26 mars 2023 7 26 /03 /mars /2023 10:08

Décidemment, la catastrophe de Fukushima n’en finit pas. Après les explosions des unités 1, 2, 3 et 4 en 2011, la pollution majeure générée au Japon et dans le Pacifique, le déplacement de 160 000 habitants, la menace d’effondrement de la piscine du réacteur 4 de 2011 à 2014, la détection de centaines de cancers de la thyroïde chez les enfants de Fukushima, la menace d’effondrement de la piscine du réacteur 3 jusqu’en 2021, c’est au tour du réacteur 1 de faire parler de lui en constituant une nouvelle menace majeure : la cuve pourrait s’effondrer à cause d’un tremblement de terre en remettant en cause le démantèlement et surtout en risquant de provoquer une nouvelle pollution atmosphérique. Petit historique et état actuel.

 

-oOo-

 

Construite à partir de 1967, l ’unité 1 de Fukushima Daiichi a été la première installation du site à être mise en service en 1971 (modèle : Mark 1, General Electric).

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

En 2011, alors que le réacteur vient d’être vérifié et validé pour 10 ans supplémentaires, le grand séisme vient tout chambouler. 24 h exactement après le tsunami, le bâtiment réacteur n° 1 explose.

 

Toute la partie supérieure du bâtiment réacteur s’est volatilisée, faisant de gros dégâts à la surface technique (niveau 5) et ne laissant en place que les poutres métalliques des murs. Ce qui a fait croire que seul le haut du bâtiment avait été affecté par l’explosion d’hydrogène.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Très rapidement, Tepco décide de couvrir le bâtiment réacteur avec une bâche étanche afin que la forte radioactivité qui s’en échappe soit contenue et ne pollue pas plus le site alentour.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

La question à l’époque était : si ce n’était qu’une explosion d’hydrogène, pourquoi diable une pollution radioactive majeure ?

Revenons au bâtiment : cette vue aérienne prise juste après l’explosion montre que le toit s’est effondré sur la surface technique :

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

En 2017, soit 6 ans après l’explosion, les débris n’étaient pas encore totalement dégagés mais on commençait à y voir plus clair et des investigations ont pu être menées.

Photo Tepco 2017

Photo Tepco 2017

Les photos diffusées par Tepco cette année-là ont permis de se rendre compte de l’étendue des dégâts dans l’étage inférieur à la surface technique, le niveau 4.

Plafond du niveau 4 éventré

Plafond du niveau 4 éventré

Condenseurs dont l’isolation est décollée

Condenseurs dont l’isolation est décollée

On s’est rendu compte que l’explosion avait été assez puissante pour soulever de grosses dalles de béton, comme ça a été le cas pour le couvercle du sas d'accès matériel (1,5 t) :

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Observons maintenant tout ce qui concerne la partie autour du réacteur. Grâce à une représentation schématique fournie par Tepco, on voit bien comment sont disposées les différentes parties du bâtiment : l’enceinte de confinement, en forme d’ampoule, surmontée du puits de cuve et de dalles anti-missiles sensées non pas protéger le réacteur en cas de guerre mais d’éviter à des barres de contrôle ou de combustible de remonter violemment au niveau de la surface technique en cas de perte de contrôle du réacteur. A droite du puits de cuve, nous voyons la piscine d’équipement qui sert à entreposer du matériel radioactif lors de l’entretien et des changements des barres de combustible, tandis qu’à sa gauche, on voit la piscine de combustible usé, appelée aussi piscine de désactivation. On ne voit pas l’intérieur de l’enceinte de confinement où se trouve la cuve du réacteur, là où on entretient la réaction en chaîne pour produire de la chaleur.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Un autre schéma de Tepco montre plus précisément la dalle anti-missile qui se compose en fait de 3 couches.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Chaque couche est composée de 3 éléments jointifs. La dalle anti-missile est donc composée de 9 éléments formant pour chaque niveau 3 cylindres superposés. J’ai calculé le volume de cet ensemble (environ 220 m3) et l’ai multiplié par la densité du béton armé (autour de 2,3 t/m3), ce qui donne une masse totale d’environ 500 t.

Dalles jointes en feuillure

Dalles jointes en feuillure

L’état de la surface technique découvert par Tepco montre que l’explosion a tout détruit : le pont roulant s’est plié et effondré en partie ; la machine de chargement de combustible est aussi déformée. Mais le plus surprenant est que la dalle anti-missile est sortie de son emplacement. Ce qui signifie très explicitement qu’une explosion a eu lieu dans le puits de cuve et non pas seulement dans le hall du niveau technique.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Les schémas suivants montrent que c’est le grand bazar dans le puits de cuve, les éléments du niveau inférieur s’étant effondrés sur le couvercle jaune de l’enceinte de confinement.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer
La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Lors de ces investigations, Tepco a réalisé des mesures de doses aux abords des dalles et à différents endroits accessibles sous le premier niveau de dalles. On voit par exemple qu’un point en bordure du puits est mesuré à plus de 0,5 Sv/h.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Sous la dalle supérieure, la mesure est de 2,2 Sv/h. Pour un liquidateur qui resterait à cet endroit une heure, cette dose provoquerait un syndrome hématopoïétique (les populations de lymphocytes et globules blancs diminuent considérablement). D’où l’impossibilité de démanteler le réacteur pour l’instant.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Regardons maintenant sous ces dalles. Des caméras y ont été dirigées en passant par les interstices entre les éléments. Mais tout d’abord, voici un écorché du réacteur montrant où se situent la cuve et le couvercle (jaune) qui ferme l’enceinte de confinement, juste en dessous des dalles anti-missiles.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Voici une photo reconstituée du couvercle de cuve. Celui-ci ne semble pas avoir bougé.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Le couvercle de la cuve est bien resté en place, la preuve en est cette photo du couvercle boulonné :

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Le problème, c’est que durant la fusion du combustible, la chaleur était telle que l’acier des boulons s’est dilaté, que le joint entre le puits de cuve et son couvercle n’a plus rempli son rôle et que l’hydrogène produit à l’intérieur de la cuve et les gaz et particules radioactives ont pu fuir vers le puits de cuve. Les deux photos suivantes montrent le couvercle, dont la peinture jaune d’origine a perdu son éclat suite à la trop grande chaleur, et son joint dilaté.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Dans l’écorché suivant, nous voyons comment est disposé la cuve dans l’enceinte : elle repose sur un socle cylindrique en béton, formant une cavité en son centre. Ce socle a une hauteur de 7 m, un diamètre intérieur de 5 m et un diamètre extérieur de 7,40 m. Il pèse 480 t.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Et c’est là que les choses se gâtent.

Après la formation du corium, ce dernier a percé le fond de cuve et est tombé dans le fond de l’enceinte de confinement, à la base du socle. Si le corium a le pouvoir de fondre l’acier, il peut également manger le béton. C’est ce qu’il se produisit et qui a été révélé en 2022. Non seulement il a creusé son nid dans la dalle de base de l’enceinte, mais il aurait aussi rogné le béton du socle sur une hauteur, selon le schéma ci-dessous, de 2 m et une épaisseur d’environ 0,60 m, laissant l’armature en acier à nu.

(source dessin : Morishige)

(source dessin : Morishige)

Sur la photo suivante prise à l’aide d’un robot, on voit l’armature en acier du socle et des stalactites de corium dans la partie supérieure.

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Mais où est parti le corium ? La photo suivante nous donne un élément de réponse : elle montre une coulée de corium empruntant le tuyau de raccordement de l’enceinte à la piscine torique qui se trouve à la base du réacteur.  

La cuve du réacteur 1 de Fukushima Daiichi menace de s’effondrer

Ces découvertes sont très inquiétantes. La cuve pesant 1000 t et le socle pesant 480 t, c’est près de 1500 t que doit supporter la base du socle qui ne tient plus qu’avec de la ferraille corrodée. Au premier tremblement de terre un peu violent (avec de fortes accélérations au sol), c’est l’ensemble de la cuve qui risque de s’effondrer au fond de l’enceinte de confinement, rendant le démantèlement impossible. 

 

C’est un nouveau défi que doivent relever les ingénieurs de Tepco et de l’IRID (International Research Institute for Nuclear Decommissioning)* : comment consolider un socle dans un milieu hyper-radioactif, inondé et quasi inaccessible ?

 

Et une autre question découle de cette découverte : quel est l’état des deux autres réacteurs (n° 2 et 3) qui ont subi également une fusion du cœur et un écoulement de corium dans leur enceinte de confinement ?

 

Le béton, même armé, n’est pas éternel. Il est reconnu que les constructions en béton armé commencent leur fin de vie au bout de 50 ans à cause de la carbonatation : le CO2 se dissout dans le ciment qui se fragilise, ce qui permet la corrosion des aciers. On estime ainsi que la durée de vie normale des immeubles construits en béton est de soixante-dix à cent ans. Par exemple, la Chapelle de Rondchamp de Le Corbusier, construite en 1954, est rénovée en 2022-2024. Ainsi, le réacteur 1, construit en 1967-1971, aurait pu durer jusqu’en 2040 s’il n’y avait pas eu la fusion du cœur, l’explosion et le séisme. À cause de la catastrophe, il a vieilli d’un coup et on découvre, 12 ans après, qu’il est toujours une menace permanente.

 

On découvre également que l’industrie nucléaire cache l’essentiel, en particulier en France : le message est depuis 12 ans que, le corium étant refroidi, tout est sous contrôle. Et comme vous venez de l’apprendre, il n’en est rien.

 

Pierre Fetet

 

 

Plus de photos sur l'état du socle de cuve :

http://www.fukushima-blog.com/2022/02/le-corium-du-reacteur-1-visible.html (14-02-2022)

 

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* Les 19 membres de l’IRID :

Agences nationales de recherche et développement

Japan Atomic Energy Agency

National Institute of Advanced Industrial Science and Technology

 

Fabricants de centrales nucléaires

Toshiba Energy Systems & Solutions Corporation

Hitachi-GE Nuclear Energy, Ltd.

Mitsubishi Heavy Industries, Ltd.

ATOX Co., Ltd.

Tousou Mirai Technology Co., Ltd.

 

Compagnies d’électricité

Hokkaido Electric Power Co., Inc.

Tohoku Electric Power Co., Inc.

Tokyo Electric Power Company Holdings, Inc.

Chubu Electric Power Co., Inc.

Hokuriku Electric Power Company

The Kansai Electric Power Comapany, Inc.

The Chugoku Electric Power Co., Inc.

Shikoku Electric Power Company, Inc.

Kyushu Electric Power Company, Inc.

The Japan Atomic Power Company

Electric Power Development Co., Ltd.

Japan Nuclear Fuel Limited

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Sources des illustrations : Tepco et IRID

 

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Rapport Tepco du 29 mars 2023

Rapport Tepco du 29 mars 2023

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Edit du 25/09/2023 :

Selon Tepco, au pire, tout ira bien !

Voir la vidéo de Tepco ici : https://www.tepco.co.jp/library/movie/detail-j.html?catid=61709&video_uuid=15084&fbclid=IwAR3k4p8fX1sMY3vgGt5r3A5UaWiFAw1CpNXjrEpGAeG6ZJz9TxHu7Vjf3wY

 

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Màj : 04/04/2023 : ajout de la source du schéma (Morishige) ; édit du 25/09/2023

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commentaires

G
Merci Pierre, quel remarquable travail d'information.
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A
Grand merci Pierre, <br /> pour cette rigoureuse, précise et précieuse recherche que tu as fait sur cet "interminable" accident majeur à Fukushima. La nouvelle relance du nucléaire français semble tellement à côté de la plaque. Mais c'est le propre des idéologues ; toujours prêts à amputer le réel pour faire passer leurs convictions (car ce sont d'abord des croyants).
Répondre
C
Merci André de tes commentaires et à Pierre pour le travail fait. On cherchera à prendre des morceaux pour repandre l'information au Brésil (je l'ai reçu de Portugal...), ou les nucleopates sont encore plus à coté de la plaque
P
Merci pour ton soutien André. Eh oui, le nucléaire est comme une religion ! Il faut vraiment avoir la foi pour croire aux bienfaits d'une énergie très chère et très dangereuse.
G
Merci d'être toujours une vigie de Fukushima et de nous informer!<br /> Joëlle GRANDCLAUDE
Répondre
P
Merci Joëlle de vous tenir encore informée sur cette déjà vieille catastrophe. Cette information concernant le socle de la cuve du réacteur n°1 n'a pas été reprise par les médias français, trop occupés à diffuser la reprise du nucléaire dans l'hexagone. À la décharge des médias français, Tepco n'a diffusé cette info qu'en japonais, ça aide pas... Donc voilà, quand ça ne passe pas, je diffuse. Mais quand même, l'info était connue il y a plus d'un an par Tepco qui ne l'a diffusée qu'en mai 2022.

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Une analyse critique des données concernant les rejets des eaux radioactives de la centrale de Fukushima Daiichi initiés en août 2023, dossier réalisé par la CRIIRAD qui tente de répondre à ces questions : Quels sont les principaux défis auquel est confronté l’exploitant de la centrale ? Quels sont les éléments radioactifs rejetés dans le Pacifique ? Les produits issus de la pêche sont-ils contaminés ? Est-il légitime de banaliser le rejet d’éléments radioactifs, notamment du tritium, dans le milieu aquatique ? Qu’en est-t-il en France ?

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