J’ai longtemps hésité à parler de l’anecdote qui suit, car je ne veux pas vous parler des fausses nouvelles ni des canulars que l’on raconte souvent rien que pour effrayer les gens. Aussi me manque-t-il des statistiques ou des données précises. Toutefois, je me dis maintenant qu’il est grand temps d’en parler, surtout de faire connaître à ceux qui habitent loin et qui ne savent pas ce qui se passe ici quotidiennement. Bref, c’est l’augmentation du nombre de ce que l’on appelle les « malades urgents » dans les transports en commun.
Qu’est-ce qu’un malade urgent ? C’est une personne qui a eu un malaise assez grave ou qui s’évanouit dans le train. En effet, les transports en commun sont très souvent perturbés à Tokyo à cause des « secours à un malade urgent » depuis au moins un ou deux ans. Les trains japonais ont longtemps eu la réputation d’être ponctuels. Hélas, c’était le Japon d’antan. Maintenant, il y a tous les jours des trains qui sont en retard à cause des arrêts imprévus pour soigner des malades. Je cite les tweets de Charley @charleycharley7 qui compte le nombre de personnes qui tweetent « malade urgent » dans les régions de Kanto, Chubu et Tohoku.
Le nombre total de tweets « malade urgent » | moyenne journalière
2015
mi-février 209 13,9
mars 497 16,0
avril 671 22,3
mai 668 21,5
juin 725 24,1
juillet 724 23,3
août 664 21,4
septembre 730 24,3
octobre 855 27,5
novembre 843 28,1
décembre 921 29,7
2016
janvier 872 28,1
Ce ne sont pas des données officielles. Enfin, ce ne sont que des tweets. Tout le monde ne tweete pas dès qu’il trouve un malade urgent dans le train. Aussi est-il possible que le même malade ait été tweeté par plusieurs personnes. Malgré tout, c’est grave à mon avis. Or il y en a qui pensent que huit cents ne constituent pas un chiffre significatif, vu la population totale des régions. Je dis toutefois que c’est significatif, car je n’avais jamais entendu parler de « malade urgent » dans ma vie. Ça fait une trentaine d’années que je me déplace en train à Tokyo, mais c’est seulement depuis l’année dernière ou l’année d’avant que j’entends dans le train assez souvent une annonce comme ‘Nous sommes désolés que notre train soit en retard à cause d’un malade urgent’. J’ajoute aussi qu’il y a de nombreuses personnes qui partagent mon avis.
J’ai vu récemment un monsieur d’une soixantaine d’années qui était allongé sur le quai. Il n’était pas évanoui, mais demandait secours à un employé de la gare, la main sur la poitrine. C’était la gare de Shin-Osaka, à environ 800 km de la centrale de Fukushima Daiichi. Oui, il y en a aussi dans l’Ouest du Japon. Selon Charley @charleycharley7, le 1er février 2016, il y a eu vingt-cinq tweets du malade urgent dans l’Est, contre seulement huit dans l’Ouest. C’est très peu, mais ça existe. Sinon, on voit aussi de temps en temps ceux qui dorment comme une marmotte sur un banc, un quai ou un trottoir. J’entends la sirène de l’ambulance tous les jours, même toutes les trois ou quatre heures. Nous avons déjà eu depuis le début de l’année quatre ou cinq chauffeurs de bus qui ont perdu conscience (l’un a provoqué un accident grave qui a fait 15 morts). Ce n’est pas normal, mais maintenant l’anormal devient presque normal chez nous, bien qu’aucune preuve ne relie cette situation à l’irradiation...
Fonzy
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Mise à jour 16/02/16
Ajout d'une capture d'écran de tweet
Traduction : " Autour de moi il y a de plus en plus de gens qui meurent ou qui sont mal en point . Mais il semble que dans le train aussi maintenant il y a beaucoup de "malades urgents" voici le graphique du nombre de personnes ayant eu des malaises dans les transports en 2015."
Remarque
A la lecture de ce nouveau témoignage de Fonzy, je me suis rappelé que j’avais écrit sur le sujet de la santé dans un billet fin 2011, « Les effets de la catastrophe de Fukushima sur la santé ». A cette époque, j’avais été surpris par des données statistiques concernant l’évolution de trois maladies infectieuses, la pneumonie (Mycoplasma Pneumonia), la conjonctivite aiguë hémorragique et les maladies mains-pieds-bouche.
J’ai donc regardé à nouveau ces graphiques fournis par le Centre de surveillance des maladies infectieuses (Infectious Desease Suveillance Center (IDSC), dépendant de l’Institut national des maladies infectieuses (National Institute of Infectious Diseases (NIID)), basé à Tokyo. Le site existe toujours, je vais donc à nouveau diffuser ces graphiques, actualisés en 2012, pour que vous constatiez que, sur les trois maladies infectieuses qui avaient augmenté en 2011, deux restaient préoccupantes car en augmentation en 2012. Une autre pneumonie, la Chlamydia Pneumonia, était également en hausse en 2012.
Enfin, j’ai remarqué une autre maladie infectieuse qui n’avait pas progressé dans le bon sens en 2012, c’est l’infection par le virus respiratoire syncytial (RSV).
Les données pour 2013, 2014 et 2015 sont également disponibles sur une autre page du site, plus difficile à trouver, et cette fois uniquement en japonais. Sur les maladies infectieuses dont l’évolution était inquiétante en 2011 ou en 2012, seules restent aujourd’hui préoccupantes les maladies main-pied-bouche avec des taux aussi élevés en 2013 et 2015 qu’en 2011 et les infections dues au virus respiratoire syncytial.
Avec le retour à la moyenne normale des conjonctivites aiguës hémorragiques et des pneumonies, on aurait aimé constater une amélioration générale mais deux autres maladies infectieuses ont maintenant une évolution inquiétante, dépassant les taux des 10 dernières années : la pharyngite streptococcique et le mégalérythème épidémique.
Y a-t-il un lien entre la contamination effective, même à faible dose, et l'affaiblissement du système immunitaire des Japonais, en particulier des enfants ? Ces seuls graphiques ne peuvent pas le prouver. Toutefois, ils ne reflètent pas une meilleure santé de la population depuis 2011. C'est d'ailleurs ce qui a conduit un médecin de Tokyo à déménager et inciter ses patients à vivre à l’ouest du Japon.
De plus, dans la préfecture de Fukushima, on a détecté une augmentation de quelque 30 fois du nombre de cancers de la thyroïde chez les jeunes âgés de 18 ans et moins en 2011. Cette augmentation n’est pas normale, comme l’a confirmé un épidémiologiste japonais, le professeur Toshihidé TSUDA de l’université de Okayama.
Pierre Fetet
NB (Mise à jour 16/02/16)
Suite à la remarque d’un lecteur, j’ajoute ici des précisions sur la lecture des graphiques, d’après des informations trouvées dans le site du NIID et traduites par Fonzy :
« Premièrement, l’axe vertical indique le nombre de malades aux « points précis » sauf celui des infections par le virus respiratoire syncytial qui indique le nombre total des patients rapportés.
Deuxièmement, les « points précis » sont des cliniques ou des hôpitaux qui se trouvent un peu partout au Japon. Ils disent que ce sont 3000 pédiatres, 5000 généralistes, 600 cliniques ophtamologiques, 500 cliniques. Par contre, ils ne disent pas où ces cliniques se trouvent ni combien de cliniques se trouvent à Tokyo par exemple.
Troisièmement, les chiffres tels que 0.25 indiquent «la fraction du nombre de malades rapportés (numérateur) / le nombre de toutes les cliniques (dénominateur) ».
L’idée de diffuser des graphiques épidémiologiques sans diffuser l’endroit où vivent les malades est étrange. L’information devient opaque tout à coup ! Le Japon aime diluer à la fois l’information et la radioactivité… Le citoyen y est toujours perdant.