Rapports de HORI Yasuo traduits de l'espéranto par Ginette MARTIN avec l'aide de Paul SIGNORET
Les 14 et 15 octobre 2015
Petit voyage à la ville de Minami-Sōma
Accompagné d'un jeune népalais, Pradip, j'ai visité la ville de Minami-Sōma du département de Fukushima. Cette ville se compose de 3 districts. Le district le plus méridional, Odaka, est situé dans un rayon de 20 kilomètres de la centrale nucléaire n°1 endommagée de Fukushima, c'est la raison pour laquelle les habitants n'ont pas le droit d'y vivre. Dans le quartier central de Haramachi, autrefois déserté en raison de l'accident, à présent les gens vivent de façon apparemment normale. Dans mon cœur, il reste toujours une image de l'école élémentaire d'Odaka, dont les élèves ont tous émigré en divers endroits éloignés et ne sont jamais revenus, après avoir laissé leurs affaires dans les salles de classe. Je voulais que Pradip voie et sente lui aussi cette tragédie.
Ce cimetière à présent détruit
Le 14 octobre à 8 heures, nous sommes arrivés à la gare de la ville de Minami-Sōma par le bus de la ville de Fukushima. À côté de la gare, nous avons emprunté des vélos gratuitement. Actuellement au Japon, dans toutes les gares principales, on met à disposition des vélos gratuitement ou presque. Ici, ce service fonctionnait déjà avant 9 heures. Les vélos n'étaient pas en bon état, donc c'est avec un peu de mécontentement que nous sommes partis vers le bord de mer de la ville.
Mon plan était de faire du vélo le long de la côte du quartier d'Odaka, mais cela était tout à fait impossible, parce qu'ici on construit un grand barrage anti-tsunami, de sorte que la route était bloquée. Selon moi, il est plus important de construire rapidement des logements décents pour les sinistrés qu'un barrage pour protéger un désert inhabité, mais pour le gouvernement il importe davantage de faire profiter les grandes entreprises.
Dans la photo ci-dessus, vous pouvez voir des sacs noirs à gauche sous la digue en construction. J'ai oublié de mesurer leur radioactivité, donc je ne veux pas m'avancer, mais je soupçonne qu'ils contiennent de la terre radioactive, parce qu'ils sont très semblables à ceux que l'on peut trouver partout à Fukushima et qui eux en contiennent.
Nous ne pouvions pas aller plus loin, alors nous sommes allés dans une autre direction, et avons trouvé une nouvelle statue de Bouddha au loin. Je me suis souvenu que là, auparavant, il y avait un cimetière détruit (photo).
J'avais déjà vu un grand nombre de cimetières dans les villes détruites, mais celui-ci était le plus misérable et le plus attristant, il avait perdu presque toutes ses pierres tombales. Avant l'attaque du tsunami, il était entouré de verdure comme un parc, mais après, il était au centre d'un désert. S'y dressaient des statues de Bouddha sans tête et sans bras, mais à présent, à ma grande joie, il était reconstruit, quoique peu de tombes aient été restaurées.
Selon la pancarte dans le cimetière, grâce à une loi nouvelle destinée à venir en aide aux villes sinistrées, les propriétaires de ce cimetière ont reçu 112 millions de yens de subvention (1,12 millions d'euros) de la ville de Minami-Sōma (provenant peut-être du budget de l'Etat). Cependant, il est sûr que les propriétaires de tombes devront rembourser la totalité ou une partie de la dette. Est-ce que tous voudront retrouver leur tombe ici, après la perte de leur maison? Certes, il y a des familles qui ne veulent ou ne peuvent plus avoir de tombes ici. Apparemment, le cimetière magnifiquement réarrangé est un espoir pour eux, mais en réalité il est difficile de le maintenir.
Là trois hommes étaient au travail. Je leur ai demandé où ils avaient mis ou jeté les vieilles pierres tombales. Ils ont répondu qu'ils les avaient mises en pièces et enterrées sous le cimetière récemment refait.
La pâtisserie Watanabe dans le quartier d'Odaka
Bientôt nous sommes arrivés au quartier d'Odaka. La gare a été recouverte de bâches et sur la voie quelques personnes travaillaient, donc d'ici peu de temps le service ferroviaire fonctionnera à nouveau.
En face de la gare il y a un magasin qui s'appelle Engawa. Il y a quelques semaines, j'ai vu à la télévision qu'il était ouvert et qu'un pâtissier, M. Watanabe, avait commencé à y vendre des gâteaux. Quand j'ai vu ces nouvelles, j'ai pleuré d'émotion.
Ce M. Watanabe avait, et a de nouveau, sa fabrique de gâteaux dans ce quartier. Lorsque je l'ai visité en juin 2012, devant elle se trouvait un tableau noir sur lequel il avait écrit à la craie: «Je reviendrai très certainement à Odaka", et en 2013 sa phrase avait disparu. J'avais regardé ce tableau avec un sentiment de tristesse, aussi, lorsque j'ai vu à la télévision qu'il avait ouvert une nouvelle fabrique de gâteaux dans le quartier de Hamarachi et qu'il vendait des gâteaux également dans ce magasin, ce fut une énorme joie pour moi. Maintenant, au lieu du tableau noir, pend à la base du toit une grande toile avec le slogan: "La confiserie Watanabe va sûrement revivre avec les habitants d'Odaka".
Je suis entré dans le magasin et j'ai acheté 10 gâteaux. Je comptais visiter sa nouvelle fabrique, mais le vendeur m'a dit que le lendemain elle serait fermée, donc j'ai renoncé à la visiter.
L'école primaire d'Odaka
Mon autre objectif était l'école élémentaire d'Odaka.
La catastrophe a eu lieu le vendredi 11 mars. Tous les élèves sont rentrés chez eux à la hâte, laissant leurs affaires dans la salle de classe. Lors de l'été 2012, on a permis aux habitants de pénétrer dans le quartier. Les instituteurs sont revenus et ont mis en ordre les salles de classe. Ils ont rassemblé les affaires des élèves et les ont mises sur leurs tables respectives. Plus tard certains élèves sont revenus et ont emporté leurs propres affaires, mais lorsque je suis venu moi-même ici en août 2013, dans toutes les salles on voyait 6 ou 7 tables où il restait des affaires. Ces élèves ne sont jamais revenus ici. Sur les tableaux noirs on lisait les paroles encourageantes et touchantes des instituteurs. À côté se trouvaient quelques mots des élèves, par exemple: «Je veux revoir mes amis", "Je vis maintenant dans la ville de Sagae dans le département de Miyagi".
J'ai regardé dans les salles de classe du premier étage. Ce sont des salles pour les élèves de CP ou CE1. Comme auparavant, il restait des affaires sur les tables. Ils ne sont jamais revenus à leur école. Les garçons et filles qui étaient en CP en 2011 sont maintenant en CM1, et les enfants du cours supérieur sont maintenant au collège. Quel genre de vie ont-ils? Se sont-ils bien adaptés à leur nouvelle vie? Ne souffrent-ils pas d'un problème de santé mentale? La première fois que j'ai vu les tables avec les affaires, j'ai pleuré, et j'ai détesté le gouvernement et les compagnies d'électricité qui ont introduit l'énergie nucléaire au Japon et infligent une souffrance à des élèves innocents sans aucunement faire leur autocritique.
Les écoles élémentaires de Fukushima sont très belles. L'école élémentaire d'Odaka est également magnifique avec de beaux bas-reliefs. Mais elle se dresse solitaire sans les voix enjouées des élèves. Dans le jardin d'une maison voisine, de beaux kakis sont en fruits. Tout est beau, mais tout est triste sous le ciel d'automne.
Le Cimetière-Parc de Minami-Sōma
Dans la matinée du 15, nous sommes allés au Cimetière-Parc sur une colline de Minami-Sōma. Ici se dresse une statue de kamikaze, parce que dans cette ville, pendant la guerre, il y avait un aérodrome pour les kamikazes. Quand je suis arrivé ici en 2013, la force de la radioactivité était de 0,451 microsievert/h (selon la loi, il faut nettoyer les sites dont la radioactivité dépasse 0,23 microsievert/h). Cette fois j'ai mesuré, et le chiffre était 0,412 µSv/h.
Quand nous sommes revenus, nous avons trouvé de nombreux sacs noirs sur la colline. Je me suis approché et j'ai vu que sur chaque sac étaient inscrites la nature du contenu et son intensité radioactive. Sur la photo de droite, sur trois sacs au centre, on lit
"0,29 microsievert", "0,29" et "0,32" et "le mot "terre" (土)".
Sur un sac était collée une étiquette, sur laquelle on lisait quatre avertissements pour l'utilisation. L'un d'eux disait: "Nous ne devons pas laisser le sac au soleil, mais à l'intérieur d'une pièce" et "La limite d'utilisation est de trois ans". Partout dans Fukushima on conserve les sacs en plein air. En été, la température en surface va devenir élevée, peut-être plus de 60, plus de 70 degrés. Déjà de nombreux sacs ont quatre ans d'âge. Est-ce qu'ils ne sont pas endommagés? La terre et l'herbe polluées ne sortent-elles pas déjà et ne s'envolent-elles pas? Les travailleurs ne souffrent-ils pas à cause de la radioactivité?
Comment gère-t-on la conservation de ces sacs sur la durée?
Le 15, nous sommes retournés à la ville de Fukushima et avons visité l'entrepôt sur la colline de Shinobu, à 15 minutes à pied de la gare de Fukushima. Tout autour il y a beaucoup de maisons et même le bureau des affaires juridiques.
On conserve des sacs sur quatre étages sous une énorme bâche verte. Combien de sacs sont-ils stockés et jusqu'à quand ? Le gouvernement prévoit maintenant de construire un dépôt temporaire dans les villes voisines de la centrale n°1 de Fukushima, mais il est difficile d'obtenir des terrains pour cela, car les gens ne veulent pas vendre leurs terres et champs hérités de leurs ancêtres. Le gouvernement promet d'emporter hors du département, au bout de trente ans, les déchets pollués collectés, mais personne ne croit à cette promesse insensée, car aucune ville hors de Fukushima ne les acceptera.
Ensuite, Pradip et moi avons marché autour de la colline. Dans les ruelles, les enfants jouaient avec leurs mères. J'ai regardé en cachette mon radiamètre dans ma poche, et j'ai trouvé 0,30 microsievert/h de radioactivité. Cet endroit a déjà été nettoyé, mais il est toujours fortement radioactif. Puis j'ai fait une mesure au petit ruisseau, où auparavant le chiffre était de 12 microsieverts/h. Voir la photo ci-dessous.
Sur l'écran s'affiche non pas 0,100 mais 10,0 µSv/h. J'ai mesuré dans de nombreux endroits, mais nulle part il n'y avait une aussi forte radioactivité. Tout à côté, le chiffre tombait à 1 microsievert/h. Pourquoi à cet endroit seulement est-ce si radioactif, me suis-je étonné.
Vraiment l'accident nucléaire nous a posé des problèmes insolubles. Certes Pradip se sentait heureux parce qu'il vit dans un pays sans énergie nucléaire, le Népal.
Suite de l'épisode
Une semaine après mon petit voyage, le 21 octobre, je suis allé à la maison de retraite de ma ville, et j'y ai joué un concert avec des instruments intéressants de diverses parties du monde. Un coup de téléphone de ma femme m'est arrivé et elle me disait ceci: «Bientôt, va venir à la maison de retraite une dame qui s'appelle Watanabe, de Fukushima, et elle veut te rencontrer." Je ne savais pas qui elle est. Bientôt elle est venue et m'a salué: «Je suis la femme du pâtissier Watanabe. Je suis venue vous remercier". Après avoir vu cette émission de télévision sur le pâtissier Watanabe, j'avais envoyé mon livre de photos "Souvenirs de la catastrophe japonaise" avec une lettre pour lui, car sur le livre on voit apparaître sa pâtisserie. Sa femme avait été très émue par le livre et ma lettre, et elle avait décidé de venir me voir à l'occasion d'une visite à son fils qui travaille dans ma ville comme apprenti pâtissier.
Le pâtissier Watanabe a travaillé pendant un an à Tokyo après la catastrophe, mais il s'est énervé des difficultés de la vie et a ressenti un fort désir de rouvrir sa fabrique de gâteaux à Minami-Sōma. Le couple est revenu en décembre dernier et a réussi à rouvrir celle-ci dans le quartier de Haramachi.
Son fils a dû arrêter ses études à l'université et il apprend maintenant le métier de pâtissier, et le hasard a fait que ce soit dans ma ville de Maebashi. Il y a deux jours, il est tombé malade, sa mère est donc venue auprès de lui et a profité de l'occasion pour me rendre visite. Sa fille, lorsque l'accident nucléaire est arrivé, fréquentait l'école secondaire supérieure d'Ōkuma, où se trouve la centrale nucléaire n°1. Avec sa famille, elle a fui dans une autre ville et elle y a fréquenté une école dans laquelle elle a eu du mal à s'intégrer. Ses affaires sont restées dans son ancienne école, comme celles des élèves de l'école élémentaire d'Odaka.
Quand les gens n'y habitent pas, une maison se dégrade facilement. Dans la fabrique de gâteaux Watanabe à Odaka, les planchers s'étaient effondrés. Tout devient vieux. En outre les rats s'y emploient. Mme Wanatabe a dit que sans réparations à grande échelle, le bâtiment ne sera pas utilisable.
À la télévision son mari est apparu deux fois, mais l'émission n'a couvert que la région de Kantō, de sorte qu'elle n'a pas vu ces programmes. Mais quelques personnes de Kantō sont venues acheter des gâteaux dans sa pâtisserie.
Lorsqu'elle a reçu mon livre et ma lettre écrite au pinceau et à l'encre de Chine, elle a été très émue et réconfortée en voyant que des gens soutenaient son entreprise.
Sa visite a été une grande joie pour moi. Envoyer mon livre et écrire une lettre est une aide minuscule, mais cette aide est nécessaire. Entre la fabrique de gâteaux et moi est né un nouveau lien humain, à savoir l'amitié, de laquelle doit naître du bien dans notre société.
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Le 3 décembre 2015
Visite du site de maisons provisoires à Motomiya
Les 2 et 3 décembre 2015 a eu lieu la fête de Zamenhof organisée par la société d'Espéranto du département de Fukushima. Je suis quasiment un membre de cette société, vivant dans le département voisin, le Gunma. Le 2 décembre, nous avons passé la nuit aux Thermes de la source chaude de Dake, et le 3, j'ai fait un peu de tourisme dans la ville de Nihonmatsu, et l'après-midi, je suis allé à Motomiya, une ville voisine.
Dans le cadre de mon action d'aide aux victimes de la Catastrophe, j'ai rencontré des gens que je n'aurais jamais rencontrés si la catastrophe n'avait pas eu lieu. Par l'intermédiaire d'une enseignante, dans le département de Fukushima j'ai rencontré Mme Tachibana, réfugiée en provenance de la ville de Namie proche de la centrale nucléaire n°1 de Fukushima, et qui vit maintenant dans la ville de Motomiya.
Il y a deux ans, elle a publié une brochure sur sa vie. Je l'ai eue par hasard et ensuite j'en ai acheté vingt copies pour les vendre à mes connaissances dans ma ville. Elle y décrit ainsi sa carrière:
Je suis née en 1939, en Mandchourie, dans la Chine nord-orientale, colonisée alors par le Japon. Je suis revenue au Japon en 1946.
Ensuite, pendant 37 ans, j'ai travaillé dans la ville de Namie comme professeur d'anglais. J'ai agi pour la paix et la démocratie en tant que syndicaliste.
En 2000, mon travail a pris fin.
Le 11 mars 2011 a eu lieu la catastrophe. J'ai souffert à cause de l'accident nucléaire et j'ai déménagé pour la ville de Motomiya.
Après l'accident nucléaire, elle a vécu sa vie de réfugiée ainsi:
Dates |
Lieux de refuge |
Le 11 mars 2011 |
Centre de repos dans la ville de Namie. |
Du 12 au 14 mars |
Lieu de rassemblement du quartier de Tsushima à Namie. |
Le 15 mars |
Gymnase de la ville de Nihonmatsu. |
Du 16 au 18 mars |
Chez un de ses amis. |
Du 19 mars au 5 avril |
Chez sa soeur dans le département de Kanagawa. |
Du 6 au 30 avril |
Chez son frère dans le département de Kanagawa. |
Du 1er mai au 6 mai |
Hôtel dans la ville de Kōriyama. |
Du 7 mai au 6 octobre |
Villa d'une amie à Motomiya |
Du 27 octobre 2011 au 25 juin 2012 |
Maison provisoire à Motomiya. |
Du 25 juin 2012 jusqu'à maintenant |
Autre maison provisoire plus grande dans le même quartier. |
Une vie de réfugiée très dure ! Tous les réfugiés disent qu'ils ont déménagé au moins 5 ou 6 fois d'un endroit à l'autre. Mme Tachibana nomme sa vie nomade actuelle comme étant la deuxième que le pouvoir lui a imposée. La première fois, elle a vécu une expérience semblable en Mandchourie après la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les Japonais immigrés ont été abandonnés face aux attaques des soldats soviétiques.
Après l'accident nucléaire, la ville de Namie est devenue inhabitable, alors l'administration municipale a été transférée à Nihonmatsu et tous les habitants sont à présent dispersés dans 31 sites provisoires (voir ci-dessous) dans 11 villes du département de Fukushima. Bien sûr, en outre il y a des citadins qui ont trouvé refuge dans d'autres départements, et même à l'étranger.
Kōri 1 site
Nihonmatsu 11 sites
Fukushima 8 sites
Motomiya 7 sites
Sōma 1 site
Kawamata 2 sites
Minami-Sōoma 1 site
En tout 31 sites
Le site de logements provisoires, dans le quartier de Takagi de la ville de Motomiya est l'un de ces trente-et-un sites. Dans ce lotissement, on peut trouver 3 types de logements : des F1 (une chambre et une cuisine, salle de bains et toilettes, pour une personne seule), des F2 (deux chambres, etc., pour 2 personnes ) et des F3 (3 chambres, etc., pour plus de 2 personnes). Initialement vivaient là 62 familles, mais maintenant il en reste 35. Mme Tachibana réside maintenant dans une maison F3, elle a déménagé de la maison F2 lorsque des maisons F 3 ont été libérées.
( à gauche: plan du site provisoire de Takagi)
Visite au domicile provisoire de madame Tochibana
Le 3 décembre à 1 heure, madame Tochibana est venue à ma rencontre à la gare de Motomiya. Sa voiture m'a emmené à la région montagneuse, où se trouvent les installations sportives de la ville. On a construit l'ensemble des logements dans son parc. Là, des rangées de maisons sont alignées. Elle a arrêté la voiture à l'endroit prévu pour la rencontre (espéranto), et sa maison était toute proche. Je voulais en voir l'intérieur, mais elle ne m'a pas invité à y entrer. La photo du bas montre une entrée de sa maison.
A côté de la salle de rencontre, stationnaient des chasse-neige. J'ai été surpris de ce qu'a dit Mme Tachibana à propos des chutes de neige ici: "En janvier il a beaucoup neigé et la couche a atteint un mètre de hauteur." Dans la ville de Namie, il ne neige presque jamais, si bien que les réfugiés ont certainement été consternés par autant de neige.
J'avais par avance annoncé ma visite et la présentation de mon concert d'instruments du monde, si bien que lorsque je suis arrivé à l'endroit de la rencontre, trois hommes et quatre femmes s'étaient déjà rassemblés. J'ai été étonné de voir qu'ils étaient d'âge moyen. Sont-ils sans emploi ou bien travaillent-ils de nuit ? Pendant 90 minutes, je leur ai montré mes talents et je les ai divertis, mais ils ne se sont jamais déridés, probablement en raison d'insatisfaction et de préoccupations au sujet de leurs conditions de vie.
Grande colère de son ancien élève
J'avais décidé de partir à 3h20, dans la voiture d'un ancien élève de Mme Tachibana. En attendant, j'avais un peu de temps libre, alors je me suis promené sur le terrain et lui ai demandé quelle était la mesure de la radioactivité à cet endroit, et il a montré les chiffres sur le panneau d'affichage, à côté de la salle de réunion. Les chiffres étaient d'environ 0,18 microsievert/h, donc moins que la norme maximale permise de 0,23 µSv/h. Il a dit: "On a nettoyé le terrain du lotissement, si bien que les chiffres ne sont pas très élevés, mais ... viens chez moi." Il m'a conduit à sa maison. Derrière elle, se trouvait une petite prairie entourée d'une clôture. "On n'a pas nettoyé ce lieu, alors le chiffre est élevé". J'ai tendu mon bras avec le dosimètre au-dessus de la prairie, et le chiffre est immédiatement monté à 0,24 µSv/h.
Il m'a ensuite conduit à un autre endroit, en dehors de la clôture, où les habitants peuvent se promener librement. J'y ai mesuré la radioactivité, et le chiffre a atteint aussitôt 0,80 µSv/h. Il m'a dit en colère : "Nous nous sommes réfugiés ici en quittant ma ville de Namie, parce que Namie était polluée par la radioactivité. Pourquoi devons-nous habiter à nouveau dans un endroit contaminé? Dans la ville de Namie, on trouve maintenant des quartiers moins contaminés qu'ici". Il a demandé à la ville de Motomiya que l'on nettoie les alentours du lotissement provisoire, mais la ville a répondu que la terre appartenait à l'Etat, si bien qu'elle ne pouvait rien faire. Il a ensuite demandé à la ville de transférer sa demande à l'Etat, mais la réponse n'est pas venue.
Dans la voiture qui me conduisait à la gare, sa colère ne s'est pas calmée. "Auparavant j'avais ma petite entreprise de réparation automobile, mais ici je ne peux pas travailler. Ma vie dépend des indemnités de TEPCO, mais dans deux ans, elles ne me seront plus payées. Je devrai partir de la maison provisoire pour aller ailleurs, parce que le droit au logement va expirer dans 2-3 ans. Le gouvernement et TEPCO attendent certainement notre mort. Si nous venons à mourir, ils n'auront plus besoin de nous payer les indemnités. Ils ne se soucient pas de nos plaintes ni de nos critiques. Les gens d'ici ne nous aiment pas car ils croient, à tort, que nous recevons de grosses indemnités. Je voudrais leur dire que je leur donnerais volontiers cet argent et la maison provisoire, s'ils me donnent leur maison en échange."
Ce site de logements provisoires isolé est situé dans la montagne, comme si on l'avait mis au ban de la société. Les habitants ne peuvent pas jouir des droits garantis par la Constitution japonaise. Mme Tachibana dit ceci : "Le gouvernement et TEPCO utilisent habilement l'argent pour créer la discrimination et l'hostilité entre les réfugiés et le reste de la population. Si nous nous battons entre nous, eux peuvent être tranquilles, car plus personne ne les critiquera. Il y a des gens rusés, et dans le gouvernement, et chez TEPCO ". Il est compréhensible que Mme Tachibana et son ancien élève soient en colère contre eux. Mme Tachibana se bat contre eux, mais cet ancien élève est pessimiste quant aux résultats de son combat. Il dit: "Elle se bat en cour de justice, mais cela ne les touche pas du tout. Dans quelques années, son combat prendra fin dans l'incertitude et sans résultat".
Auparavant Mme Tachibana m'avait dit: "Je ne partirai pas de la maison provisoire et je verrai ce qui arrivera à la fin." Il m'a semblé qu'elle n'avait pas encore perdu sa combativité, mais elle a déjà 76 ans. La bataille en cour de justice durera longtemps. L'accident nucléaire est vraiment cruel. Tous les habitants le long de la côte de Fukushima souffrent de la catastrophe. Malgré cela, le gouvernement va approuver la remise en fonctionnement des réacteurs nucléaires au Japon, ce qui pourra engendrer de nouvelles victimes. Le Premier ministre Abe et son parti manquent vraiment d'humanité et d'amour pour les gens du peuple. La colère de Mme Tachibana c'est "le pot de terre contre le pot de fer", à savoir les plaintes des faibles contre les puissants, mais nous, gens de bonne foi, qui avons la responsabilité des générations suivantes, nous ne pouvons pas abandonner le combat. Nous devons porter haut notre slogan "Nous n'autorisons pas la politique d'Abe."