Les inquiétudes au sujet du risque d’effondrement de la piscine de l’unité 4 de la centrale de Fukushima Daiichi
sont-elles fondées ? Au Japon, tout le monde parle de ce danger et, pour répondre à cette question, des journalistes d’investigation de l’émission « Hodo Station », sur la chaîne de
télévision TV Asahi, ont réalisé une enquête dont les résultats ont été diffusés le 25 mai 2012.
Cet article présente les principales informations tirées de cette recherche puis une extrapolation sur ce qui pourrait advenir si Tepco ne réussissait
pas son pari de récupérer les barres de combustibles d’ici trois ans.
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Avant toute chose, je tiens à remercier Kna qui nous permet d’avoir accès, par son
travail de traduction, de sous-titrage et de diffusion de vidéos, à des informations qui, jusqu’à présent, restent taboues en France dans les grands médias.
Une émission remarquable : une problématique,
des témoignages d’experts, des expériences, des conclusions
Comme on aimerait voir ce type d’émission télévisée en France, où des experts et des chercheurs en ingénierie nucléaire parleraient librement de leurs
angoisses à propos des risques de l’atome. Pour rappel, l’unité 4 possède une piscine de désactivation contenant 1535 assemblages, soit
environ 264
tonnes de combustible. Cette piscine est perchée à 20 mètres au dessus du sol, mais sa structure a subi d’énorme contraintes mécaniques et thermiques lors des explosions et incendies qui ont eu lieu le 15
mars 2011, sources des inquiétudes sur son état.
Masashi
Goto, ex-ingénieur Toshiba expert en conception de centrales
nucléaires résistantes aux séismes, a conçu le confinement des réacteurs nucléaires. Voici ce qu’il pense de la solidité du bâtiment réacteur n°4 :
« Même si les murs existent, il n’y a pas de manière simple d’en connaître la stabilité. A quel point la
stabilité a-t-elle été compromise par la haute température de l’incendie ? Il est essentiel d’avoir toutes les données quand vous travaillez sur un calcul structurel. Chaque fois que Tepco
publie des données, ils disent toujours « Nous avons calculé ceci, voici le résultat de ce que nous avons fait donc il n’y a pas de danger ». Mais ils n’ont jamais publié une
donnée que quelqu’un de l’extérieur pourrait utiliser pour vérifier leurs conclusions. »
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Yukiteru Naka, directeur de Tohoku Entreprise, travaillait à l’origine comme ingénieur chez General
Electric. Spécialisé dans les systèmes de tuyauterie, il a été fortement impliqué dans la construction de la centrale de Fukushima Daiichi (réacteur 1, 2 et 6). Il est maintenant engagé dans les
travaux de démantèlement. Connaissant l’état réel du bâtiment réacteur 4, il fait des aveux sur la dangerosité d’une possible fuite d’eau de la piscine de refroidissement de
combustible :
« Je dois dire qu’il y a un risque concernant l’unité 4. La piscine est actuellement refroidie par un système temporaire. Mais les conduits s’étendent sur
des dizaines de kilomètres et étant donné que c’est une construction provisoire, ce n’est pas censé résister aux secousses sismiques. Il n’y a pas assez de maintenance. Les tuyaux courent à
travers les décombres. J’estime qu’il faudrait peu de temps pour vider la piscine si les tuyaux étaient endommagés et causaient une fuite. Les émissions de matières radioactives seraient si
élevées que personne ne pourrait s’approcher. (…) J’aimerais que le gouvernement et Tepco se préparent avec une notion de crise imminente à l’esprit. (…) Si la piscine se vide, aucun
travailleur ne pourra s’approcher du bâtiment réacteur 4, ni des bâtiments 1, 2 et 3. »
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Hiroaki Koide, professeur à l’Institut de Recherche Nucléaire Universitaire de Kyoto, est
particulièrement inquiet de l’état de l’unité 4 :
« Si la piscine devait s’effondrer à cause d’un nouveau gros séisme, les émissions de matière radioactives seraient énormes : une estimation
prudente donne une radioactivité équivalente à 5000 fois la bombe nucléaire d’Hiroshima. »
Selon un institut de recherche de l’Agence de l’Energie Atomique du Japon, en cas d’entassement des barres de combustible, celles-ci peuvent s’échauffer car l’air
ne peut pas circuler. Si la température dépasse 700 °C, les gaines peuvent se briser et laisser s’échapper les pastilles de carburant composées d’uranium et de plutonium.
Sans refroidissement par l'air, la destruction des barres par échauffement et la libération des matières radioactives signeraient
probablement le début de la fin pour le Japon, et peut-être pour le monde.
Gaines de combustibles
éclatées entre 700 et 900 °C
Conclusion sibylline du présentateur pour qui n’a pas suivi entièrement l’émission : « Nous avons découvert l’importance de ce que nous devons
envisager ». Pour bien comprendre ce que cela veut dire, je vous conseille de regarder entièrement cette émission :
Partie 1
Partie 2
Le scénario du pire
Il n’y a pas que les experts japonais qui s’inquiètent. Si l’on en croit Robert Alvarez, ancien conseiller au Département américain de
l’Énergie, ce problème devrait concerner le monde entier :
« Si un tremblement de terre ou
tout autre événement venait à affecter cette piscine, il pourrait en résulter un incendie radiologique catastrophique, avec près de dix fois la quantité de césium 137 qui s’est propagée à
la suite de l’accident de Tchernobyl » (source)
Pourquoi dans certains cas, on écoute les spécialistes, et que dans d’autres cas on les ignore ? Dans le cas de la
catastrophe nucléaire en cours de Fukushima, les raisons sont à la fois économiques et politiques. Pourtant, en ignorant ces alertes avisées, les autorités donneraient comme issue à la
crise le hasard ! Si on a de la chance, il n’y aura pas de tremblement de terre assez puissant pour détruire le bâtiment réacteur 4 d’ici trois ans et le combustible pourra être mis
en lieu sûr. Si on n’a pas de chance, la piscine s’effondrera avec son combustible et engendrera un enfer atomique mondial. L'attitude de nos gouvernants reflète malheureusement pour l'instant
une sorte de lâcheté qui ne correspond pas à la hauteur de leur mission.
La responsabilité de savoir si cette piscine va tenir le coup ou non lors du prochain grand séisme japonais ne devrait pas être laissée à Tepco.
L’ONU devrait constituer et envoyer d’urgence une équipe scientifique
composée des meilleurs spécialistes mondiaux afin d’analyser la situation et de prendre des mesures immédiates de sauvegarde du bâtiment et de transfert des combustibles dans un endroit sûr. Dans
cette course contre la montre, un an a déjà été perdu, et il faudrait encore en attendre trois ? Tout cela semble invraisemblable.
Avant que Tepco n’avoue la fonte des trois cœurs en 2011, tous les médias évoquaient le scénario du pire comme étant la perte de confinement des matières
radioactives, souvent comparée au « syndrome chinois », mais plus justement appelé « Melt-out » par le professeur Koide. Aujourd’hui, l’analyse des faits conduit à envisager un scenario encore
plus dramatique.
Une large évacuation du nord du Japon a déjà été envisagée par le gouvernement japonais
En effet, les informations fournies par les experts sont très claires : si la piscine s’effondrait, on ne pourrait plus approcher les unités 1, 2 et 3 de
Fukushima Daiichi. A partir de cette donnée simple, un enchaînement d’évènements se produirait inéluctablement :
> Abandon de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi (6 réacteurs à eau bouillante, 7 piscines, 2400 tonnes de combustibles)
> A très court terme, abandon de la centrale nucléaire de Fukushima Daiini qui se trouve à 12 km (4 réacteurs à eau bouillante, 4
piscines)
> Qui dit abandon de centrale nucléaire, dit aussi à court terme abandon du refroidissement des cœurs et des piscines de désactivation. Est-ce
qu’un expert nucléaire pourrait se prononcer sur la somme de radioactivité dégagée par la perte de contrôle de 10 réacteurs et l’arrêt de refroidissement de 11 piscines de
combustible ?
> A plus ou moins long terme, abandon probable des centrales nucléaires de Tokai à 110 km au sud (1 réacteur à eau bouillante, 1 piscine), et
d’Onagawa à 130 km au nord (3 réacteurs à eau bouillante, 3 piscines)
> Evacuation de la moitié nord du Japon, dont la ville de Tokyo.
Jusqu’où cet abandon en chaîne de centrales nucléaires irait-il ? L’étape suivante ne serait-elle pas l’abandon de la mégacentrale de Kashiwazaki-Kariwa à
l’ouest (7 réacteurs à eau bouillante, 7 piscines) ? Est-ce réaliste ou bien les 2400 tonnes de combustible nucléaire délaissées de Fukushima Daiichi seraient à elles seules suffisantes pour
évacuer le Japon ?
Abandon successif probable de 14 réacteurs nucléaires en cas d'effondrement de la piscine de l'unité 4 de Fukushima
Daiichi
Ceux qui pensent que des volontaires se presseraient par milliers pour combattre le feu nucléaire n’ont rien compris à la gravité de la chose. Les niveaux
de radioactivité atteints dépasseraient les possibilités d’intervention humaine et la bonne volonté, même héroïque, ne servirait à rien. Alors que des robots électroniques ont du mal à
fonctionner en présence de fortes radiations, les hommes eux ne le peuvent tout simplement pas.
3. Pas de panique, mais de l'urgence
Mon but, en diffusant cet article, n’est pas d’alimenter les sites catastrophistes ou les articles prédisant la fin du monde, mais simplement d’alerter toutes les
personnes responsables qui ne seraient pas conscientes du danger considérable que représenterait l’effondrement d’une piscine de Fukushima Daiichi. Il est en effet très important que chacun soit
au courant de ce que représenterait l’arrivée d’un nuage radioactif provoqué par une telle catastrophe. Les autorités françaises, mais également tous les gouvernements de l’hémisphère nord, au
lieu de faire l’autruche et d’être sourds aux préoccupations des experts japonais ou aux lanceurs d’alertes internationaux de haut rang, en tant que responsables de la santé de leur population, devraient
d’ores et déjà diffuser massivement des conseils de radioprotection. En effet, si cette catastrophe se produisait, aucune nation n’aurait le temps de réagir efficacement à un tel
évènement.
En France, à l’occasion des élections législatives, il serait utile que tous les citoyens de base interpellent les candidats sur ces
questions : sont-ils au courant de ce danger permanent et de l’impact radiologique possible en France ? et que préconisent-ils si le bâtiment réacteur n°4 s’effondre ?
Pourquoi devrait-on encore croire Tepco quand elle affirme que l’unité 4 ne peut pas s’effondrer ? Pourquoi l’avenir du monde dépend-il de l’expertise de cette
seule entreprise, célèbre pour être responsable de la plus grosse catastrophe nucléaire de l’histoire ?
Cet article rapporte des faits, des avertissements, des possibilités. Mais il n’annonce pas l’avenir. L’avenir se trouve dans les décisions politiques
d’aujourd’hui. Si les personnes éclairées et influentes ne s’emparent pas de ces informations et n’usent pas de leurs pouvoirs pour faire bouger des positions idéologiques monolithiques, alors il
ne restera plus comme « solution » que d’avoir de la chance !
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Danger mondial : les combustibles usés de Fukushima
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Mise à jour juillet 2012 : signez la pétition adressée à l'ONU !
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