Dans la revue Chocs Avancées 2012 du CEA, qui présente les « avancées scientifiques et techniques de la Direction des applications militaires », un article a été consacré à Fukushima dans la rubrique Environnement : « Accident de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi : analyse des rejets de radionucléides dans l’atmosphère ». Vous trouverez un extrait de cet article en bas de page. Il est un des rares articles scientifiques publiés par le CEA qui soit spécifique à Fukushima et à ce titre il mérite quelques commentaires.
L’article mentionne d’abord une mesure sur un échantillon d’air prélevé du 13 au 14 mars 2011 sur une durée de 24 heures à compter de 6h55 TU. Le bâtiment réacteur n°1 avait explosé la veille (6h36 TU le 12 mars), donc l’échantillon est cohérent avec le premier événement ; en revanche, il est peu probable que le panache noir de l’explosion du réacteur 3, qui s’est produite le 14 mars à 11h01 (2h01 TU), ait pu se déplacer jusqu’à la station de prélèvement de Takasaki, située à plus de 200 km au sud-ouest de Fukushima, surtout avec des vents contraires. Les mesures ne sont donc pas représentatives de la catastrophe atmosphérique dans son ensemble.
Le CEA étudie ensuite un prélèvement qui a été effectué du 22 au 23 mars 2011, et conclut à l’invalidité du « dénoyautage (sic) de la piscine de stockage de l’unité 4 ». On suppose que les auteurs veulent dire qu’il est impossible que la piscine se soit vidée (1). En tout cas, on peut se poser la question : comment peut-on invalider un feu de piscine qui aurait été éteint le 16 mars en analysant l’air une semaine plus tard à 200 km de là ?
Dans le dernier paragraphe, les auteurs suggèrent que « les principales émissions atmosphériques ont eu lieu le 14 mars 2011 (explosion du réacteur n° 2) ». Encore une fois, l’explosion du n°3, qui a pourtant aussi eu lieu le 14 mars, est ignorée, comme si on voulait la gommer de l’histoire. Celle du n°4 également, qui a eu lieu le 15 mars. On aimerait pourtant que des gens sérieux du CEA se penchent sur ces incendies et explosions qui, presque 3 ans après les faits, restent des énigmes (2). Cet article semble donc faire l’impasse sur deux pollutions atmosphériques majeures. Pour réaliser une étude sérieuse sur ces évènements, il faudrait en fait prendre les données des jours concernés et utiliser des prélèvements plus rapprochés de la source. La marine américaine, qui était sous le vent, a forcément réalisé des prélèvements beaucoup plus probants (3).
Enfin, les auteurs affirment que les données issues des stations de surveillance de la radioactivité de l’atmosphère sont « particulièrement précieuses pour renseigner sur les chronologies de rejets et évaluer les niveaux de remise à l’atmosphère de la radioactivité ». Tellement précieuses qu’ils ne sont pas autorisés à les diffuser intégralement. La catastrophe de Fukushima, que l’on dit civile, est sous le sceau du secret d’état. Bientôt 3 ans après les évènements, on ne sait toujours rien de cette chronologie fine que nous cache le CEA. Les données recueillies dans l’atmosphère existent, il suffirait de les publier. Mais non, on emploie 6 auteurs pour écrire 4 paragraphes sur des miettes d’informations et tirer des conclusions hâtives, voir tendancieuses.
Alors pourquoi éditer cet article dans le blog de Fukushima ? Pour montrer que les gouvernements ne sont pas honnêtes avec leurs populations (3). La carte A montre que l’atmosphère est surveillé en secret de manière très performante. Celle-ci montre la pollution du monde au xénon-133, correspondant à l’exact emplacement des industries nucléaires. La légende parle d’un « bruit de fond ». On nous explique souvent que le bruit de fond radioactif est naturel. Or quand on le compare avec la carte mondiale des réacteurs nucléaires, on se rend compte que ce bruit de fond du xénon-133 est totalement artificiel, comme le montre l’illustration d’entête.
(1) A propos du vocabulaire employé, on notera les précautions de langage des auteurs qui, au lieu de parler de corium, emploient les termes de « cœur de réacteur très dégradé » ou d’ « état de fusion avancée des cœurs ».
(2) A ce jour, toujours aucune vidéo diffusée de l’explosion du n°4, et aucune analyse du panache de l’explosion du n°3.
(3) Ce ne sont pas les 51 marins américains qui portent plainte contre Tepco qui démentiront. Sinon pourquoi souffriraient-ils tous de maladies étranges comme des leucémies, des cancers de la thyroïde ou des testicules, des tumeurs cérébrales, des saignements rectaux ou gynécologiques ?
(4) Le libre accès aux données de l’Otice est réclamé depuis des années par la Criirad. Vous pouvez aider cette association indépendante à obtenir gain de cause en participant à leur action.
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Accident de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi : analyse des rejets de radionucléides dans l’atmosphère
G. Le Petit - P. Achim - G. Douysset - P. Gross - M. Monfort - C. Moulin / CEA−DAM Île-de-France
Le 11 mars 2011, la côte Est du Japon est frappée par un séisme de magnitude exceptionnelle qui conduit à un tsunami majeur, puis à l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi.
Quatre réacteurs sur six subissent des dommages irrémédiables entre le 12 et 15 mars 2011, principalement engendrés par des explosions d’hydrogène (unités 1, 2 et 3) et d’un feu affectant la piscine de refroidissement des éléments combustibles de l’unité 4. Dans les jours qui suivent, les stations aérosols et gaz rares du réseau de surveillance de l’Otice (Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires) mettent en évidence la présence de produits de fission dans l’atmosphère. Les données issues de ces stations, reçues au CND (Centre national de données) situé à Bruyères-le-Châtel, sont particulièrement précieuses pour renseigner sur les chronologies de rejets et évaluer les niveaux de remise à l’atmosphère de la radioactivité. Plus spécifiquement, les stations de surveillance aérosols et gaz rares localisées à Takasaki, à environ 100 km au Nord-Ouest de Tokyo (Japon), permettent de fournir un diagnostic sur l’état des réacteurs.
Les stations de surveillance Otice de Takasaki sont parmi les premières stations touchées par un rejet radioactif de Fukushima. La figure 1 montre les produits de fission volatils (131I, 132I, 133I, 134Cs, 137Cs, 129mTe, 131mTe et 132Te) mesurés à partir d’un prélèvement d’air de 23 000 m3 acquis sur 24 heures du 13 mars au 14 mars 2011 à Takasaki.
Les niveaux d’activité volumique mesurés sont de l’ordre de 3 500 Bq/ m3 pour 131I et de 400 Bq/m3 pour le 137Cs. Dans les jours qui suivent, les mesures des prélèvements aérosols réalisés à Takasaki mettent en évidence la présence d’un panel de radionucléides élargi. L’un de ces prélèvements, acquis du 22 mars au 23 mars 2011 par la station aérosol de Takasaki, est expertisé par les laboratoires du Département analyse surveillance de l’environnement (DASE) du CEA/DAM. L’analyse met en évidence, outre les produits de fission (110mAg, 140Ba, 136Cs, 137Cs, 131I, 132I, 140La, 99Mo, 95Nb, 86Rb, 125Sb, 127mTe, 129Te, 129mTe, 132Te) et d’activation (134Cs, 113Sn) volatils ou semi-volatils, la présence dans l’atmosphère d’éléments peu volatils, 95Nb et 103Ru, sous forme de traces (activités volumiques, respectivement de 3,0.10-4 et 5,0.10-5 Bq/m3).
En s’appuyant sur les travaux issus des programmes de simulation d’accidents graves de réacteurs (VERCORS, PHEBUS) conduits par le CEA (Direction de l’énergie nucléaire) et par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), les concentrations en produits de fission mesurées par spectrométrie d’émission gamma par le DASE, permettent de conclure à un état de fusion avancée des cœurs des réacteurs comme origine des rejets de produits de fission à l’atmosphère [1,2], et d’invalider le dénoyautage de la piscine de stockage de l’unité 4 (548 assemblages de haute activité étaient en cours de refroidissement durant les trois mois précédant l’accident). En effet, le rapport 131I /137Cs, mesuré dans les prélèvements atmosphériques, se révèle consistant avec celui correspondant à l’inventaire des cœurs des réacteurs de Fukushima au moment de leurs arrêts. Par ailleurs, la mise en évidence d’une faible signature 113Sn (4,7.10-5 Bq/m3) dans l’air, produit d’activation formé par la réaction 112Sn(n,γ)113Sn au sein des gaines de combustible (constitué d’un alliage en Zircalloy composé principalement de zirconium associé à 1,5 % d’étain), implique une température minimale de 1 800°C correspondant à la fusion des gaines. La non-détection du 95Zr, usuellement en filiation radioactive avec le 95Nb, dans les prélèvements liés à l’accident de Fukushima, est conforme aux résultats obtenus par les expériences CEA/IRSN qui ont montré que cet élément réfractaire était très peu relâché, même dans le cas d’un cœur de réacteur très dégradé.
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Illustration d’entête : cartes mondiales superposées de la pollution au xénon radioactif et des implantations de l’industrie nucléaire.
Illustration ci-dessous : figure 1 recomposée