Les études scientifiques menées suite à la catastrophe de Fukushima révèlent petit à petit les conséquences de la radioactivité sur le vivant et en particulier sur la faune. Bien que publiées, elles restent néanmoins peu diffusées. C’est pourquoi je voudrais mettre un coup de projecteur sur certaines d’entre elles et faire connaître diverses observations dont on n’entend peu parler, afin de contrer cet espèce d’optimisme idiot qui consisterait à toujours relativiser les conséquences des faibles doses sur la vie. Toute dose de radioactivité, aussi faible soit elle, a des effets sur le vivant : les rayons ionisants cassent les molécules d’ADN.
Les oiseaux
La poussière radioactive diffusée dans l’atmosphère continuellement par le vent se prend dans les plumes des oiseaux. Ils subissent donc une irradiation externe permanente. On peut voir ces poussières en plaçant un oiseau contaminé sur du papier radiosensible durant un mois. En voici un exemple avec un oiseau ramassé à Iitate en décembre 2011. L’autoradiographie permet également de mettre en évidence que les oiseaux subissent également une contamination interne.
Autoradiographie d’un oiseau révélant la contamination radioactive dans le plumage et l’estomac (Source Morizumi).
Yasuo HORI a par ailleurs rapporté que certaines hirondelles de Fukushima subissent une dépigmentation, comme cela avait déjà été constaté à Tchernobyl. La Wild Bird Society of Japan a remarqué aussi que les plumes de la queue de certaines hirondelles japonaises étaient non uniformes.
A gauche : hirondelle de Minamisoma (Préfecture de Fukushima) – A droite : queue difforme d’une hirondelle de Kakuda (Préfecture de Miyagi)
Selon les études de Tim Mousseau (université Caroline du Sud), la population d’une quinzaine d’espèces d’oiseaux vivant dans les régions contaminées de la préfecture de Fukushima diminue avec le temps, avec un taux de survie de 30%.
Une autre recherche axée sur une espèce de faucon qui revient dans le même nid tous les ans a également été conduite par une équipe de scientifiques menée par Naoki Murase (Université de Nagoya) jusqu’à une distance de 100 à 120 km du site de la centrale de Fukushima Daiichi. L’intérêt de cette étude est que les rapaces se situent au sommet d’une chaîne alimentaire et concentrent les radioéléments accumulés par leurs proies. Les auteurs ont démontré que la capacité reproductrice de l’oiseau était liée au rayonnement mesuré directement sous le nid : la radioactivité a un effet sur la lignée germinale de l’oiseau. La capacité des oiseaux à quitter le nid est tombée de 79 à 55 % en 2012, puis à 50 % en 2013.
Une autre étude enfin, publiée en 2015 par l'IRSN et le laboratoire d'Anders Møller (CNRS), a porté sur la dose totale – interne et externe – des oiseaux. Celle-ci a montré que 90 % des 57 espèces étudiées avaient été exposées de manière chronique à des débits de doses susceptibles d’affecter leur reproduction.
Représentation simplifiée de la variation du niveau d’exposition maximum des oiseaux adultes (exprimé en débit de dose) pour les 57 espèces de la communauté d’oiseaux observées sur les 300 sites et les 4 années d’étude. Comparaison avec la gamme de variation (en bleu) du débit de dose ambiant mesuré sur les sites et les gammes (en rouge) correspondant à divers effets chez les oiseaux publiées par la CIPR (2008) (Source IRSN)
Il y a donc trois facteurs qui affectent les êtres vivants dans des zones contaminées : l’irradiation ambiante (la dose que l’on reçoit en étant à côté d’un objet radioactif), la contamination externe (la poussière radioactive qui se colle à la peau, aux poils, aux plumes) et la contamination interne (les radionucléides ingérés ou piégés dans des organes).
Les papillons
La première preuve scientifique de dommages causés à un organisme vivant par la contamination radioactive due à la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi a été donnée par l’équipe de la chercheuse Chiyo Nohara (Université d’Okinawa).
L’étude a mis en évidence les dommages physiologiques et génétiques d’un papillon commun du Japon, le Zizeeria maha. En mai 2011, certains montraient des anomalies relativement légères. Mais la première descendance des femelles de la première génération montraient des anomalies plus sérieuses, dont a hérité la deuxième génération. Les papillons adultes recueillis en septembre 2011 ont montré ensuite des anomalies encore plus sévères que ceux recueillis en mai : éclosions avortées, infertilité, réduction de la taille, ralentissement de la croissance, mortalité élevée et anomalies morphologiques (ailes atrophiées, courbées ou en surnombre, antennes difformes, yeux bosselés, couleur altérée).
Anomalies représentatives des papillons qui avaient ingéré des feuilles contaminées (Source : Hiyama et al.)
Les pucerons
En 2014, Shin-ichi Akimoto (université d'Hokkaido) a observé qu'environ 10 % de certains insectes, comme les pucerons, sont déformés à Fukushima. Mais leur survivance et leur descendance restent possible.
Puceron T. Sorini de Fukushima. (A) morphologie normale, (B) malformation de niveau 3 de l’abdomen (Source : S. Akimoto)
Les vaches
Le phénomène des taches blanches (dépigmentation) qu’on observe sur les hirondelles de Fukushima et de Tchernobyl se retrouve aussi sur les vaches de Masami Yoshizawa, à la Ferme de l’Espoir, à Namie, localité située à 14 km de la centrale détruite.
Une vache de Masami Yoshizawa est venue à Tokyo en 2014 pour demander un diagnostic au gouvernement (Photo AFP)
Les chevaux
Le biologiste Hayato Minamoto a rapporté l’hécatombe qu’a subie Tokuei Hosokawa, fermier d’Iitate, qui a perdu une centaine de chevaux en deux ans. Cette localité avait enduré de plein fouet le nuage radioactif provenant de la centrale de Fukushima Daiichi en mars-avril 2011.
Les singes
Entre avril 2012 et mars 2013, des chercheurs dirigés par Shin-ichi Hayama (Université japonaise des Sciences de la Vie et des Sciences Vétérinaires) ont analysé le sang de 61 macaques japonais vivant dans une forêt à 70 km de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. La concentration totale de césium musculaire chez ces singes se trouvait entre 78 et 1778 Bq/kg. Or, des analyses de sang chez ces animaux ont révélé une faible quantité de globules blancs et de globules rouges, risquant de rendre les primates plus vulnérables. La baisse du nombre de globules était directement proportionnelle à la concentration de césium dans les muscles, ce qui laisse présumer une corrélation dose-effet. Les chercheurs estiment ainsi que l'exposition à des matières radioactives a contribué aux modifications hématologiques chez les singes de Fukushima.
Conclusion provisoire
Les conséquences de la radioactivité sur les animaux sont donc visibles pour qui veut bien se donner la peine d’observer ce qui se passe. Dans cet article, je ne me suis penché que sur quelques animaux (il y aurait d’autres cas à développer : le déclin de la population des cigales, l’augmentation de la cataracte des rongeurs, etc.). Les scientifiques pourraient faire des études similaires sur ce drôle d’animal qu’est l’homme, mais ce n’est pas politiquement correct.
Pourtant cela a déjà été fait, à Hiroshima et Nagasaki, puis à Tchernobyl. Par exemple, des études menées entre 1993 et 1998 sur des enfants ukrainiens avaient permis d’observer une baisse des globules sanguins, ce qui avait pu être relié à l’exposition de chaque enfant aux niveaux de césium selon son lieu de résidence. Par ailleurs, à Tokyo, de 2011 à 2014, le docteur Mita a observé que les globules blancs, spécialement les neutrophiles, diminuaient chez les enfants de moins de 10 ans (ce qui l’a poussé à déménager et à demander à ses patients de quitter cette ville). Mais non, il ne faut rien dire, il ne faut rien chercher.
Au Japon, le déni du danger est de mise. La seule mention d’un saignement de nez dans un manga peut provoquer une affaire nationale et une censure… Il n’est pas bien vu de parler des conséquences négatives de la catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi. Il faut reconstruire, il faut oublier, il faut penser à l’avenir. Institutionnellement, on accepte une seule étude, celle du suivi des thyroïdes des enfants de Fukushima. C’est l’étude paravent qui cache la forêt de mensonges. Et encore, malgré 131 cancers confirmés en juin 2016, les scientifiques officiels nippons se refusent d’y voir les effets de la radioactivité.
Pierre Fetet
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En savoir plus :
1) Etudes scientifiques citées dans cet article
2) Articles et dossier
Tchernobyl, une histoire pas si naturelle que ça (Pierre Fetet)
Non, Tchernobyl n’est pas devenu une réserve naturelle (Timothy Mousseau)
A Fukushima, les souris sont aveugles et les oiseaux ne chantent plus (Anne-Laure Barral)