25 avril 2012
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Dans une interview de Luc Oursel accordée à Challenges, celui-ci conseille aux autorités japonaises de « communiquer davantage sur ce qui se passe à
Fukushima pour expliquer comment la situation est mise sous contrôle ».
Il est peu probable que les vœux du président du directoire d’Areva soient rapidement exaucés, car en fait peu de choses sont sous contrôle.
Aujourd’hui, qu’est-ce que contrôle Tepco à Fukushima Daiichi ?
Tepco maître de l’eau ?
Elle a envahi la centrale de manière artificielle dans le combat permanent contre le feu nucléaire et de manière naturelle par la nappe phréatique. Tepco ne sait
plus quoi faire de cette eau contaminée. Pour assurer une image d’entreprise responsable qui gère la situation, elle a créé des champs de cuves autour de la centrale pour récupérer l’eau
radioactive pompée, avant de la traiter et de la réinjecter dans le circuit de refroidissement des réacteurs. Mais ces usines improvisées qui désalinisent et filtrent le césium tombent souvent en
panne ‒Areva en sait quelque chose ‒ et le solde des mètres cubes se trouve finalement positif, malgré les promesses de la feuille de route de 2011. En effet, des quantités considérables d’eau de
la nappe phréatique ‒ on parlait en septembre de 200 à 500 tonnes par jour ‒ arrivent directement dans les sous-sols de la centrale
et s’ajoutent aux volumes d’eau pompée.
Le stockage de l’eau radioactive ‒ 98 000 à 120 000 tonnes selon les estimations ‒ ne pouvant pas s’étendre infiniment, Tepco, au bout d’un an,
est au pied du mur.
Cuves d’eau radioactive
L’entreprise s’apprête aujourd’hui à vouloir faire baisser le niveau de la nappe phréatique
par 14 puits de pompage à l’ouest du site afin que l’eau n’envahisse plus les sous-sols de la centrale. Cette eau
devrait être conduite directement dans l’océan. Or, rien ne dit qu’elle ne soit pas contaminée, car ce que ne dit plus l’opérateur, c’est que les échanges avec la nappe phréatique ont lieu dans
les deux sens et que la pollution radioactive s’est répandue dans le sol dès les premiers jours de la catastrophe. C’est Naoyuki Matsuma lui-même, porte-parole de Tepco, qui l’a attesté en mars
2011 : à 15 m de profondeur sous la centrale, une mesure d’iode 131 indiquait un taux 10 000 fois supérieure à la norme (430 becquerels par cm3). Depuis, l’entreprise n’a jamais plus communiqué
sur ces analyses d’eau de la nappe phréatique. Connaissant ses pratiques de non-dits, il est probable que ce qu’on analyse aujourd’hui n’est pas politiquement communicable au public.
Tepco maître du feu ?
Après la série historique des explosions et incendies qui se sont produits sur les 4 premiers réacteurs de Fukushima Daiichi du 12 au 15 mars 2011
(n°1 : 1 explosion ; n°2 : 1 explosion ; n°3 : 3 explosions et 1 incendie ; n°4 : 3 explosions et 2 incendies), Tepco recherche les cœurs fondus. Depuis la
disparition de trois coriums de la centrale dans les premiers jours de la catastrophe, l’opérateur a beau prospecter, il ne les retrouve
pas. Il a filmé à l’intérieur de l’enceinte de confinement et a inspecté la piscine torique du réacteur n°2, il a examiné l’ouverture latérale (hatch) de la base de l’enceinte de confinement du réacteur n°3 : rien. Certes, énormément de radioactivité, ce
qui confirme les meltdowns, mais pas de corium en vue. Alors où sont les coriums ? Quelque part logés dans les radiers ou partis dans la nature ? Et comment maîtriser la situation si on
ne connaît pas la température ? En effet, les thermocouples sont déclarés hors service de manière régulière, de telle sorte que pour le réacteur n°2, on ne dispose plus que
d’une seule sonde valide dans le bas de la cuve.
Après le feu passé catastrophique et le feu présent introuvable, Tepco maîtrise-t-il le feu futur ? Pour éviter de nouvelles explosions, l’opérateur injecte de
l’azote pour contrer la production régulière d’hydrogène de la centrale, mais il s’avère que ce système tombe régulièrement en
panne, et ce quelquefois pendant plusieurs heures.
Par ailleurs, de grandes craintes se sont petit à petit répandues dans le monde sur la possibilité d’un grand feu d’artifice final si la piscine n°4 venait à se
vider ou à s’effondrer suite à un tremblement de terre de très grande magnitude.
Combustible de la piscine du réacteur 4
Ce ne serait plus le scénario du pire mais le scénario de la
fin, comme dirait l’ingénieur nucléaire Hiroaki Koide. Dans ce cas, les 264 tonnes de combustible, privés de refroidissement, prendraient feu et cet incendie imposerait une évacuation
immédiate de la centrale sous peine de mort rapide de tout le personnel. A partir de cet abandon du site, les évènements s’enchaîneraient, sans qu’aucun homme ne puisse y faire quoi que ce
soit : un à un, les systèmes de refroidissement des ex-réacteurs et des 6 piscines de refroidissement restantes tomberaient en panne, faute de maintenance. Les incendies de combustible, et
peut-être des réactions nucléaires « promptes », sorte de micro-explosions atomiques, se succéderaient alors, mettant en jeu au final dans l’atmosphère plus de 2400 tonnes de combustible (Pour mémoire, Tchernobyl avait envoyé 50 tonnes de combustible dans les airs).
Les lecteurs de ce blog savent déjà cela depuis longtemps, mais la prise de conscience d’un tel danger semble enfin arriver dans les sphères influentes. Ainsi récemment, un ambassadeur japonais, Mitsuhei Murata et un sénateur
étatsunien, Ron
Wyden, se sont exprimés publiquement pour une meilleure prise en compte mondiale de cette menace permanente.
L’avis du diplomate Akio Matsumura (sous-titré en français)
Pour l’instant, la piscine n°4 tient le coup, les explosions du bâtiment ayant affecté principalement les niveaux supérieurs. Tepco a écarté tout danger
d’effondrement de murs surplombant la piscine en démolissant et démontant scrupuleusement toutes les structures qui auraient pu lâcher lors d’un séisme violent. La piscine a également été
consolidée dans ses fondements. Enfin, Tepco a déjà prévu le transfert des barres de combustible menaçantes par une construction spéciale. Mais cela prendra du temps. Beaucoup de temps, de une à plusieurs années.
Et les travaux ne devront pas être arrêtés par un séisme trop important.
Tepco maître de la terre ?
Alors là on va faire très court, l’évènement du 11 mars 2011 a démontré définitivement qu’une centrale nucléaire ne devait pas être construite dans une zone
sismique. Les hommes ne peuvent pas défier les forces telluriques. Tepco a donc eu tort de construire Fukushima Daiichi sur une ancienne faille. Et tous ceux qui actuellement dans le monde favorisent de nouvelles constructions de centrales nucléaires dans des zones sismiques ou permettent de continuer leur
exploitation font prendre des risques énormes à l’humanité. On pense en particulier à la vieille centrale arménienne de Metsamor et à la future
mégacentrale de Jaitapur en Inde (projet de 6 EPR).
Bien sûr, Monsieur Oursel savait déjà tout cela : Tepco ne maîtrise pas grand-chose. L’opérateur ne sait pas quoi faire de l’eau radioactive, à l’image de
l’apprenti sorcier ; il ne sait pas où est le feu nucléaire qu’il a créé, il ne fait plus que le subir depuis que Fukushima Daiichi n’est plus une centrale nucléaire ; il ne maîtrise
pas les tremblements de terre, il ne peut pas connaître la date ni l’intensité du prochain. Il maîtrise en revanche parfaitement la communication, diffusant ses informations au compte-goutte,
souvent avec plusieurs mois de retard pour amoindrir l’impact des mauvaises nouvelles.
Pourtant M. Oursel préfèrerait qu’ils communiquent de manière plus positive. Car Areva, avec une perte de 2,4 milliards d’euros en 2011, souffre beaucoup de l’image
catastrophique de Fukushima. Tepco fait ce qu’il peut, les liquidateurs travaillent dur pour améliorer l’aspect et la sécurité du site en déblayant toutes les matières
radioactives issues des explosions. Mais une catastrophe nucléaire reste une catastrophe à très longue durée. 25 ans après la catastrophe de Tchernobyl, on doit reconstruire un nouveau
sarcophage pour un seul cœur fondu. Combien de décennies seront nécessaires pour démanteler Fukushima et ses 3 cœurs fondus ? Nul ne le sait,
la catastrophe semble éternelle pour l’humanité, et quelle que soit la communication qu’on emploie, l’industrie nucléaire n’a plus d’avenir.
Publié par Pierre Fetet
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Au Japon