Deux articles parus ces derniers jours permettent de comprendre comment le Japon manipule l’opinion pour faire revenir les habitants évacués dans les zones contaminées et relancer son programme nucléaire. Les autorités prétendent qu’en dessous de 100 mSv/an, il n’y aurait pas de danger sanitaire alors que des études scientifiques prouvent le contraire. Selon un membre de l’AIEA, « tout est une question de communication, et il s’agit d’abord de calmer les inquiétudes « irraisonnées » des populations dues, selon lui, au terme « contamination » qui (…) fait peser sur l’irradiation une image négative », rapporte Cécile Asanuma-Brice dans sa dernière tribune intitulée « La légende Fukushima ».
Kolin Kobayashi revient quant à lui sur le programme Ethos qui, expérimenté sur les populations vivant en territoire contaminé par Tchernobyl, est maintenant appliqué sous d’autres formes – publication 111 de la CIPR par exemple – et aboutit aux mêmes recommandations pour la population de Fukushima. Il permet de demander localement une participation active des habitants, ce qui les rend responsables de la catastrophe dont ils sont pourtant victimes. Il permet également d’imposer une norme annuelle entre 1 et 20 mSv/an pendant la « période de reconstruction » et de 20 à 100 mSv/an dans une période d’urgence.
Ce qui se passe pour les populations vivant en territoires contaminés autour de Tchernobyl et de Fukushima sera bien évidemment appliqué dans n’importe quel pays du monde où aura lieu la prochaine catastrophe nucléaire. En France, la norme actuelle est 1 mSv/an, mais s’il y a un accident, ce sera 20 mSv/an et si vous avez la malchance d’habiter trop près du désastre, vous aurez droit à 100 mSv/an.
On comprend que les autorités nucléaires s’adaptent à toutes les situations, le curseur se déplaçant selon les circonstances, et l’idée rabâchée de la sûreté devient un véritable mythe.
PF
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La légende Fukushima
Cécile Asanuma-Brice
(extrait)
« Trois ans et demi après l’accident de Fukushima, le nombre de décès relatifs à l’explosion de la centrale nucléaire Tepco Daiichi de Fukushima ne cesse de s’accroître. Selon le journal Tokyo Shimbun, plus de 1 100 décès sont comptabilisés au 11 septembre. La population vieillissante, relogée dans des logements «provisoires», a été la première touchée. Le droit au refuge ne leur ayant pas été accordé, en dépit des recommandations faites par le rapporteur aux droits de l’homme de l’ONU, Anand Grover, suite à sa mission au Japon fin 2012, aucun accompagnement financier ne permet à ces habitants le relogement. Leurs conditions sanitaires se dégradent au fur et à mesure du temps qui passe, alors que d’autres décident de partir à leurs frais devant l’instabilité environnementale insupportable au quotidien. La chute dans une spirale de paupérisation touche une partie d’entre eux, livrée à la dépression et à l’alcoolisme. Les villes de Namie (333 décès), Tomioka (250 décès), Futaba (113 décès) et Okuma (106 décès), adjacentes à la centrale dont les fuites d’eau contaminée sont toujours hors de contrôle, comptent au total 802 décès, identifiés officiellement comme conséquents de l’explosion de la centrale (55 ont été enregistrés dans les six derniers mois). Le journal Fukushima Minpo tirait la sonnette d’alarme le 21 juin en rapportant les propos du ministère de l’Intérieur sur le nombre de suicides en recrudescence. La multiplication du nombre des cancers de la thyroïde doit également être prise en compte dans le bilan des conséquences sanitaires de l’explosion. Selon la commission d’enquête du département de Fukushima, 104 enfants de moins de 18 ans, parmi les 300 000 composants l’échantillon, ont été diagnostiqués comme atteints d’un cancer de la thyroïde. Les voix d’épidémiologues, à l’intérieur comme à l’extérieur du Japon, se lèvent pour contrer la position des experts de la commission départementale de Fukushima, selon laquelle ces cancers ne seraient pas conséquents de l’explosion. Ceux-ci « justifient » l’augmentation du nombre de cas par le perfectionnement des outils radiologiques actuels.
Dans la même logique d’une tentative de réconfort moral des habitants, et la double perspective de la réouverture de la zone d’évacuation afin d’y reloger la population au plus vite, et du redémarrage programmé de deux centrales en 2014, le ministère de l’Environnement soutient, dans un rapport du 17 août, qu’en-deçà de 100 msv/an, il n’y aurait aucune conséquence sur la santé. »
(…)
Lire en entier l’article de Cécile Asanuma-Brice
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Du projet Ethos au mythe d’une sûreté sereine,
ou "la gestion post-accidentelle" du lobby nucléaire
Kolin Kobayashi
(extrait)
« Le mythe d’une sûreté sereine à Fukushima
L’Autorité de régulation de l’énergie nucléaire du Japon a installé en septembre 2013 une équipe de réflexion sur les mesures de sûreté sereine pour le retour au sein de l’organisation. L’Autorité de régulation de l’énergie nucléaire, formée en majorité par les personnalités scientifique qui viennent du lobby nucléaire, fondée en sept 2012, est dans une contradiction absolue. Son premier article de la loi de fondation de la ladite autorité stipule à la fin de ces phrases : « l’Autorité a pour but de contribuer à assurer la vie, la santé, les biens du peuple, et la sécurité de l’environnement et de la nation. » En donnant son accord pour le redémarrage de la centrale Sendaï à Kagoshima, le Président de cette autorité, Shunichi TANAKA a confirmé clairement lors de sa dernière conférence de presse, que l’examen effectué ne garantit nullement la sécurité, mais se contente de vérifier si la demande de redémarrage est conforme selon ses réglementations. Avec en son sein, les nominations de membres pro-nucléaires il est clair qu’il y a un conflit d’intérêt fondamental et total. Assurer à la fois la sécurité de la population et défendre l’intérêt du lobby nucléaire est incompatible. Cette autorité pose un réel problème déontologique.
De surcroît, il faut préciser que l’équipe de réflexion sur les mesures de sûreté sereine pour le retour est composée toujours des même acteurs, notamment, Dr. NAGATAKI Shigenobu, le Prof. NIWA Otsura, et le Prof. BAN Nobuhiko.
Ces deux derniers membres japonais de la CIPR ont des liens très étroits avec Jacques Lochard, bien entendu. Le prof. Niwa prône officiellement la méthode Ethos pour convaincre la population qu’il n’y a pas de conséquence sanitaire. Leur méthode est d’appliquer la publication 111 de la CIPR, quintessence du projet Ethos-CORE. Les membres de la CIPR bénéficient bien entendu de subventions de la part de l’association des opérateurs électro-nucléaires par le biais de REA, Radiation Effects Association.
Toutes les mesures qui ont été prises par le gouvernement pour le retour en zone contaminée, sont en parfait accord avec l’esprit Ethos. Lochard a d’ailleurs déclaré à l’Asahi Shimbun qu’on n’avait pas besoin de refaire Ethos au Japon parce qu’il y était d’emblée déjà bien établi.
Ce 17 aout, le gouvernement japonais a lancé une campagne d’information dans les journaux nationaux et locaux de Fukushima, intitulée « Ayons une connaissance véritable sur la radiation ». Dans cette annonce gouvernementale, sont citées quelques lignes de la conférence de M. Rethy Keith Chhem de l’AIEA et du prof. NAKAGAWA Keiichi, radiologue de l’université de Tokyo. Ce dernier prétend qu’il n’y a pas de conséquence grave à une exposition de moins de 100 mSV /an. Le premier explique qu’il y a des radiations naturelles partout et qu’on utilise aussi des rayonnements ionisants pour la médecine, des arguments qui banalisent la radioactivité de Fukushima. »
(…)
Lire en entier l’article de Kolin Kobayashi
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Photo d’entête : Unité 4 de Fukushima Daiichi, détail (source Tepco)