Il faut tout annuler : L’ancien ambassadeur du Japon en Suisse, Mitsuhei Murata, a récemment suggéré que le Japon devrait se résoudre à un « retrait honorable » de son projet d’accueillir les Jeux olympiques de 2020, en raison de l’imprévisibilité de la situation à la centrale nucléaire dévastée de Fukushima n°1. (photo ci-contre : KYODO)
Il est temps de se résoudre à un « retrait honorable »
du projet Tokyo 2020 vu la situation à Fukushima
Brian VICTORIA
Article paru sous le titre original « Time has come for an ‘honorable retreat’ from Tokyo 2020 over Fukushima » le 4 novembre 2015 sur le site The Japan Times.
Traduction française : Odile Girard (Fukushima-is-still-news)
Lettre adressée à Toshiaki Endo, Ministre chargé des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo
Monsieur le Ministre,
Permettez-moi de débuter cette lettre en vous présentant mes condoléances les plus sincères. Mais pourquoi, me direz-vous ? Mes condoléances pour la mort de l’idée que des Jeux olympiques se déroulant sans incident à Tokyo en 2020 pourraient servir de vitrine au renouveau économique du Japon.
Jusqu’à présent, c’est exactement le contraire qui s’est produit : abandon des plans extrêmement coûteux du Stade national, cafouillage autour du logo olympique avec des accusations de plagiat et les gros titres des journaux prétendant que « les fiascos liés aux Jeux olympiques japonais indiquent un processus de décision dépassé et opaque. » Plus récemment encore, le ministre des Sports japonais, Hakubun Shimomura, a proposé de démissionner suite à l’affaire du stade olympique.
Parmi tous ces événements, l’accusation suggérant un « processus de décision dépassé et opaque » est peut-être la plus inquiétante, car elle sous-entend que les deux sérieux problèmes rencontrés jusqu’ici par les Jeux olympiques de 2020 sont de nature systémique, et non pas simplement des phénomènes exceptionnels. Si c’est le cas, il est probable que des problèmes similaires se reproduiront à l’avenir. Or combien de revers les Jeux olympiques de 2020 peuvent-ils affronter ?
Il convient peut-être dans ce contexte de se rappeler l’avertissement lancé au 13è siècle par Dogen, le maître Zen : « S’il y a la moindre différence au début, le résultat restera plus éloigné que le ciel de la terre. »
L’une des leçons que l’on peut tirer des paroles de Dogen est que pour comprendre l’embarras dans lequel on se trouve à tel ou tel moment, on doit réfléchir à la manière dont on en est arrivé là. Une fois qu’on a fait cela, le « début » devient clair : c’est la déclaration faite en 2013 par le Premier ministre Shinzo Abe au Comité international olympique pour affirmer que la situation à la centrale nucléaire de Fukushima N°1 était « sous contrôle ». Le Premier ministre allait ensuite déclarer à la Diète « Les conséquences des substances radioactives dans les eaux avoisinantes sont limitées à une superficie de 0,3 kilomètres carrés dans l’enceinte du port de la centrale. »
Il suffit de voir les derniers articles décrivant des pluies torrentielles dans la région de Fukushima pour savoir que cette affirmation, si tant est qu’elle ait jamais été justifiée, n’a clairement plus aucun fondement. Tepco lui-même a admis : « Les 9 et 11 septembre, suite au typhon 18 (Etau), de fortes pluies ont provoqué des fuites d’eau du système de drainage dans la mer. » Ne parlons pas de la grande probabilité que des zones récemment décontaminées aient été recontaminées par les fortes pluies qui ramènent dans la plaine les particules radioactives déposées dans les montagnes environnantes. N’oublions pas non plus que nul ne sait où, ni dans quel état, se trouve exactement le combustible fondu des réacteurs 1, 2 et 3.
Malheureusement, le maître Zen Dogen n’a pas expliqué que faire quand on se trouve dans un endroit déjà très éloigné de la Terre, ou en l’occurrence, de la vérité. Par chance, l’ancien ambassadeur du Japon en Suisse, Mitsuhei Murata, a récemment proposé une solution éminemment raisonnable : Il est temps, dit-il, d’organiser un « retrait honorable » du projet d’accueillir les Jeux olympiques de 2020, tant qu’il est encore possible de sélectionner et de préparer un site alternatif.
Dans un article du Gekkan Nippon de septembre, M. Murata a étayé sa proposition en signalant un autre élément erroné dans la déclaration de M. Abe au CIO, à savoir « [Fukushima] n’a jamais causé et ne causera jamais de dégâts à Tokyo. » dans sa réponse, M. Murata énumère plusieurs incidents qui montrent que Tokyo a été affecté par les retombées radioactives de Fukushima, notamment la découverte le 23 mars 2011 que l’eau de la station d’épuration du district de Kanemachi à Tokyo contenait plus de 200 becquerels par litre d’iode radioactif, soit deux fois la limite stipulée pour les jeunes enfants dans la Loi sur la sécurité sanitaire des aliments.
Cependant, ce n’est pas le passé qui inquiétait surtout M. Murata, mais le présent et l’avenir. Il faisait ainsi remarquer le danger que continuent à poser les grandes quantités de barres de combustible usé suspendues dans les piscines de désactivation des réacteurs 1, 2 et 3. Contrairement aux barres de combustible du bâtiment réacteur 4 qui ont été retirées avec succès à la fin de 2014, les barres restantes ne peuvent être retirées des bâtiments réacteurs endommagés, en raison des taux de radioactivité élevés à proximité de ces réacteurs dont les cœurs ont tous subi une fusion.
La plus grande inquiétude de M. Murata vient d’un certain nombre de signes troublants d’une criticité récurrente dans l’un ou l’autre réacteur à Fukushima N°1. Il rappelle ainsi qu’en décembre 2014, la présence d’iode 131 et de tellurium 132 aurait été détectée dans la ville de Takasaki, dans la préfecture de Gunma. Étant donné la brièveté de la demi-vie de ces particules radioactives, leur présence ne pouvait pas s’expliquer par les fusions ayant eu lieu initialement à Fukushima.
M. Murata n’est pas contre les Jeux olympiques en soi, mais il les considère comme une excuse majeure pour éviter de faire ce qui devrait être fait immédiatement, c’est-à-dire faire appel aux plus grands esprits et aux meilleurs experts du monde entier et, avec le soutien inconditionnel du gouvernement japonais, faire tout ce qui est humainement possible pour s’assurer que la situation à Fukushima soit véritablement « sous contrôle ». Ceci contribuerait à garantir que l’Océan pacifique ne serve plus d’égout à ciel ouvert à la radioactivité émanant de Fukushima, et soulagerait également la souffrance et la détresse permanentes des résidents de Fukushima et de ses environs.
Comme le notait M. Murata dans la conclusion de son article, « le ciel et la terre ne vont pas tolérer longtemps les conduites immorales. » Compte tenu de tout ceci, Monsieur le Ministre, accepterez-vous de vous joindre à l’appel pour un « retrait honorable » ?
BRIAN VICTORIA
Kyoto