Texte de HORI Yasuo, rédigé le 29 octobre 2013.
Le 29 octobre 2013
Un voyage à la ville de Minami-Sōma
HORI Yasuo
Traduit de l'espéranto au français par Ginette Martin.
Les 26 et 27 octobre a eu lieu le 54ème Congrès de Tōhoku dans la ville de Yamagata. Tōhoku est la partie septentrionale du Japon, où se trouvent les préfectures sinistrées de Iwate, Miyagi et Fukushima. Pour me rendre dans cette ville, je dois traverser la ville de Fukushima, donc, profitant de cette occasion, j'ai visité la ville côtière de Minami-Sōma les 28 et 29 octobre.
J'ai déjà visité deux fois cette ville. Au cours du congrès, un participant m'a demandé pourquoi je visitais si souvent les mêmes villes. Je lui ai répondu que je voulais voir ne serait-ce qu'un petit début de rétablissement des habitants et des villes, mais en réalité, ces villes m'appellent. Chacune d’elles a été marquée par les sinistres d’une manière particulière, ce que je veux voir de mes propres yeux, et dont je veux rendre compte. Je sens que j'ai le devoir de le faire et, si ce n'est exagéré de ma part de dire cela, comme un témoin de l'histoire.
La ville de Minami-Sōma se trouve dans le rayon de 30 kilomètres autour de la centrale nucléaire n°1 de la préfecture de Fukushima. La moitié de la ville est dans la zone de 20 kilomètres, et personne ne peut y loger. Tous les habitants sont exposés aux radiations et certains endurent encore les suites du tsunami. La totalité des agriculteurs pâtit du fait que les produits agricoles de la région ont maintenant mauvaise réputation. Dans cette ville, les habitants souffrent deux fois, trois fois, quatre fois plus que ceux des autres préfectures. J'ai voulu voir cette réalité et en témoigner.
Le 28 octobre, à 6h 35, je suis allé en bus depuis la gare de Fukushima jusqu'à la ville de Minami-Sōma. Auparavant, nous pouvions utiliser un train qui longeait la côte à partir de Tokyo, mais maintenant cette ligne a été fermée à cause de l'accident nucléaire, de sorte que le bus est le seul moyen de transport public de la ville.
Il y a seulement quatre bus par jour, donc j'ai pris le plus matinal. Le bus a traversé le village de Iitate, qui est très contaminé par les substances nucléaires apportées par le vent et venues de la centrale nucléaire n°1. A présent, dans cette ville, il n'y a plus aucun habitant, donc toutes les maisons sont fermées, et les champs, qui devraient avoir leur parure de plants de riz dorés, sont couverts de mauvaises herbes. Ce paysage me cause un grand désespoir, car le riz est en soi une partie intégrante de la vie japonaise.
Le bus, sans faire aucune halte dans ce village, roulait à une vitesse folle, et il est arrivé à la ville de Minami-Sōma à 8h 20. Pour ce voyage, j'avais emporté un vélo pliant, afin de pouvoir moi-même visiter librement la ville. J'avais prévu de visiter certains endroits, mais, manquant d’informations, j'ai commencé par la mairie.
Le cimetière
Je suis parti à 9 h 30. Je roulais à vélo le long de la côte, ravagée par l'énorme tsunami, qui avait détruit de nombreuses maisons, et noyé beaucoup d'habitants. J'ai visité le cimetière dans le quartier de Shimoshibusa. J’en avais vu beaucoup dans les villes sinistrées, mais celui-ci est le plus horriblement endommagé. D'après la photo affichée à côté, il était auparavant entouré d'arbres et vert comme un jardin, mais à présent il ressemble à un désert. Beaucoup de pierres tombales ont disparu, si bien que, sur de nombreuses tombes, les cavités dans lesquelles on met les cendres étaient à nu. A certains endroits, il y avait un panneau avec l'inscription « Rendu », ce qui signifie sans doute que le propriétaire de la tombe a renoncé à restaurer la tombe familiale et a rendu sa concession de sépulture.
La petite ville de Odaka
J'ai visité la petite ville de Odaka, un district de la ville de Minami-Sōma. Dans les rues, je n'ai presque jamais vu d’habitants. Depuis avril dernier, on a le droit de la visiter pendant la journée, mais on ne peut pas y passer la nuit, parce qu'elle se trouve dans le rayon de 20 kilomètres et qu'elle est contaminée par la radioactivité. Cependant, certains habitants sont bien décidés à la restaurer, alors, les 26 et 27 octobre, ils ont organisé une "Fête pour la restauration de la ville de Odaka". À en croire la personne qui était de garde dans le hall municipal en service, de nombreux anciens habitants étaient venus à la fête. Juste à côté, dans le petit parking, on voyait des bancs en bois, sur lesquels les élèves avaient écrit, par exemple:
- Chaque jour je dois avancer, étape par étape.
- Nous devons surmonter l'accident nucléaire.
- Passons joyeusement nos journées avec le sourire.
- Vivons avec des objectifs.
Pour prendre part à cette fête, ils étaient venus des villes voisines ou de plus loin, ou même d'autres préfectures. Ils se souviennent encore de la ville de Odaka qui était leur foyer, mais combien de temps garderont-ils ce sentiment, s’ils doivent résider ailleurs plus longtemps qu’ils n’ont vécu à Odaka?
J'ai visité l'école élémentaire de Odaka. J'ai regardé dans la salle des "première année". Il y avait 20 tables, et sur six d’entre elles étaient restés des sacs contenant instruments de musique, peintures, crayons de couleur, stylos, etc., bref tout ce qui appartenait aux élèves réfugiés. En août dernier, quand on a pu pénétrer à nouveau dans la ville, les enseignants aussi sont revenus et ont remis en ordre les salles de classe. Puis les élèves sont venus pour recevoir les objets qu'ils avaient laissés, mais certains ont déménagé au loin. Ces six tables avec le sac signifient que les élèves qui y étaient assis ne sont, jusqu’à présent, pas revenus.
Sur le tableau noir figurait un message de l'institutrice :
« Bon retour!
Et bon voyage jusqu’à vos nouveaux lieux de vie !
Où que vous soyez,
Je vous souhaite beaucoup de bonheurs et de joies ! »
Beaucoup d'élèves n'auront pas l'occasion de revoir leurs camarades au cours de leur vie. Comment vivent-ils à présent dans des lieux et parmi des gens qui leur sont étrangers ? Sur le stade, s’amassaient des montagnes de sacs contenant des gravats en provenance des maisons détruites. Solitaires et rouillés, les portiques de gymnastique se dressaient dans le stade. Des vases à fleurs avec des plantes fanées étaient tombés au sol. Tout était calme et on n'entendait nulle part des voix joyeuses d’élèves. Voilà ce qu'est une école affectée par la radioactivité.
Cénotaphes
En bord de mer, dans la ville de Odaka, il reste encore des maisons en ruine, parce que, pendant l’année qui a suivi la catastrophe, les occupants n’ont pas pu y retourner, ou bien parce que tous les membres de la famille étaient morts. J'ai vu à plusieurs reprises ces maisons misérables, mais je ne me suis toujours pas habitué à ce spectacle et j’en suis toujours choqué. A l'intérieur sont disséminés divers objets, et en les voyant je pouvais imaginer quel avait été le genre de vie des habitants. Je me suis souvent demandé comment ils allaient à présent, mais jamais aucune réponse ne m'est venue.
À divers endroits déjà, on a érigé des cénotaphes. Pendant mon circuit à vélo, j’en ai découvert quatre.
Le cénotaphe n°1 comporte cinq esquisses de corps pourvus d’une tête, qui font penser aux traditionnelles poupées en bois kokeshi, mais sans les noms des morts. Certainement ces cinq éléments représentent les membres d’une même famille, peut-être décédés.
Le cénotaphe n°2 porte les noms de sept personnes âgées.
Sur le cénotaphe n°3 sont inscrits 47 noms de victimes et 7 noms de personnes mortes pendant l'exode.
A côté du cénotaphe n°2, il y en a un autre, oblong, avec 271 noms. Il ne s’agit pas de morts. Une inscription indique : « Les habitants du district d'Obama ont dû quitter la ville en raison des dommages causés par le tsunami, de l'accident nucléaire et de l'exode qui a suivi. Afin de rappeler le nom de tous ceux qui ont vécu dans le quartier avant la catastrophe, nous avons construit ce cénotaphe. » Selon le journal, seulement 30% des anciens habitants de ce quartier veulent revenir. Beaucoup sont morts, beaucoup ne reviendront pas, de sorte que le village va presque disparaître. Voilà la réalité d'un village sinistré.
Il était temps pour moi de reprendre le bus à la station de Minami-Sōma. Pour terminer, j'ai rendu visite à la pâtisserie de Shoogetu-doo, que je connaissais déjà, et j'y ai acheté dix gâteaux pour encourager le pâtissier, et pour les savourer, une fois rentré à la maison, tout en évoquant le souvenir de la ville.
HORI Yasuo
traduit par Ginette MARTIN
Révision du texte par Paul Signoret