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La réalisatrice Chiho SATO est née à Fukushima. Habitant en France depuis 2010, elle a vécu la catastrophe de Fukushima de manière terrible, comme beaucoup d’expatriés, car elle n’avait aucune nouvelle de sa famille. Quatre ans plus tard, ses proches habitent toujours dans la zone d'évacuation volontaire, à 60 km de l’ex-centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Aujourd’hui, elle souhaite réaliser un documentaire intimiste sur cette région radioactive, intitulé « Fukushima : les voix silencieuses », avec comme objectif de « ré-ouvrir le débat sur la situation à Fukushima en y incluant la voix des habitants eux-mêmes ».
Très intéressé par cette démarche, le Blog de Fukushima s’est rapproché de la réalisatrice pour lui poser quelques questions.
PF : Vous qui habitez en France depuis 2010, comment avez-vous vécu la catastrophe de Fukushima en 2011 ?
CS : C’était réellement une situation cauchemardesque. C'est une amie japonaise qui m'a averti du tremblement de terre le 11 mars. J'ai immédiatement essayé de téléphoner à mes parents, mais à ce moment-là les réseaux téléphonique étaient saturés, je n'ai donc pu joindre personne ! Pendant deux jours, et malgré mes tentatives d'appels heure après heure, je n'ai pu entendre leur voix. Les nouvelles à la Télé et sur internet étaient mes seules sources d'information. Ce qui a eu pour résultat de m'angoisser encore plus, car les images montraient en boucle les ravages du tsunami. Le 13 mars, j’ai enfin réussi à joindre ma famille sur le portable de ma mère. Ils n'avaient rien, la maison n’avait pas subi de dégât, j’étais vraiment émue. Mais ils n'avaient plus d'électricité. Ils vivaient comme à l'époque d’Edo (1600-1868) !! Ma mère avait juste réussi à recharger son portable grâce à un petit générateur à manivelle. Ma mère s’inquiétait des risques dus à l'explosion de la centrale mais apparemment les informations à la radio n'en parlaient pas.
Par contre, en France, le nom de ma province natale courrait sur toutes les lèvres. J'ai alors commencé à envoyer des informations à ma famille par SMS.
PF : Est-ce que la catastrophe atomique de 2011 vous a fait changer d’avis sur l’utilisation de l’énergie nucléaire ?
CS : Je me souviens quand j'étais adolescente, lycéenne à Fukushima city, on nous a présenté un dessin animé ventant le coté écologique et « vert » de la centrale nucléaire de Fukushima. Celle-ci étant l'une des principales sources d'énergie de la ville de Tokyo, son gestionnaire (TEPCO) avait tout intérêt à ce que les habitants et en particulier les enfants de la région est une bonne image de cette centrale. Mais mes parents étaient toujours ouvertement anti-nucléaires sans pour autant être militant. J'étais donc peu enclin à adhérer au message « greenfriendly » de TEPCO. Mais avant la catastrophe, je n'avais jamais été « activiste » anti-nucléaire. Malheureusement, et comme pour beaucoup de personnes j'en ai peur, il a fallu que le désastre me touche personnellement pour que je décide d'agir concrètement.
PF : Considérez-vous votre film comme un acte engagé anti-nucléaire ou comme un état des lieux montrant la vie des habitants de Fukushima de manière neutre, favorisant la réflexion?
CS : Au début avec ce projet, je voulais simplement faire un état des lieux. Montrer aux français le quotidien d'une famille de Fukushima. Peut-être aussi donner à voir des visages, des vies réelles, qui souvent sortent de nos esprits ou deviennent abstraites lorsque l'on entend parler d'une catastrophe à l'autre bout du monde.
Aujourd’hui, mon point de vue s'est développé, affiné au fil de mes recherches et des discussions. La mauvaise gestion de la crise par les autorités japonaises et TEPCO et les problématiques lié à la désinformation ont rendu mon regard beaucoup plus critique. Cependant je ne veux pas perdre ce qui est l'essence de ce film en particulier : l'intimité et le quotidien de ma famille. Je désire donc être un témoin actif (puisque diégétique) des craintes, des interrogations, des espoirs de ma famille et de leur entourage.
PF : En quoi votre film peut faire prendre conscience des dangers du nucléaire ?
CS : Pour ma part je ne suis pas spécialiste du nucléaire ou médecin, je ne peux, ni ne veux rentrer dans des considérations scientifiques dans mon film. Je ne veux pas non plus pointer du doigt des enfants malades de la thyroïde et crier « Regardez ! C'est à cause du nucléaire ! ». Il y a plein de gens plus compétent que moi pour le faire. Par contre, je peux parler, en connaissance de cause, d'une autre particularité du nucléaire : on en oublie vite ses nuisances.
Dans un des extraits que nous avons mis en ligne, mon oncle nous confie qu’il a tendance à oublier la présence de la radioactivité. Aujourd'hui, ma famille préfère se dire que les doses auxquels ils sont exposés sont faibles et donc sans danger. A Fukushima-city, la plupart des gens n’ont pas peur de vivre, de respirer, ou de manger dans un environnement pourtant contaminé. Il est très difficile de se méfier ou même de se rebeller contre quelque chose qu'on ne voit pas, qu'on ne sent pas, qui ne nous fait pas souffrir dans l'instant. Donc, je pense que la prise de conscience que j'aimerais amener serait que l'un des plus grands dangers du nucléaire c'est de n'y penser que lorsqu'une catastrophe survient puis de l'oublier aussitôt.
PF : En impliquant votre famille dans ce documentaire, ne craignez-vous pas qu’elle vous le reproche un jour ?
CS : C'est une très bonne question. Je me la suis posée et continue de me la poser bien sûr. Je crains parfois d'être trop intrusive avec la caméra au sein de notre foyer familial. Mais je leur ai bien expliqué que mon point de vue n'était pas un jugement sur leurs choix ou leur quotidien. C'est la première fois que je réalise un documentaire aussi intime, alors bien sûr il y a une certaine « prise de risque » lorsqu'on est à la fois sujet, acteur et réalisateur de son film. Mais ma famille est très bienveillante et compréhensive. Et je pense, (j'espère) que peu à peu, eux aussi sont heureux de raconter leur expérience, leur histoire.
PF : L’évacuation des territoires contaminés a divisé la société japonaise. Comment vous positionnez-vous sur le fait de rester ou de ne pas rester dans les territoires radioactifs ?
CS : En premier lieu, je suis choquée par la manière dont les dirigeants japonais gèrent la crise. Ils minimisent les problèmes de contamination pour relancer l'économie de la région. Personnellement, je pense que la zone d'évacuation n'est déjà, à l'heure actuelle, pas assez étendue pour protéger les citoyens. Mais là, les autorités veulent réduire le périmètre et inciter des familles entières à se réinstaller dans des zones encore largement contaminées. Cette politique me met hors de moi ! Pour ce qui est de déménager, ou non, du territoire contaminé je pense que le choix est réellement personnel et donc différent selon les moyens économiques et les sensibilités de chacun. Et je ne peux me résoudre à juger ce genre de décision. Ma sœur, par exemple, avait quitté la province de Fukushima après la catastrophe. Mais l'année dernière, elle, son mari et leur deux enfants de 7 et 10 ans sont revenus habiter dans la département, non loin de chez mes parents. Pour ma part il est clair que je ne voudrais pas élever mes enfants dans cette zone mais encore une fois je ne peux pas juger les choix de chacun.
J'aimerais juste que toutes les familles qui font ce choix soit entièrement conscientes des risques encourus. Que leurs choix ne soient pas faussés par des propagandes gouvernementales.
(Propos recueillis par Pierre FETET, mis en forme par Lucas RUE, mari et co-réalisateur de Chiho SATO)
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A ce jour, il manque encore 1500 euros pour que le film puisse être finalisé. Si vous êtes intéressé par le projet de Chiho Sato, vous pouvez lui apporter votre soutien par une participation financière, aussi modeste soit-elle, en cliquant sur le lien suivant qui donne aussi une présentation détaillée du projet :
FUKUSHIMA : les voix silencieuses