J’ai pris connaissance il y a quelques jours d’une carte qui m’a tout de suite interpellé. Elle affiche des mesures de la radioactivité à la fois précises et inquiétantes. Ne connaissant pas le japonais, j’ai demandé à Kurumi Sugita, présidente de l’association Nos voisins lointains 3.11, de me traduire le texte.
Elle a tout de suite accepté et m’a expliqué de quoi il s’agissait : « Le Projet de mesure de la radioactivité environnementale autour de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi (Fukuichi shûhen kankyôhôshasen monitoring project) est mené par une équipe de bénévoles relativement âgés (qui sont moins radiosensibles que les jeunes) pour réaliser des mesures de radioactivité avec un maillage serré de 75 x 100 m pour la radioactivité dans l'air et 375 x 500 m pour la contamination du sol. Les mesures de radioactivité ambiante et du sol sont réalisées principalement dans la ville de Minamisōma et aux alentours. Ils essaient de réaliser des mesures détaillées afin de montrer aux habitants les conditions réelles de leur vie, et également d’accumuler des données en vue de l’analyse des dommages sanitaires et environnementaux qui peuvent se montrer à long terme. »
Grâce à la traduction de Kurumi et avec l'accord de M. Ozawa, auteur du document, j’ai pu réaliser une version française de cette carte que vous trouverez ci-dessous.
Dans le cadre de la normalisation des territoires contaminés en zones habitables, l'ordre d'évacuation de l'arrondissement d’Odaka de la ville de Minamisōma a été levé le 12 juillet 2016, excepté la zone qui longe Namie (hameau d’Ohatake où habite un seul ménage) classée comme zone de "retour difficile".
La carte de contamination examine les secteurs de Kanaya et Kawabusa de l’arrondissement d’Odaka, à une quinzaine de kilomètres de l’ex-centrale de Fukushima Daiichi. M. Ozawa, l’ingénieur qui a lancé cette enquête, a choisi la précision des mesures, c'est-à-dire qu’il s’emploie à mesurer la radioactivité avec des radiamètres à scintillation de laboratoire : Hitachi Aloka TCS172B, Hitachi Aloka TGS146B et Canberra NaI Scintillation Detector.
L’originalité de sa carte tient autant à la qualité de réalisation qu’à l’abondance de renseignements : on peut y lire, pour chacun des 36 prélèvements effectués, des mesures en Bq/m², en Bq/kg, en µSv/h à trois hauteurs différentes du sol (1 m, 50 cm, 1 cm) et en cpm (coups par minute) à la hauteur de 1 cm. Pour qui connaît un peu la radioactivité, ce sont des informations très précieuses. Habituellement, les mesures sont données en l’une ou l’autre unité, mais jamais simultanément avec 4 unités. Les organismes officiels devraient prendre exemple sur cette manière de travailler.
Les mesures que dévoile la carte sont très inquiétantes. Elles montrent que la terre a un niveau de contamination qui ferait d’elle un déchet radioactif dans n’importe quel pays non contaminé. Comme l’écrit M. Ozawa, ces terrains devraient être considérés comme une « zone contrôlée », c’est-à-dire un espace sécurisé, comme dans les centrales nucléaires, où l’on doit vérifier constamment les doses reçues. Dans les faits, c’est pire que dans une centrale car au Japon, on demande aux habitants évacués depuis 5 ans et demi de rentrer chez eux alors que l’on sait pertinemment qu’ils seront irradiés (jusqu’à 20 mSv/an) et contaminés (par inhalation et ingestion).
L'équipe de Fukushima Daiichi Monitoring Project lors d'une prise de mesure à Minamisoma cet été. On reconnaît sur les blousons le logo du laboratoire japonais indépendant Chikurin, partenaire de l’ACRO (Photo David Boilley).
Cette recherche citoyenne est remarquable à plus d’un titre :
- Elle est indépendante de toute organisation. Aucun lobby n’intervient pour modifier ou atténuer telle ou telle mesure. Ce sont juste des données brutes, prises par des gens honnêtes, en recherche de vérité.
- Elle respecte un protocole scientifique, expliqué sur la carte. Il y aura toujours des gens pour critiquer tel ou tel aspect de la démarche, mais celle-ci est rigoureuse et objective.
- Elle prend des mesures à 1 m du sol mais aussi à 1 cm du sol. Cette démarche est plus logique car les hommes marchent sur le sol jusqu’à présent non ? Les cartes de contamination du Japon montrent souvent des mesures à 1 m du sol, ce qui ne reflète pas la réalité et semble être fait pour minimiser les faits. En effet, la mesure est souvent deux fois plus élevée à 1 cm du sol qu’à 1 m.
- Elle agit comme un révélateur. M. Ozawa et son équipe sont des lanceurs d’alerte. Leurs cartes disent : faites attention ! Des lois se contredisent au Japon. Ce que prétend le gouvernement, à savoir qu’une dose de 20 mSv/an ne produira pas d’effet sanitaire, n’est pas forcément la vérité. Si vous revenez, vous allez bel et bien être irradiés et contaminés. La France se prépare à la même forfaiture, à savoir qu’ « elle est en train de transposer en droit national les dispositions de la directive 2013/59/Euratom : les autorités françaises ont retenu la borne supérieure de l’intervalle : 100 mSv pour la phase d’urgence et 20 mSv pour les 12 mois suivants (et pour les années suivantes rien ne garantit que ce niveau de référence ne sera pas reconduit). Ces valeurs s’appliquent à tous, y compris les nourrissons, les enfants et les femmes enceintes ! » (source Criirad)
Le gouvernement japonais demande aux habitants de rentrer chez eux et supprime les indemnités aux évacués. Les JO approchent, la région de Fukushima doit être perçue comme « normale » pour que les sportifs et les supporters du monde entier n’aient pas peur, quitte à sacrifier la santé des populations locales. Il faut donc faire connaître la carte de M. Ozawa pour que les futures campagnes publicitaires n’étouffent pas la réalité des faits.
Pierre Fetet
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Pour en savoir plus :
M. Ozawa dans un reportage de la RTBF
La poussière qui s’envole avec ses radionucléides à Minamisōma
Article sur le retour en zone contaminée du blog Nos voisins lointains 3.11
Les données concernant les mesures à Minamisōma
http://www.f1-monitoring-project.jp/open_deta.html
Site internet de l’équipe militante :
http://www.f1-monitoring-project.jp/index.html
Adresse de la carte d’origine (HD)
http://www.f1-monitoring-project.jp/dirtsfiles/20161104-Odaka-Kanaya-Kawabusa-s.jpg
Cet article et sa carte ont été traduits en anglais par Hervé Courtois à cette adresse :
https://nuclear-news.net/2016/11/12/the-minamisoma-whistleblowers-fukushima/
Voici la traduction de la carte en anglais :
Anciens articles du blog de Fukushima concernant Minamisōma
Poussière noire à Minamisoma (17/02/2012)
Selon les informations rapportées par le blog EX-SKF , on a trouvé à Minamisoma une mystérieuse poussière noire radioactive déposée sur le sol dans de nombreux endroits de la ville. Sa radioactivité en césium a été évaluée à plus d'un million de becquerels/kg....
Des nouvelles de Minamisoma (11/02/2012)
Depuis l’année dernière, Minamisoma est devenue une ville très connue du Japon car elle est située à 25 km de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Lors de la catastrophe, son maire Katsunobu Sakurai avait envoyé un appel à l’aide sur YouTube, entendu...
I'll send an SOS to the world : I hope that someone gets my message in a bottle (24/07/2011)
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"Grey zone" d’Alain de Halleux : un film à soutenir (23/05/2012)
Alain de Halleux, connu pour son engagement avec la réalisation des films « RAS : nucléaire, rien à signaler », « Chernobyl 4 ever » et « Récits de Fukushima », s’est engagé dans un nouveau film sur Fukushima. Le réalisateur s’est rendu à Minamisoma en...
Aide directe aux habitants de Minamisoma (24/12/2011)
« J’arrive au bout de mon voyage. Je ne peux clamer : « Evacuons TOUS les enfants du district de Fukushima ! », comme je le pensais avant de partir. Dire cela, correspond à une position idéologique. Si je faisais ça, je ressemblerais à TEPCO ou à tous...