17 août 2013 6 17 /08 /août /2013 23:28
Naoto Kan - Mon expérience de Premier Ministre durant l'accident nucléaire de Fukushima

A l’occasion du second anniversaire de la catastrophe nucléaire de Fukushima, un symposium s’est tenu à l'Académie de Médecine de New-York les 11 et 12 mars 2013. Organisé par la Fondation Helen Caldicott et coparrainé par Physicians for Social Responsibility (Médecins pour une Responsabilité Sociale), ce symposium est intitulé « Les conséquences médicales et écologiques de l'accident nucléaire de Fukushima ». Un groupe d'éminents scientifiques internationaux dans les domaines de la médecine et de la biologie, des ingénieurs nucléaires et des experts en politique ont ainsi présenté des exposés et discuté des conséquences bio-médicales et écologiques de la catastrophe de Fukushima.

Malgré la grande qualité des interventions, cet évènement international consacré à la catastrophe nucléaire la plus grave de l’Histoire est passé quasiment inaperçu dans les médias. Suite à ce constat, une vingtaine de citoyens européens se sont mobilisés pour réaliser des traductions françaises et allemandes afin de diffuser les communications sur la toile. Mais la tâche est colossale. Il n’y a pas moins de 23 conférences à transcrire et traduire. Au jour d’aujourd’hui, la moitié de la tâche est déjà accomplie et je voudrais remercier chaleureusement tous les transcripteurs, traducteurs et relecteurs qui réalisent ce travail bénévolement. Par ailleurs, le formidable travail réalisé par Kna60 permet de suivre ces conférences en vidéos sous-titrées en français sur son blog. Qu’il en soit également ici remercié.

 

Le blog de Fukushima se propose de diffuser les textes et les vidéos des conférences traduites. Commençons par la première intervention de la première journée, il s’agit de l’intervention de Naoto Kan, filmée du Japon car l’ex Premier Ministre n’avait pu se rendre aux Etats-Unis.

 

 

__________________

Symposium de New York, 11-12 mars 2013

Les conséquences médicales et écologiques de l'accident nucléaire de Fukushima

 

 

Mon expérience de Premier Ministre durant l'accident nucléaire de Fukushima

 

par Naoto Kan

Membre de la Chambre des Représentants

Ancien Premier Ministre du Japon

 

 

Bonjour à tous. Je suis Naoto Kan.

 

J'étais Premier Ministre du Japon lorsque la catastrophe nucléaire de Fukushima s'est produite en 2011.

 

J'étais invité au symposium organisé par la fondation Helen Caldicott, mais je n'ai pu m'y rendre en personne. À la place je vous envoie ce message vidéo pour vous dire ce qui s'est passé durant cette période.

 

La catastrophe nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011 a résulté de deux causes majeures.

 

Inutile de le dire, la cause première a été la coupure totale de courant à Fukushima Daiichi, causée par l'énorme séisme et tsunami, les plus forts jamais survenus dans l'histoire du Japon. Toutefois, il y avait effectivement une autre cause majeure.

Une telle coupure totale de courant et un tsunami aussi puissant n'ont jamais été anticipés. Aucun préparatif à une telle situation n'a jamais été fait en termes d'installations physiques ou de structure de la communication au sein du gouvernement. C'était, en d'autres termes, une cause d'origine humaine.

 

Ce furent les deux causes qui ont conduit à ce désastre nucléaire majeur.

 

Au soir du 11 mars, environ 8 heures après le tremblement de terre, l'unité 1 a connu une fusion du coeur et un percement de la cuve. Le combustible nucléaire fondu s'est accumulé au fond de l'enceinte de confinement. Le jour suivant une explosion d'hydrogène s'est produite dans ce réacteur n°1. Les réacteurs n° 1, 2 et 3 ont connu une explosion d'hydrogène puis une fusion, et le réacteur n° 4 a aussi connu une explosion d'hydrogène.

 

Dans cette centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, il y avait 6 réacteurs nucléaires et 7 piscines à combustible usagé, contenant des barres de combustible usé. La centrale nucléaire de Fukushima Daini (n° 2) est située à ~ 12 kilomètres de Daiichi (n° 1). Daini (n° 2) a 4 réacteurs nucléaires et 4 piscines à combustible usagé.

 

Un certain temps après le séisme, ces réacteurs et piscines sont pratiquement devenus incontrôlables. Vers 3 h le 15 mars, TEPCO, via le Ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie, a demandé le retrait et l'évacuation de ses travailleurs.

 

Si les ouvriers de TEPCO avaient été retirés, il aurait été pratiquement impossible de garder le contrôle de ces réacteurs nucléaires. J'ai pleinement compris que ce serait une opération présentant de grands dangers. Mais j'ai demandé que les ouvriers de TEPCO restent pour faire face à la catastrophe nucléaire malgré que leurs vies puissent être mises en danger. TEPCO a accepté qu'il en soit ainsi.

 

Le 15 mars, la Force d'Auto-Défense a commencé à se préparer à larguer de l'eau dans les piscines depuis les airs. Ils l'ont fait pour la première fois le 17 mars.

Ce fut ma riposte d'alors à la catastrophe nucléaire.

 

Dans l'intervalle, j'ai personnellement examiné, ainsi que des experts, les scénarios du pire. Comme je viens de le dire, il y a un total de 10 réacteurs nucléaires et 11 piscines à combustible dans les centrales nucléaires de Fukushima Daiichi et Daini. Si tous devenaient hors contrôle, fondaient et libéraient des matières radioactives dans l'air et dans l'océan, quelles quantités de matières radioactives seraient libérées dans l'environnement ?

 

Jusqu'à ce moment, Tchernobyl a été la pire catastrophe nucléaire, mais Tchernobyl a résulté d'un accident dans un seul réacteur nucléaire. Si en comparaison, on avait perdu le contrôle de 10 réacteurs et piscines à combustible usagé, l'évacuation d'une zone extrêmement étendue aurait été nécessaire. C'est alors ce qui m'inquiétait le plus.

 

M. Kondo, qui était le président de la Commission à l'Énergie Atomique du Japon, m'a fait remarquer que dans un scénario du pire, les gens dans un rayon de 250 kilomètres pourraient devoir évacuer, et qu'ils ne seraient peut-être pas en mesure de rentrer chez eux pendant 10, 20 ou 30 ans.

 

La métropole de Tokyo est dans cette zone de 250 km. 50 millions de gens, presque la moitié de la population du Japon, vivent là. Si 50 millions de personnes doivent abandonner leurs maisons, quitter leur lieux de travail, ou leur école, ou si des patients hospitalisés doivent quitter leurs hôpitaux, il y aurait beaucoup plus de victimes pendant l'évacuation. Le Japon ne pourrait fonctionner pleinement en tant que nation pendant longtemps.

 

Le Japon était proche de ce scénario extrêmement grave.

 

Finalement nous avons pu minimiser la dispersion de la radioactivité en versant de l'eau dans les réacteurs avant que la situation ne devienne trop critique. Je crois qu'on l'a dû au fait que non seulement l'opération a été habilement gérée, mais que nous avons eu en fait une protection divine.

 

Durant ces opérations, nous avons découvert que dans la politique énergétique nucléaire du Japon jusqu'alors, il n'y avait pas de réglementation suffisante pour forcer les compagnies exploitantes à se préparer à un tsunami, y compris en installant un générateur de secours à une grande hauteur.

 

L'Agence de Sûreté Nucléaire et Industrielle, un organisme dépendant du Ministère de l'Économie, du Commerce & Industrie, était l'autorité qui devait jouer un rôle primordial dans la prise en charge d'un accident dans une centrale nucléaire. Toutefois, les cadres supérieurs de cette agence n'étaient pas des experts en énergie nucléaire. Ils étaient experts en législation ou politiques économiques. Ni eux, ni leurs équipes, n'ont jamais été préparés à un désastre nucléaire de cette ampleur.

 

Mon opinion est que ce manque de préparation en termes d'installations matérielles, le manque de politiques appropriées et de structure du gouvernement ont aggravé la catastrophe.

 

Après avoir vécu cette catastrophe nucléaire, j'ai pensé à la façon de gérer les centrales nucléaires dans le contexte des politiques énergétiques japonaises et mondiales.

Ma conclusion est que la meilleure sécurité dans le nucléaire, c'est de ne pas avoir de centrales nucléaires du tout. En effet, je suis convaincu que ne pas avoir de centrales nucléaires est la plus sûre des politiques nucléaires ou énergétiques.

 

Inutile de dire que si nous pensons au risque extraordinaire de perdre la moitié de notre pays et d'avoir 50% de la population qui doive évacuer, ce problème ne peut pas être résolu par la technologie.

 

En outre, plus fondamentalement, j'en suis venu à penser que l'humanité a commencé à manipuler l'atome, créant des bombes atomiques et des armes nucléaires, puis des centrales nucléaires. Il a été créé une technologie qui ne peut pas coexister facilement avec la vie humaine sur Terre.

 

Quand je considère la future politique énergétique, je me souviens que la race humaine ainsi que toutes les autres créatures sur Terre ont coexisté avec le soleil pendant environ 4,5 milliards d'années. Et le soleil a fourni pratiquement toute l'énergie sur Terre jusqu'à ce jour.

 

Je crois que la future politique énergétique Japonaise et mondiale doit se focaliser sur l'extension de l'utilisation de l'énergie renouvelable, et nous devrions finalement en obtenir toute l'énergie requise sans utiliser l'énergie nucléaire ou les combustibles fossiles.

 

Au Japon, un système de tarif de rachat a été introduit après la catastrophe nucléaire, et les énergies renouvelables, telles que le solaire et l'éolien ont commencé à gagner en popularité à un rythme explosif.

 

D'un autre côté, les problèmes des centrales nucléaires, ça n'est pas seulement un risque potentiel d'accidents. Elles génèrent du combustible usagé, c'est-à-dire des déchets nucléaires. Aucune solution satisfaisante quant à leur élimination sécurisée n'a été trouvée nulle part dans le monde.

 

En particulier, il y a plus de séismes au Japon que nulle part ailleurs dans le monde.

Il est pratiquement impossible de stocker ici et sans danger des déchets nucléaires à long terme. De plus, l'idée classique selon laquelle l'énergie nucléaire est la moins chère a été radicalement mise à mal.

 

Bien sûr, il y a de nouvelles sources d'énergie, y compris le gaz de schiste, et il est devenu évident pour tous que l'énergie nucléaire n'est jamais bon marché en termes de coûts de retraitement ou de gestion des déchets.

 

Je pense que les centrales nucléaires ne sont pas et ne seront jamais justifiables économiquement, et n'existeront pas dans le futur. De nombreux experts et politiciens au Japon pensent toujours que l'énergie nucléaire est bon marché. Mais je crois qu'il deviendra plus clair qu'un tel raisonnement est erroné.

 

En ce sens, je crois que l'énergie nucléaire n'a existé que comme source d'énergie de transition, temporaire, et que cette technologie n'existera pas et ne devra plus exister au siècle prochain.

 

Je voudrais que vous compreniez tout à fait que, si la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon a en effet résulté du séisme et du tsunami, des erreurs humaines où des personnes qui ont négligé de réaliser les préparatifs appropriés sont aussi entrées en jeu ; et je vous en serais reconnaissant si vous vouliez prendre cela en considération pour déterminer la future politique énergétique.

 

Malheureusement, je n'ai pas pu me rendre à New York aujourd'hui, mais je vous ai offert mes expériences et réflexions par ce message vidéo.

 

Merci beaucoup à tous pour votre attention.

Enregistré & édité par Intertelemedia, Inc

Traduction anglaise par Kazko Kawai avec Voices for Lively Spring

Sous-titré en anglais par East River Films Inc

Traduction française par Kna60

Sous-titré en français par Kna60 / kna-blog.blogspot.com

 

Article de Kna60 sur son blog

 

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commentaires

B
Une nouvelle peu rassurante :<br /> 18:54 19/08/2013<br /> TOKYO, 19 août - RIA Novosti<br /> <br /> <br /> Une concentration record de tritium (isotope radioactif de l'hydrogène, qui est rejeté par les installations nucléaires) a été détectée dans l'eau de mer prélevée le 15 août près de la centrale nucléaire accidentée japonaise Fukushima-1, a annoncé lundi l'agence Kyodo se référant à TEPCO, l'opérateur de la centrale.<br /> <br /> Les échantillons d'eau prélevés le 15 août non loin du réacteur N°1 de la centrale de Fukushima contiennent un taux de tritium de 4.700 Bq/l (becquerels par litre) contre 3.800 Bq/l le 11 août dernier. L'eau prélevée le 15 août près du réacteur N°2 contient 2.600 becquerels de tritium par litre.<br /> <br /> Il s'agit du taux le plus élevé depuis l'accident de Fukushima en mars 2011. La contamination radioactive de l'océan près de la centrale de Fukushima serait due à des fuites d'eaux souterraines contenant des éléments radioactifs. Mais TEPCO n'arrive pas à expliquer l'accroissement de la présence d'isotopes depuis mai 2013. Fin juin, TEPCO a relevé une concentration en tritium de 1.100 Bq/l à une distance de 25 mètres de la côte.<br /> <br /> La centrale nucléaire japonaise de Fukushima-1 a été le théâtre d'une série d'accidents à la suite du séisme et du tsunami du 11 mars 2011. Ses six réacteurs ont été fortement endommagés et leur système de refroidissement est tombé en panne après une coupure d'électricité provoquée par le tsunami. Des traces de césium et d'iode radioactifs ont été détectées dans le sol, l'eau de mer et les denrées alimentaires à plusieurs centaines de kilomètres de la centrale. Les autorités ont évacué la population vivant dans un rayon de 20 km autour de la centrale. Les travaux de décontamination et le démontage des réacteurs accidentés devraient prendre de 30 à 40 ans.
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F
C'est formidable, en voyant cela notre gouvernement va enfin prendre conscience de la réalité.<br /> Ou pas.<br /> Pas, en fait.<br /> Je me sens un peu vaseux d'un seul coup...
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B
A l'époque, pour le compte du site Dazibaoueb je suivais les pauvres nouvelles que nous pouvions avoir, presque minute par minute. Le site a depuis disparu, avec ses archives.<br /> <br /> Si je me souviens bien, c'est en raison de ses prises de positions antinucléaires que le premier ministre Kan a été écarté, après avoir lui-même obligé le ministre de l'énergie (très pro-nucléaire) à démissionner. Les lobbies ont été les plus forts, politiquement, alors que techniquement bien entendu l'industrie nucléaire japonaise est tout aussi incompétente que celle des autres pays pour gérer une catastrophe de cette ampleur.
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R
Quel sera le poids de cette intervention sur l'opinion publique japonaise ? Le constat, dressé par l&quot;ancien premier ministre, pèsera-t-il sur ses successeurs ? Sa démarche sera-t-elle évoquée par la révolution des hortensias ?
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