Tepco vient d’annoncer que du Xénon avait été retrouvé dans l’enceinte de confinement du réacteur n°2. Cela signifie concrètement, comme en novembre 2011, qu’une réaction en chaîne incontrôlable a eu lieu ces derniers jours et est peut-être encore en cours.
En effet, les xénons 133 et 135 se créent lorsqu’il y a une fission nucléaire de l’uranium et leur période radioactive est très courte (9 h pour Xe-135 et 5 jours pour Xe-133).
Voici les résultats de l’analyse, issus du document fourni par Tepco :
Temps d'échantillonnage: 13 février 2012, 16h24 à 16h54 (filtre à charbon actif)
Xe-133 : 0,016 Bq/cm3 (5 jours de demi-vie) ou 16 000 Bq/m3
Xe-135 : 0,023 Bq/cm3 (9 heures de demi-vie) ou 23 000 Bq/m3
source : http://www.tepco.co.jp/en/nu/fukushima-np/images/handouts_120214_07-e.pdf
Si Tepco ne revient pas sur ces données, alors on peut considérer que les thermomètres du réacteur 2 ne sont pas défaillants et que l’augmentation de la radioactivité dans la préfecture de Fukushima n’était pas anodine.
La température continuant à s’élever (plus de 300°C), l’inquiétude est grande chez les travailleurs de la centrale. Certains craignent une explosion, comme l’indique ce témoignage recueilli par Fukushima Diary : http://fukushima-diary.com/2012/02/minamisoma-blogger-the-heating-gauge-is-not-broken-at-reactor2/#.Tzp73KvEc30.facebook (en anglais).
----------------------------------------------------
Mise à jour du 15 février 2012
On savait déjà que le mot « corium » était un mot tabou. Dorénavant, il va falloir s’y faire, le mot « fission nucléaire » ne doit pas être utilisé si la fission ne se produit pas dans un réacteur en état de marche ! Dès que quelque chose est hors contrôle, on ne doit surtout plus en parler !
Soyons clairs, si on détecte du xénon-135, il y a fission de l’uranium. Si cette fission n’est pas conventionnelle, et si l’enceinte de confinement du réacteur n°2 n’est plus étanche depuis l’explosion du 15 mars 2011, à qui la faute ? Si à chaque fois qu’une mesure ne correspond pas à l’état d’arrêt à froid, Tepco décide que les appareils de mesure sont hors service, que peut-on en conclure ?
Suite aux commentaires provoqués par cet article, je tiens à faire quelques mises au point :
1) Le titre de l’article est une question. Je posais la question car l’information de la présence de xénon venait de me parvenir. Depuis, j’ai appris que le xénon était détecté au moins depuis janvier. Tepco publie de temps en temps les mesures de détection des gaz rares, et il trouve du xénon régulièrement, ce qui l’a poussé d’ailleurs à injecter une tonne d’acide borique dans le réacteur 2 le 7 février 2012. Or il faut bien savoir que ce produit est destiné à absorber les neutrons pour contrôler le taux de fission de l'uranium. Alors moi je veux bien qu’il n’y ait pas de fission nucléaire, mais il faudra qu’un physicien nucléaire explique pourquoi le xénon-135 est présent et pourquoi on injecte de l’acide borique. Quoi qu’il en soit, le fait qu’on trouve du xénon depuis janvier n’enlève rien à la question de savoir s’il y a des reprises de criticité ou non. En revanche, que personne n’en parle parce que Tepco prétend qu’il n’y a pas de fission, le fait reste étrange.
Les tableaux de Tepco sont assez éparpillés et difficiles à trouver, j’en ai fait une synthèse pour y voir plus clair. Mais avant, quelques explications s’imposent.
Suite à la découverte de xénon au mois de novembre 2011, Tepco a choisi de détecter plus finement les gaz rares en utilisant d’autres techniques que celle du « Gas vial container » : le filtre à particule (particulate filter) et le filtre à charbon (charcoal filter). C’est pourquoi depuis le 13 janvier 2012, Tepco diffuse trois tableaux au lieu d’un précédemment. Voici les mesures du filtre à charbon (J’ai transposé en Bq/m3 pour plus de lisibilité.) :
date de prélèvement (charcoal filter) |
Xe-133 |
Xe-135 |
Source Tepco |
13 janvier 2012 |
12000 Bq/m3 |
24000 Bq/m3 |
http://www.tepco.co.jp/en/nu/fukushima-np/images/handouts_120116_05-e.pdf |
6 février 2012 |
13000 Bq/m3 |
22000 Bq/m3 |
http://www.tepco.co.jp/en/nu/fukushima-np/images/handouts_120208_07-e.pdf |
13 février 2012 |
16000 Bq/m3 |
23000 Bq/m3 |
http://www.tepco.co.jp/en/nu/fukushima-np/images/handouts_120214_07-e.pdf |
Conclusion : le taux des gaz xénon 133 et 135 restent relativement stables depuis le mois de janvier.
Alors que le Gas vial container ne détecte plus rien, le filtre à charbon détecte du xénon de manière plus importante qu’en novembre. L’augmentation du taux (environ 1000 fois plus élevé) par rapport à la détection de novembre peut s’expliquer par le changement de technique d’échantillonnage.
MAIS
Pour chaque échantillonnage de gaz effectué avec le filtre à charbon, le prélèvement se fait durant une demi-heure, or Tepco ne précise pas avec quel débit. La mesure est donnée en Bq/cm3, mais comme on ne sait pas combien de cm3 ont été filtrés, Tepco se laisse en fait une marge de manœuvre pour affirmer ce qu’il veut. C’est ce qu’on appelle une information tronquée : Tepco est spécialiste de cette technique. Un journaliste devrait poser la question du débit de prélèvement directement à Tepco.
Il faut savoir que les épisodes de criticité sont la norme dans le corium de Tchernobyl. Ce sont des évènements chroniques et incontrôlables.
Je voudrais reprendre ici le commentaire de Delphin qui éclaire la situation :
« S'il s'avère qu'il y a des reprises de criticité, la température s'élevant fortement consécutivement au redémarrage localisé de
réactions en chaîne, ces dernières s'étouffent alors d'elles mêmes.
Pour s'initier et se développer, une réaction en chaîne a besoin, dans ces conditions non optimales de faible densité d'uranium 235, d'une température la moins élevée possible.
Comme les fissions s'accompagnent de forte chaleur, les réactions s'étouffent, pour reprendre ici ou ailleurs, dès que la température est suffisamment redescendue, l'eau jouant alors son rôle de
modérateur ("ralentisseur" de neutrons).
Le problème, c'est que chaque bouffée de reprises recrée de nouveaux produits issus des fissions, dont certains gazeux qui peuvent migrer vers la surface, et que nous avons alors à faire avec un
réacteur nucléaire sporadiquement éternellement en activité, avec ce que ça signifie comme accumulation. »
Il est possible enfin que Tepco injecte du bore pour essayer de durcir le corium, ce qui atténue l’extériorisation des produits de fission lors d’un épisode de criticité. Mais les tremblements de terre peuvent briser ces croûtes formées en quelques secousses, ce qui peut conduire à des bouffées de gaz radioactifs.
2) Certes la référence au témoignage d’un travailleur dans la centrale est incertaine (témoignage rapporté par un blogueur japonais sans mention d’identité), mais je fais confiance en la capacité de compréhension et de tolérance de mes lecteurs. C’était une manière d’illustrer ce qui se passait dans la centrale, en me tournant vers une des rares sources d’informations disponibles sur Fukushima. Je rappelle en passant que les travailleurs de Tepco ont interdiction absolue de parler de leur travail. Je rappelle aussi qu’officiellement, il n’y a eu aucun mort dû à la radioactivité depuis le début de la catastrophe…
Etant donné que Fukushima a arrosé le monde entier de plutonium, j’estime qu’il serait normal que l’ONU prenne en charge le suivi de cette catastrophe qui est une agression envers l’humanité. Or rien ne se passe, l’industrie nucléaire est préservée sans débat. Il est déplorable de devoir avoir recours à des blogs pour pêcher des informations. Tepco diffuse des informations parcellaires et tronquées depuis un an. Tout le monde trouve ça normal et reprend ces informations sans sourciller, sans esprit critique.
L’analyse fine des mesures de xénon montre que Tepco est encore en train de cacher la réalité des choses. Evidemment, il ne semble pas y avoir des quantités phénoménales de xénon détectées, donc le risque d’une explosion est sans doute exagéré. Mais cette manière de distiller de l’information invérifiable devrait être dénoncée par les médias.
3) Voici des précisions sur le xénon, tirées directement de Wikipédia :
Le xénon-135 est un radionucléide (demi-vie : 9,17h), qui se forme directement dans la fission de l'uranium (dans la proportion de 0.4%) et indirectement par filiation radioactive à partir de l'iode-135 de période 6,7h (dans la proportion de 5.6%).
Le xénon-135 formé peut donner du césium135, mais également donner du xénon136 par capture d'un neutron (ces deux noyaux sont pratiquement stables et de section efficace négligeable). La proportion relative de ces deux consommations dépend du flux de neutrons.
Le xénon 135, artificiel, est un élément jouant un rôle important dans les réacteurs de fission nucléaire. 135Xe possède une section
efficace d'absorption très importante pour les neutrons thermiques, 2,6×106 barns, et agit donc comme absorbeur de neutrons ou comme poison pouvant ralentir ou stopper la réaction en chaîne. Cet
effet a été découvert dans les tout premiers réacteurs nucléaires construits par le projet Manhattan pour produire du plutonium. Heureusement pour eux, les ingénieurs ayant dimensionné le
réacteur avaient prévu de la marge pour augmenter sa réactivité (nombre de neutrons par fission qui eux-mêmes induisent la fission d'autres atomes du combustible nucléaire).
L'empoisonnement du réacteur par le 135Xe joua un rôle important dans la catastrophe de Tchernobyl.
Autres informations, autres avis :
*Extrait du communiqué de l’IRSN : « L'absence d'évolution des mesures de la teneur en Xénon 135 infirme l'hypothèse d'une reprise de la criticité dans le cœur ; par mesure de précaution, TEPCO a néanmoins injecté de l'eau borée dans la cuve. En conclusion, sur la base des informations actuelles, le refroidissement du combustible reste assuré et l'IRSN n'identifie pas, à ce stade, d'évolution significative par rapport à la situation antérieure. »
*Ce qu’en pense Dominique Leglu, docteur en physique nucléaire et physique des particules, directrice de rédaction du mensuel scientifique Sciences et Avenir :
Lire son avis du 10 février 2012.
*A propos du Xénon-133, article de l’AIPRI de novembre 2011 :
http://aipri.blogspot.com/2011/11/le-xenon-133-tres-faiblement.html
*Intervention radio récente du professeur Koide Hiroaki datant du 14/02/2012, concernant la situation du réacteur
n°2 (résumé de Aizen Kaguya, groupe Fukushima Informations):
- Le thermomètre semble ne pas fonctionner pour le réacteur 2. En réalité, cet appareil est un des plus fiables. Koide pense que c'est plutôt un câble alimentant
l'appareil qui est endommagé.
- En attendant, aucun robot ne peut se rendre à l'intérieur de la cuve.
- Concernant le xénon: pas de risque d'explosion ou ce genre de choses spectaculaires en vue. Koide observe que la présence de xénon signifie simplement que la fission du combustible d'uranium
est toujours en cours "quelque part" dans les soubassements. Il pense que l'on peut imaginer qu'il s'agit d'un état qui ressemblerait à celui d'un corium toujours en ébullition avec rejets
intermittents. Il dit qu'il faut éviter que cela continue car ce sont ces rejets qui peuvent causer des dommages aux travailleurs sur place.
- Il ne sait pas où se trouve actuellement le corium.
Merci à tous ceux qui ont participé d’une manière ou d’une autre à ce débat et m’ont éclairé et aidé à faire cette mise à jour ! Nous n’avons pas la réponse à la question posée dans le titre, mais nous avons plus d’éléments pour comprendre ce qui peut se passer à l’intérieur du réacteur.