Cette page fait suite à l’article "Rapport de la commission indépendante sur la catastrophe nucléaire de Fukushima : la vérité dévoilée". Après notre appel pour traduire l’intégralité du rapport japonais en français, des volontaires ont pris le relai de Jean-Marc Royer. Merci à eux !
Voici la traduction de la troisième partie du résumé des conclusions, correspondant aux pages 32 à 36 du rapport de 88 pages édité en anglais. Où l’on apprend, entre autres, avec stupeur qu’au Japon, pays des séismes et des typhons, « l'éventualité d'un désastre nucléaire causé par des catastrophes naturelles n'avait pas été envisagée » et avec écœurement que « M. Edano, directeur du cabinet, a affirmé de façon répétée qu'il n'y avait pas d'effet sanitaire immédiat des fuites de radioactivité, inspirant au public un faux sentiment de sécurité ». Oui M. Edano, effectivement, il faudra attendre quelques années pour voir clairement les effets sanitaires…
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Synthèse du rapport officiel de la commission d’enquête indépendante sur l’accident nucléaire de Fukushima
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3. La réponse d'urgence à l'accident
(traduction : Guy Fargette)
La Commission a enquêté sur la manière dont TEPCO, les agences de régulation, le gouvernement et le Kantei (Cabinet du Premier Ministre) ont répondu à l'accident — y compris les premiers stades de la réponse, le développement de l'accident, le système de réponse d'urgence et le système de gestion de crise.
La réponse de TEPCO à l'accident.
Au moment de l'accident, ni le Directeur exécutif ni le Président de TEPCO n'étaient présents ni joignables, situation inconcevable pour un opérateur de centrales nucléaires. Les deux hommes avaient également une compréhension différente de la structure de la Réponse d'Urgence, un fait qui a très probablement contribué au retard dans la réponse de TEPCO à l'accident.
L’ancien président de Tepco,
Masataka Shimizu,
à la 18ème réunion de la Commission
Le manuel de TEPCO pour la réponse à un accident grave était complètement inefficace, et les mesures qu'il recommandait ne convenaient pas. Ce manuel présupposait que les mesures des paramètres de fonctionnement du réacteur seraient lisibles, mais il n'avait pas envisagé un blackout prolongé de l'installation comme ce qui s'est produit à Fukushima et qui a empêché tout suivi de ces paramètres.
La chaîne de commandement a été perturbée durant la période d'urgence. Dans une situation d'accident, la direction de la centrale était supposée communiquer avec la NISA (Agence de Sûreté industrielle et nucléaire) à partir du site déporté ERC (Centre de Réponse d'Urgence), mais cela n'a pas été possible par suite du dysfonctionnement de ce site déporté, qui se trouvait dépourvu de courant électrique à la suite des dégâts du tremblement de terre. La situation effective du dégazage dans l'unité 1 n'a pas été communiquée à la NISA, ni au bureau du Premier Ministre, ce qui a favorisé une atmosphère de méfiance entre la direction TEPCO du site, les agences de régulation et le Cabinet du Premier ministre. La décision du Premier ministre qui en a résulté, d'aller sur le site et de donner des instructions, n'a pas seulement pris du temps aux opérateurs du site, mais a perturbé la chaîne de commandement prévue entre la compagnie nucléaire, les agences de régulation et le Cabinet du Premier ministre. Si la direction de TEPCO avait communiqué activement la situation du site dès le début, et expliqué la gravité de la situation aux autres parties, il est possible que la méfiance — et la confusion qui a suivi dans la chaîne de commandement — auraient pu être évitées.
La direction de TEPCO n'a pas non plus produit de support technique suffisant. Alors que la situation de l'Unité 2 continuait de se détériorer, Masao Yoshida, le directeur général de la centrale de Fukushima, a demandé un avis technique au PDG et VP Sakae Muto, mais celui-ci en transit depuis le site déporté n'a pu répondre. La direction de TEPCO n'a pas non plus réussi à protéger Yoshida des questions directes du Kantei, et a approuvé les instructions du Directeur Madarame de la NSC, bien que celui-ci ait été hostile aux décisions prises sur le site, la première ligne de la réponse à l'accident.
Enfin, l'état d'esprit de l'encadrement de TEPCO d'"obéissance à l'autorité" a entravé leur capacité de réaction. La confusion produite par le commentaire à propos de "l'évacuation", par le Président Shimizu, et l'intervention du Kantei résulte de cet état d'esprit. Au lieu de prendre des décisions déterminées et de les communiquer clairement au gouvernement, TEPCO a suggéré ce qu'elle croyait que le gouvernement souhaitait entendre et n'a pas réussi à s'en tenir à la réalité. Il est difficile de conclure que ce serait le Premier ministre qui aurait découragé l'idée d'une évacuation complète, comme il a été rapporté ailleurs, pour diverses raisons :
1/ la direction du site n'a jamais envisagé un retrait complet de ses employés ;
2/ il n'y a pas de trace qu'une décision en faveur d'un retrait complet ait été prise à la direction de TEPCO,
3/ le projet d'évacuation, préparé avant la visite de Shimizu au Kantei, prévoyait de maintenir des membres de la Réponse d'Urgence à la centrale ;
4/ le Directeur-général de la NISA, que M. Shimizu a contacté, a assuré qu'il n'avait pas été consulté pour une évacuation totale ;
5/ l'équipe du site déporté, jointe par un système de vidéo-conférence, a certifié qu'il n'y avait pas de discussion sur l'hypothèse d'une évacuation complète.
Il est clair qu'il y a eu une incompréhension de la part du Kantei, mais la raison fondamentale tient à l'état d'esprit des dirigeants de TEPCO, fait de déférence et de dépendance vis-à-vis de l'autorité gouvernementale, et à l'abdication de leurs propres responsabilités, malgré la nature privée de l'entité.
Les organisations de réponse d'urgence du gouvernement
Au moment de l'accident, le système de réponse gouvernemental à un accident n'était pas en état de fonctionner comme prévu. Les systèmes qu'il avait été prévu d'utiliser en cas de catastrophe — tels que les infrastructures de communication et de transport — ont été mises hors d'état par les conséquences du tsunami et du tremblement de terre. L'échec du Système gouvernemental de Réponse à l'Accident dans les premiers temps a été l'un des facteurs qui ont poussé le Kantei à augmenter son implication dans la réponse à l'accident.
Le système de réponse à l'accident gouvernemental était constitué principalement :
*du Centre de Réponse à l'Urgence nucléaire du Premier ministre,
*du Secrétariat du Centre de la Réponse à l'Urgence nucléaire de la NISA
*et de l'équipe régionale de la Réponse à l'Urgence nucléaire.
Dans l'ensemble, aucune de ces organisations n'a fonctionné comme prévu.
L’ancien premier ministre,
Naoto Kan,
à la 16ème réunion de la Commission
Le Centre de la Réponse à l'Urgence nucléaire du Premier ministre, et son Secrétariat étaient censés diriger la coordination globale des mesures de Réponse d'Urgence, telles que les mesures destinées à protéger les habitants à proximité, mais ils ont été incapables de mener cette tâche à bien.
Bien que l'intervention du Kantei ait contribué à aggraver la catastrophe, l'échec du Secrétariat du Centre pour l'Urgence nucléaire à collecter et à partager les informations sur l'évolution de l'accident et de la réponse (qui lui étaient apportée) a constitué un facteur significatif. De plus, l'équipe régionale de la Réponse à l'Urgence nucléaire n'a pas pris l'initiative dans la réponse locale à l'accident, comme une émission d'ordre d'évacuation. La cause en a été la coïncidence du tremblement de terre, du tsunami et de l'accident nucléaire, et l'absence d'une stratégie préétablie à un accident grave prolongé.
Le Centre de Gestion de Crise, situé dans le bâtiment du Kantei, était déjà saturé par la gestion des conséquences du tremblement de terre et du tsunami, et se trouvait dans l'incapacité de répondre à l'accident nucléaire. La Commission de Sûreté nucléaire a rencontré de nombreux problèmes et s'est montrée incapable de fournir des conseils fondés sur l'expertise de sa propre organisation. Le Ministère de l'Education n'a pas non plus réussi à utiliser les systèmes qu'il avait préparés.
En un moment où les événements se précipitent, il est absolument vital que chaque flux d'information soit partagé en temps réel. Bien qu'il y ait eu un système de téléconférence reliant le Kantei à chacune des organisations concernées, il n'y a pas d'attestation que le système ait été utilisé, tout particulièrement pour partager des informations entre le Kantei et ces organisations. TEPCO a transporté son propre système de téléconférence au site déporté et l'a utilisé pour mettre en relation le Siège avec la centrale de Fukushima. Si TEPCO avait connecté son système au réseau de téléconférence du gouvernement, il aurait été en mesure de partager l'information en temps réel dès les premiers stades, mais cela n'a pas eu lieu.
La réponse d'urgence du Kantei
Alors que la situation se détériorait et que les systèmes de réponse à l'accident prévus par le gouvernement ne parvenaient pas à fonctionner, le Kantei a pris le contrôle de la réponse d'urgence, avec le Premier ministre Naoto Kan au centre d'un groupe ad hoc d'hommes politiques, de conseillers et le responsable (chairman) de la NISA. Ce groupe étaient composé de gens qui n'étaient pas des experts et qui n'avaient pas de compréhension adéquate de la situation sur le site.
Le Kantei a rencontré des problèmes dès le début. Après avoir s'être vu notifié par TEPCO que la situation correspondait aux conditions de l'Article 15 de l'Acte sur les Mesures Spéciales concernant la Préparation à l'Urgence nucléaire, il lui a fallu deux heures pour publier la Déclaration de Situation d'Urgence nucléaire, étape nécessaire pour lancer la Réponse d'Urgence. En fait, le Premier ministre Naoto Kan n'était pas pleinement conscient que la publication de la "Déclaration d'une Situation d'Urgence" était le premier pas indispensable pour l'intervention face à l'accident, et son entourage n'a pas réussi à le conseiller de façon adéquate.
Le groupe du Kantei a compris que le Centre de Gestion de Crise, en charge de la réponse initiale, était saturé par le traitement des conséquences du tremblement de terre et du tsunami. Les membres dirigeants de la NISA et de la NSC avaient rejoint le groupe pour apporter leurs conseils. Ils n'ont pu, cependant, répondre de manière adéquate aux questions, ce qui a produit un sentiment de méfiance, qui a atteint son maximum au moment de l'explosion de l'Unité 1. A partir de là, le bureau du Premier ministre, au cinquième étage du Kantei, est devenu la première ligne des efforts de réponse à l'accident.
Bien que TEPCO et les autorités de régulation soient tombées d'accord sur la manière d'agir sur le dégazage et sur l'injection d'eau de mer, le Kantei est resté dans l'ignorance de ce fait, et est intervenu, aggravant encore le désordre et la confusion. Au matin du 15 mars, pris d'un sentiment d'urgence face au manque d'information, le Premier ministre Naoto Kan a décidé d'aller lui-même visiter le site. En réponse à l'offre de TEPCO d'évacuer face à la situation de plus en plus critique dans l'unité 2, le Premier ministre Naoto Kan a convoqué le Président Shimizu à son bureau, et il a rejeté l'évacuation. Peu après, le gouvernement a décidé d'établir une structure conjointe entre le gouvernement et la direction de TEPCO, au Siège de TEPCO.
Tout au long du déroulement de cet accident, le bureau du Premier ministre a également été central dans les décisions concernant les zones d'évacuation. Les plans d'urgence attribuaient au centre de décision sur site la responsabilité d'élaborer des propositions d'évacuation, avec un transfert de compétence au Secrétariat du Centre de la Réponse à l'Urgence nucléaire, au cas où le Centre de décision sur site ne serait pas en mesure de le faire. Telle était précisément la situation, mais lorsque la réponse du Secrétariat du Centre de la Réponse à l'Urgence nucléaire a été différée, le Kantei est intervenu et a ordonné les évacuations. Cela a provoqué les problèmes suivants :
1/ alors que les décisions étaient prises sur une base ad hoc, il y avait une coopération insuffisante entre les agences de gouvernement
2/ le détail des opérations d'évacuation était lacunaire
3/ le public manquait d'explications appropriées
Cela a conduit a aggraver le désordre et la confusion sur le terrain.
Diagramme du protocole des communications d'urgence
Evaluation de la réponse d'urgence du gouvernement et du Kantei
Nous avons le plus grand respect pour les efforts du gouvernement et des autres parties concernées, au vu des conditions extrêmes où ils se sont trouvés — faire face à l'accident, au tremblement de terre, au tsunami, simultanément et dans des conditions de pression considérable. Ils ont eu très peu de temps pour définir une approche mesurée, et ils ont dû agir sur de longues périodes sans manger ni dormir.
Mais il y a deux points qui doivent être précisés. D'abord, le groupe du Kantei ne saisissait pas le rôle effectif que le Kantei aurait dû assumer dans la crise. On a accordé beaucoup d'attention aux déficiences de communication entre le Kantei et TEPCO, notamment sur la question de savoir si l'évacuation de la centrale que TEPCO prévoyait devait concerner tous les employés ou une partie d'entre eux. Cependant, l'état des réacteurs était si grave que TEPCO se devait de demander une évacuation. Dans cette situation, le Kantei aurait dû confirmer la possibilité que tous les travailleurs soient évacués, afin de prévoir l'évacuation des habitants et prendre d'autres mesures pour protéger ceux-ci.
Il est clair que le Kantei n'aurait pas dû intervenir sur des questions que TEPCO était en mesure de traiter, comme la condition du dégazage et l'injection d'eau de mer, et aurait dû confirmer le sens des commentaires du Président Shimizu à propos de l'évacuation. Son intervention amenant à établir un centre de décision gouvernement-TEPCO à TEPCO est également incompréhensible.
Un second point concerne le fait que l'intervention directe du Kantei, dont la visite du Premier ministre Naoto Kan à la centrale Daiichi de Fukushima, a perturbé la chaîne de commandement et provoqué de la confusion dans une situation déjà terrible sur le site. A partir de cette visite, un nouveau canal de communication a été mis en place, entre le Kantei, Fukushima Daiichi et la direction de TEPCO. Ce nouveau canal allait à l'encontre du flux d'information officiel entre Fukushima-Daiichi vers le siège de TEPCO, puis vers la NISA et le Kantei (le Centre de la Réponse d'Urgence nucléaire du Premier ministre). La nouvelle orientation obligeait TEPCO à communiquer ses informations non seulement à la NISA mais aussi au Kantei, contribuant à perturber la réponse de TEPCO et causant du désordre dans la centrale.
A tout moment, la priorité du gouvernement doit être son souci pour la santé et le bien-être publics. Mais parce que l'attention du Kantei était concentrée sur les problèmes en cours à la centrale — ce qui aurait dû être de la responsabilité de l'opérateur — le gouvernement a manqué à sa responsabilité envers le public. L'intervention permanente du Kantei dans la centrale a également mis en place les conditions permettant à TEPCO d'abdiquer de fait sa responsabilité envers la situation dans la centrale.
D'après le Manuel d'Urgence nucléaire, la NISA et les autres institutions bureaucratiques ont la responsabilité de recueillir et d'organiser l'information pour la mettre à disposition du Centre de la Réponse à l'Urgence nucléaire, afin qu'elle serve à la prise de décision. Cependant, avec le nouveau canal de communication mis en place entre le Kantei et TEPCO, la perception qu'avaient les institutions bureaucratiques de leur responsabilité a décru et leur approche est devenue passive. Le sectionnement vertical des divers ministères impliqués a également empêché un partage efficace d'information. Afin de garantir la sécurité publique, il est nécessaire que de telles agences réagissent non seulement de façon flexible en temps de crise, mais élèvent leur capacité de gestion de crise à travers un entraînement régulier.
La réponse à l'accident de la Préfecture de Fukushima
Le Système de Réponse d'Urgence de la Préfecture de Fukushima était également fondé sur l'hypothèse qu'une catastrophe nucléaire ne surviendrait pas en même temps qu'un tremblement de terre et un tsunami. Il a été totalement pris au dépourvu.
La structure de réponse à une catastrophe de la Préfecture de Fukushima était exposée dans le Plan régional de Prévention de Catastrophe de la Préfecture de Fukushima, mais l'éventualité d'un désastre nucléaire causé par des catastrophes naturelles n'avait pas été envisagée. Etant donné l'effondrement des communications avec le gouvernement central dans le moment qui a suivi l'accident, l'Exécutif de la Préfecture et le gouvernement central ont ignoré les actions l'un de l'autre. Ressentant l'urgence de la situation, l'Exécutif de la Préfecture a ordonné unilatéralement que les habitants soient évacués dans un rayon de 2 km autour de la centrale, en se fondant sur des exercices antérieurs de prévention et d'urgence. Cela a été suivi 30 minutes plus tard par le gouvernement central qui a ordonné l'évacuation des habitants dans un rayon de 3 km. Mais le tremblement de terre et le tsunami ayant gravement endommagé les réseaux de communication, il était difficile de transmettre la directive aux municipalités et au public.
La Préfecture de Fukushima a également été incapable de gérer la surveillance d'urgence. Seul l'un des 24 postes de surveillance était encore en état de fonctionner ; les autres avaient été soit emportés par la mer, soit coupés du réseau. Les postes mobiles de surveillance sont restés inutilisables jusqu'au 15 mars, à cause des problèmes du réseau de téléphone mobile. Il y avait bien un véhicule équipé d'équipement de surveillance, mais il s'est trouvé hors d'usage, par manque de carburant.
La diffusion de l'information par le gouvernement central
La précision détaillée a constitué une priorité, aux dépens d'une diffusion rapide de l'information envers ceux qui en avaient besoin pour prendre des décisions en connaissance de cause. M. Edano, directeur du cabinet, a affirmé de façon répétée qu'il n'y avait pas d'effet sanitaire immédiat des fuites de radioactivité, inspirant au public un faux sentiment de sécurité. Dans ses déclarations, cependant, la nécessité et l'urgence d'une évacuation n'a jamais été expliquée de façon adéquate du point de vue des habitants, et le gouvernement n'a jamais fourni de preuve pour appuyer ses déclarations. Cela a provoqué une angoisse importante dans le public. Enfin, le plus grave est que le gouvernement a choisi de diffuser des informations dans une perspective purement subjective, plutôt que de répondre aux besoins du public.
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Photo d’entête : Naoto Kan lors de la quatrième réunion du Centre de Réponse à l'Urgence nucléaire au Kantei (source)