Article original publié le 17/02/2021 sous le titre original “New highly radioactive particles found in Fukushima
Source : University of Helsinki
Lien : https://www.helsinki.fi/en/news/science-news/new-highly-radioactive-particles-found-in-fukushima
Traduction : Philippe LOOZE
Publié avec l’autorisation des auteurs
Des membres de l'équipe du projet étudient les sols de la zone d'exclusion nucléaire de Fukushima Daiichi pour y détecter les particules de Césium. L’arrière-plan montre un site d'aquaculture près de la centrale détruite par le tsunami de 2011.
Le 10e anniversaire de l'accident nucléaire de Fukushima Daiichi aura lieu en mars. Les travaux qui viennent d'être publiés dans la revue « Science of the Total Environment » documentent de nouvelles particules hautement radioactives de grande taille (> 300 micromètres (1)) qui ont été libérées par l'un des réacteurs endommagés de Fukushima.
Figure 1 - Une carte montrant l'emplacement de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi et le site d'échantillonnage par rapport à la dose de rayonnement à 1 m au-dessus du sol en novembre 2017. L'étoile rouge représente l'emplacement de l'échantillon de sol contenant les particules hautement radioactives.
Des particules contenant du césium radioactif [Césium 134 & 137] ont été libérées par les réacteurs endommagés de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi lors de la catastrophe nucléaire de 2011. Les petites particules de taille micrométrique [appelées CsMPs soit des microparticules chargées en césium] ont été largement distribuées, jusqu'à atteindre Tokyo. Les CsMPs ont fait l'objet de nombreuses études ces dernières années. Cependant, il est récemment apparu que des particules plus grosses (>300 micromètres) contenant du Césium, avec des niveaux d'activité beaucoup plus élevés [~ 100 000 Bq (2)], ont également été libérées de l'unité de réacteur 1 qui a subi une explosion d'hydrogène. Ces particules se sont déposées dans une zone étroite qui s'étend sur environ 8 km au nord-nord-ouest du site du réacteur. À ce jour, on sait peu de choses sur la composition de ces plus grosses particules et sur leurs impacts potentiels sur l'environnement et la santé humaine.
Aujourd'hui, des travaux qui viennent d'être publiés dans la revue « Science of the Total Environment » étudient aux dimensions atomiques (3) ces grandes particules qui font état de niveaux d'activité élevés qui dépassent 100 000 Bq.
Les particules rapportées dans l'étude, ont été trouvées lors d'une étude des sols en surface à 3,9 km au nord-nord-ouest de l'unité de réacteur 1 (Voir Figure 1).
Parmi les 31 particules de Césium collectées au cours de la campagne d'échantillonnage, deux ont donné les plus hauts niveaux jamais atteints d'activités de Césium 134 & 137 associées à des particules pour les matières émises par la centrale nucléaire de Fukushima (plus précisément : 610 000 et 2,5 millions de Bq, respectivement, pour les particules, après correction de la désintégration à la date de l'accident de Fukushima).
L'étude a été menée par des scientifiques du Japon, de la Finlande, de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis, sous la direction du Dr Satoshi Utsunomiya et de Kazuya Morooka, étudiant de troisième cycle (département de chimie de l'université de Kyushu). L'équipe a utilisé une combinaison de techniques analytiques avancées (analyse synchrotron des rayons X nano-focalisés, spectrométrie de masse des ions secondaires et microscopie électronique à transmission à haute résolution) pour caractériser pleinement les particules. La particule ayant une activité de césium 134 & 137 de 610 000 Bq s'est avérée être un agrégat de nanoparticules de silicate en flocons plus petits, qui avaient une structure semblable à celle du verre. Cette particule provenait probablement des matériaux de construction du réacteur, qui ont été endommagés lors de l'explosion d'hydrogène de la tranche 1 ; puis, au fur et à mesure de sa formation, la particule a probablement adsorbé les atomes de césium qui avaient été volatilisés du combustible du réacteur. L'activité de césium 134 & 137 de l'autre particule a dépassé le million de Bq. Cette particule avait un noyau de carbone vitreux et une surface qui était enrobée d'autres microparticules, qui comprenaient un alliage Pb-Sn (4), un silicate d'aluminium fibreux, un carbonate/hydroxyde de calcium et du quartz.
Figure 2 - Image de la section transversale de la particule la plus radioactive (FTB26) accompagnée de cartes élémentaires de ses principaux constituants.
La composition des microparticules encastrées en surface reflète probablement la composition des particules en suspension dans l'air à l'intérieur du bâtiment du réacteur au moment de l'explosion d'hydrogène, offrant ainsi une fenêtre sur « l’autopsie » des événements du 11 mars 2011.
Figure 3 - Un diagramme circulaire présentant la composition moyenne principale des microparticules en suspension dans l'air, encastrées à la surface du cœur de carbone.
Utsunomiya a ajouté : « Les nouvelles particules provenant des régions proches du réacteur endommagé fournissent de précieux indices historiques. Elles donnent un aperçu des conditions atmosphériques dans le bâtiment du réacteur au moment de l'explosion d'hydrogène, et des phénomènes physico-chimiques qui se sont produits pendant la fusion du réacteur ».
Il a poursuivi, « alors que près de dix ans se sont écoulés depuis l'accident, l'importance des connaissances scientifiques n'a jamais été aussi cruciale. Le nettoyage et la récupération des résidus se poursuivent et une compréhension approfondie des formes de contamination et de leur distribution est importante pour l'évaluation des risques et la confiance du public ».
Le professeur Gareth Law (co-auteur, Université d'Helsinki) a ajouté : « Les efforts de nettoyage et de démantèlement du site sont confrontés à des défis difficiles, en particulier l'enlèvement et la gestion sûre des débris de l'accident qui présentent des niveaux de radioactivité très élevés. Dans ce contexte, la connaissance préalable de la composition des débris peut contribuer à éclairer les approches de gestion sûre ».
Étant donné la forte radioactivité associée aux nouvelles particules, l'équipe du projet souhaitait également comprendre leurs impacts potentiels sur la santé et les doses.
Le Dr Utsunomiya a déclaré : « En raison de leur grande taille, les effets sur la santé des nouvelles particules sont probablement limités aux risques d'irradiation externe lors d'un contact statique avec la peau (5). Ainsi, malgré le niveau d'activité très élevé, nous nous attendons à ce que les particules aient un impact négligeable sur la santé humaine car elles n'adhèrent pas facilement à la peau. Cependant, nous devons prendre en compte les effets possibles sur les autres créatures vivantes telles que les ‘organismes filtreurs ‘ (6) dans les habitats naturels [de la faune aquatique] entourant Fukushima Daiichi. Même si dix ans ont presque passé, la demi-vie du césium 137 est de ~30 ans (7). Ainsi, l'activité des particules hautement radioactives récemment découvertes n'a pas encore diminué de manière significative. Elles resteront donc dans l'environnement pendant de nombreuses décennies encore, et ce type de particules pourrait encore se trouver occasionnellement dans les points chauds de rayonnement ».
Le professeur Rod Ewing (co-auteur de l'Université de Stanford) a déclaré que « ce document fait partie d'une série de publications qui donnent une image détaillée des matières émises lors de la fusion du réacteur de Fukushima Daiichi. C'est exactement le type de travail requis pour la remise en état et la compréhension des effets à long terme sur la santé ».
Le professeur Bernd Grambow (co-auteur de l'IMT Atlantique) a ajouté que « les travaux actuels, utilisant des outils analytiques de pointe, ne donnent qu'un aperçu très limité de la très grande diversité des particules émises lors de l'accident nucléaire, beaucoup plus de travail est nécessaire pour obtenir une image réaliste de l'impact environnemental et sanitaire très hétérogène ».
Citations de l’article :
New Highly Radioactive Particles Derived from Fukushima Daiichi Reactor Unit 1: Properties and Environmental Impacts. Kazuya Morooka, Eitaro Kurihara, Masato Takehara, Ryu Takami, Kazuki Fueda, Kenji Horie, Mami Takehara, Shinya Yamasaki, Toshihiko Ohnuki, Bernd Grambow, Gareth T. W. Law, Joyce W. L. Ang, William R. Bower, Julia Parker, Rodney C. Ewing, and Satoshi Utsunomiya, Science of The Total Environment. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2021.145639
Contact :
Professor Gareth Law, University of Helsinki
Email: gareth.law@helsinki.fi
Phone: +358 294150179
Associate Professor Satoshi Utsunomiya, Kyushu University
Email: utsunomiya.satoshi.998@m.kyushu-u.ac.jp
Phone: +81-92-802-4168
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Notes du traducteur :
1 - Le micromètre est le nouveau nom du micron (µm), c’est un millième de mm. Donc 300 µm, c’est 0,3 mm, c’est assez gros, mais cela pourrait peut-être être ingéré. C’est une très grosse microparticule ; la définition stricte de la limite entre une « grosse » particule et ’une microparticule n’est pas claire, pour certains cela va jusqu’au micron… https://fr.wikipedia.org/wiki/Microparticule#Autres_d%C3%A9finitions_concernant_leur_dimension
Les nanoparticules sont définies en dessous de 100 nm, soit 0,1 µm : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nanoparticule
2 - Le Becquerel (Bq) est une unité utilisée pour mesurer le nombre de désintégrations par seconde. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Becquerel et http://tinyurl.com/z4f9gcb
3 - Autrement dit, l’étude des atomes qui se trouvent sur et dans la particule, qui est assez grosse pour être vue à l’œil nu (0,3 mm) !
4 - Plomb-Étain
5 - Pourquoi évacuer la possibilité d’une ingestion/inhalation et d’une contamination interne ? C’est vrai que 0.3 mm c’est gros pour être inhalé, mais ça pourrait. quand-même être avalé, et qui nous dit qu’il n’y en pas des plus petites, comme certaines trouvées dans des sacs d’aspirateur à Tokyo juste après la catastrophe ?
6 - Traduction de "filter feeder": animal aquatique qui se nourrit de particules ou de petits organismes, et qui filtre l'eau en en ingérant une partie : comprend la plupart des mangeurs stationnaires, comme les palourdes, les huîtres, les balanes, les coraux, les ascidies et les éponges :
Microphagie suspensivore — Wikipédia
7 - Le césium 137 a une demi-vie de 30,15 ans, le 134 de ~2 ans, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9sium . Sur la radioactivité, voir http://tinyurl.com/z4f9gcb