Auteur et prospectiviste, Yannick Monget s'est particulièrement investi ces dernières années sur la problématique du nucléaire. Fruit de ces recherches, il vient de publier aux Editions de La Martinière un nouveau roman, Résilience, qui est véritablement une « fiction scientifique engagée ». A travers deux histoires passionnantes qui finissent par se rejoindre, l’auteur dresse un état des lieux atomique sans concession de la planète Terre. Mu par une volonté intarissable, il milite pour une sortie du nucléaire en dénonçant les dangers réels que l’humanité a créés et qui menacent radicalement son avenir. Bien que ce thriller captivant fourmille d’informations sourcées, j’ai voulu en savoir plus en interrogeant son auteur sur les thèmes spécifiques à ce blog : Fukushima, la catastrophe nucléaire, ses conséquences.
PF
Alors que vous étiez déjà conscient des risques que représente l’énergie nucléaire, comment avez-vous vécu la catastrophe de Fukushima ?
Très mal… Au-delà de mon activité d'auteur, je suis prospectiviste, et mon travail consistait entre autres ces dernières années à déceler et alerter sur les menaces majeures pouvant affecter notre société ainsi que les solutions pouvant être mises en place pour y faire face. Dans ce cadre, j'ai beaucoup travaillé sur les rapports du GIEC pour alerter sur les risques liés au réchauffement climatique, que je considère comme l'une des principales menaces pesant sur notre civilisation avec la pollution chimique de notre environnement. Dès 2007, lorsque j'ai vu que certaines personnes souhaitaient que les rapports mentionnent le nucléaire comme une solution possible à la lutte contre le réchauffement climatique, j'avais exprimé à Jean Jouzel, vice-président du GIEC, mon inquiétude, le nucléaire me paraissant devenir de plus en plus une menace, en tout cas sûrement pas une solution pour lutter contre les émissions de GES. En 2009, persuadé de la dangerosité croissante de cette industrie j'avais essayé d'alerter. Lorsque "Terres d'Avenir" est sorti fin 2009 aux éditions de la Martinière et que l'exposition internationale adaptée de l'ouvrage fut inaugurée au Parlement Européen à Bruxelles, j'avais volontairement voulu ajouter un espace dédié au nucléaire et pour ce faire j'avais été jusqu'à réaliser une peinture numérique simulant l'évacuation de Tokyo (ceux qui ont le livre peuvent vérifier, c'est page 56/57) à cause d'un accident nucléaire survenu à Tokaï ou Fukushima, en posant la question de ce qui arriverait si un accident survenait près d'une mégalopole comme Tokyo.
A l'époque, je me souviens m'être fait attaqué et accusé de catastrophisme. Pourquoi mettre en scène une catastrophe au Japon, le pays le plus sûr niveau technologique ? Pourquoi prendre volontairement une centrale comme Tokai Mura ou Fukushima, près d'une grande ville comme Tokyo, pour faire peur gratuitement ?
Puis, en 2011, l'inévitable arriva. Sur les 500 sites nucléaires de la planète c'était celui que j'avais mis en scène, au Japon, à proximité de la préfecture de Tokyo qui fut impacté. Une fois de plus, l'un des scenarios imaginé dans ce livre, qui regroupe des dizaines de peintures numériques et de textes faisant référence à des scénarios probables d'avenir, devenait réel…
Je crois que voir un accident arriver, en être persuadé, essayer d'alerter, ne pas être écouté, voire même critiqué… puis le voir devenir réalité… est l'un des pires sentiments que je connaisse. Je comprends décidément ce qu'a dû endurer Cassandre lorsqu'Apollon l'a maudit. On se sent forcément impuissant, on voit l'accident arriver et on ne peut rien faire.
A votre avis, pourquoi les auteurs de science-fiction décrivant la fin du monde n’ont jamais voulu aborder les véritables effets d’une catastrophe nucléaire mondiale ?
Quand j'ai écrit "Résilience", je me suis en effet rendu compte que la quasi-totalité des auteurs, qu'ils soient romanciers comme Barjavel, Pierre Boule, Michael Crichton… ou scénaristes ont effectivement fait l'impasse dans leurs scenarios sur la problématique nucléaire. La réponse est dramatiquement simple : tout simplement parce que le nucléaire rend impossible 99 % des scénarios de dystopie ou d'anticipation que le monde de la littérature ou du cinéma a imaginés.
"Résilience" est donc une critique également quelque part de cette omission. Pierre Dac disait que la prévision est difficile, surtout en ce qui concerne l'avenir, et mon travail de prospectiviste m'a amené à montrer que tout n'est pas prévisible et que ponctuellement des découvertes, des changements modifient complètement la donne. Il en a été ainsi d'internet par exemple, certains récits et films de science fiction comme Soleil Vert ne l'avaient pas du tout anticipé et ont très mal vieilli. Il en va de même du nucléaire, auquel personne n'a vraiment pensé ou presque.
Le roman explique que quelle que soit la catastrophe à laquelle l'humanité sera confrontée, réchauffement climatique, pandémie mondiale, guerre, effondrement économique, même chute de météorite, bref, quel que soit le scenario imaginé par la science fiction, l'histoire se terminera obligatoirement (en l'état actuel de nos connaissances) par une catastrophe nucléaire qui rendra tout échappatoire impossible.
Ce qui est grave, c'est que nous avons ancré dans la tête des gens, que si la société venait à d'effondrer, on pourrait y survivre en reconstruisant sur les ruines un nouveau monde, comme en Europe après 1945. Mais le monde a changé, et les règles ont changé. Notre civilisation a développé des technologies bien trop dangereuses et ce qui était possible en 1945 ne le sera plus à l'avenir.
Après la destruction de toutes les installations nucléaires de la planète, peu de chance que vous puissiez continuer à vivre et rebâtir une civilisation dans un environnement aussi hostile.
En ce moment j'ai cru comprendre qu'une série de SF cartonnait : "les 100", où on renvoie sur Terre des ados un siècle après une catastrophe nucléaire majeure. C'est non seulement ridicule mais dangereux de faire croire que la vie serait possible 1 siècle plus tard, le public ne se rend pas du tout compte de la dangerosité du nucléaire et des échelles de temps liées à la pollution radioactive qui perdure des centaines de millénaires.
Pourquoi avez-vous choisi le roman pour expliquer des choses aussi graves ?
Pour toucher un public large et non averti. Cela ne m'intéressait pas de faire un énième livre documentaire sur le nucléaire pour répéter des choses que je disais dans de précédents livres et qui, je le savais, toucheraient principalement des personnes sensibles à la cause environnementale.
Je cherchais un moyen de toucher ces autres personnes justement qui ne se soucient pas de cette problématique et qui n'imaginent aucunement cette réalité et cette menace.
Par définition, le roman s'adresse donc à tous les publics. Et il n'y a que comme ça que nous pourrons faire pencher la balance en faveur de l'abandon du nucléaire : en persuadant le grand public.
En mars 2011, après que la piscine du réacteur 4 de Fukushima Daiichi ait subi un incendie, le scénario d’évacuation de Tokyo a été envisagé par le gouvernement. Vous qui aviez déjà réfléchi à cette option dès 2009, pensez-vous qu’une évacuation aurait été possible ?
Effectivement, le plan prévoyait l'évacuation de près de 50 millions de personnes sur les 3 préfectures de la zone impactée. Je pense qu'au Japon l'ordre aurait été donné effectivement, si je me fie aux déclarations du premier ministre… ceci étant, plusieurs amis m'ont expliqué la panique qui régnait notamment sur les routes. Ren Yabuki m'expliquait comment des personnes fuyant certaines zones se retrouvaient, à cause des vents, dans des zones où les retombées étaient encore plus importantes que là où ils se trouvaient initialement. Disons le franchement, et l'ancien premier ministre japonais en convient, cela aurait été une panique et un bazar inimaginable qui aurait fait lui-même de nombreuses victimes. Regardez la panique lors de l'évacuation de Fort Mc Murray au Canada, et il ne s'agissait que de quelques dizaines de milliers de personnes… Là, on parle de dizaines de millions de personnes… et regardez la problématique de relogement des personnes évacuées à Fukushima avec déjà un peu plus de 100 000 réfugiés. Pour vous donner une idée : la Syrie c'est 4 millions de réfugiés à l'extérieur du pays en 5 ans et l'Europe n'arrive pas à gérer ce flux, alors imaginez 50 millions de réfugiés et ce… du jour au lendemain, vous imaginez ?
En tant que prospectiviste, comment voyez-vous l’avenir du Japon qui persiste à se servir de l’énergie nucléaire malgré les risques constants de séismes, d’éruptions volcaniques et de tsunami ?
Je pense qu'il faudra encore un accident majeur pour impacter l'opinion, au moins un. Et il arrivera. L'Europe et l'Amérique du Nord ont eu de la chance, une incroyable chance même quand on pense à ce qui est arrivé à Blayais en 99 ou Saint-Laurent des eaux et certaines de nos autres centrales. Mais vous savez… la chance finit toujours par tourner.
Pour ce qui est du Japon, cela va mal se terminer. Le fait de réintroduire les populations sur les sites pollués est absolument irresponsable, mais en même temps, je comprends le désir de certains de revenir sur leur terre même si cela les condamne et qu'ils savent qu'ils risquent de développer des maladies. Je ferais peut-être de même si Cattenom venait à avoir un grave accident et que la Lorraine, Metz, Nancy, Luxembourg, etc. venaient à être abandonnés. Dans la Grèce antique, le pire des châtiments était le bannissement. Et je le comprends. Imaginez que du jour au lendemain on vous demande à vous et à la population de votre région de partir en abandonnant tout sur place… Dans "Résilience", là aussi, je voulais essayer de montrer cette fuite, cette évacuation de la France pour essayer de faire comprendre et ressentir au lecteur ce drame qu'ont vécu les japonais de Fukushima ou les Ukrainiens de Pripiat. Cela aurait dû servir de leçon, mais comme vous le dites, ça n'a pas fait bouger le gouvernement d'Abe qui dérive dangereusement d'après ce que j'observe. C'est tout simplement incompréhensible, un tel aveuglement et une telle irresponsabilité d'une poignée de décideurs qui jouent à la roulette russe avec la vie et l'avenir de dizaine ou centaines de millions de personnes. Et nos dirigeants ne valent pas mieux.
D'autant plus que les solutions existent, les technologies permettant de se passer du nucléaire comme des énergies fossiles existent. Le Japon est reconnu pour son innovation qui plus est. Ce n'est pas comme s'il n'y avait pas de solutions.
Encore une fois, j'insiste et je le répète : on peut s'en sortir, on peut sortir du nucléaire, et ceux qui disent le contraire au Japon ou en France, sont soit achetés par des lobbys, soit des ignares (et nous avons beaucoup d'ignares en France parmi nos politiques mais aussi la population (qui critique mais qui est à l'image des politiques qu'ils ont élus), il suffit d'aller lire les commentaires sur les réseaux sociaux et les forums parlant du sujet, la lobbytimisation des français est très inquiétante).
Dans votre dernier roman, Résilience, vous évoquez une manière de se débarrasser des déchets nucléaires dans des fosses marines très profondes qui pourraient à long terme disparaître sous la croûte terrestre. Ce projet existe-t-il déjà et, selon vous, est-il réaliste ?
J'en ai parlé avec un ami vulcanologue, Jacques-Marie Bardintzeff avant de l'écrire. En fait, sur le papier, le scenario se tient, les difficultés sont la pression à une telle profondeur, mais en même temps, si on met en balance le problème de gestion des déchets et celui de la pression à grande profondeur… il est peut-être plus simple de résoudre ce problème de pression, aussi important soit-il. En tout cas on m'a expliqué qu'il n'y aura pas de soucis avec la température, car nous ne sommes pas dans une zone "chaude". C'est vraiment la profondeur qui pose souci. Il y aurait peut-être une autre solution : l'espace. Si je suis contre l'idée d'envoyer des déchets par le biais de fusées (ce serait bien trop dangereux en cas d'accident) reste que des projets d'ascenseurs spatiaux sont actuellement à l'étude. Là, on serait sur quelque chose de bien moins dangereux. Une fois dans l'espace il faudrait leur donner une impulsion pour qu'ils se dirigent vers le Soleil. C'est un calcul de trajectoire, et ça, on sait très bien faire. Je pense que ce projet d'ascenseur spatial est réalisable et se fera dans quelques décennies. Qui plus est, c'est un domaine où les japonais me semblent particulièrement à la pointe.
D’après vous, la France a-t-elle su tirer les leçons de la catastrophe de Fukushima ?
Absolument pas. Et quand j'entends Nicolas Sarkozy, (et sa porte-parole Maud Fontenoy), Manuel Valls, Macron, et tant d'autres parler du nucléaire sans rien y connaître, je suis terrifié.
Notre société doit évoluer vers un système éthique : on ne peut plus vivre dans un monde donnant tant de pouvoir à des personnes à ce point irresponsables et ne maitrisant pas ces sujets. Ce n'est pas possible. Notre système doit évoluer, et ne plus confier ce type de décision à une unique personne. De même il faut écarter les lobbys des instances en charge de ces questions. Il faut vraiment bâtir à mon sens un système radicalement différent et replacer les notions d'éthique au centre du système de gouvernance.
Le directeur général d'EDF se vante d'avoir tiré ces leçons mais en réalité il n'a rien compris, il n'a tiré aucune leçon c'est même le contraire : il pense que le problème à Fukushima c'était le tsunami, l'inondation, le tremblement de terre, il pense qu'à Tchernobyl c'est l'erreur humaine. En fait c'est beaucoup plus profond que ça.
Ce que nous apprennent ces accidents, Fukushima, comme Tchernobyl et tous les autres (non connus du grand public et dont je parle aussi dans le roman) : c'est l'impossibilité de tout prévoir et d'imaginer l'imaginable.
Pour preuve, regardez ce qui s'est passé à Paluel : de l'aveu même d'EDF cet accident était impossible. Voilà le vrai problème, le problème de fond. L'impossibilité d'envisager l'inimaginable… puisqu'il n'a pas été imaginé.
"Résilience" joue sur cette question en mettant en scène un scenario auquel les autorités ne s'attendent pas et ne sont pas prêtes.
En fait, ce qui m'inquiète, ce qui me terrifie (et devrait également terrifier toute personne saine d'esprit ayant les pieds sur Terre) ce ne sont pas tous ces scenarios catastrophes qu'imaginent l'ASN, EDF, l'AIEA, nos services de renseignements, ce sont justement, au contraire… ceux qu'ils n'ont pas imaginé.
Quel autre type d’actions envisagez-vous pour alerter le public non averti sur la question nucléaire ?
Il y en a plusieurs. Pour ce qui est de "Résilience", le roman peut donner suite à des adaptations. Nous verrons. Se pose le problème du budget car "Résilience" demanderait des moyens colossaux, l'action est mondiale, met en scène tous les pays. Je sais que des producteurs se sont montrés intéressés mais rien n'est encore fait. En parallèle, d'autres projets sont également en cours avec Symbiom. J'espère les voir se mettre en place cette année. Je ne peux trop rien dire pour le moment, mais, oui, il faut des projets ambitieux pour faire face à une telle menace; qui touchent très largement le grand public et les fasse réagir.
Je suis en effet persuadé qu'un autre monde est possible. C'est pour cela que je monte mes différents projets avec Symbiom. Quant à "Résilience" c'est aussi pour cela qu'il est vecteur d'espoir. Je me suis refusé à écrire un roman totalement sombre, fermant toutes portes de sortie. Je m'étais juré de n'écrire ce livre que le jour où je trouverais un scenario traitant de l'aspect sombre du nucléaire tout en véhiculant un message d'espoir. J'ai mis deux ans avant que cette double architecture du roman, racontant deux histoires s'entremêlant ne se mette en place. Espoir, il faut garder espoir "Spes Manet", ceux qui ont lu le roman comprendront.
(Propos recueillis par Pierre FETET)
Présentation de l’auteur
Yannick Monget, auteur et prospectiviste, est le président fondateur du groupe Symbiom qui développe des projets de sensibilisation et de recherche en rapport avec l’environnement. Spécialisé dans les questions touchant à la crise bioclimatique contemporaine, il a écrit plusieurs ouvrages autour de l'avenir de notre planète : Demain, la terre (2006), Terres d'avenir : de l'urgence bioclimatique aux rêves de demain (2009), Gaïa (2012). Son dernier roman, Résilience, vient de paraître sur la thématique de la menace du nucléaire civil.
Présentation du livre Résilience
100 jours avant l’effondrement. Incidents nucléaires à Paris et en Chine. Un virus informatique semble avoir pris le contrôle de nombreuses centrales. Les services du renseignement français se mettent en alerte pour déjouer la plus grande menace jamais affrontée.
2 ans après l’effondrement. En Antarctique, des survivants s’organisent dans des bases de haute technologie abritant un écosystème reconstitué. La surface du globe est ravagée par la radioactivité et la résurgence du virus noir, qui a décimé la plus grande partie de l’humanité. Que feront-ils de cette dernière chance ?
Ultra-documenté, ce thriller aux accents de blockbuster américain enchaîne de façon implacable les chapitres avant et après la catastrophe. L’auteur parsème son livre de références à de véritables incidents, comme le virus Stuxnet, conçu en 2010 par les États-Unis pour prendre le contrôle des centrales iraniennes. Entre jeux de lobbies, dessous du nucléaire civil et pressions politiques, cette course contre la montre révèle comment l’irresponsabilité et l’aveuglement de certains menacent le destin de la planète tout entière.
(source : Editions de La Martinière)
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