Hisako Sakiyama est directrice de recherche à l'Institut National des Sciences Radiologiques du Japon. Elle s’exprime ici avec l’expérience de la grande enquête qu’elle a menée en 2011 avec ses collègues au sein de la Commission d'Enquête Indépendante sur l'Accident Nucléaire de Fukushima (NAIIC). Le danger des faibles doses, prouvé depuis longtemps, est régulièrement remis en cause par le village nucléaire, c’est pourquoi cette intervention de qualité se doit d’être largement diffusée, la désinformation battant son comble en ce domaine.
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[Cet article fait partie de la série de publications en version française d’exposés présentés en mars 2013 au symposium de New York « Les conséquences médicales et écologiques de l'accident nucléaire de Fukushima ». Avec le blog de Kna, le blog de Fukushima participe à la diffusion de ces textes de manière régulière. Merci infiniment aux traducteurs qui se sont investis dans ce grand projet. ]
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Symposium de New York, 11 mars 2013
Les conséquences médicales et écologiques de l'accident nucléaire de Fukushima
Evaluation du risque des faibles doses de radioactivité au Japon : ce qui est devenu plus clair avec l’enquête de la Diète sur Fukushima
par Hisako Sakiyama
directrice de recherche à l'Institut National des Sciences Radiologiques
Bonjour.
Je voudrais d'abord remercier le Dr Caldicott pour m'avoir invitée à cet important Symposium. Je suis honorée d'avoir l'opportunité de parler de l'évaluation du risque des faibles doses de radiations au Japon.
Qu'est-ce qui est devenu clair avec l'enquête de la Diète sur Fukushima ?
La vie de tous les jours au Japon ne pourra jamais retourner à ce qu'elle était avant l'accident de Fukushima. Avec plus de 900 Pétabecquerels [=9x10¹⁷ Bq] de matières radioactives libérées, environ 10% du Japon a été contaminé et plus de 150.000 personnes ont été évacuées des régions contaminées. Nous devons nous soucier de la contamination des légumes, du poisson et même de l'eau de boisson.
Toute personne vivant à l'intérieur de la zone bleu-ciel de cette diapo va recevoir plus de 1 millisievert par an, ce qui est la dose limite de la CIPR [Commission Internationale de Protection Radiologique] pour le grand public. A l'intérieur de la zone rouge, le plus faible niveau de contamination est plus de deux fois plus élevé que celui de la zone d'exclusion de Tchernobyl.
Une des raisons pour lesquelles le rapport d'enquête du Parlement National a conclu que l'accident n'est pas terminé, est que 676 tonnes de combustible usé subsistent dans les enceintes des réacteurs et les piscines de refroidissement des unités 1 à 4. Ces enceintes sont toutes endommagées et continuent de relâcher des substances radioactives dans l'environnement. Notre souci le plus pressant est la piscine de refroidissement de l'unité 4, endommagée par une explosion d'hydrogène. Elle contient plus de 200 tonnes de combustible usé. Si cette piscine s'écroulait suite à une réplique sismique, le résultat serait catastrophique pour le Japon et le monde.
Sur cette diapo, les cercles rouges indiquent les tremblements de terre de magnitude supérieure à 7. Les cercles noirs indiquent les centrales nucléaires. Comme vous pouvez le voir, le Japon est une terre de séismes avec 54 réacteurs nucléaires et plus de 20.000 tonnes de combustible usagé. Jusqu'au désastre de Fukushima, la majorité du peuple japonais ne reconnaissait pas les dangers de cette situation. Une des raisons de cela est que le gouvernement et les compagnies d'électricité, non seulement à travers l'utilisation des mass médias, mais aussi par le système éducatif scolaire, avaient créé un mythe du nucléaire sûr.
Ensuite, le Ministère de l'Education, de la Culture, des Sports, de la Science et Technologie (MEXT) ainsi que les compagnies d'énergie électrique, y ont joué un rôle majeur. Ils se sont rendu compte que si les gens avaient peur même d'une faible quantité de radiations cela serait difficile pour eux de promouvoir une politique d' expansion de l'énergie nucléaire.
Avant l'accident de Fukushima, ils ont distribué des livres de textes dans les lycées professant que les centrales nucléaires étaient sûres. Ils déclaraient que comme les centrales électriques étaient construites sur un socle rocheux dur, elles pourraient résister aux tremblements de terre. Ils déclaraient aussi que les centrales étaient conçues pour supporter les tsunami, et cetera. Après l'accident cependant ils durent admettre que les centrales n'étaient pas sûres, et ils ont repris les livres de textes.
Neuf mois après l'accident, le MEXT a distribué une nouvelle série de livres de textes sur le thème de la radioactivité, pour les écoliers du primaire ainsi que ceux des écoles secondaires premier et deuxième cycle. Ils prétendent aussi que le but des articles de ces livres est de fournir aux étudiants une connaissance basique de la radioactivité, ils ne mentionnent le tremblement de terre et la libération de matériaux radioactifs que dans l'introduction.
Ils ne fournissent aucune information sur les taux de radioactivité relâchée, ni de cartes des régions contaminées. Dans le guide pour les professeurs ils ont recommandé que les enseignants fassent comprendre aux élèves qu'il n'existe aucune preuve évidente que des niveaux de radioactivité inférieurs à 100 millisieverts entraînent des maladies.
Il a déjà été établi que des cassures complètes de la double hélice de l'ADN induisent des cancers.
Des cassures complexes double brin de l'ADN se traduisent des réparations sujettes à erreurs, qui causent des mutations et une instabilité génomique, qui provoquent une accumulation de mutations et, en dernier lieu, un cancer. Même un seul rayon de radioactivité peut provoquer une cassure double brin et est donc théoriquement capable de provoquer un cancer.
Ceci est dû au fait que l'énergie de la radioactivité est bien plus forte que celle d'une liaison chimique de l'ADN. Par exemple l'énergie d'un rayon X lors d'une radiographie est 15 000 à 20 000 fois plus grande que celle des liaisons chimiques, donc la radioactivité peut aisément provoquer des cassures complexes double brin et entraîner mutations et instabilité génomique.
Expérimentalement, on a montré que des niveaux aussi bas que 1,3 milligray peuvent produire des cassures double brin. Et le nombre de cassures augmente linéairement avec la dose. Nous avons ainsi une preuve expérimentale que même une petite quantité de radioactivité a le pouvoir d'induire un cancer.
Quelles sont alors les doses les plus basses, pour lesquelles de bonne preuves épidémiologiques montrent une augmentation du risque cancérigène ?
Une des études expérimentales les plus fiables est celle de la durée de vie des survivants de la bombe atomique. Dans cette étude, la dose moyenne de radiations [reçues] est de 200 millisieverts, avec plus de 50% [des gens] ayant reçu une dose inférieure à 50 millisieverts.
Comme vous pouvez le voir sur cette diapo, il n'y a aucun seuil en dessous duquel aucun risque n'a été trouvé. Un modèle linéaire sans seuil fournit la meilleure adéquation avec les données actuelles sur les cancers.
À côté des données des survivants de la bombe atomique, il y a beaucoup d'études montrant les risques des faibles doses de la radioactivité. Il y a des études sur des travailleurs exposés aux radiations des installations nucléaires, sur les gens vivant près de la rivière Techa en Russie et les enfants qui ont développé une leucémie à proximité des centrales nucléaires et autres zones à haut niveau de fond. Dans toutes ces études, le risque par dose de radioactivité est plus élevé que pour les survivants de la bombe atomique.
La radioactivité induit aussi des maladies non cancéreuses. La relation dose-résultat entre maladie non cancereuse et radiations a été signalée pour des survivants de la bombe atomique. Le Dr Yablokov et ses collègues nous ont fourni la preuve indéniable démontrant la relation entre les maladies non cancéreuses et la radioactivité. Je suis sûre que Dr Yablokov parlera de cette question.
Sur la base d'études expérimentales et épidémiologiques, le concept qu'il n'y a pas de dose sûre de radiations a été accepté. La dose limite du gouvernement de 20 millisieverts pour les résidents de Fukushima sacrifie la santé de la population, particulièrement la santé des enfants. Pourquoi le gouvernement japonais et les spécialistes des radiations disent-ils que les risques des faibles doses de radioactivité sont inconnus ou qu'elles ne présentent aucun danger ?
Les investigations de la Diète ont découvert une raison de la sous-estimation des effets des faibles doses de radiations. Une analyse des rapports de TEPCO et de la FEPC (Fédération des Compagnies d'énergie Electrique) révèle que le risque le plus élevé pour TEPCO était la fermeture à long terme des réacteurs nucléaires. TEPCO s'est aussi rendu compte que les catastrophes naturelles entraîneraient des règlementations plus strictes qui mènerait finalement à la fermetures des centrales pour longtemps. Ils ont pris le chemin le plus facile pour éviter ce risque. Ils ont fait pression sur le Comité de Sécurité Nucléaire (NSC), l'Agence de Sécurité Nucléaire et Industrielle (NISA) et MEXT pour assouplir les normes réglementaires. Et leurs efforts ont abouti, car les autorités de réglementation sont devenues captives de TEPCO et de la FEPC.
La FEPC a aussi fait pression avec succès sur les spécialistes de la radioactivité, y compris les membres de la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) et du NSC pour qu'il assouplissent les normes de radioprotection. Dans un de leurs documents, ils ont noté que toutes les exigences de leurs pressions ont été répercutées dans des recommandations de la CIPR de 2007. Un des moyens pour la FEPC de parvenir à cela a été de couvrir les frais de déplacement des membres de la CIPR assistant aux conférences internationales. Malgré ce fait, les membres japonais de la CIPR soutiennent que la CIPR est neutre et ne représente pas les intérêts des industries électriques.
La FEPC essaye de contrôler les recherches sur la radioactivité pour son seul bénéfice. Par exemple, l'ex vice-président de TEPCO, M. Muto, a dit "... Nous devrions surveiller la direction des recherches de sorte qu'elles n'aillent pas dans une mauvaise direction ou ne soient pas menées par de mauvais chercheurs "
Si la FEPC a seulement voulu que des recherches soient menées, c'est que cela assouplirait les normes de protection.
Il est prouvé que les faibles doses d'irradiation comportent des risques. La raison pour laquelle ce risque est supposé être inconnu est que le gouvernement et les compagnies électriques veulent maintenir leur politique électronucléaire.
J'aimerais ensuite parler de pourquoi la plupart des résidents n'ont pas pris d'iode stable.
Il y a deux moyens pour les maires locaux de recevoir un avis sur le moment où ils devraient recommander aux résidents de prendre l'iode stable :
1) directement de NSC;
2) du gouvernement de la préfecture de Fukushima.
Après l'accident, le NSC a envoyé un fax au centre local d'intervention d'urgence nucléaire, recommandant que les habitants prennent de l'iode. Pour une raison quelconque, le fax n'est pas parvenu aux maires. Il a disparu et à ce jour, personne ne sait où il a fini. Le NSC a aussi envoyé un fax au gouvernement de Fukushima. Cependant, personne n'a eu connaissance de ce fax jusqu'au 18 mars, ce qui était trop tard car tous les résidents avaient déjà évacué. Bien que le gouvernement de Fukushima n'ait reçu aucun avis du NSC, il aurait dû, indépendemment, informer les résidents de prendre de l'iode. Il ne l'a pas fait, car il attendait un avis du NSC.
Il y a eu quelques maires qui ont décidé par eux-mêmes d'aviser les gens d'avoir à prendre l'iode. Malheureusement la plupart des maires ont hésité et ne l'ont pas fait. En tout, seulement 10 000 résidents ont finalement pris de l'iode.
Les raisons pour lesquelles les maires ont hésité à donner la consigne de prendre de l'iode étaient :
- Les maires avaient peur des effets secondaires de l'iode car le NSC avait souligné ces effets secondaires.
- La directive du NSC recommandait que l'iode stable soit prise en présence d'un expert médical. Dans la plupart des cas il n'y avait aucun expert médical à proximité.
- Ils n'ont pas compris pourquoi l'iode devait être prise, ni n'ont été informés du moment approprié pour cette prise.
Ensuite, problèmes avec le réseau médical d'urgence radiologique.
La médecine radiologique est le traitement médical fourni en cas d'exposition à la radioactivité. Au Japon, le réseau médical d'urgence radiologique a trois niveaux. L'hôpital primaire fournit le traitement médical initial pour toutes les victimes. Quand l'hôpital primaire ne peut pas traiter un patient en raison d'un niveau d'exposition trop élevé, le patient est transporté vers un centre d'urgence secondaire.
Si l'hôpital secondaire ne peut pas prendre en charge la victime, quelle qu'en soit la raison, elle est transférée vers un hôpital tertiaire. Le Japon n'a que deux hôpitaux tertiaires, un pour l'Est du Japon, et un pour l'Ouest.
Malheureusement, le réseau a été configuré sans considérer la possibilité de diffusion de matières radioactives à grande échelle. À cause de cela, beaucoup d'hôpitaux ont été placés près des centrales électriques. Au moment de l'accident, il y avait six centres médicaux d'urgence radiologique dans la région de Fukushima, dont trois situés dans un rayon de dix kilomètres de la centrale. Les trois hôpitaux sont ainsi devenu inutilisables, tandis que le personnel et les patients devaient évacuer. Il y avait quatre autres hôpitaux ordinaires dans la zone des vingt kilomètres. Leurs personnels et leurs patients ont aussi dû évacuer. Durant cette évacuation, 60 patients sont décédés.
L'équipe d'enquêteurs de la Diète a examiné l'emplacement des centres de secours d'urgence. Plus de 50% des 59 hôpitaux primaires à travers le pays sont situés dans un rayon de 20 kilomètres autour d'une centrale nucléaire. Cela signifie qu'ils sont en zone d'évacuation, et deviendront inutilisables en cas d'accident grave.
Nous avons également découvert que le nombre maximum de patients qui pouvaient être hospitalisés dans chacun des centres primaires et secondaires est seulement d'un ou deux.
Qu'en est-il des deux hôpitaux d'urgence tertiaires ? Ils ne peuvent prendre en charge plus de dix patients en état critique.
Le réseau médical d'urgence radiologique n'a pas fonctionné pendant le désastre. Malheureusement, la situation ne s'est pas améliorée depuis l'accident. Considérant la situation médicale au Japon, il sera difficile d'améliorer la situation en peu de temps. Par conséquent le Japon n'est pas prêt à exploiter des réacteurs nucléaires.
Finalement je vais maintenant parler de la gestion de l'enquête de santé de Fukushima.
Peu de temps après la catastrophe, la Préfecture de Fukushima a lancé une enquête de surveillance de la santé à Fukushima pour examiner les effets sur la santé à long terme des faibles doses de radioactivité. Elle est composée de deux parties : une enquête de base et une enquête détaillée. L'enquête détaillée implique l'examen par ultra-sons des enfants de Fukushima jusqu'à ceux âgés de dix-huit ans.
Quelques données préliminaires des examens de la thyroïde par ultra-sons ont été rendues publiques. En 2011, environ 38 000 enfants ont été examinés, et 95 000 ont été examinés en 2012. En 2011, l'enquête a trouvé 186 enfants avec des nodules de plus de 5 mm ou des kystes de plus de 20 mm.
Parmi ces 186 enfants, 3 ont été diagnostiqués avec un cancer de la thyroïde, et 7 sont susceptibles d'en être aussi affectés. Pour 2012, les résultats des examens détaillés doivent encore être publiés, mais un cas de cancer de la thyroïde a été diagnostiqué.
Une enquête sur 4 500 enfants d'un groupe contrôle en dehors de Fukushima est maintenant en cours. Bien que l'incidence du cancer de la thyroïde semble commencer à augmenter chez les enfants de Fukushima, nous devons attendre les résultats détaillés de l'étude de contrôle.
En conclusion, je voudrais dire que je pense que le débat sans fin sur le risque des faibles doses de radioactivité n'est pas une question scientifique, mais un problème politique, économique et social. J'espère que les scientifiques exposeront la vérité scientifique, non pas pour le gouvernement ou les compagnies électriques, mais pour la population. Quatre réacteurs nucléaires ont été endommagés, et personne ne sait comment ou quand ils seront isolés de l'environnement.
Comme le Japon est situé sur la ceinture sismique [ceinture de feu du Pacifique], nous sommes dans une course contre la montre pour rendre les centrales nucléaires plus sûres. Le gouvernement japonais et les compagnies électriques doivent avoir pour priorité de faire de leur mieux pour empêcher tout nouveau dommage et stopper les fuites de substances radioactives en cours. C'est de leur responsabilité, car ce sont eux qui ont promu la politique d'énergie nucléaire du Japon.
Il est aussi de la responsabilité de chaque personne au Japon de s'assurer que toutes les centrales nucléaires en cours de fonctionnement soient fermées. Nous devons aussi nous assurer que plus aucune centrale ne soit redémarrée. J'aimerais vous demander de travailler ensemble avec nous dans ce but.
Merci de votre attention.
D'après la transcription en anglais par Afaz.de / http://afaz.at/index_symp.html
et la traduction de Taka Honda / http://www.save-children-from-radiation.org/ pour quelques éléments.
Traduction Française : Marie-Elise Hanne
Relecture : Kna et Janick Magne