Les oiseaux de Fukushima
Mars 2011
par Elyane Rejony
Le printemps arrive dans nos garrigues sèches, une petite averse éveillera les graines,
Les cistes reverdissent, le buis embaume, le parfum des herbes mouillées sent bon la vie,
Le chant inlassable des mésanges bleues annonce la tiédeur des matins, il fait bon sur la Terre.
Là-bas, à Fukushima, les oiseaux innocents volent au ciel inquiet.
Innocents oiseaux
Qui ne savent rien des réactions en chaîne, des sites nucléaires, des ambitions humaines.
Innocents oiseaux qui volent en ciels d’estampes dans l’air contaminé,
Ils voulaient faire leur nid, perpétuer la vie, simplement.
Pourtant ils vont mourir. Ils mourront sans savoir, sans rien voir.
Ou bien auront-ils vu les enfants innocents pourvus de dosimètres,
Les paysans qui se suicident, les réfugiés sans espoir,
Les mères en pleurs, les maisons abandonnées pour toujours
Dont les fenêtres vides, comme des yeux crevés, accueilleront bientôt
Une jungle de branches aux feuilles déformées,
Un chien mort de faim au bout de sa chaîne, les troupeaux abattus…
L’envol des oiseaux jaillit dans la mort sournoise qui habite l’espace,
La mort invisible attend leurs ailes vives, sur les collines douces, inhabitables
Où les cerisiers en fleurs sourient aux vies perdues
Où les lianes recouvriront bientôt les routes désertées.
Innocents oiseaux qui voulaient juste vivre
Vivre
Comme tous les vivants.
Ils ne savaient rien des radionucléides ni de leur radio-toxicité.
Mort nucléaire invisible
Souffle obscène de transparence sur maisons de papier
Mort impalpable sur les rizières où le ciel allume ses rubans
Mort sournoise qui rôde sur les colonnes rouges des temples éternels
Mort toute puissante, sur terre, dans l’air, dans l’océan,
Mort inévitable
Mort nucléaire créée par l’intelligence démesurée
De savants trop sûrs d’eux, bien loin des chants d’oiseaux.
Arrogance criminelle imposée à la Terre entière
Et au ciel immense où les oiseaux veulent seulement vivre,
Vivre
Comme tous les vivants.
25 ans avant Fukushima, les oiseaux de Tchernobyl déjà tombaient des nues.
Le Nucléaire, industrie d’avenir ? Avenir d’amnésique.
Combien faudra-t-il de désastres pour arrêter la folie humaine ?
Nous voulons juste vivre
Vivre
Dans la beauté du monde et le souffle sacré des hirondelles
Sous les grands silences bleus du ciel.
Qui a protégé la vie à Fukushima ?
Qui protège nos vies ?
Qui ?
Elyane Rejony (Drôme-France)
Mars 2011 - Août 2012
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Illustration : "ILS N'EN MOURAIENT PAS TOUS MAIS TOUS ÉTAIENT FRAPPÉS". JEAN DE LA FONTAINE
œuvre d’Eve Pèlerins, photographe auteur