Texte de de HORI Yasuo du 12 juillet 2016 traduit de l'espéranto par Paul SIGNORET et Ginette MARTIN.
.
Voici la traduction d'articles parus dans les journaux Asahi et Mainichi au sujet des travaux de démantèlement des réacteurs mis au rebut.
Texte original en espéranto
Que fait-on pour démanteler les réacteurs?
(d'un article du Mainichi paru le 7 mars 2016)
Question: J'entends dire qu'à Fukushima, on travaille au démantèlement de réacteurs nucléaires. En quoi consiste un démantèlement de réacteur?
Réponse: Démanteler un réacteur signifie démolir des bâtiments de la centrale nucléaire. À Fukushima, on s'apprête à retirer le combustible fondu du cœur des réacteurs.
Question: Où en est-on de ce travail de démantèlement?
Réponse: On a franchi seulement la première étape. Cet accident de Fukushima a été le pire de l'histoire du nucléaire. On doit parallèlement démanteler les trois réacteurs dans lesquels le combustible nucléaire a fondu et l'on prévoit que cela nécessitera de trente à quarante années.
Question: Que fait-on dans la centrale?
Réponse: Chaque jour, environ sept mille travailleurs y pénètrent et s'emploient à des tâches diverses, par exemple l'évacuation de débris de béton, l'installation de bassins pour l'eau polluée, le contrôle des fuites d'eau polluée s'écoulant de ces bassins, etc.
Question: Ces travaux sont-ils dangereux?
Réponse: Les travailleurs portent une combinaison de plastique pour éviter les pollutions et un petit appareil de mesure de la radioactivité. Dans les endroits très radioactifs, ils se couvrent la tête et mettent un masque. Ils travaillent au péril de leur vie en s'exposant aux radiations, mais ils disent: “Il faut bien que quelqu'un fasse ce travail, donc je le fais.” À cause de leur combinaison de protection, ils risquent également de mourir de chaleur.
L'interviewer: Je souhaite qu'ils travaillent prudemment.
Des travailleurs attendent un bus dans le J-Village, qui était, avant l'accident, un stade de football dont TEPCO avait fait cadeau au département de Fukushima dans le but de faire oublier aux gens leur mécontentement devant l'implantation de centrales nucléaires qui n'étaient pas les bienvenues. Les travailleurs grelottent de froid.
On voit ici de grandes cuves dans lesquelles on stocke l'eau polluée, à raison de mille tonnes par cuve. Une tonne se remplit en trois jours, car quotidiennement quatre cents tonnes d'eau s'infiltrent sous les enceintes des réacteurs détruits et deviennent radioactives. Ces cuves ne sont pas solidement fabriquées, c'est pourquoi se produisent parfois des fuites d'eau polluée
Un chef de groupe de travail contrôle à l'aide d'un dosimètre l'intensité de radioactivité. Lorsque celle-ci devient trop forte, il ordonne aux travailleurs de quitter les lieux. Mais parfois, il leur demande de rester et d'achever la tâche en cours.
Le slogan proclame: “Que tous réduisent leur exposition à 0,01 millisievert par jour”. Hors de la centrale, 5,52 microsieverts par jour est la quantité maximale de radioactivité à laquelle peuvent s'exposer les gens. 5,52 microsieverts équivalent à 0,00552 millisievert.
Y aura-t-il assez de main d'œuvre?
(paru dans le journal Mainichi du 7 mars 2016)
Le journal Mainichi a enquêté auprès de 246 compagnies, qui envoient des travailleurs à la centrale, et il a reçu 42 réponses.
Question: Y a-t-il assez de travailleurs?
20 compagnies: assez ou relativement assez.
21 compagnies: pas assez ou relativement pas assez .
Question: Quelles sont les causes du manque de main d'œuvre? (on peut choisir plusieurs causes)
10: Les travailleurs âgés et experts partent, atteints par la limite d'âge, mais aucun jeune ne vient pour les remplacer.
7: Il est difficile de transmettre l'expérience acquise.
6: La radioactivité intense décourage les gens de venir remplacer les anciens.
Commentaires:
* Même dans l'industrie du bâtiment, on manque de main-d'œuvre, il est donc difficile d'embaucher pour la centrale.
* À présent on embauche en quantité, non en qualité. Les travailleurs expérimentés font défaut.
* À cause des constructions que nécessite la préparation des Jeux Olympiques de 2020, on manque et on continuera à manquer de main-d'œuvre pour la centrale.
Question: Pensez-vous que, conformément au plan gouvernemental, le démantèlement sera achevé en 2051?
20: oui
15: non.
Question: Pourquoi non?
* car est très difficile de se débarrasser des déchets radioactifs et de l'eau polluée.
* car il y a beaucoup de travaux techniquement difficiles à réaliser.
* car beaucoup de travaux doivent être faits dans des lieux fortement radioactifs.
Question: Quand et où y aura-t-il des risques pour les travailleurs?
20: lors de l'extraction des combustibles nucléaires fondus.
16: lors de l'extraction des combustibles usés.
10: lors de la démolition des enceintes de réacteurs.
Quelles sont les conditions de travail des gens employés par la centrale?
(d'après le journal Asahi du 11 mars 2016)
À cinq heures du matin, des bus emportant les travailleurs partent à la queue leu leu du J-Village (base pour le démantèlement de la centrale de Fukushima), vers la centrale numéro 1 située à vingt kilomètres de là. Monsieur A., qui habite Iwaki, une ville voisine, est parmi eux. Il travaille pour une petite compagnie, sous-traitante en quatrième position de TEPCO*. Il se lève à trois heures et demie, et se rend à quatre heures au J-Village, dans une voiture envoyée par la compagnie. Il porte cinq sous-vêtements, deux chaussettes et deux gants, avec en outre une pochette chauffante ("hokkairo", photo ci-dessous), glissée entre deux vêtements, et pourtant il sent encore le froid.
Il a sur lui un dosimètre. Quand la radioactivité excède 0,16 millisieverts, celui-ci l'en avertit par un bourdonnement. Au troisième bourdonnement, le travail cesse pour la journée.
Explications du dessin ci-dessus : à gauche, vêtement de protection, gant en caoutchouc, chaussure de sécurité ; à droite : masque avec filtre au charbon, vêtement spécial pour lieux fortement contaminés
Le travail d'été est le plus dur. Les ouvriers portent alors un masque et des combinaisons de protection. Ils mettent à l'intérieur de la glace pour éviter d'avoir trop chaud, mais au bout d'une demi-heure elle est fondue . Un jour, un homme d'âge moyen était couché, évanoui, dans la salle de repos. On l'a transporté par hélicoptère à l'hôpital, mais il est mort, un peu plus tard, d'un coup de chaleur.
Le travail de monsieur A. consiste à installer des tubes pour évacuer l'eau polluée. Le terrain de la centrale, couvert de planchers métalliques, paraît plus propre qu'au lendemain de l'accident, mais les bâtiments des réacteurs sont dans un état lamentable, avec leurs murs de béton en ruine et leurs ferrailles à nu, toutes tordues. “Plus on est proche du bâtiment du réacteur, dit-il, plus c'est radioactif.”
Cinq ans plus tôt, alors que, ce jour-là, il travaillait dans le bâtiment du réacteur numéro 1, la lumière s'était éteinte. Quelque chose s'était arrêté de fonctionner dans un grand fracas. Il est sorti en courant et a vu que le pavage en béton s'était fendu et que les vitrages dégringolaient. Il s'est précipité dans le bâtiment administratif.
Ensuite a eu lieu le contrôle de l'état des employés, et le soir il est rentré à la maison. Il n'a pas vu le tsunami. Une fois rentré chez lui, il a eu une crise d'urticaire provoquée par la tension et la fièvre. Le jour suivant, le bâtiment du réacteur dans lequel il travaillait a explosé à cause de la vapeur.
Quelques jours plus tard, il s'est réfugié avec toute sa famille chez un de ses parents, à Nagoja. En mai, le président de la compagnie lui a téléphoné pour lui demander de revenir travailler dans la centrale nucléaire. Sa fille avait alors un an. Persuadé que c'était, pour lui, le seul moyen de gagner sa vie, il est revenu à Fukushima. Il recevait onze mille yens par jour (94 euros).
* L'avocat Hirota Hideo, qui aide les travailleurs pour les problèmes de salaire, explique: “TEPCO donne du travail à une compagnie sous-traitante, qui ne le fait pas elle-même mais qui, à son tour, le confie à ses sous-traitants... et ainsi s'étagent en pyramide plusieurs couches de compagnies sous-traitantes, et à chaque étage chacune prélève sa commission. Dans un cas, pour un travailleur, TEPCO a payé 43 000 yens par jour (370 euros) à la compagnie sous-traitante de premier étage, mais la compagnie située au troisième étage au-dessous n'a reçu que 11 500 yens (100 euros). Si l'on ne supprime pas ce système, jamais cette "pompe à phynance" ne disparaîtra.”
* Monsieur Katsura Takeshi, qui aide les travailleurs des centrales nucléaires, dit: “Il y a encore des gens qui travaillent sans contrat écrit. Les compagnies qui les embauchent doivent avoir la responsabilité de leur salaire, de leur sécurité et de leur assurance.”