Le 14 mars 2011, à 11 h 01 exactement, une explosion d’une rare intensité s’est produite dans le bâtiment du réacteur n° 3 (BR3) de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Selon la seule vidéo connue, l’explosion s’est manifestée en deux temps : une première explosion est visible sur le côté sud engendrant une flamme gigantesque et, moins d’une demi-seconde plus tard, une deuxième explosion se produit de manière verticale, générant un nuage aux couleurs sombres sur plusieurs centaines de mètres de hauteur.
Les images du bâtiment réacteur diffusées après cet événement montrent que le bâtiment a énormément souffert : s'il reste 3 niveaux de poutres de béton armé côté est, les 3 autres côtés ont disparu pour cette même hauteur correspondant aux niveaux 4F, 5F et CRF du bâtiment, soit une hauteur de 23 mètres de murs détruits sur un total de 46 m.
Jusqu’à présent, l’opérateur Tepco et tous les organismes officiels ont affirmé qu’il s’agissait d’une simple explosion d’hydrogène. Pourtant, d’autres hypothèses existent et c’est l’objet de cet article de les exposer et de les analyser. Après avoir présenté succinctement le réacteur, nous observerons objectivement ce qui s’est passé, puis nous présenterons les différentes hypothèses qui tentent d’expliquer ces évènements. Enfin, nous confronterons ces propositions avec les faits relevés et nous exposerons notre point de vue argumenté.
Remarque importante au sujet du contenu de cet article :
Cet article utilise les données disponibles, à savoir les documents, vidéos et photos fournis par les médias et l’opérateur de la centrale Tepco. Ce dernier ne donne bien évidemment pas toutes les informations qu’il possède. Il partage les informations sur la centrale de manière parcimonieuse et souvent celles-ci sont décalées dans le temps. C’est l’observation de l’ensemble des données collectées depuis quatre ans qui permet aujourd’hui d’aborder l’analyse des explosions du bâtiment réacteur 3 de manière plus complète et avec plus de recul. Cet article se veut une ébauche de compréhension de l’explosion du bâtiment réacteur n° 3 de Fukushima, en fonction des connaissances actuelles. Sa présente publication sur le blog de Fukushima n’est donc pas un texte totalement abouti. Il fera l’objet de corrections et d’amendements en fonction des réactions et des informations qu’apporteront les lecteurs et des éventuelles nouveautés que diffusera Tepco dans l’avenir. Le fil des commentaires est ouvert à tous ceux qui veulent faire avancer ce dossier qui, il faut le reconnaître, est devenu tabou avec les années. Merci par avance aux contributeurs. A la suite de cela, une nouvelle version sera proposée.
Etant donné le nombre important de documents de ce dossier, celui-ci sera édité en sept parties.
Un grand merci à Phil Ansois pour la relecture finale du dossier.
PF
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Sommaire
1. Présentation du réacteur n° 3
2. Les faits
2.1. La première explosion
2.2. La seconde explosion
2.3. Les nuages de la première seconde
2.4. Direction du nuage
2.5. Les projections
2.6. Localisation des explosions
2.7. Observation du bâtiment après les explosions
2.7.1. Les murs
2.7.1.1. Face est
2.7.1.2. Face sud
2.7.1.3. Face ouest
2.7.1.4. Face nord
2.7.1.5. Élévations
2.7.2. La toiture
2.7.3. Les zones d'explosions
2.7.3.1. La zone sud
2.7.3.2. La zone nord
2.7.4. Les panaches
2.7.4.1. Juste après l’explosion
2.7.4.2. Panaches noirs
2.7.5. Les photos infrarouges
2.7.6. Les piscines
2.7.6.1. La piscine de combustible
2.7.6.2. La piscine d'équipement
2.7.7. La surface technique
2.7.7.1. Les dalles antimissiles
2.7.7.2. Les déformations du niveau technique
2.7.7.3. Le pont roulant
2.7.8. La porte de l’enceinte de confinement
2.8. La radioactivité mesurée au BR3
2.9. La poussière noire
2.10. Le son des explosions
3. Les hypothèses
3.1. L’hypothèse de l’explosion d’hydrogène
3.1.1. Le sas d'accès matériel (« equipment hatch »)
3.1.2. L’enceinte de confinement (« dry well »)
3.1.3. La cuve du réacteur (« RPV »)
3.1.4. La piscine d’équipement (« DSP »)
3.1.5. La piscine de combustible (« SFP »)
3.2. L’hypothèse d'un accident de criticité instantanée de la piscine de combustible
3.3. L’hypothèse de l’explosion de zirconium
3.4. L’hypothèse de l’explosion de vapeur
4. Critique des hypothèses par rapport aux faits constatés
4.1. Hypothèse d’une explosion d’hydrogène
4.1.1. Eléments favorables
4.1.2. Eléments défavorables
4.2. Hypothèse d’une explosion de vapeur
4.2.1. Eléments favorables
4.2.2. Eléments défavorables
4.3. Hypothèse d’une explosion de zirconium
4.3.1. Eléments favorables
4.3.2. Eléments défavorables
4.4. Hypothèse d’un accident de criticité instantanée dans la piscine de combustible
4.4.1. Eléments favorables
4.4.2. Eléments défavorables
4.4.3. Elément indifférent
5. Conclusions prenant en compte les faits et les critiques
5.1. Il s’est produit plusieurs explosions
5.1.1. Une explosion s’est produite dans la piscine de combustible
5.1.2. Une explosion s’est produite à l’intérieur de l’enceinte de confinement
5.1.3. Une explosion s’est produite au niveau 4F
5.2. Proposition de déroulement des explosions
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L’explosion de l’unité 3 de Fukushima Daiichi
Pierre Fetet
(1ère partie)
1. Présentation du réacteur n° 3
Le réacteur n°3 est un réacteur à eau bouillante de type Mark I (General Electric). Construit par Toshiba à partir de 1970, il a été raccordé au réseau en 1974 et mis en service en mars 1976. Dans le contexte de la catastrophe de Fukushima, sa particularité est qu’il est le seul des 6 réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi à avoir été chargé avec du MOX, combustible français composé d’oxydes d’uranium et de plutonium.
Voici un document technique qui détaille ce type de bâtiment réacteur en deux coupes annotées et cotées.
A quelques détails près, il est du même type que le réacteur d’Oyster Creek aux Etats-Unis dont voici un écorché légendé.
Le BR3 se compose de plusieurs niveaux de construction qui ont été décrits avec précision par Luca da Osaka sur le site italien Giappo Pazzie. Chaque niveau a un nom composé de lettres et de chiffres : B1F pour le sous-sol, 1F pour le rez-de-chaussée, 2F pour le 1er étage, 3F pour le 2ème étage, 4F pour le 3ème étage qui est celui qui abrite le condenseur et 5F pour le 4ème étage qui est le niveau de service opérationnel où sont accessibles le puits de cuve et les piscines. Le niveau CRF n’est pas un étage, c’est le niveau du grand pont roulant qui fait la largeur du bâtiment ; celui-ci sert à la manutention des conteneurs de combustible et du matériel lourd. Nous utiliserons ces dénominations le cas échéant pour plus de clarté.
2. Les faits
2.1. La première explosion
On peut visualiser cette explosion grâce à la vidéo qui a été diffusée sur les chaînes de télévision puis sur la toile. En voici une copie, composée de la vidéo originale puis d’un zoom sur le BR3.
On peut aussi avoir une vision précise de l’explosion grâce au site danois Gyldeng risgaard qui découpe la première seconde en 25 images. Nous disposons donc d'une image chaque 0,0334 seconde, selon la fluidité de la vidéo donnée par l’auteur (29,970 trames par seconde).
Le premier événement visible est l’explosion du côté sud du bâtiment réacteur. La première image (T) montre le début de la désintégration du toit du bâtiment réacteur avec un nuage sombre se formant avec une plus grande épaisseur sur le côté sud.
L’image suivante montre une flamme de couleur blanche à jaunâtre se développant sur au moins 13 m en 3,34 centièmes de seconde, c'est-à-dire avec une onde de choc se déplaçant à une vitesse initiale minimale de 389 m/s (la flamme pouvant être oblique, la vitesse est probablement supérieure). Il s’agit donc là d’une détonation, la vitesse de l’onde de choc étant supersonique (1).
(1) La vitesse du son est de 331 m/s à 0 °C, au niveau de la mer. La formule est v = 331 + 0,6 x θ, θ étant la température en degrés Celsius et v la vitesse du son. Par exemple, pour calculer la distance du point d’impact de la foudre lors d’un orage, il faut compter 3 secondes pour un kilomètre. La déflagration correspond à une vitesse d’expansion plus petite que la vitesse du son, une détonation à une vitesse d’expansion plus grande que la vitesse du son, et donc à la création d’une onde de choc supersonique.
Les images suivantes montrent le changement de couleur de la combustion, avec une flamme qui devient jaune-orange et se développe sur une longueur de plus de 20 m.
Dans le même temps, on remarque un nuage noir qui se forme du côté nord-ouest, d’abord au toit puis aux murs. On voit également du côté sud, sous et à côté de la flamme, la destruction des niveaux 5F et CRF.
Les bords de cette flamme délimitent un secteur très précis situé à l’angle sud-est du bâtiment, ce que nous analyserons plus bas.
Au bout de 2 dixièmes de seconde, la flamme commence à se retirer, comme aspirée vers le bâtiment d’où elle sort, alors qu’est en train de se produire le début de la deuxième explosion.
Il est à noter qu’en même temps, on aperçoit des lueurs au niveau de la cheminée d'évent. Elles pourraient n’être en fait que les reflets de la flamme sur les poutres métalliques blanches de la structure.
Dans le prolongement de la flamme au sud-est du bâtiment, 30 dixièmes de secondes après sa disparition, se produit un nuage persistant de couleur gris-blanc de grandes dimensions et qui reste bien visible les secondes suivantes.
2.2. La seconde explosion
Cette explosion commence à être visible à partir de 3 dixièmes de seconde sous la forme d’un nuage gris distinct des premiers panaches, au moment où la flamme du côté sud est en train de reculer. Son origine en elle-même n’est pas visible car située dans le bâtiment déjà caché par la fumée de la première explosion. C’est donc indirectement, avec le nuage spectaculaire qu’elle provoque, qu’on peut l’observer.
Ce nuage peut être visualisé seconde par seconde grâce au site déjà cité Gyldengrisgaard qui présente les 17 premières secondes. La formation globale du nouveau panache qui ressemble à une sphère à la première seconde est visuellement axée sur la cheminée d’évent. Contrairement aux autres panaches inférieurs, celui-ci monte très vite en hauteur, avec une vitesse de progression estimée à 70 m/s dans les premiers instants.
2.3. Les nuages de la première seconde
La première explosion provoque deux épais nuages qui enveloppent complètement le bâtiment. Le nuage inférieur (nuage 1) a une couleur claire et se développe de manière horizontale. Il est formé par la poussière de béton des murs qui sont volatilisés ou qui s’effondrent. Le nuage supérieur (nuage 2) a une couleur très sombre tirant vers le noir. Il se forme à la hauteur du toit et dépasse d’une dizaine de mètres le bâtiment.
La deuxième explosion produit un troisième panache (nuage 3) de couleur brune. Celui-ci semble former, au bout d’une seconde, une boule d’une soixantaine de mètres de diamètre qui monte rapidement en grossissant vers le ciel laissant une traînée verticale large d’une quarantaine de mètres sur son passage. Tout en montant, le nuage se déplace vers l’est, poussé par le vent qui, d'après la progression du nuage, a une vitesse d'environ 20 km/h. Au bout de 15 secondes après la première explosion, il atteint une hauteur de plus de 300 m.
Nous avons déjà évoqué le quatrième nuage qui est le résidu de combustion de la flamme de la première explosion, au sud-est du bâtiment.
On pourrait s’en tenir là. Toutefois, la décomposition de la première seconde donne plus d’informations encore sur l’enchainement des évènements : le nuage 3 se forme en deux temps. La formation de ce nuage débute à partir de 0,33 s uniquement du côté sud (nuage 3a), visuellement entre la flamme et la cheminée d’évent. Puis à 0,43 s se forme le nuage 3b. Ce dernier paraît plus sombre que le nuage 3a mais avec la lumière du soleil venant du sud, on ne peut rien déduire de cette différence de couleur, le nuage 3b étant à l’ombre du nuage 3a.
Le nuage 3a, qui se situe au sud – au-dessus de la piscine de combustible – a de l’avance sur le nuage 3b qui se situe au nord. Le nuage 3b rattrape la hauteur du nuage 3a en un quart de seconde : à 0,76 s, les deux nuages 3a et 3b ne forment plus qu’une seule et même masse. L’observation de ce phasage laisse penser qu’il y a eu une succession d’explosions quasi simultanées.