Il y a un an et demi, début juillet 2012, face à la menace que représentait le bâtiment réacteur n°4 de Fukushima Daiichi, je lançais la pétition « Appel urgent pour éviter une nouvelle catastrophe nucléaire mondiale ». J’avais choisi le nouveau site de pétition en ligne d’Avaaz car il était pratique. Mais je ne m’étais pas inquiété de savoir exactement ce qu’était Avaaz, pensant que c’était une organisation citoyenne comme une autre. Rapidement, de nombreux lecteurs m’ont contacté pour me prévenir qu’Avaaz était une ONG dont il fallait se méfier. Ayant déjà récolté plusieurs milliers de signatures, je décidai toutefois de la laisser en ligne, d’abord par respect pour les signataires mais aussi parce qu’elle avait le mérite de jouer un rôle de média et de diffuser une information qui était peu diffusée par ailleurs.
Je remercie vivement les 25 586 signataires qui ont choisi de soutenir cette initiative !
Mais aujourd’hui, je décide de la retirer (1) pour plusieurs raisons :
- elle n’a recueilli que 25 000 signatures en 18 mois, ce qui est ridicule face à l’enjeu mondial exposé ;
- elle n’a aucune valeur, car la liste fournie par Avaaz ne donne aucune autre information que le nom, ou pseudo, donné à la signature en ligne, ce qui ne permet aucune vérification ;
- ce qu’elle demandait n’a pas eu lieu : Tepco est resté « maître » de la centrale de Fukushima Daiichi, et aucune équipe d’experts internationaux ne s’est constituée pour gérer la crise ;
- enfin, le transfert du combustible de la piscine de désactivation est en cours depuis novembre. L’appel urgent n’a donc plus aucune raison d’exister.
Mon expérience d’une pétition en ligne Avaaz
Malgré l’échec – prévisible – de cette pétition, grâce à elle, j’ai pu toucher beaucoup plus de monde qu’un simple article de blog. Pour 25 000 signatures, il y a eu 100 000 visiteurs. Seulement un visiteur sur quatre a signé. Pourquoi tant d’hésitations ? Beaucoup ont estimé que l’ONU n’était pas le bon interlocuteur et me l’ont fait savoir, certains n’ont pas voulu signer une pétition Avaaz, enfin d’autres ont sans doute estimé qu’il n’y avait pas de danger avec cette piscine 4, ou alors ont trouvé que le texte était trop long à lire et sont passés à autre chose.
J’ai fait traduire la pétition et l’ai diffusée par d’autres articles du blog en anglais et en japonais, c’était le plus utile. Il y a eu aussi des traductions en espagnol et en polonais. De ce fait, elle a circulé à travers le monde : les signatures sont venues de l’Europe entière, mais aussi du Chili, de l’Argentine, des Etats-Unis, du Japon, du Cambodge, du Mozambique, du Népal, du Brésil, du Canada, du Sénégal, d’Israël, des Emirats, de la Tunisie, de l’Ouganda, de Singapour, etc. Ca c’est la magie d’Avaaz. Mais ces traductions ne l’ont pas fait décoller pour autant.
Aujourd’hui, je ne recommanderais à personne d’utiliser Avaaz pour créer une pétition. Avaaz est une grosse entreprise avec un chiffre d’affaire dépassant les 10 millions de dollars annuels. Avec ces moyens financiers gigantesques, ils n’arrivent même pas à répondre à un simple mail. En 2012, désirant faire traduire ma pétition dans d’autres langues, je me suis adressé plusieurs fois à Avaaz pour demander quelle était la procédure. Aucune réponse sinon un mail très court du type « Nous sommes surbookés. ».
Quand on écrit à Avaaz, on ne sait pas à qui on écrit. On utilise une adresse de contact impersonnelle. Quand on reçoit une réponse, on n’a jamais la réponse de quelqu’un de tangible, c’est juste un prénom qui répond, ou alors « l’équipe ». Du coup, on ne sait pas si la réponse a été générée par un robot ou un humain.
En octobre 2012, ma pétition a été attaquée par un robot spammeur situé en Afghanistan. Des signatures toutes plus bizarres les unes que les autres (du genre « online pokie game »), arrivaient en masse. Plus tard, en décembre 2012, le site de pétition a eu quelques problèmes et diffusait n’importe quoi. L’écran, qui n’affichait plus le titre de la pétition, indiquait qu’elle avait été créée le 31 décembre 1969 et qu’elle était adressée à Jean Charest !
Mais la pire chose qui me soit arrivée avec cette pétition est que j’ai constaté, fin 2012 et début 2013, que le nombre de signataires reculait d’un jour à l’autre. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à noter les chiffres du compteur quand je la consultais. Et un jour, j’ai eu la désagréable surprise de le voir reculer de plusieurs centaines en quelques jours : le 13 juin 2013, j’ai comparé le mail récapitulatif d’Avaaz avec le compteur, et il manquait 500 signatures !
J’ai signalé ce problème à Avaaz, et là « Aloys » m’a répondu ce message :
Sur le coup, je me suis dit : « Super, ils me répondent enfin un vrai mail personnalisé ». Mais en fait non, ce n’était qu’un formulaire puisqu’un lecteur a reçu un texte identique, à quelques mots près.
Si on regarde la raison qu’ils donnent pour supprimer des signatures, ça voudrait dire que l’adresse mail est primordiale pour authentifier la personne. La réponse d’Avaaz semble au premier abord tout à fait justifiée : leur gestionnaire de base de données fait régulièrement du nettoyage dans les mails pour faire le tri des “vrais” signataires et des spammeurs. Or à mon sens, ce n’est pas justifié pour le pétitionnaire, car quand on récupère la liste des signataires, Avaaz ne fournit pas les adresses mail. Comme ce n’est pas Avaaz qui prend en charge la remise de la pétition quand il s’agit d’une pétition lancée par un individu, leur démarche n’a aucun sens ! Si je signe une pétition Avaaz tel jour, et que le lendemain, pour une raison ou pour une autre mon adresse mail devient invalide, ma signature devient également invalide alors qu’elle était sincère. Ce système de signature électronique est donc incohérent et inutile, sauf pour Avaaz qui récolte des adresses mails qui serviront à diffuser d’autres campagnes et demandes de dons.
Il y a quelques jours, j’ai fait le point grâce aux mails statistiques envoyés chaque semaine par Avaaz. En fait, sur 18 mois, les chiffres annoncés sont plus ou moins justes, avec quelquefois des écarts énormes en plus ou en moins. Pour illustrer cette bizarrerie, un mois après la création de la pétition, Avaaz la créditait de 400 signatures supplémentaires alors qu’elle en recevait 862. J’ai donc constaté qu’Avaaz crédite ou débite des signatures de manière aléatoire. Quand on fait le compte sur l’ensemble de la période, il manque plus d’un millier de signatures. Le système n’est donc pas fiable et semble obéir à d’autres motifs que de simples calculs additifs.
Avaaz et le nucléaire
Avec tous ces problèmes cumulés (et je ne vous ai pas parlé de tout !), alors qu’Avaaz se targue d’être hyper sécurisé et tout et tout, je me suis posé la question de la fiabilité et de l’honnêteté de cette organisation. D’autant plus que parallèlement, des lecteurs me donnaient de la lecture, critiquant très sévèrement l’intégrité du fondateur et l’opacité du système. J’en profite pour partager ce lien pour ceux qui voudraient se pencher sur le sujet :
Avaaz, cyber-actions et cybermanifs (Luc-Laurent Salvador, janvier 2012)
On apprend aussi par Wikipédia qu’historiquement, entre autres actions diverses et variées, Avaaz a comme fil directeur depuis sa création en 2007 le combat contre le réchauffement climatique. Si l’on regarde les pétitions mises en ligne, le sujet du nucléaire n’apparaît que très peu souvent, ou alors juste pour favoriser le désarmement nucléaire des grandes puissances. Le nucléaire civil est quasiment délaissé, sauf à propos de Fukushima, où l’on trouve quelques pétitions. Mais quelles pétitions ? Avaaz diffuse des pétitions en anglais, comme celle-ci (Hand in hand for Fukushima), mais elle n’a ni compteur de signatures, ni date ! Et quand on clique sur l’onglet « français » ou « japonais », la pétition n’est pas traduite et on tombe sur une autre page de promotion d’autres pétitions ! Pour celle-là (Stop the Next Nuclear Disaster!) c’est pareil, pas de compteur, pas de traduction. On a l’impression que tout est fait pour torpiller la cause défendue.
Alors voilà, je pose la question : Avaaz roule pour quelle cause ? Le combat antinucléaire civil est bizarrement très discret depuis la création de l’organisation. En revanche le combat récurent contre le réchauffement climatique pourrait correspondre à une posture pronucléaire car, du coup, la lutte d’Avaaz porte sur la réduction de l’utilisation du charbon et du pétrole, grands producteurs de CO2, mais jamais sur l’abandon de l’énergie nucléaire.
Le fondateur d’Avaaz, Ricken Patel, qui communique depuis six mois avec « l'email le plus important qu’il nous a jamais écrit », ne dit pas autre chose : « Nous pourrions tout simplement commencer par remplacer le pétrole et le charbon par d'autres sources d'énergie pour alimenter nos économies ». Le problème est qu’il ne se prononce pas pour les énergies renouvelables et qu’il ne condamne pas l’énergie nucléaire. On retrouve là le discours souterrain des sites « écolos » mais pronucléaires qui foisonnent sur la Toile et qui, sous couvert de développement durable, veulent nous faire accepter l’énergie nucléaire comme une énergie d’avenir. Là, c’est sous couvert de la catastrophe prochaine due au réchauffement climatique.
Pour appuyer son discours, Avaaz met en avant dans ses pages d’accueil des citations de personnalités comme Al Gore ou Gordon Brown qui soutiennent l'ONG. Mais jamais ces célébrités n’écartent le nucléaire. Au contraire, Al Gore, ce militant mondial contre le réchauffement climatique, prévoyait en 2008 de conserver 20 % de nucléaire pour les Etats-Unis. Quant à Gordon Brown, alors Premier ministre du Royaume Uni, il a bel et bien relancé le nucléaire dans son pays.
La citation du pronucléaire Gordon Brown
Ricken Patel écrit dans sa dernière lettre que « C'est le moment d'offrir à nos enfants un monde dont la beauté correspond à nos rêves ». Ca me rappelle la belle phrase du Premier ministre Abe devant le comité olympique à Buenos Aires le 7 septembre 2013 : « Aujourd’hui, sous le ciel bleu de Fukushima, des enfants jouent au ballon et regardent vers l’avenir. »
Est-ce que l’on parle des mêmes enfants M. Patel ?
Moi je dis : M. Ricken Patel, je vous croirai quand vous ferez une campagne mondiale digne de ce nom contre l’énergie nucléaire civile. Ne pas combattre l’énergie nucléaire, c’est se prononcer tacitement en sa faveur. Tchernobyl et Fukushima ont démontré toute l’horreur de la pollution radioactive, elle met en péril l’intégrité du génome humain et les enfants sont les premiers à en souffrir. Alors arrêtez de faire du catastrophisme climatique pronucléaire comme savent si bien le faire « Les écologistes pour le nucléaire » ou les militants de « Sauvons le climat », et battez-vous véritablement pour un avenir meilleur, sans énergie nucléaire. Et surtout, dites-le clairement, sans aucune ambiguïté !
Pierre Fetet
(1) Impossible de la retirer pour l’instant : Avaaz ne propose même plus le bouton pour la stopper. Encore un bug, je ne les compte plus !
[ Mise à jour du 5/01/14 : Finalement, il y a quelques jours, j'avais trouvé le bouton en utilisant un autre navigateur ; j'ai cliqué sur l'option "Clore la pétition", mais elle est restée en ligne. Aujourd'hui, 5 janvier, j'essaie à nouveau, ça a marché ! ]
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Pour information, le dernier message de Ricken Patel en date du 23 décembre 2013