Par ailleurs, il faut noter que les voix des populations locales se sont faites entendre en 2018 lors des Auditions publiques du Sous-comité ALPS. Il faut dire que le Sous-comité ALPS devait commencer deux mois après la fin du Groupe de travail, mais cela a été retardé de cinq mois. En effet, un certain nombre de personnes ont refusé de faire partie du Sous-comité ALPS, en disant qu’elles ne pouvaient pas être membres d’un tel comité qui aurait déjà opté pour la conclusion du rejet des eaux en mer. 

Progressivement, après un certain nombre d’incidents, les membres du Sous-comité ALPS sont arrivés à réaliser qu’il ne suffisait pas d’utiliser seulement les documents préparés par l’Agence de l’énergie. Ainsi, ils ont souhaité entendre directement les voix des populations locales, et des auditions publiques ont été organisées en 2018 à trois endroits (les villes de Tomioka et de Koriyama dans le département de Fukushima, et Tokyo).


Or, les commissaires ont appris, lors des auditions publiques, que les communautés locales étaient opposées à plus de 90 % aux rejets des eaux dans la mer, et que les justifications de leurs arguments étaient les mêmes que les leurs. 


Pourquoi s’empresser de déverser les eaux dans l’océan maintenant ? TEPCO nous a répondu qu’il n’y avait plus d’espace disponible pour les réservoirs sur le site de la centrale, alors qu’il y en avait encore. Pourtant, la demi-vie du tritium étant de 12 ans, on pouvait encore stocker les eaux dans les réservoirs pendant encore quelques décennies, et le tritium se serait désintégré naturellement.  

 

Auditions publiques à Tomioka, le 30 août 2018

Auditions publiques à Tomioka, le 30 août 2018

La discussion entre les commissaires favorables au rejet et les commissaires qui le critiquaient demeurait stérile sans aboutir à une conclusion. Sur les douze commissaires, au moins quatre ont toujours été actifs dans la prise de parole et ont toujours été en désaccord avec la politique de l’Agence de l’énergie. 

 

Problèmes et questions soulevés aux sessions du Sous-comité ALPS

  • Lors de la 13ème réunion, le commissaire Takami Morita a émis une question : « Il y a un terrain inoccupé sur le site de Fukushima Daiichi qui équivaut au terrain actuel dédié aux réservoirs. Si nous plaçons les nouveaux réservoirs à ce lieu, nous pourrons gagner encore 30 ans. Est-ce correct ? » À cette occasion, la commissaire Kikuko Tatsumi a déclaré : « Je n’ai appris l’existence du terrain vacant qu’en visitant le site. Dans les documents distribués jusqu’à présent, il n’y a qu’une carte de la zone de stockage des réservoirs, laquelle ne nous permet pas d’avoir une vue d’ensemble de Fukushima Daiichi. Je pense qu’ils veulent délibérément nous empêcher de voir qu’il y a beaucoup d’espace ». TEPCO et l’État ont expliqué qu’il ne s’agissait pas d’un terrain inoccupé mais d’un emplacement pour un autre entrepôt de terres.

Les commissaires ont essayé d’obtenir une réponse valable qui justifie pourquoi les eaux devaient être rejetées dans l’environnement maintenant, et pourquoi elles ne pouvaient pas être stockées dans des réservoirs. L’État n’a pas répondu. 

  • Objectif de démantèlement dans 30 ans ?

Le thème de la 15ème session était le démantèlement. Il a été expliqué que l’objectif du calendrier était d’achever le démantèlement dans 30 ans, date à laquelle les réservoirs présents sur le site devraient être supprimés. 

À une demande du commissaire Morita, la Commission de réglementation et l’Agence de l’énergie ont répondu que le démantèlement serait achevé lorsque le site ne serait plus contaminé et deviendrait une friche industrielle, avec levée des contrôles de la radioactivité. 

Or, plusieurs membres du Sous-comité, dont Sekiya, ont émis des doutes : « Est-il possible que dans 30 ans, l’enlèvement de tout le corium soit terminé et que toute contamination du site ait disparue ? Si c’est à cause de cet objectif que le nombre de réservoirs doit être réduit à zéro dans 30 ans, et que c’est pour cela qu’il faut décharger les eaux dans l’environnement, l’hypothèse du calendrier semble sans fondement dans la mesure où le corium sera toujours là dans 30 ans ». L’Agence de l’énergie et TEPCO ne cessaient de scander : « Le démantèlement dans 30 ans est l’objectif ! » et ils ont mis fin à la discussion en disant : « Ce Sous-comité doit discuter de l’eau traitée par ALPS, ce n’est pas un lieu pour discuter du démantèlement ».

 

Mise en dangers, perspectives et solutions

  • La recherche sur la séparation du tritium des eaux traitées par ALPS

Comme les déversements projetés de Fukushima Daiichi ont une teneur en tritium inférieure à celle de centrales nucléaires en exploitation, les pronucléaires ont conclu que l’environnement est préservé. C’est oublier que les eaux contaminées de Fukushima Daiichi ne contiennent pas que du tritium, mais 62 autres radionucléides (1) dont les effets ne sont pas contrôlés. 

[…]

De plus, en 2016 le Groupe de travail n’a trouvé « aucune technologie efficace » pour séparer le tritium de l’eau traitée par ALPS. Le METI à l’époque était dans l’attente de réponses aux appels d’offres qu’il avait lancés au sujet de la recherche d’une technologie pour la séparation du tritium. A partir de 2021, TEPCO a pris le relais du METI. Actuellement en 2023, les candidatures continuent d’affluer du monde entier et le sixième appel d’offre est en cours. (…) Depuis que TEPCO, une entreprise privée, a remplacé l’Agence de l’énergie du METI pour suivre le dossier, plus rien n’est transparent. En conclusion, si une technologie efficace de séparation du tritium voit le jour, on ne pourra pas l’appliquer aux eaux qui ont été déjà déversées. 

  • Le tritium japonais est l’arbre qui cache la forêt
    Comme en plus du tritium, 62 autres radionucléides dans les eaux stockées dans les réservoirs font l’objet de filtration par le système ALPS, faire porter le débat uniquement sur le tritium uniquement me semble être une stratégie de diversion irresponsable. La demi-vie du carbone 14, le nucléide le plus important après le tritium, est de 5730 ans, tandis que celle de l’iode 129 est de 15,7 millions d’années. Que se passera-t-il au bout de 100 ou 200 ans si nous continuons à rejeter dans l’environnement de l’iode 129, dont la demi-vie est de 15,7 millions d’années ? Aucune estimation de ce type n’a été faite et il n’existe aucune réglementation. J’ai posé la question directement à TEPCO, qui m’a répondu : « Il n’y a pas de réglementation selon le droit national ».
    Lors du déversement du 24 août 2023, ont été libérés dans l’environnement océaniques environ 1,1 trillion de Bq de tritium, 15,58 millions de Bq d’iode-129 et 109 millions de Bq de carbone-14. Le tritium diminuera de moitié tous les 12 ans, mais l’iode-129 et le carbone-14 resteront presque éternellement.
Déverser l’eau contaminée de la centrale de Fukushima dans l’océan, ça n’a pas de sens !

De plus la contamination par le césium 137 est toujours en cours. En effet, des poissons pêchés au large du département de Fukushima et dont la concentration dépasse 100 Bq/kg ont été découverts ces dernières années. En juin dernier, un sébaste dont la concentration atteignait 18 000 Bq /kg a été retrouvé dans le port de Fukushima Daiichi. Les eaux souterraines dans la zone de la digue entre les bâtiments du réacteur et la mer sont encore à leurs niveaux les plus élevés de césium 137 et de strontium 90 en de nombreux endroits en cette année 2023. Cela signifie que des voies de fuite d’eaux souterraines contaminées dans la mer doivent exister. Le problème actuel de la contamination des poissons par le césium devrait être résolu avant de rejeter de « l’eau traitée » dans la mer ! 


  • Promesses faites à la Fédération départementale de la pêche.
    Lorsque les eaux souterraines contaminées du site, y compris les eaux de dérivation et de sous-drainage, étaient traitées et rejetées en mer, la fédération départementale de la pêche a donné son accord à contrecœur, mais il ne s’agissait pas des eaux traitées par ALPS. Un document au nom du président de TEPCO a été publié stipulant que « l’eau traitée par ALPS ne sera pas rejetée sans l’accord de toutes les parties concernées ». Promesse non-tenue, car TEPCO a accepté la décision du gouvernement.

  • Manipulation médiatique

Un collectif pour l’étude de la manipulation de l’opinion publique par Dentsu [ La plus grande entreprise de publicité au Japon : https://www.dentsu.co.jp/en/ NDT ] en relation avec l’accident de la centrale nucléaire de TEPCO Fukushima Daiichi analyse les documents issus des demandes de communication d’informations en rapport avec les activités de Dentsu. Quels budgets, quels partenaires ? Autant d’argent qu’aux lendemains de l’accident a été dépensé pour « l’eau traitée » par ALPS et son déversement dans l’océan ! Nous savions déjà que depuis les lendemains de l’accident, Dentsu avait comme objectif de « dissiper les inquiétudes ». On peut en conclure que Dentsu, qui a un pouvoir d’influence au niveau médiatique, est en fait au service du gouvernement. 

  • Mettre fin à la production d’eau contaminée, attendre les résultats des recherches sur la séparation du tritium, contrôler tous les radionucléides et pas seulement le tritium !

Les eaux souterraines s’écoulent quotidiennement dans les sous-sols des bâtiments des réacteurs. Elles sont la source des eaux hautement contaminées qui sont générées chaque jour. Tout d’abord, il faudrait arrêter l’écoulement des eaux souterraines dans les bâtiments en construisant un mur de séparation, par exemple, pour les canaliser. Si on n’arrive pas à le faire et si l’on déverse « l’eau traitée » par ALPS dans l’océan, on continuera à la rejeter dans l’océan indéfiniment. Enfin il est urgent d’accélérer les consultations pour trouver un moyen de séparer le tritium de l’eau et que des contrôles soient mis en place pour mesurer la radioactivité de tous les radioéléments. On peut douter de la prise en compte de ces perspectives. Quant à la question de savoir à quelle date l’eau contaminée sera égale à zéro, TEPCO reste muet. Apparemment, il n’y a aucun moyen de le savoir.


Toutes les images ont été préparées et fournies par Ken Oshidori sauf si un autre crédit figure sur la photo.


 

(1) Parmi les radionucléides censés être présents dans les eaux, 29 font l’objet de mesure avec le consentement de la Commission de règlementation. En outre, TEPCO effectue les mesures de 39 autres nucléides à sa propre initiative. Les résultats de mesure de ces 68 nucléides, de tritium et d’autres substances chimiques sont publiés dans leur site web. À regarder ici le résultat des mesures du 21 septembre 2023. Sur les radionucléides restants, voir aussi cet article : « Des fuites plus conséquentes et de l’eau contaminée en pagaille », dans https://www.fukushima-blog.com/2021/03/fukushima-daiichi-l-actualite-du-11-mars-2021.html

 

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Lire l’article source de Nos Voisins Lointains 3.11 :

https://nosvoisinslointains311.home.blog/2023/10/16/deverser-leau-contaminee-de-la-centrale-de-fukushima-dans-locean-ca-na-pas-de-sens/

 

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13 septembre 2023 3 13 /09 /septembre /2023 06:00

[Texte extrait de la newsletter de l’Observatoire du nucléaire - www.observatoire-du-nucleaire.org - Actualité du nucléaire en France et dans le monde - Été 2023 (juin, juillet, août)]

 

Le Japon autorise le rejet des eaux de Fukushima, malgré les oppositions multiples

Le Monde, 22 août 2023 : https://urlz.fr/ni40

 

Dilution dans le Pacifique de l’eau souillée de Fukushima, une solution insoluble

Libération, 22 août 2023 : https://urlz.fr/ni54

 

Avant le rejet de l’eau de Fukushima, l’angoisse des pêcheurs locaux

Le Devoir, 22 août 2023 : https://urlz.fr/ni5i

Immersion de fûts nucléaires au XXème siècle

Immersion de fûts nucléaires au XXème siècle

Une fois de plus, l'industrie nucléaire démontre qu'elle est une activité de lâches qui se permettent de condamner l'avenir de nos enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, etc.

Après avoir rejeté des centaines de milliers de fûts dans les océans (cf. illustration) dans les années 60, 70 et 80, elle projette d'enfouir sous terre des quantités astronomiques de déchets et, désormais à Fukushima, de rejeter dans l'océan Pacifique des millions de litres d'eau contaminée par le refroidissement des réacteurs en fusion depuis le 11 mars 2011.

En effet, le premier ministre japonais Kishida a validé mardi 22 août ce déversement indécent, cynique, méprisant (pour la nature et les êtres vivants) et irresponsable qui doit durer pas moins de TRENTE ANS !

L'industrie nucléaire est incapable de s'occuper de ses excréments, mais elle veut quand même perpétuer son activité criminelle, par exemple avec les projets de nouveaux réacteurs en France.

Les adeptes de la religion nucléaire prétendent qu'il n'y a « aucun risque » (bien sûr), ils ne se rendent même pas compte à quel point leurs actes sont injustifiables. Il faut aussi rappeler les rejets continuels des centrales et autres installations (en particulier l'usine de La Hague en France) en fonctionnement « normal » ...

(...)

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Lire la suite de l’excellente lettre de Stéphane Lhomme

- Eau contaminée de la centrale nucléaire de Fukushima :
c’est parti pour trente ans de rejets dans le Pacifique !

- Relance du nucléaire… et des antinucléaires ?
- De nouveaux réacteurs annoncés en France...
- ...mais EDF est incapable de les construire !
- Inouï : l’EPR2 gardera diverses tares de l’EPR !
- Chine, Angleterre : les EPR, toujours plus défaillants…
- UE : chantage désespéré de Macron pour sauver l’atome
- Non, l’hydrogène ne va pas sauver le nucléaire
- Qui croit encore aux Petits réacteurs modulables (SMR) ?
- Nucléaire : un festival délirant d’effets d’annonces !
- Le flop du prétendu "retour en grâce" du nucléaire
- Le tsunami des renouvelables submerge l’atome
- Faillite du nucléaire français : la faute « aux autres » !
- Uranium : du Niger à l’Asie, la dépendance énergétique
- Humour : « planning respecté » pour Brennilis !
- Combattre les incendies… avec de l’eau radioactive !
- Nucléaire : Macron bloque les sanctions contre la Russie
- Du déjà vu : le gouvernement sabote les économies d’énergie

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Autres articles sur le même sujet

 

Début du rejet en mer de l’eau contaminée traitée à la centrale de Fukushima daï-ichi (ACRO)

À Fukushima, le rejet des eaux de la centrale est vécu comme une trahison (Médiapart)

Prise de position de la National Association of Marine Laboratories (english)

Prise de position de la National Association of Marine Laboratories : traduction française ci-dessous par Evelyne Genoulaz + revue de presse

Revue de presse sur l'opposition au rejet des eaux contaminées (Javale Gola, Groupe Facebook Fukushima Informations))

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26 mars 2023 7 26 /03 /mars /2023 10:08

Décidemment, la catastrophe de Fukushima n’en finit pas. Après les explosions des unités 1, 2, 3 et 4 en 2011, la pollution majeure générée au Japon et dans le Pacifique, le déplacement de 160 000 habitants, la menace d’effondrement de la piscine du réacteur 4 de 2011 à 2014, la détection de centaines de cancers de la thyroïde chez les enfants de Fukushima, la menace d’effondrement de la piscine du réacteur 3 jusqu’en 2021, c’est au tour du réacteur 1 de faire parler de lui en constituant une nouvelle menace majeure : la cuve pourrait s’effondrer à cause d’un tremblement de terre en remettant en cause le démantèlement et surtout en risquant de provoquer une nouvelle pollution atmosphérique. Petit historique et état actuel.

 

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Construite à partir de 1967, l ’unité 1 de Fukushima Daiichi a été la première installation du site à être mise en service en 1971 (modèle : Mark 1, General Electric).

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

En 2011, alors que le réacteur vient d’être vérifié et validé pour 10 ans supplémentaires, le grand séisme vient tout chambouler. 24 h exactement après le tsunami, le bâtiment réacteur n° 1 explose.

 

Toute la partie supérieure du bâtiment réacteur s’est volatilisée, faisant de gros dégâts à la surface technique (niveau 5) et ne laissant en place que les poutres métalliques des murs. Ce qui a fait croire que seul le haut du bâtiment avait été affecté par l’explosion d’hydrogène.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Très rapidement, Tepco décide de couvrir le bâtiment réacteur avec une bâche étanche afin que la forte radioactivité qui s’en échappe soit contenue et ne pollue pas plus le site alentour.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

La question à l’époque était : si ce n’était qu’une explosion d’hydrogène, pourquoi diable une pollution radioactive majeure ?

Revenons au bâtiment : cette vue aérienne prise juste après l’explosion montre que le toit s’est effondré sur la surface technique :

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

En 2017, soit 6 ans après l’explosion, les débris n’étaient pas encore totalement dégagés mais on commençait à y voir plus clair et des investigations ont pu être menées.

Photo Tepco 2017

Photo Tepco 2017

Les photos diffusées par Tepco cette année-là ont permis de se rendre compte de l’étendue des dégâts dans l’étage inférieur à la surface technique, le niveau 4.

Plafond du niveau 4 éventré

Plafond du niveau 4 éventré

Condenseurs dont l’isolation est décollée

Condenseurs dont l’isolation est décollée

On s’est rendu compte que l’explosion avait été assez puissante pour soulever de grosses dalles de béton, comme ça a été le cas pour le couvercle du sas d'accès matériel (1,5 t) :

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Observons maintenant tout ce qui concerne la partie autour du réacteur. Grâce à une représentation schématique fournie par Tepco, on voit bien comment sont disposées les différentes parties du bâtiment : l’enceinte de confinement, en forme d’ampoule, surmontée du puits de cuve et de dalles anti-missiles sensées non pas protéger le réacteur en cas de guerre mais d’éviter à des barres de contrôle ou de combustible de remonter violemment au niveau de la surface technique en cas de perte de contrôle du réacteur. A droite du puits de cuve, nous voyons la piscine d’équipement qui sert à entreposer du matériel radioactif lors de l’entretien et des changements des barres de combustible, tandis qu’à sa gauche, on voit la piscine de combustible usé, appelée aussi piscine de désactivation. On ne voit pas l’intérieur de l’enceinte de confinement où se trouve la cuve du réacteur, là où on entretient la réaction en chaîne pour produire de la chaleur.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Un autre schéma de Tepco montre plus précisément la dalle anti-missile qui se compose en fait de 3 couches.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Chaque couche est composée de 3 éléments jointifs. La dalle anti-missile est donc composée de 9 éléments formant pour chaque niveau 3 cylindres superposés. J’ai calculé le volume de cet ensemble (environ 220 m3) et l’ai multiplié par la densité du béton armé (autour de 2,3 t/m3), ce qui donne une masse totale d’environ 500 t.

Dalles jointes en feuillure

Dalles jointes en feuillure

L’état de la surface technique découvert par Tepco montre que l’explosion a tout détruit : le pont roulant s’est plié et effondré en partie ; la machine de chargement de combustible est aussi déformée. Mais le plus surprenant est que la dalle anti-missile est sortie de son emplacement. Ce qui signifie très explicitement qu’une explosion a eu lieu dans le puits de cuve et non pas seulement dans le hall du niveau technique.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Les schémas suivants montrent que c’est le grand bazar dans le puits de cuve, les éléments du niveau inférieur s’étant effondrés sur le couvercle jaune de l’enceinte de confinement.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer
La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Lors de ces investigations, Tepco a réalisé des mesures de doses aux abords des dalles et à différents endroits accessibles sous le premier niveau de dalles. On voit par exemple qu’un point en bordure du puits est mesuré à plus de 0,5 Sv/h.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Sous la dalle supérieure, la mesure est de 2,2 Sv/h. Pour un liquidateur qui resterait à cet endroit une heure, cette dose provoquerait un syndrome hématopoïétique (les populations de lymphocytes et globules blancs diminuent considérablement). D’où l’impossibilité de démanteler le réacteur pour l’instant.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Regardons maintenant sous ces dalles. Des caméras y ont été dirigées en passant par les interstices entre les éléments. Mais tout d’abord, voici un écorché du réacteur montrant où se situent la cuve et le couvercle (jaune) qui ferme l’enceinte de confinement, juste en dessous des dalles anti-missiles.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Voici une photo reconstituée du couvercle de cuve. Celui-ci ne semble pas avoir bougé.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Le couvercle de la cuve est bien resté en place, la preuve en est cette photo du couvercle boulonné :

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Le problème, c’est que durant la fusion du combustible, la chaleur était telle que l’acier des boulons s’est dilaté, que le joint entre le puits de cuve et son couvercle n’a plus rempli son rôle et que l’hydrogène produit à l’intérieur de la cuve et les gaz et particules radioactives ont pu fuir vers le puits de cuve. Les deux photos suivantes montrent le couvercle, dont la peinture jaune d’origine a perdu son éclat suite à la trop grande chaleur, et son joint dilaté.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Dans l’écorché suivant, nous voyons comment est disposé la cuve dans l’enceinte : elle repose sur un socle cylindrique en béton, formant une cavité en son centre. Ce socle a une hauteur de 7 m, un diamètre intérieur de 5 m et un diamètre extérieur de 7,40 m. Il pèse 480 t.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Et c’est là que les choses se gâtent.

Après la formation du corium, ce dernier a percé le fond de cuve et est tombé dans le fond de l’enceinte de confinement, à la base du socle. Si le corium a le pouvoir de fondre l’acier, il peut également manger le béton. C’est ce qu’il se produisit et qui a été révélé en 2022. Non seulement il a creusé son nid dans la dalle de base de l’enceinte, mais il aurait aussi rogné le béton du socle sur une hauteur, selon le schéma ci-dessous, de 2 m et une épaisseur d’environ 0,60 m, laissant l’armature en acier à nu.

(source dessin : Morishige)

(source dessin : Morishige)

Sur la photo suivante prise à l’aide d’un robot, on voit l’armature en acier du socle et des stalactites de corium dans la partie supérieure.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Mais où est parti le corium ? La photo suivante nous donne un élément de réponse : elle montre une coulée de corium empruntant le tuyau de raccordement de l’enceinte à la piscine torique qui se trouve à la base du réacteur.  

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Ces découvertes sont très inquiétantes. La cuve pesant 1000 t et le socle pesant 480 t, c’est près de 1500 t que doit supporter la base du socle qui ne tient plus qu’avec de la ferraille corrodée. Au premier tremblement de terre un peu violent (avec de fortes accélérations au sol), c’est l’ensemble de la cuve qui risque de s’effondrer au fond de l’enceinte de confinement, rendant le démantèlement impossible. 

 

C’est un nouveau défi que doivent relever les ingénieurs de Tepco et de l’IRID (International Research Institute for Nuclear Decommissioning)* : comment consolider un socle dans un milieu hyper-radioactif, inondé et quasi inaccessible ?

 

Et une autre question découle de cette découverte : quel est l’état des deux autres réacteurs (n° 2 et 3) qui ont subi également une fusion du cœur et un écoulement de corium dans leur enceinte de confinement ?

 

Le béton, même armé, n’est pas éternel. Il est reconnu que les constructions en béton armé commencent leur fin de vie au bout de 50 ans à cause de la carbonatation : le CO2 se dissout dans le ciment qui se fragilise, ce qui permet la corrosion des aciers. On estime ainsi que la durée de vie normale des immeubles construits en béton est de soixante-dix à cent ans. Par exemple, la Chapelle de Rondchamp de Le Corbusier, construite en 1954, est rénovée en 2022-2024. Ainsi, le réacteur 1, construit en 1967-1971, aurait pu durer jusqu’en 2040 s’il n’y avait pas eu la fusion du cœur, l’explosion et le séisme. À cause de la catastrophe, il a vieilli d’un coup et on découvre, 12 ans après, qu’il est toujours une menace permanente.

 

On découvre également que l’industrie nucléaire cache l’essentiel, en particulier en France : le message est depuis 12 ans que, le corium étant refroidi, tout est sous contrôle. Et comme vous venez de l’apprendre, il n’en est rien.

 

Pierre Fetet

 

 

Plus de photos sur l'état du socle de cuve :

http://www.fukushima-blog.com/2022/02/le-corium-du-reacteur-1-visible.html (14-02-2022)

 

________________________________

* Les 19 membres de l’IRID :

Agences nationales de recherche et développement

Japan Atomic Energy Agency

National Institute of Advanced Industrial Science and Technology

 

Fabricants de centrales nucléaires

Toshiba Energy Systems & Solutions Corporation

Hitachi-GE Nuclear Energy, Ltd.

Mitsubishi Heavy Industries, Ltd.

ATOX Co., Ltd.

Tousou Mirai Technology Co., Ltd.

 

Compagnies d’électricité

Hokkaido Electric Power Co., Inc.

Tohoku Electric Power Co., Inc.

Tokyo Electric Power Company Holdings, Inc.

Chubu Electric Power Co., Inc.

Hokuriku Electric Power Company

The Kansai Electric Power Comapany, Inc.

The Chugoku Electric Power Co., Inc.

Shikoku Electric Power Company, Inc.

Kyushu Electric Power Company, Inc.

The Japan Atomic Power Company

Electric Power Development Co., Ltd.

Japan Nuclear Fuel Limited

__________________________________

Sources des illustrations : Tepco et IRID

 

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Rapport Tepco du 29 mars 2023

Rapport Tepco du 29 mars 2023

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Edit du 25/09/2023 :

Selon Tepco, au pire, tout ira bien !

Voir la vidéo de Tepco ici : https://www.tepco.co.jp/library/movie/detail-j.html?catid=61709&video_uuid=15084&fbclid=IwAR3k4p8fX1sMY3vgGt5r3A5UaWiFAw1CpNXjrEpGAeG6ZJz9TxHu7Vjf3wY

 

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Màj : 04/04/2023 : ajout de la source du schéma (Morishige) ; édit du 25/09/2023

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15 mars 2023 3 15 /03 /mars /2023 00:03
Ludovic Dupin : « Alors ça, Madame Lepage, c’est un gros mensonge ! » (capture d'écran)

Ludovic Dupin : « Alors ça, Madame Lepage, c’est un gros mensonge ! » (capture d'écran)

À la fin du débat de l’émission 28 Minutes du 14 mars 2023 (Relance du nucléaire à tout prix ?) sur Arte, Ludovic Dupin, directeur de l’information de la Société Française de l’Energie Nucléaire (SFEN) et Corinne Lepage, avocate spécialiste en droit du développement durable, nous ont livré un moment d’anthologie ! Voici la transcription du dialogue :

 

Ludovic Dupin (19:48) : Le nucléaire est l’énergie qui a le moins d’impact environnemental en matière d’empreinte des territoires, d’émission de CO2, …

Corinne Lepage : Oui mais enfin pour le reste c’est pas terrible…

LD : Ben non, surtout, les déchets ne sont pas en contact avec la nature, ça n’émet pas de carbone, …

CL : Oui parce que ça n’émet rien du tout, ça n’émet pas de déchets radioactifs, ça n’émet pas d’émissions… c’est pour ça que toutes les installations ont des autorisations de polluer l’air et l’eau de manière radioactive et chimique !

LD : Alors ça, Madame Lepage, c’est un gros mensonge ! Il n’y a pas de pollution de l’eau par le nucléaire !

CL : Bah bien sûr que si !

LD : Et tous les déchets n’ont aucun contact avec la biosphère.

CL : Mais bien entendu !

LD : Quelles sont…?

CL : Vous avez des rejets radioactifs liquides et des rejets radioactifs gazeux, Monsieur !

LD : Quelles sont vos sources ?

CL : Vous regardez n’importe quelle autorisation – je vous assure dans ma vie, j’en ai vu des paquets – vous avez pour chaque installation une autorisation de rejets radioactifs liquides, une autorisation de rejets radioactifs gazeux. *

 

(*) Exemple : bilan de Golfech en 2012 : http://www.sortirdunucleaire75.org/pdf/2012_Bilan_Golfech.pdf

 

Ludovic Dupin s‘est grillé tout seul.

 

C’est assez incroyable de voir un communicant du lobby nucléaire découvrir en direct à la télé que les centrales nucléaires polluent l’eau ! Grand merci à Corinne Lepage d’avoir terminé magistralement ce débat.

 

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Le deuxième énorme mensonge de la SFEN

Ludovic Dupin (17:24) : « Le nucléaire n’est pas un très grand consommateur d’eau. Si on prend le cas du Rhône où il y a 14 réacteurs nucléaires – c’est le fleuve qui est le plus entouré de réacteurs – on consomme 2 % du débit du Rhône. C’est incomparable par rapport aux villes qui sont sur le réseau, sur l’industrie, à l’agriculture qui est le principal consommateur et à l’eau sanitaire. »

C’est totalement faux. En 2020 par exemple, la centrale de Tricastin (4 réacteurs) a prélevé 4,8 milliards de mètres cubes dans le Rhône, ce qui est presque autant que la somme des prélèvements d’eau douce de surface pour la production d’eau, l’agriculture et l’industrie sur l’ensemble de la France (5 milliards de mètres cubes en 2018) (source). En tenant compte de la différence entre l’eau prélevée (qui est rendue en partie au fleuve) et l’eau consommée (qui ne revient pas dans le fleuve), la Criirad a calculé, selon les données des exploitants, que l’eau prélevée était restituée en moyenne à 76 %. Les centrales nucléaires avec tours aéroréfrigérantes consomment donc en moyenne 24 % de l’eau prélevée. Ainsi, le seul prélèvement de la centrale de Tricastin (4 réacteurs) consomme 2 % environ du débit du Rhône. Les 10 autres réacteurs consommant également de l'eau, la consommation totale est donc bien supérieure aux 2 % annoncés par Ludovic Dupin !

 

Pierre Fetet

Répartition des volumes d'eau douce prélevée, par usage et milieu, en 2018, en milliards de mètres cubes (SDES 2021)

Répartition des volumes d'eau douce prélevée, par usage et milieu, en 2018, en milliards de mètres cubes (SDES 2021)

MaJ : ajout de "La SFEN démasquée" dans le titre (15/03/23, 9:54) ; ajout du bilan de Golfech (17/03/23, 16:32) ; ajout du paragraphe "Le deuxième énorme mensonge de la SFEN" et de l'image sur l'eau (19/03/23, 23:20) ; correction du dernier paragraphe (24/04/23)

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15 janvier 2023 7 15 /01 /janvier /2023 23:03

Jean-Marc Royer a écrit Le monde comme projet Manhattan. Des laboratoires du nucléaire à la guerre généralisée au vivant, (traduit en espagnol, bientôt en italien, épuisé en français, mais l'auteur cherche un nouvel éditeur) et de « Carnets de guerre » disponibles sur les sites fukushima-blog.com et autrefutur.net. Une fois n’est pas coutume, éloignons-nous de Fukushima Daiichi et découvrons cet entretien inédit sur « la banalisation radicale du mal ».

Hanna Arendt en 1944 et Günter Anders en 1949 (composition d’après une photo de Fred Stein (à gauche) et d’un photographe inconnu)

Hanna Arendt en 1944 et Günter Anders en 1949 (composition d’après une photo de Fred Stein (à gauche) et d’un photographe inconnu)

Sur la base de vos travaux, vous écrivez, vous inspirant d'Hannah Arendt, que « l'industrie nucléaire est une « banalisation radicale du mal », pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?

Jean-Marc Royer : Cette affirmation repose sur une recherche dans trois domaines : l’élaboration des faits, leur analyse et une réflexion philosophique. Accéder aux faits n’est pas si facile, surtout à l’heure de la post-vérité issue des Gafam : en outre, les contre-pouvoirs qui faisaient ce travail se sont évanouis et le nucléaire touche à un « domaine réservé » des États dans un contexte historique où perdure ce que j’appelle un « négationnisme » à ce sujet. Je suis donc allé examiner les archives états-uniennes pour comprendre ce qui s’était réellement passé au début l’ère nucléaire avec le projet Manhattan. J’ai entre autres choses découvert qu’avant Hiroshima, le 16 juillet 1945 dans l’État du Nouveau Mexique, lors de l’explosion d’une première bombe au plutonium appelée « Gadget », le rebond d’intensité des radiations sur site quinze jours après montrait que les radionucléides avaient fait le tour de la Terre. Autrement dit, à partir de ce jour, tout le vivant, à des degrés divers, fut atteint et en toute connaissance de cause. Cette expansion radioactive globale fut ensuite confirmée par l’analyse des carottes glacières antarctiques dans lesquelles chacune des centaines d’explosions atmosphériques suivantes ont laissé leurs empreintes. Aujourd’hui, même l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire – qui est le « bras armé » de l’Autorité de sûreté nucléaire – publie des cartes donnant à voir la « trajectoire circum-terrestre d’un panache radioactif consécutif à un essai nucléaire ». Sans pouvoir entrer dans les détails de cette caractérisation ici, le nucléaire doit donc être compris comme un crime contre l’Humanité et un écocide. En faire l’impasse serait une grave erreur politique, philosophique et théorique.

Ce qui était vrai en 1945 pour une bombe de quelques kilotonnes le fut, ô combien, pour l’explosion de bombes mille fois plus puissantes ou lors des disséminations dues à l’exploitation des réacteurs et à leurs premiers accidents majeurs, dès 1957. Mais cette connaissance avérée n’a en rien freiné le développement du nucléaire, au contraire. C’est en partie cela, la « banalité du mal » moderne décrite par Arendt à propos du nazisme : un crime de masse commis par des personnes – scientifiques, militaires, responsables politiques – qui « font leur part » dans une division infinitésimale du travail, caractéristique essentielle du capitalisme thermo-industriel. Avec le nucléaire, cette banalité du mal est devenue « radicale » car pérenne, universelle et attentatoire aux fondements même de la vie, y compris génétiques. Alors que donner une sépulture aux êtres humains décédés caractérisait un pas supplémentaire dans le processus d’hominisation depuis Néandertal, cela ne fut pas possible et ne le sera jamais pour les dizaines de milliers de personnes volatilisées en une seconde à Hiroshima ou à Nagasaki : il y eût là une régression inédite dans notre histoire. Comme l’a fait remarquer Günther Anders, face à l’ampleur d’un cataclysme qui dépasse largement notre entendement et notre psyché, chaque être humain tend à se protéger ; mais c’est malheureusement en grande partie sur ce refoulement que s’appuie le « négationnisme nucléaire » des institutions internationales et des Etats. En outre, avec le nucléaire nous touchons au plus profond de la civilisation capitaliste thermo-industrielle, à son l’essence, c'est-à-dire la mort.

 

Comment cela ?

Pour le saisir, il faut entreprendre un long détour afin d’intégrer l’avènement du nucléaire dans l’histoire longue. Je ne peux le faire ici qu’au prix de raccourcis simplificateurs, mais essayons. Entre 1850 et 1900 en Occident, nous assistons à une convergence entre le développement des grandes industries du capitalisme, celui des États-nations et du mode de connaissance scientifique moderne. Celui-ci se distingue des formes anciennes de connaissance par ses trois éléments constitutifs : la réduction mathématique et géométrique du monde en écartant le sensible ; la preuve expérimentale avec Lavoisier ; la validation par les « pairs » sous la forme de revues à comité de lecture (Science, Nature) ou de congrès internationaux [1]. La philosophie et les savoirs ancestraux sont alors écartés par une nouvelle vérité qui se veut exclusive et universelle : la vérité scientifique.

Accumulation faramineuse du capital, État-nation moderne, institutions de la connaissance scientifique : c’est ainsi qu’une nouvelle civilisation advient sous l’impulsion de cette « triple alliance » de fait. Les rapports sociaux anciens s’en trouvent profondément bouleversés, ce qui peut être résumé par la formule : « le progrès, c’est gouverner les humains comme des choses » afin d’en tirer le maximum. Il s’en suit une formidable prolétarisation (Marx), c’est à dire un dessaisissement de l’être qui, « corps et âme », ne s’appartient plus, ce qui est redoublé par l’intériorisation d’un Imaginaire rationnel-calculateur qui s’oppose radicalement à la vie.

Quoi d’étonnant à ce que l’eugénisme naisse à ce moment-là et devienne rapidement populaire, notamment dans certains pays anglo-saxons, nordiques ou protestants ? Ce sont d’abord les animaux qui ont été sélectionnés de manière scientifique par l’American Breeders Association qui possède depuis 1903 une section d'eugénisme où collaborent biologistes, médecins, chirurgiens et sociologues. Dès 1909 en Indiana, puis ailleurs, des lois permettront de ficher des milliers de familles et leurs ascendants afin « d’améliorer » leur hérédité et celle des habitants du comté.

De l’organisation scientifique de la sélection à celle du travail (à la chaîne), l’écrivain Upton Sinclair en racontera la violence extrême, dans son roman La jungle (1905) qui se déroule dans les abattoirs de Chicago où sont quotidiennement acheminés par wagons à bestiaux des milliers de bêtes depuis tout le pays. C’est une violence faite aux animaux et aux hommes : lorsqu’un accident se produit, on ne retire pas les corps humains tombés dans les cuves de Corned Beef afin de ne pas arrêter la production. Autrement dit, à l’ère du capital, rien ne se perd, rien ne se créée, tout se transforme… en plus-value.

L’eugénisme de masse, les corps traités industriellement, sont les prolégomènes du nazisme dès le début du siècle. Avant même Auschwitz-Birkenau, il y eut en 1904 les camps de la Mort Namibiens ou Eugène Fisher (l’inspirateur de Mein Kampf, le professeur de Mengele et l’ami fidèle de Heidegger jusqu’à sa mort) faisait déjà des expériences sur le corps des africains et trente ans après l’Aktion T4 (1939-1941), un programme qui a réduit en cendres des dizaines de milliers « d’incurables, improductifs et nuisibles », sélectionnés par des médecins. Pour que ceux qui ont prêté le serment d’Hippocrate en arrivent au meurtre de masse, il faut certes que des institutions les aient enrôlés, mais il faut également comprendre qu’ils étaient mus par un puissant Imaginaire qui les y poussait, c’est-à-dire un imaginaire structuré par la rationalité calculatrice qui est structurellement transgressive par rapport à la vie.

Les crimes d’Hiroshima et de Nagasaki furent partout fêtés comme une « révolution scientifique majeure », sauf par Albert Camus. En 1965, certains souhaitaient même l’ouverture d’un second canal de Panama grâce à 300 explosions nucléaires [2] ! Nous refusons encore de voir à quels abîmes le culte de la mort porté par la synergie « Capital – État – mode de connaissance scientifique moderne » nous a déjà conduits. Or, le nucléaire – parce qu’il intègre la relativité et la physique des particules – est le fils aîné de la science du XXe siècle et l’expression ultime de la civilisation capitaliste.

 

Comment comprendre dans ces conditions que des écologistes, éventuellement sincères, soit, tergiversent pour en finir avec la production électro-nucléaire « d'ici 2045 » (Jadot), soit, au pire, y sont dorénavant favorables, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique ?

Pour plusieurs raisons, difficiles à expliquer en quelques mots, le mouvement anti-nucléaire des années 1970 n’a pas qualifié le nucléaire de crime contre l’Humanité accompagné d’un écocide en tant que tels. Cela aurait évidemment donné une tout autre dimension philosophique et politique à cette lutte. Malheureusement, ce type de carence dans l’analyse perdure à présent : par exemple, rien de sérieux n’a été entrepris pour démonter la fable d’une « énergie nucléaire verte ou décarbonnée ». En conséquence de cette lacune, il y a dorénavant peu de différences entre certains écologistes et nos nucléocrates européens : les uns et les autres croient à une « transition verte » dans laquelle se discute la place et la proportion du nucléaire, soit une démarche gestionnaire typique du capitalisme. Cela illustre à quel point il est difficile de nous déprendre de l’imaginaire rationnel-calculateur que véhicule cette civilisation, laquelle sera sans doute aussi la plus courte de toutes celles vécues par les êtres humains. N’oublions pas qu’entre sa cristallisation et l’accomplissement de son essence - Auschwitz et Hiroshima – il ne se sera passé qu’un demi-siècle dont une « guerre de Trente ans » (1914-1945) comme le disent les historiens Éric Hobsbawm et Enzo Traverso. Une guerre industrielle, totale et mondiale débutée dans les tranchées, et qui, bien au-delà d’une simple brutalisation des mœurs comme l’avance George Mosse, a engendré des millions de morts, d’immenses régressions et les effondrements sociétaux que l’on sait. Les psychés, le psychisme, la pensée, les vies, la vie ont été défaites, ce qui n’a pas favorisé la prise de conscience de ce qui se passait à ce moment-là… D’où ce qu’on a appelé « les années folles ». Il est grand temps que nous reprenions les fils de cette histoire, y compris dans et par l’élaboration théorique.

 

Et ce d’autant plus que, dans vos « carnets de guerre » à propos de la situation en Ukraine, vous écrivez qu' « un désastre nucléaire est d'actualité en Europe ». Que se passe-t-il en Ukraine en ce moment ? La situation est-elle si grave que cela ?

Précisons tout de suite que je n’ai aucune sympathie pour l’Otan, les Etats-Unis ou les responsables de ce que j’ai appelé la contre-révolution internationale des néolibéraux qui a empêché les peuples de l’Europe de l’Est de devenir maîtres de leur destin après la désagrégation de l’URSS. Mais ce qui se passe en ce moment en Ukraine est tragique, à plusieurs titres. C’est une guerre d’invasion à caractère génocidaire, avec son lot de déportations, de crimes de guerre, et qui comptait, à la fin de l’année 2022, plus de cent-cinquante mille morts civils et militaires. Et pour la première fois depuis 1945, un pays qui possède l’arme nucléaire en a envahi un autre sur le territoire duquel il y a quatre centrales, dont la plus puissante d’Europe, celle de Zaporijia, et celle de feu-Tchernobyl avec sa « zone interdite », fortement contaminée.

Une situation de guerre est excessivement instable, de tous les points de vue : un petit incident (par exemple un obus atterrissant sur un réacteur ou sur un pays non belligérant) peut avoir des suites inattendues, lesquelles peuvent à leur tour entraîner de lourdes conséquences, d’autant qu’en Ukraine le front s’étire sur près de mille kilomètres. En réalité ce front va de la mer Baltique où le gazoduc Nord-Stream 2 a été saboté, à la mer Noire avec des points extrêmement sensibles comme le couloir Suwałki (qui joint la Biélorussie à l’enclave russe de Kaliningrad), le pont de Kertch, « l’enclave » de Transnistrie etc. Beaucoup de conditions sont donc réunies pour que cela dégénère.

L’imprévisibilité accrue du pouvoir à Moscou ajoute à ces importantes incertitudes. Sans trop entrer dans les détails, disons que durant l’ère soviétique, du moins après 1953, il y avait certes un seul et unique « secrétaire général » représentant le politburo, mais au moins parlait-il au nom ce celui-ci après « délibération » ou dans la ligne édictée par le parti. Ce n’est plus le cas : suite à la décomposition de l’URSS, le pouvoir est détenu depuis 24 ans par un chef de clan qui a peu à peu mis au pas les oligarques, les siloviki (armée, polices et autres services) et assuré l’intangibilité de son pouvoir par la force, l’argent, la distribution des postes et le rappel à l’ordre en cas de besoin [3]. Il n’a notamment jamais accepté de perdre une guerre jusqu’à présent, car c’est la loi du milieu qui règne : si le chef est en échec, il sait que ses jours sont comptés.

Or, si le pays ou l’armée russe se retrouvaient dans une situation de défaite inévitable, nul ne peut dire quelle sera la réaction du chef, car nul ne le contrôle, pas même son premier cercle. Les conditions sont donc réunies pour que la situation dégénère, c’est pourquoi demeure hélas d’actualité la déclaration de Stéphane Audoin-Rouzeau : « La porte du feu nucléaire est ouverte depuis le 24 février 2022 en Europe, et à ce jour, elle n’a pas été refermée [4]. »

22 novembre 2022, relu en janvier 2023.

 

[1] Cf. à ce sujet « Capital et mode de connaissance scientifique moderne : un imaginaire en partage », in autrefutur.net.

[2] Serge Berg, à la tête de la rubrique scientifique de l’AFP, dans Sciences et Avenir n° 222, août 1965.

[3] Depuis le début de l’année 2022 quinze dirigeants économiques russes ont été retrouvés « suicidés » ou « accidentés ». Source : Wikipédia, « Oligarchie russe ».

[4] Stéphane Audoin-Rouzeau, « L’Europe dans la tourmente », France Culture 11 juillet 2022. Audoin-Rouzeau qui disait déjà depuis mars « Nous n’avons pas pris la mesure de l’évènement guerrier qui vient de s’ouvrir » dans Médiapart du 15 mars 2022.

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Entretien initialement prévu pour le journal La Décroissance (questions : Denis Bayon) non publié faute de place suffisante.

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