En avril l’année dernière, Michelle Pini a interviewé le Docteur Helen Caldicott sur la catastrophe de Fukushima. Étant donné qu’IA fut le premier media à couvrir en Australie la fusion des cœurs, à douze reprises, au plus près du déroulement de la catastrophe, nous avons tout lieu de croire que nos lecteurs apprécieront pleinement la pertinence de cet entretien.
« En Australie nous n’avons pas d’énergie nucléaire, nous nous contentons d’exporter la radioactivité pour le bonheur et au bénéfice du reste du monde - c’est immoral. »
Dr Helen Caldicott
Le Docteur Helen Caldicott ne peut laisser personne indifférent. Sa maîtrise parfaite du sujet et sa ferveur semblent sans limites. Elle joint souvent le geste à la parole, vous regarde droit dans les yeux et a dans la voix des accents qui imposent le sens de l’urgence.
Physicienne australienne et militante antinucléaire réputée dans le monde entier, ainsi qu’éducatrice, elle s’est rendue disponible pour cette interview tout juste de retour d’une campagne de conférences au Japon et au Danemark. Les effets du décalage horaire ne semblent même pas l’’atteindre.
Caldicott me dit avec emphase :
« Fukushima est plus démesuré et beaucoup plus grave que Tchernobyl dans la mesure où l’on achète des produits alimentaires importés du Japon, on consomme du poisson probablement contaminé et l’on n’a aucune assurance que le nuage radioactif qui a survolé le ciel du Japon dès le début de la catastrophe ne va pas se retrouver ici. »
Nous discutons des événements qui se sont déroulés en 2011 à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, que l’UNSCEAR (Comité Scientifique des Nations Unies sur les Effets de la Radiation Atomique) décrit comme «l’accident nucléaire le plus considérable depuis…Tchernobyl. » (Cf. The Fukushima-Daiichi nuclear power plant accident, 2014. )
Le déroulement de l'accident de Fukushima Daiichi (IRSN)
Contrôle de radioactivité suite à l’interdiction, en Corée du sud, de l’importation de poisson du Ja-pon.
L’estimation d’un pic de radioactivité à cinq ans provient d’une modélisation de la propagation des radionucléides de Fukushima dans l’atmosphère et l’océan.
(Provinec et al, “Dispersion of Fukushima radionuclides in the global atmosphere and the ocean. Applied Radiation and Isotopes”, 2013.)
Par ailleurs, les moteurs neufs ou usagés importés du Japon ont fait l’objet de contrôles aléatoires, mais selon Salomon
« on n’a trouvé aucun véhicule contaminé. De rares substances radioactives ont pu être détectées à titre épisodique et à des niveaux très faibles dans un prélèvement atmosphérique à Darwin.
Mais, dit-il, aujourd’hui c’est fini. »
Le Docteur Caldicott ne se satisfait pas de ces conclusions. Elle commente :
« On a coutume de dire que les niveaux [d’isotopes radioactifs] sont insignifiants, mais il suffit d’un seul coup sur un gène régulateur, dans une seule cellule, pour attraper le cancer — un jeu de hasard comme à la Roulette russe. »
Sur le sujet de la culpabilité de l’Australie, Caldicott est intransigeante :
« N’oublions pas que l’uranium de Fukushima était notre uranium — nous n’avons pas le droit d’ignorer la situation. Nous avons l’obligation morale de prendre nos responsabilités vis-à-vis de cet accident. »
Caldicott ajoute :
« En Australie, nous n’avons pas d’énergie nucléaire, nous nous contentons d’exporter la radioactivité pour le bonheur et au bénéfice du reste du monde — c’est immoral. »
La Fondation pour la Préservation de l’Australie fait écho à ce point de vue, en soulignant que les réacteurs dévastés furent alimentés par notre uranium :
Cette crise a des implications profondes en Australie parce que la catastrophe de Fukushima a commencé chez elle, à l’arrière d’un gros camion jaune…les pierres excavées dans la région nord de l’Australie du Sud et au Kakadu sont à l’origine des retombées radioactives que le vent a dispersées sur le Japon et au-delà, responsabilité originelle également pour l’eau polluée qui verse sans fin dans le Pacifique.(Sweeney, D, Fukushima: three years on and still no action, 2014.)
Manifestation à Muckaty Station devant le bureau de l’ex-ministre des ressources fédérales, Martin Ferguson, avant le retrait de ses projets.
Daniel Zavattiero est Directeur exécutif pour l’Uranium à l’Association de l’Uranium en Australie, le groupe d’influence de l’industrie. Indiquant une photo de fûts d’entreposage de déchets provenant d’une centrale nucléaire américaine, il a tenu ces propos non sans conviction :
« J’aime vraiment beaucoup cette photo. Dans ces quelques conteneurs impénétrables il y a 28 années de déchets. C’est splendide. Vous pouvez toujours essayer de rouler dessus avec un semi-remorque, ils sont pratiquement indestructibles. N’est-ce pas formidable ? »
Son intonation déborde tellement d’excitation qu’on a peine à concevoir qu’il est question d’isotopes radioactifs. De l’avis de Zavattiero, l’Australie devrait supprimer l’interdiction actuelle visant le développement du nucléaire, pour « permettre à la technologie d’affronter la concurrence avec ses propres atouts ».
Il oriente habilement la discussion sur le terrain de ce qui lui paraît être les atouts de l’énergie nucléaire en répétant des phrases comme « zéro émissions », « facilement disponible » ou « moteur de croissance et de prospérité économique dans le monde entier ».
Bien qu’il convienne que Fukushima (de même que Tchernobyl auparavant) a eu des répercussions défavorables sur le débat autour du nucléaire en Australie, c’est le seul secteur où il observe des ramifications concernant l’Australie.
Il me cite un passage du rapport de l’UNSCEAR sur les effets de la catastrophe de Fukushima, qui stipule ceci :
‘Aucun lien n’a pu être établi, parmi les travailleurs ou l’ensemble des individus exposés à la radioactivité post-accidentelle, entre les maladies aiguës ou les décès et la radioactivité.’
Zavatterio dit,
« non qu’il faille minimiser son impact sur la population japonaise ; nous en sommes préoccupés, c’est d’ordre émotionnel. Mais les problèmes à Fukushima ont été causés par un tsunami qui a entraîné une perte de puissance des réacteurs — les réacteurs eux-mêmes n’en sont pas la cause. »
Zavatterio a anticipé la plupart des questions de notre entrevue et de son propre chef il précise souvent ses réponses :
« Pourquoi devrions-nous nous sentir redevables d’une dette morale vis-à-vis du Japon, sous prétexte que c’est notre uranium qui se trouvait dans la centrale nucléaire ? Il s’est agi d’un accident industriel, pas d’un acte terroriste. La question se pose-t-elle en ces termes pour tout autre accident industriel dans le monde ? »
Sur la question de l’exportation d’uranium, il est à l’aise :
« Nous ne vendons qu’aux pays qui en font une utilisation pacifique — c’est une clause obligatoire » répond-il, et il ajoute « Il y a de la radioactivité partout. Toutes les technologies font face aux pro et aux anti ; les aspects singuliers de l’industrie nucléaire sont gérables. »
AFFICHE de contre-propagande intitulée : « L’Inde détient le record absolu de la non-prolifération » Tony Abbott, premier ministre de l’Australie Absolument. Sauf qu’elle développe ses propres armes nucléaires et fait des essais. Sur ce point, l’Iran détient un record encore plus imbattable. L’ambiguité australienne : saper le TNP [Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires] en acceptant d’approvisionner en uranium les proliférateurs nucléaires en dehors du traité… …mais engagée pour un monde sans armes nucléaires. SI NOUS SOMMES CONFUS ? ASSUREMENT ON L’EST ! - - - - - - - - - - - -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - WILDFIRE : Le premier ministre australien Tony Abbott signe un contrat pour saper le TNP par l’exportation d’uranium en Inde. Encore plus profond dans l’ambiguité !
En ce qui concerne le combustible usé, Zavatterio dit ceci :
« Ce n’est pas si préoccupant. D’ailleurs l’Australie a la chance d’avoir une position centrale pour affronter ce défi. »
Suite à notre entrevue, j’ai relu le rapport de l’UNSCEAR. Il donnait encore les précisions suivantes :
« On peut conclure à une augmentation du risque de cancer de la thyroïde, en particulier
chez les nourrissons et les enfants ». (UNSCEAR, Rapport du Comité Scientifique des Nations-Unies sur les Effets de la Radioactivité Atomique, 2013).
Sur ce point, Caldicott est furieuse :
« La désinformation à ce sujet est incommensurable. La radioactivité est un tueur invisible — C’est la carte gagnante qui fait le jeu de l’industrie nucléaire. On n’attrape pas un cancer du jour au lendemain, cela prend des années…et il sera impossible de prouver la cause de ce cancer. »
Elle ajoute :
« La période de latence pour une leucémie est de 5 à 10 ans, et de 15 à 80 ans pour les cancers solides. »
Il est donc prématuré et fallacieux, dit-elle, de conclure qu’aucun décès ne puisse être rattaché à l’accident de Fukushima.
Le docteur Peter Karamoskos est radiologiste nucléaire et représente les populations au comité de la santé liée à la radioactivité de l’ARPANSA. Il s’exprime avec douceur, de façon calme et posée.
Karamoskos compare le comité à un conseil d’administration qui se réunirait pour débattre des dernières avancées scientifiques sur les normes réglementaires ; il explique :
« Ma mission en tant qu’avocat du public a été expressément créée à cette fin par l’ARPANS Act. Je puis m’exprimer librement si bien que mes points de vue n’ont pas besoin de refléter la position de l’ARPANSA. »
Il confirme que Fukushima est « extrêmement contaminée », la flore, la faune, les sols ainsi que les sédiments marins sont affectés et il en sera ainsi pendant « des dizaines de générations ». Karamoskos dit ceci :
« Il était bien entendu indispensable d’évacuer, et même si la contamination s’arrêtait demain, la région demeurerait contaminée pour les 200 prochaines années. »
Il s’est rendu à Fukushima après la catastrophe et il en est vraiment revenu profondément bouleversé :
« Même si vous nettoyez une parcelle pour permettre aux gens d’y vivre, ils se trouveront cernés de terrains contaminés. Ils ont vécu là depuis des générations, or ils ont perdu leur identité. Leur vie actuelle c’est de la survie — les communautés ne pourront pas renaître. »
Selon lui, les préfectures locales se considèrent elles-mêmes comme des victimes et n’ont aucune confiance dans le gouvernement.
« Les niveaux de contamination sont au cœur des préoccupations des Japonais ; ils pensent à ‘la dose’ à chaque moment de la journée. »
Karamoskos confirme :
« Les substances radioactives continuent à être déversées dans l’océan à Fukushima et on ne m’a pas rapporté une quelconque solution pour arrêter ça. »
Toutefois, il estime que la pollution des eaux de surface « ne devrait pas être surestimée » puisque l’eau de mer dilue les isotopes de sorte qu’on n’y trouve plus loin que des traces de [radio]éléments. Il dit :
« Il y aurait des saignements en équateur mais à un niveau non-significatif. »
Agricultrice bio, Tatsuku Ogawara vit à 40 km de Fukushima. Elle n’est pas assurée de pouvoir poursuivre son activité car il est probable que les sols soient contaminés.
L’avocat public de l’ARPANSA admet l’effet catastrophique du désastre de Daiichi, mais observe qu’il ne présente pas de risque direct pour les Australiens. Il concède néanmoins qu’étant donné que « les mesures sont locales et relatives à l’état de santé de l’individu testé », on ne peut pas avoir l’assurance absolue que des productions alimentaires ne passent pas entre les mailles du filet ».
Karamoskos reconnaît aussi que l’étiquetage des produits importés, en particulier ceux qui transitent par des pays à la réglementation moins stricte, est source d’inquiétudes légitimes et qu’on n’a en définitive aucune garantie sanitaire.
Caldicott pointe des conflits d’intérêts à tous les niveaux de responsabilité de cette réglementation.
« Le gouvernement du Japon s’applique avec acharnement à maîtriser la situation mais sans y parvenir. Le peuple japonais lui-même ne croit plus le gouvernement. »
Sur la question de l’extraction d’uranium et des obligations morales de l’Australie au regard de son exportation, Karamoskos fait écho aux points de vue de Caldicott :
« L’exportation d’uranium est un vrai problème parce que nous n’avons aucune assurance qu’il ne servira pas à fabriquer des armes. La Chine ou l’Inde vont-elles nous permettre d’inspecter leurs réacteurs ? et il y a également le problème de l’élimination des déchets — l’entreposage n’est pas une solution.
Fukushima est l’illustration qu’une mauvaise réglementation et des partenariats industriels confortables, dans un pays technologiquement avancé, peuvent déboucher du jour au lendemain sur une situation désastreuse. »
Caldicott s’est engagée dans le projet d’instruire les Australiens (et le monde) sur Fukushima et ses implications :
« Ce sujet a été presque totalement ignoré par les médias en Australie, or il est nécessaire de le porter sur la place publique. Nous parlons en effet d’un problème qui a, globalement parlant, de profondes ramifications. »
En outre elle est convaincue que la catastrophe de Fukushima n’est pas terminée :
« C’est une bombe atomique à retardement car un certain nombre de bâtiments pourraient s’effondrer en cas de nouveau séisme. De plus on est en train de construire dans la ville de Fukushima un important hôpital en cancérologie — cela parle de soi. »
Cependant, le Docteur Helen Caldicott envisage l’avenir avec un certain optimisme :
« Le premier pas vers une grande mutation c’est une énorme prise de conscience, vous connaissez le mot de Jefferson ‘une démocratie éclairée se comportera de façon responsable’ — il est de notre devoir de les bombarder d’information. »
Les révélations actuelles sur les conséquences de la catastrophe de Fukushima vont dans le sens des craintes du Docteur Caldicott. Ce matin les news du site Global Research révèlent que Michio Ayoama de l’Université de Fukushima a informé Kyodo que la Côte Ouest de l’Amérique du Nord sera atteinte d’ici 2016 par 80 % des dépôts de césium qui ont déjà touché le Japon.
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