« Des mesures doivent être prises en priorité pour la santé publique. Malheureusement, nous voyons peu de signes en ce sens. »
Décidément, cette commission indépendante est très critique mais aussi très réaliste. Non seulement elle dénonce des ordres d’évacuation chaotiques et un manque criant de préparation au désastre nucléaire, mais elle met aussi en évidence l’absence de formation du public sur les effets de la radioactivité sur la santé. « Ce que le gouvernement doit faire, c'est offrir une information détaillée aux habitants et leur fournir des éléments pour une prise de décision informée. »
Oui, 16 mois après la catastrophe, il est grand temps que la population sache ce qu’elle risque en vivant dans des territoires contaminés. Sans doute en réaction à ce rapport, une mesure a été prise pour la prochaine rentrée : les enseignants et les écoliers recevront une formation sur la radioactivité. Est-ce que ce sera suffisant ? Probablement pas, car la matière est très complexe et il faudra de nombreuses années avant que la population n’acquière une culture de l’atome. En France, pays aux 58 réacteurs nucléaires, la situation est identique : la radioactivité est un sujet tabou qui n’est au programme ni de l’école, ni du collège. La société française fait exactement comme la société japonaise avant Fukushima, elle est dans le déni du danger nucléaire et dans un état incroyable d’impréparation au désastre.
Mais revenons au Japon avec la traduction de la quatrième partie du résumé des conclusions de la commission d’enquête, correspondant aux pages 37 à 41 du rapport de 88 pages édité en anglais.
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Synthèse du rapport officiel de la commission d’enquête indépendante sur l’accident nucléaire de Fukushima
(traduction : Guy Fargette)
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4. L'étendue des dommages
La commission a abouti à un certain nombre de constatations concernant l'étendue des dommages provoqués par l'accident sur la centrale nucléaire. Nous avons étudié la manière dont les décisions ont été prises, et comment les stratégies et les mesures palliatives ont été communiquées au public. Nous avons également enquêté sur ces éléments du point de vue des habitants affectés par les conséquences de l'accident.
Dommages infligés par l'accident de centrale
Les effets de l'accident continuent bien sûr à se faire sentir et continueront d'affecter le pays. L'accident a provoqué l'émission de 900 PBq (1015 Bq) de substances radioactives, 1/6 du total des rejets de l'accident de Tchernobyl si on les convertit en niveau d'iode. Il y a maintenant de vastes étendues du pays — 1800 km² — dans la préfecture de Fukushima dont les niveaux de contamination atteignent une dose cumulée potentielle de 5 mSv/an ou davantage.
Les habitants sont particulièrement préoccupés par leur niveau d'exposition. Cependant, les conséquences sanitaires ne sont pas encore connues du fait des différentes conditions qui s'appliquent à chaque individu. Une estimation de l'exposition externe cumulée sur les 4 premiers mois suivant l'accident pour 14 000 habitants environ (à l'exclusion des travailleurs de la centrale) dans trois villes et villages où les doses de radiation ont été relativement élevées, montre que 0,7 % d'entre eux ont été exposés à 10 mSv ou plus, et 42,3 % ont été exposés à moins de 10 mSv, dont 57 % ont été exposés à moins de 1 mSv. Bien que ces valeurs soient généralement basses, il est clair que des habitants souffrent de stress provoqué par la peur de l'inconnu.
Des ordres d'évacuation chaotiques
L'enquête de la commission a révélé que de nombreux habitants n'ont pas été informés qu'un accident s'était produit ou qu'il s'aggravait rapidement et que des fuites radioactives avaient lieu, et cela, même après que le gouvernement et certaines municipalités en aient été informés.
Lorsque les conséquences de l'accident ont commencé à s'aggraver, les destinations d'évacuation et d'autres aspects de l'évacuation ont été souvent modifiés. Mais, même durant la période d'aggravation, la plupart des habitants proches sont restés dans l'ignorance de la catastrophe ou de sa gravité, sans parler du risque accru.
Un total de 146 520 habitants ont été évacués à la suite des ordres d'évacuation du gouvernement. Pourtant, de nombreux habitants proches ont été évacués sans informations précises. Dans l'ignorance de la gravité de l'accident, ils pensaient ne partir que pour quelques jours et n'ont emporté que le strict nécessaire. Les ordres d'évacuation ont été régulièrement révisés tandis que les zones d'évacuation passaient du rayon initial de 3 km à 10 km, puis 20 km, tout cela en une seule journée. A chaque fois que la zone d'évacuation était étendue, les habitants devaient se déplacer. Certains évacués n'ont pas été informés qu'ils avaient été envoyés sur des sites de forte radioactivité. Les hôpitaux et les crèches dans la zone des 20 km se sont débattus pour assurer des moyens de transport et trouver des hébergements ; 60 patients sont morts en mars de complications liées à l'évacuation. L'exaspération a monté parmi les habitants.
Le 15 mars, les habitants de la zone entre les 20 et 30 km ont reçu l'ordre de se calfeutrer. Comme cette mesure a duré plusieurs semaines, ces habitants ont été victimes d'un grand manque d'information et de moyens. L'ordre de calfeutrage a été en conséquence revu en évacuation volontaire. Mais là aussi, l'information sur cette modification a été tristement déficiente et les habitants se sont retrouvés à devoir évacuer sans posséder les informations indispensables. La Commission conclut que le gouvernement a de fait abdiqué sa responsabilité envers la sécurité publique.
Le fait que certaines parties de la zone des 30 km subissaient de forts niveaux de radiation a été connu avec la publication du Système pour la Prédiction de l'Information environnementale sur la dose d'urgence (SPEEDI), le 23 mars. Mais ni le gouvernement ni le Centre de Réponse d'Urgence nucléaire n'ont pris de décision rapide pour l'évacuation des résidents de ces zones qui n'ont été évacuées qu'un mois plus tard.
Le manque de préparation au désastre nucléaire
Les autorités de régulation s'étaient aperçues de divers problèmes concernant la préparation à une catastrophe nucléaire avant l'accident, mais elles n'avaient pas redéfini les mesures de prévention. En conséquence, les retards dans la mise en œuvre ont contribué à une réponse inappropriée, comme on a pu le constater durant l'accident.
La Commission de Sûreté nucléaire (NSC) a commencé à revoir les directives de prévention de catastrophe en 2006, pour s'aligner sur les nouveaux standards internationaux. Néanmoins, la NSC redoutait que les habitants s'inquiètent de la nécessité de mesures de protection supplémentaires après avoir été régulièrement assurés du caractère inoffensif de l'énergie nucléaire, et que ces inquiétudes alimentent les arguments opposés au projet plutonium-thermal (utilisation du Mox), alors en cours. La NSC n'a pas su expliquer comment l'initiative de défense civile pourrait être bénéfique pour les habitants, et a échoué à mettre en œuvre les standards internationaux de façon consistante. Bien que la révision des directives se soit poursuivie après 2007, l'accident s'est produit alors que cette révision était toujours en cours.
Après le tremblement de terre de Niigata en 2007, il était évident que l'hypothèse d'une catastrophe multiple devait être prise en compte dans les mesures de prévention d'un accident nucléaire. Pourtant, la NISA a maintenu des contre-mesures basées sur l'hypothèse d'une faible probabilité de catastrophe multiple. La NISA n'a finalement fourni que des conseils passifs à propos des simulations de catastrophe fondées sur une telle éventualité.
Pendant ce temps, le gouvernement n'a pas non plus intégré l'hypothèse d'un accident grave ou d'une catastrophe multiple dans aucun de ses exercices de catastrophe nucléaire. Lorsque le cadre des exercices a été étendu, ceux-ci ont perdu de leur substance, et ont été réalisés dans un but cosmétique, plutôt que d'amélioration de la préparation. Les exercices non pertinents étaient dépourvus d'instruction sur la nécessité d'utiliser des outils tels que l'obtention d'informations sur les radiations depuis le système SPEEDI. Quoiqu'il ait été appliqué dans les exercices annuels, les participants ont trouvé les exercices inutiles au moment de l'accident.
Le Système de Soutien à la Réponse d'Urgence (ERSS) et le système SPEEDI doivent servir à protéger la sécurité publique. Les directives sur la surveillance de l'environnement reposent sur l'hypothèse que l'ERSS prédit et anticipe les émissions de matières radioactives et les données de rejet, et que le SPEEDI prédit et anticipe la diffusion de matières radioactives à partir l'ERSS. Les mesures de sûreté publique, y compris celles qui concernent l'évacuation, devraient reposer sur l'utilisation de ces systèmes.
Si les données d'émission ne peuvent être récupérées depuis l'ERSS, le système SPEEDI ne fournit que des données trop peu fiables pour délimiter les zones d'évacuation. Certaines des personnes impliquées étaient conscientes des limitations du système, mais aucune révision n'a été réalisée avant la catastrophe. Il n'y avait pas d'autre réseau de données qui aurait pu suppléer ou remplacer les systèmes de prévision.
Ce dispositif a échoué. Les données d'émission n'ont pu être récupérées de l'ERSS, et le gouvernement a été incapable d’utiliser les résultats de SPEEDI dans la planification des mesures de protection, et dans la définition des zones d'évacuation. Quelques semaines plus tard, la NSC a publié une estimation du panache de radioactivité au moment de l'accident. Bien que l'estimation de la NSC ait été réalisée par une analyse a posteriori fondée sur une surveillance des données de long terme, le public a cru par erreur qu'elle avait été réalisée au moment de l'accident, que le gouvernement l'avait ignorée ou ne l'avait pas publiée. Cela a accru la méfiance du public.
En même temps, les systèmes médicaux d'urgence sur les radiations avaient été établis provisoirement, après les problèmes survenus au moment de l'accident JCO de 1999. Personne n'avait pris en compte la nécessité d'une préparation à une exposition à la radioactivité d'une grande zone géographique, comme cela s'est produit à Fukushima. A cause de cela, la plupart des dispositifs n'ont pu servir car ils étaient trop proches de la centrale, mais aussi du fait de leur capacité et des effectifs de personnels médicaux entraînés. Ces institutions médicales avec une capacité de traitement d'urgence nucléaire n'ont pas fonctionné comme prévu.
Conséquences actuelles et futures des radiations sur la santé
L'une des préoccupations majeures parmi les habitants est l'effet des radiations sur leur santé. Néanmoins, le gouvernement et la Préfecture de Fukushima doivent encore apporter une réponse adaptée aux inquiétudes pressantes des habitants en ce qui concerne la dose de radiation dans leur environnement, son effet sur leur santé et d'autres questions liées aux radiations. Ce que le gouvernement doit faire, c'est offrir une information détaillée aux habitants et leur fournir des éléments pour une prise de décision informée.
Il n'y a pas de consensus parmi les experts sur les effets sanitaires de l'exposition à de faibles doses de radiation, mais nous sommes d'avis que les limites devraient être fixées aussi bas que l'on peut raisonnablement le faire. Le gouvernement doit faire des efforts pour expliquer la nécessité de limites, et justifier les niveaux choisis, de manière claire et compréhensible pour les citoyens ordinaires. Le gouvernement n'a pas encore sérieusement entrepris de programmes pour aider les gens à comprendre suffisamment bien la situation, pour qu’ils prennent leur propre décision en connaissance de cause. Le gouvernement n'a, par exemple, pas clairement expliqué les variations de risque d'exposition aux radiations selon les diverses populations, telles que les enfants et les jeunes, les femmes enceintes, ou d'autres catégories plus vulnérables aux effets des radiations.
On a beaucoup appris avec l'accident de Tchernobyl sur l'exposition aux faibles doses, y compris le risque de cancers de la thyroïde parmi les enfants. Or, bien que les effets positifs de l'administration de comprimés d'iode et le bon moment de leur prise aient été pleinement connus, le Centre de Réponse à l'Urgence nucléaire du gouvernement et l'Exécutif de la Préfecture n'ont pas su fournir les instructions correctes pour le public.
Un contrôle approprié de l'exposition interne du public est important pour la gestion de la santé sur le moyen et long terme. Bien que les normes aient été fixées en détail, il est plus important que le gouvernement communique par des moyens clairement utiles au public : identifier ce qui est mangeable, ce qu'est le niveau tolérable d'absorption, quels produits demeurent sains, et si les tests sont fiables. Le gouvernement devrait répondre efficacement aux inquiétudes publiques par des inspections minutieuses et une communication transparente. Ni le gouvernement, ni la Préfecture n'avaient préparé de plans pour recueillir des informations sur l'exposition interne au césium radioactif.
TEPCO n'avait pas préparé les mesures de sûreté pour les travailleurs en cas d'accident grave, et l'information sur les doses dans l'environnement ne leur a pas été fournie immédiatement après l'accident. Il est important que l'exposition des employés de la centrale soit contrôlée avec exactitude, assurer la sûreté des travailleurs durant la réponse à l'accident est crucial.
De plus, l'exposition aux radiations n'est pas le seul enjeu sanitaire. Les gens de Fukushima souffrent de problèmes de santé mentale, c'est devenu un problème social sérieux parmi les victimes de Tchernobyl. La Commission considère la santé mentale et physique des habitants comme une priorité majeure, et conclut à la nécessité d'une action urgente. Les études sur les conditions de santé des habitants de Fukushima sont nécessaires, mais un système de contrôle adéquat avec des équipements de contrôle représente un besoin urgent. Des mesures doivent être prises en priorité pour la santé publique. Malheureusement, nous voyons peu de signes en ce sens.
Carte montrant l'accumulation de césium-137 d'après les données recueillies par le MEXT le 2 juillet 2011
Les problèmes à long terme d'environnement et de décontamination
Une fois que les matières radioactives sont relâchées, elles continuent à affecter l'environnement et il faut s'en occuper de manière efficace. De tous les problèmes résultant de l'accident, la Commission considère que le problème de la pollution environnementale est le moins traité. Comme le montrent les observations sur l'accident de Tchernobyl, les retombées radioactives répandues sur une vaste zone demeurent dans les zones de forêt et de montagne pendant de nombreuses années, et leur niveau ne diminue pas naturellement avant de longues décennies. Les feux de forêt, les inondations et d'autres facteurs peuvent étendre encore la contamination.
L'eau de pluie lessive les substances radioactives et provoque des zones de concentration élevées ("hotspots", "points chauds") dans des lieux tels que les lacs. Des dépôts hautement contaminés tendent également à se former au fond de la mer. Le gouvernement devrait s'occuper rapidement de ces problèmes, avec une perspective à long terme pour corriger la situation.
Le gouvernement dépense des montants considérables d'argent et d'énergie dans des programmes de décontamination, mais des problèmes fondamentaux sont apparus dans la mise en œuvre. De nombreuses régions se sont révélées incapables de sécuriser des sites de stockage temporaires pour les débris contaminés, et ce problème a été exacerbé par l'action unilatérale du gouvernement qui a voulu faire avancer la décontamination sans avoir au préalable obtenu l'assentiment des habitants. Il a été prouvé que plus la communication est bonne entre les exécutifs municipaux et la population, plus la communauté réussit à sécuriser les stockages de débris temporaires.
La commission reconnaît que les habitants ont également des projets de décontamination différents selon la région, et il faut prendre en considération leurs demandes. Certains veulent demeurer dans leur région d'origine et soutiennent activement la décontamination ; d'autres veulent partir et demandent des compensations pour être aidés dans leur déménagement. De nombreux habitants ont le choix et, dans ce cas, le gouvernement doit les aider à prendre des décisions informées.
Il est temps de commencer à étudier la rentabilité de la décontamination et de son effet sur l'environnement, ainsi que les méthodes utilisées dans le processus de décontamination. Sans une analyse en profondeur, les inquiétudes majeures des habitants resteront sans réponse : peuvent-ils retourner chez eux ? Si oui, quand ? S'ils retournent, pourront-ils subvenir eux-mêmes à leurs besoins ?
La décontamination ne devrait pas être traitée comme une décision unilatérale, mais doit être classée selon son efficacité. Il faut garder en mémoire que la clé des questions posées par les habitants n'est pas la décontamination, mais le fait de savoir s'ils pourront reprendre leur vie antérieure. Le gouvernement doit continuer le processus de décontamination tout en révisant les plans pour intégrer l'expérience acquise.
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Photo d’entête : Le Nouvel Observateur - Les enfants de la ville de Kawamata, dans la préfecture de Fukushima au Japon, tiennent des dosimètres (21 juin 2011)