On se souvient de l’enquête du journaliste indépendant Tomohiko Suzuki qui
s’était fait engager l’année dernière comme ouvrier à la centrale de Fukushima Daiichi. Les résultats de ses investigations avaient fait beaucoup de bruit, car ils avaient révélé que l’état du
site nucléaire n’était pas aussi rassurant que le clamait Tepco et que les conditions de travail des ouvriers étaient inadmissibles. Mais de telles investigations ne sont pas sans risque. Par
exemple le journaliste freelance Minoru
Tanaka, suite à ses enquêtes sur les coulisses de la gestion de l’accident de Fukushima-Daiichi, a été accusé de diffamation par le président d’une
entreprise de systèmes de sécurité pour centrale nucléaire. Autre exemple, ce journaliste d’origine canadienne, Christopher Johnson, qui, après avoir enquêté de manière indépendante sur la catastrophe atomique en avril 2011, s’est vu expulsé du Japon avec des pressions inqualifiables. Un exemple pour que
les autres journalistes restent dans le rang de l’information officielle ? Le village nucléaire n’aime pas les questions embarrassantes, les enquêtes trop poussées, la diffusion
d’informations sensibles, la révélation de compromissions, etc. et elle s’arrange d’une manière ou d’une autre pour empêcher ou ralentir le travail des journalistes indépendants, quitte à faire
pression de manière radicale. Et pas seulement au Japon ; la journaliste française Dominique Lorentz, qui travaille sur le nucléaire, affirme avoir reçu un certain nombre d’intimidations, dont des
menaces « d’élimination physique ». Pour résumer la situation, il est difficile d’exercer son métier de journaliste quand on touche au nucléaire. Nous avons déjà montré dans ce blog
comment le nucléaire aboutissait inéluctablement à une société policière ; avec les obstructions régulières faites à l’encontre des journalistes d’investigation, nous voyons qu’il mène
également à une société de type totalitaire, certes de manière sournoise, mais assurément une société où l’information doit être officielle ou ne pas être.
Récemment, trois journalistes indépendants japonais refusant le fait de ne pas pouvoir accéder au club de presse officiel et faisant l’objet de discriminations, ont
déposé une requête officielle afin d’être en mesure de couvrir correctement les manifestations anti-nucléaires. L’ONG Reporters sans frontières, qui soutient leur démarche, vient de
publier un communiqué de presse à ce sujet :
« Les journalistes freelance interdits de couverture des manifestations anti-nucléaires
Reporters sans frontières soutient la requête officielle déposée le 31 octobre 2012, par trois journalistes freelance, Yu
Terasawa, Michiyoshi Hatakeyama et Yuichi Sato, auprès de la Cour régionale de Tokyo, afin de pouvoir accéder au bâtiment du Kisha Club
de la diète (Diet Kisha Club) et être ainsi en mesure de couvrir des manifestations anti-nucléaires.
Depuis le mois de juin, les trois journalistes freelance ont été systématiquement empêchés d’accéder au Kisha club (club de la presse
officiel) de la Diète, notamment par son directeur Toshiyuki Saga. Des manifestations anti-nucléaires se déroulent tous les vendredis, depuis plusieurs mois, devant la résidence du premier
ministre japonais. Le Club de presse, situé en face de la résidence, permet une couverture idéale de l’évènement.
“Cette obstruction dont les journalistes freelance font l’objet est arbitraire et illégale au regard du droit japonais et des
principes fondamentaux de la liberté de la presse et du droit d’informer”, a déclaré Reporters sans frontières.
“La Cour régionale de Tokyo ne saurait légitimer de tels blocages dans l’accès à l’information, d’autant plus qu’ils émanent de
journalistes. Les journalistes freelance jouent un rôle essentiel dans la garantie du pluralisme de l’information, nécessaire à la démocratie. Non contents de jouir des privilèges inégalitaires
qu’offre le système des Kisha clubs, les journalistes de ces clubs se fourvoient totalement en méprisant de la sorte toute une partie de la communauté des professionnels des médias", a ajouté
l’organisation.
Les trois journalistes appartiennent au groupe de liaison des freelance, créée en octobre 2011 afin de défendre les droits des
freelance à participer aux conférences de presse conjointement organisées par le gouvernement et la compagnie d’électricité TEPCO. Ils ont tenté de filmer les manifestations contre la reprise du
nucléaire qui ont régulièrement lieu devant la résidence du Premier ministre.
Les journalistes ont déposé, à trois reprises, le 17 juillet, le 16 août et le 10 octobre 2012, des lettres adressées à Toshiyuki
Saga, ancien de journaliste Kyodo News, une autorisation d’accès au club de presse. Ces lettres sont toutes restées sans réponses.
Dans une vidéo publiée sur Youtube le 13 octobre 2012, et filmé la veille, Toshiyuki Saga affirme son hostilité envers les
journalistes freelance venus couvrir les manifestations :
Le 2 novembre dernier, Toshiyuki Saga a refusé d’être interviewé à ce sujet par le correspondant de Reporters sans
frontières. »
(…)