A la centrale de Fukushima Daiichi, l’attention a toujours été portée à juste titre sur les réacteurs et leurs piscines. Il faut évidemment les surveiller car la moitié d’entre eux comporte deux dangers : le cœur dont le combustible fondu, le corium, menace ou est en train de polluer le sol, et la piscine attenante de combustible usé qui doit impérativement être maintenue en eau pour éviter la fonte des barres d’uranium-plutonium et autres poisons.
Mais il existe un autre lieu à haut risque à Fukushima Daiichi : la piscine commune aux 6 réacteurs. Elle se situe à une cinquantaine de mètres à l’ouest de l’unité 4.
Plan de situation des différentes piscines de la centrale de Fukushima Daiichi
Situation de la piscine commune : vue d'ensemble
Vue intérieure de la piscine commune de Fukushima Daiichi
La piscine commune et son bâtiment
Comme pour les installations du centre de stockage de la Hague en France, la piscine commune de Fukushima Daiichi ne possède pas d’enceinte de confinement. Elle est protégée par un simple bâtiment qui ne supporterait pas le crash d’un avion. Rectangulaire, elle a une longueur de 29 m, une largeur de 12 m et une profondeur de 11 m. Son volume est de 3828 m3.
Vue extérieure du bâtiment (angle nord-ouest)
Suite au tremblement de terre du 11 mars 2011, le bâtiment ne semble pas avoir subi de dégât vu de l’extérieur. Mais il est tout de même probable que des dégâts aient eu lieu, d’après ce que montre une vidéo tournée le 27 mai 2011 lors de la visite des experts de l’AIEA. Dans un cliché tiré de cette vidéo, on distingue très nettement que la bordure ouest de la piscine est dégradée. Il n’est pas possible que ces froissements de tôles aient été causés par le tsunami car le niveau technique de la piscine se situe à un étage supérieur, à une dizaine de mètres au dessus du sol, et la vague à cet endroit avait une hauteur de 4 mètres maximum.
Cliché extrait de la vidéo du 27 mai 2011
Pourquoi une piscine supplémentaire ?
Pour comprendre pourquoi le site avait besoin d’une septième piscine, il faut revenir sur le fonctionnement d’une centrale nucléaire. Le principe est de produire de la chaleur dont on se sert pour produire de l’électricité, mais ce processus produit en parallèle des déchets, constitués des assemblages de combustibles utilisés dans les cœurs des réacteurs. Ces assemblages resteront hautement radioactifs durant de longues années, et de ce fait nécessitent un refroidissement permanent. Mais ces assemblages ne sont pas directement transférables.
Pour ne pas perdre de puissance, chaque cœur a besoin d’être réalimenté avec du combustible neuf. Un assemblage étant prévu pour être utilisé en moyenne 3 ans, on réalise en gros une rotation par tiers chaque année.
Une fois les couvercles de l’enceinte de confinement et de la cuve du réacteur enlevés, on inonde la cavité et on ouvre une double vanne la séparant de la piscine attenante. L’eau des deux structures se retrouve alors en communication par l’intermédiaire d’un petit canal les reliant. Le transfert des assemblages de combustible usé peut ainsi être effectué tout en conservant une hauteur d’eau suffisante au-dessus des barres, ce qui permet au personnel d’être préservé de la radioactivité.
Les assemblages devront rester dans cette piscine au moins 19 mois, jusqu’à ce qu’ils perdent suffisamment d’activité pour pouvoir être transférés ailleurs. Et cet ailleurs est, à Fukushima Daiichi, cette piscine commune, nommée également CFSP (Common Fuel Spent Pool). Car il faudra encore conserver ces barres dans l’eau durant une période variant de 10 à 20 ans, afin qu’elles perdent leur puissance résiduelle.
Ecorché de la piscine commune de Fukushima Daiichi
C’est ce qui explique l’encombrement actuel des piscines d’entreposage. Avant la catastrophe de Fukushima, le Japon envisageait la construction d’un nouveau centre de stockage, les piscines de nombreux sites nucléaires approchant le maximum de leurs capacités de stockage. Même si le programme nucléaire nippon va être amoindri, voire abandonné, il n’est pas certain que ce projet ne voie pas le jour. En effet, sortir du nucléaire ne signifie pas abandonner toutes les installations. La production d’électricité nucléaire des 40 dernières années va devoir être assumée par les générations futures durant des milliers d’années.
Un site sous surveillance
Tepco reste très discret sur cette piscine, voire ne communique pas. Pourtant c’est bien le lieu le plus dangereux du site nucléaire car la somme des déchets rassemblés en ce seul endroit est énorme : plus de 1000 tonnes de combustible usé y sont actuellement entreposées, autrement dit 6375 assemblages rassemblant plus de 400 000 barres. Le site est étroitement surveillé : lors des études géologiques, c’est toujours cet endroit précis que l’on a choisi pour faire se croiser les coupes de terrain. La construction antisismique a donc dû être très soignée, car d’une part les barres ne doivent pas s’entrechoquer, et d’autre part l’étanchéité de la piscine doit demeurer parfaite.
Les tracés des coupes géologiques se croisent exactement à l’emplacement de la piscine commune
Il est absolument nécessaire de refroidir en continu ces déchets. Sinon, en cas de dénoyage dû à l’évaporation de l’eau, les barres s’échaufferaient, se déformeraient, et finalement perdraient leur étanchéité, provoquant une pollution radioactive atmosphérique considérable. Le refroidissement de ces piscines est donc un impératif, une priorité incontournable pour la sécurité du Japon, voire du monde entier vu le nombre incroyable de tonnes de combustible entreposées en ce lieu à hauts risques (séisme possible, tsunami possible, ex-réacteurs, autres piscines en difficulté, présence d'hydrogène explosif).
Pierre Fetet
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Autres documents sur la piscine commune
Dessin de la piscine commune et d’un caisson de 90 assemblages
Photo du site nucléaire de Fukushima Daiichi au moment de la construction de la piscine commune
Photo satellite du 14 mars 2011 : le bâtiment réacteur 4 est encore intact, et le bâtiment de la piscine commune ne semble pas avoir été affecté par les explosions des bâtiments réacteurs 1 et 3.
Photo aérienne postérieure au 15 mars 2011 (cliché d’après vidéo) : l’explosion du bâtiment réacteur 4 ne semble pas avoir affecté la piscine commune.
Façade ouest du bâtiment de la piscine commune
Vue de la piscine commune (extrait vidéo du 27 mai 2011)
Vue de la piscine commune depuis le sud-ouest
Vue de la piscine commune depuis le sud-ouest
Vue au sol depuis l'est. Image tirée d'un film de Tepco (visite de la centrale)
Vue intérieure de la piscine avant l'accident (film de Tepco : visite de la centrale).
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