Texte de HORI Yasuo rédigé le 26 mai 2015
traduit de l'espéranto par Ginette MARTIN avec l’aide de Paul SIGNORET
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Sommaire
- Région côtière du département de Fukushima
- Nous avons roulé le long de la voie Jōban
- Nous avons visité les réfugiés dans la ville de Minami-Sooma
- Nous avons visité la ville de Namie
- Qu'est-il arrivé?
Région côtière du département de Fukushima
Le 26 mai, l' "Association de la ville de Maebashi pour le démantèlement de toutes les centrales nucléaires du Japon" organisait une excursion en bus dans la région côtière du département de Fukushima, où sont les centrales nucléaires n°1 et n°2. Quarante-deux personnes y participaient, de sorte que le bus était presque plein.
Mon département de Gunma est voisin de celui de Fukushima, si bien que, lorsque l'accident nucléaire s'est produit, des nuages contenant des substances radioactives ont flotté jusqu'ici, de sorte la terre n'est pas très fortement contaminée, mais l'est tout de même. Dans le bus, deux personnes ont mentionné la souffrance due à l'accident nucléaire dans mon département :
A: Je suis agriculteur. Parfois, mes légumes sont plus contaminés que la norme, alors je les jette.
B: Dans la petite ville de Komochi, où l'on produit du thé, depuis l'accident les feuilles de thé sont contaminées. Les agriculteurs ont perdu espoir, et certains ont déjà cessé de travailler.
La département évite de publier des rapports concernant la pollution due à l'accident, aussi les habitants, ignorant la gravité de la situation, vivent-ils heureux, mais en réalité leur santé décline même un peu chaque jour.
Nous avons roulé le long de la voie Jōban
Traversant le département de Tochigi, notre bus est entré dans le département de Fukushima. Entre les villes de Tomioka et Namie, la route a été longtemps fermée en raison de l'accident nucléaire, mais le 1er mars elle était ouverte, cependant les villes traversées par la route appartiennent au district inhabitable fortement contaminé. Dans le parking de Junotake, le taux de pollution est indiqué en neuf points de cette partie de la chaussée :
Minami-Sōma – Namie 1,3, 0,4, 0,2(microsieverts)
Namie – Tomioka 3,0, 5,6, 1,0
Tomioka – Hirono 0,2, 0,7, 2,3
La norme maximale que le gouvernement a décidée est de 0,23 microsieverts, donc la radioactivité dans 6 des 9 sites a dépassé la norme.
Le bus est entré dans la ville de Tomioka. Les chiffres ont encore augmenté, même dans le bus: 0,22, 0,34, 0,45, 0,52.
Dans la ville de Futaba, les chiffres ont augmenté encore: 0,45, 0,60, 0,80, 1,15 (le plus élevé)
Pendant ce temps, des deux côtés de la route, défilaient des champs couverts de mauvaises herbes, des maisons désertées, et d'énormes quantités de terre contaminée dans des sacs de plastique. La surface des terrains désertés est la moitié de celle de la métropole de Tokyo. Alors que de nombreuses générations n'ont cessé de cultiver les champs à la sueur de leur front et produit du riz et des légumes délicieux, et que, si l'accident nucléaire n'était pas arrivé, les champs donneraient, maintenant et à l'avenir, pour eux et pour nous, les fruits bénis de la terre, l'accident leur a fait perdre presque à jamais ces héritages.
Récemment, le ministère de l'économie et de l'industrie a commencé à nouveau à plaider pour le faible coût de l'électricité nucléaire. Comment ont-ils calculé le coût? Comment ont-ils calculé le coût de la terre inhabitable et des champs incultivables, les pertes de vie, culture, tranquillité, espoir et avenir? Ces pertes sont incalculables. Les bureaucrates et les politiciens qui plaident sans honte pour elle sont trop arrogants, ils n'ont pas de cœur.
Notre guide M. Itō nous a expliqué, en montrant du doigt les champs, que celui-ci était un beau champ, que cet autre aussi était beau, mais sur ces domaines les saules ont déjà commencé à pousser. Ces gens arrogants ne peuvent pas ressentir la tristesse et le désespoir des agriculteurs. M. Itō a déclaré: "Le gouvernement actuel n'hésite pas à sacrifier Okinawa, l'obligeant à accepter une base militaire US sur son sol, pour remplir une promesse faite aux États-Unis, et il n'a aucune hésitation non plus à sacrifier le département de Fukushima pour continuer sa ”politique d'énergie nucléaire".
Nous avons visité les réfugiés dans la ville de Minami-Sooma
Nous attendaient six réfugiés (deux hommes et quatre femmes) dans la salle de rencontre des maisons provisoires dans le district de Ushikoshi. Tous étaient des gens âgés. M. Satō, le responsable, a expliqué la situation:
Dans ce district il y a 379 maisons provisoires, dans lesquelles vivent 800 personnes. Je viens du village de Takanokura et habite dans la ville de Minami-Sōma. Au début, j'ai pris refuge dans la ville de Kitakata, mais je suis retourné à la maison en juin 2011, donc à ce moment-là, j'ai certainement été beaucoup exposé à la radioactivité. Je suis arrivé ici en avril 2012. Une personne isolée recevait une petite chambre, une famille avec deux personnes, deux chambres, et une famille plus nombreuse, trois chambres.
Dans ma maison de Takanokura, l'intensité de la radioactivité est de 2,2 microsieverts, de sorte qu'il est trop dangereux d'y vivre, mais le gouvernement a décidé que mon district est un "lieu habitable" et il a cessé de nous donner les indemnités compensatoires, alors je subsiste avec ma pension et l'argent économisé. Dans mon district logeaient auparavant 85 familles, mais maintenant il n'y en a plus que trois."
Un homme à côté de lui a déclaré :
" Je suis un éleveur de bovins âgé de 35 ans. Quand je suis revenu à la maison après l'accident nucléaire, toutes les vaches étaient des squelettes. En quelque sorte, je vis ici, mais la chose la plus difficile est que je n'ai rien à faire. N'utilisant jamais mon cerveau, je ne fais que manger, dormir et regarder la télé sans but. Auparavant, je travaillais à temps partiel dans les centrales nucléaires. On nous a fait croire que les centrales nucléaires étaient absolument sûres, mais je savais que rien d'absolu n'existe.
J'ai visité personnellement un homme dans la maison voisine. Il a expliqué sa vie:
" Quand j'étais jeune, je m'étais engagé dans dans l'armée japonaise, et je m'étais porté candidat kamikaze, mais avant que je ne vole, la guerre était terminée. Ensuite, je suis revenu ici et ai commencé l'élevage de bovins. Après l'accident nucléaire, je suis rentré à la maison et ai constaté que toutes les 30 vaches étaient devenues des squelettes. C'étaient peut-être les sangliers qui les avaient mangées."
Il a frôlé la mort pendant la Seconde Guerre mondiale, et maintenant il souffre de la politique énergétique injuste. Il a des raisons suffisantes pour être en colère contre le gouvernement et TEPCO, mais il m'a semblé qu'il n'était pas mécontent de sa vie actuelle. Il a même dit : "La vie ici est agréable."
Ces six hommes non plus n'exprimaient jamais de colère ni de haine envers le gouvernement et TEPCO. Il semblait qu'ils acceptaient leur vie actuelle comme étant leur destin naturel mais quand je suis sorti de la réunion et que j'ai trouvé l'annonce suivante, j'ai eu honte de ma compréhension superficielle.
Cabinet de consultations pour votre cœur
Psychiatre Sōma Hiroshi
Ne soyez pas affligé !
Venez à moi, vous qui
avez une colère inexprimable,
un courroux contre TEPCO,
qui désespérez de votre avenir,
ne savez plus comment survivre,
ne pouvez plus entrevoir votre avenir,
êtes rompus de chagrin.
Déjà quatre années ont passé, mais rien n'a été résolu, au contraire tout s'est aggravé. Dans ce contexte, ils agissent et parlent comme s'ils n'avaient pas de problèmes, mais au fond de leur cœur on trouve la tristesse et le désespoir. Ils sont si fragiles qu'ils n'ont d'autre choix que de rester assis, silencieux et désespérés . Le gouvernement et TEPCO, profitant de leur faiblesse, les négligent et ne veulent plus s'en soucier, prétextant l'intervalle de quatre ans et visant à économiser l'argent des indemnités.
Nous avons visité la ville de Namie
La situation actuelle de la ville est la suivante :
1. Le nombre d'habitants avant l'accident était 21 000, mais maintenant il est de
19 000.
2. 70% de la population s'est réfugiée dans le département de Fukushima lui-même, et 30% dans d'autres départements. 3700 personnes vivent dans des maisons provisoires dans 30 endroits du département de Fukushima.
3. La ville organise des "communautés de citoyens déplacés" dans les villes de Minami-Sōma, Nihonatsu et Iwaki, construisant des "appartements de restauration". Elle a installé ici et là des "aides à la restauration" en 10 endroits dans d'autres départements.
4. L'administration principale de la ville est maintenant dans la ville de Nihonmatsu, mais quarante personnes travaillent aussi dans le bureau de Namie.
Selon le plan municipal pour la restauration, la ville construira une base sur le site qui va bientôt devenir "habitable", et élargira cet endroit, arrangeant diverses fonctions pour les habitants. Et il est prévu que, lorsque la ville entière sera habitable en 2017, le nombre d'habitants sera de 5000 (2500 familles"), mais selon une enquête auprès des habitants (en août 2014) :
Je désire revenir à la ville assez vite: 17,6%
Je n'ai pas encore décidé : 24,6 %
J'ai décidé de ne pas revenir : 48,4 %
Certes, ceux qui veulent revenir sont des personnes âgées, donc la disparition de la ville est prévisible dans un court laps de temps.
Voici le paysage devant la gare de Namie : le dosimètre devant la gare montre 0,628. Sur mon dosimètre le chiffre était de 1,23 microsieverts. Dans ce lieu fortement radioactif personne ne peut résider.
Des liasses de journaux chez un marchand de journaux. En première page dansent les mots "Explosion des réacteurs," Les journaux sont venus, mais les habitants ont fui.
Stationnement pour vélos. Sur le panneau est écrit "Aidez tous les enfants avec le même amour que les vôtres." Les vélos sont restés ici depuis ce jour-là.
Nous sommes allés au district d'Ukedo, qui a été détruit par le tsunami. Quand je suis arrivé ici il y a un an, sur les champs nageaient des bateaux, mais maintenant ils ont disparu.
L'école primaire d'Ukedo était dans le même état. Nous avons pu voir des salles détruites et un grand salon au plancher pourri. Sur la photo ci-dessous, le bâtiment de l'école était dans le brouillard. Des grenouilles de pierre nous regardaient on ne sait pourquoi.
En bus, nous avons traversé la ville de Futaba. Il y avait là un panneau célèbre sur lequel était écrit " L'énergie atomique est l'énergie pour un avenir lumineux." La ville veut l'enlever, en faisant valoir qu'il serait devenu vieux et dangereux, mais la raison est certainement tout autre. Peut-être le gouvernement et TEPCO obligent-ils la ville à l'enlever, parce que ce panneau montre clairement que l'énergie nucléaire est une énergie pour un avenir sombre.
Ce slogan, contribution de M.Ōnuma Yūji, 39 ans, résidant dans le département d'Ibaraki, à cette époque-là étudiant dans la ville, a été installé en mars 1988. Celui-ci a visité la ville en mars et a proposé que le slogan soit conservé en tant que patrimoine négatif, car il montre clairement la bêtise humaine.
Ici mon dosimètre a indiqué 2,57 microsieverts dans le bus, alors bien sûr au dehors l'intensité était le double, pourtant dans cet endroit se trouvaient des gardiens dans les rues.
Pour finir, je vais traduire un poème de M. Itō, notre guide ce jour-là.
Qu'est-il arrivé ?
On trouve des maisons
et des champs,
on trouve de douces
montagnes et la mer.
Chaque jour se présentent
le matin et la nuit.
Il vente
et parfois il pleut.
Mais personne n'habite là,
on trouve des villages bien-aimés
où les hommes ont disparu,
ils ne peuvent y habiter.
Une telle chose s'est produite
Le long du Hamadōri, la côte de Fukushima
Comme le nom de cet endroit sonne joliment !
L'Abumaka-kōchi
se trouve, lui aussi, entre les monts
Là
les vents sentaient bon,
les pluies avaient de belles couleurs,
le soleil matinal avait de la force,
le soleil du soir avait de la tendresse.
Au début du 21ème siècle
dans cet endroit du Fukushima
le parfum des vents a disparu.
Ont disparu les couleurs de la pluie, du soleil matinal et vespéral, ils ne restent que dans nos souvenirs
Hélas, qu'est-il arrivé?
Lien vers le rapport de Yasuo en espéranto