« Le rapport de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) sur la catastrophe de Tchernobyl, paru en 2005 sous l’égide des Nations-Unies, a évalué le nombre de décès de victimes immédiates de l’accident à moins de 50 et à 2200 celui de l’excès de décès entraîné par l’exposition à la radioactivité des 200 000 "liquidateurs" les plus exposés. »
(extrait du dossier scientifique sur le nucléaire mis en ligne par le CNRS début janvier 2013)
Même après la catastrophe de Fukushima, le village nucléaire mondial reste cohérent, il produit le même discours dans toutes les organisations institutionnelles : le nucléaire, même lors des accidents, ne génèrerait que très peu de décès. C’est la doctrine officielle, et quasiment tous les salariés et subventionnés de l’énergie nucléaire se soumettent à ce postulat. Bien sûr, pour « prouver » cette assertion, on se réfère à l’unique source autorisée, le rapport initié par l’AIEA, premier promoteur de l’énergie atomique dans le monde, « L’héritage de Tchernobyl : impacts sanitaires, environnementaux et socio-économique », publié en 2005.
Pourtant d’autres rapports scientifiques existent, mais les organisations institutionnelles les ignorent complètement :
- 2006 : The other report on Chernobyl (Torch)
- 2006 : The Chernobyl Catastrophe - Consequences on Human Health
- 2009 : Chernobyl: Consequences of the Catastrophe for People and the Environment
De plus, les actes de la conférence « Les conséquences de Tchernobyl et d'autres accidents radiologiques sur la santé » qui s’est tenue à Genève en 1995 n’ont jamais été publiés. Il y a donc réellement une mainmise de l’AIEA sur les publications de l’OMS avec une réelle volonté de cacher la vérité. Est-ce une démarche scientifique ? Certainement pas, et c’est une honte que le CNRS s’associe à cette démarche négationniste.
Deux personnes se sont élevées contre le positionnement du CNRS, Thierry Ribault, économiste au CNRS, et Stéphane Lhomme, de l’Observatoire du nucléaire. Dans ces deux articles, la lumière est faite sur la stratégie du CNRS pour manipuler l’opinion :
Fukushima : le CNRS tait la vérité et domestique les masses
par Thierry Ribault
Le CNRS a rendu accessible le 7 janvier un dossier scientifique multimédia sur l’énergie nucléaire, destiné au « grand public ». Chercheur au CNRS en poste au Japon, où je travaille sur les modalités de la protection humaine dans le contexte du désastre de Fukushima, je tiens à me dissocier des propos tenus dans cette « animation », destinée à domestiquer les masses et taire la véritable situation à Fukushima.
Dans ce dossier « scientifique » aux desseins animés, les affirmations dénuées d’argumentation et prenant des allures d’évidences indiscutables sont légion. Ainsi, il y est certifié que :
(…)
L'Observatoire du nucléaire accuse le CNRS de tromperie
par Stéphane Lhomme
« Le 7 janvier 2013, le CNRS a annoncé par communiqué la publication d'un document multimédia sur le nucléaire, prétendant que "Cette animation donne au grand public des clés pour mieux comprendre la problématique du nucléaire et ainsi participer au débat qui se déroulera de janvier à avril 2013."
Le CNRS pouvait éventuellement prendre position en faveur de l'atome, mais à condition de le faire de façon affichée et assumée. Au contraire, jouant de toute évidence de son statut d'organisme public, le CNRS laisse habilement penser que le contenu de son document est non partisan et ne fait que présenter de façon neutre et honnête les éléments du débat sur le nucléaire. Il s'agit d'une tromperie délibérée.
(…)
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Mise à jour du 20 janvier 2013
Suite à la dénonciation générale sur la toile de certains propos mis en ligne par le CNRS, les auteurs du dossier sur le nucléaire ont modifié le texte incriminé dans cette page (cf. texte copié-collé extrait de la partie « Aspects sociétaux / Conséquences des accidents nucléaires » en début du billet).
Thierry Ribaut en fait état dans un commentaire sur le site de Rue89. Voici un extrait de son commentaire :
« Allégations qui s’effondrent de facto
Il semble que les allégations de certains extrémistes de la domination qui s’expriment dans les commentaires de cet article, m’affublant de « paranoïa » (ont-ils même déjà rencontré un paranoïaque ?) ou encore m’imaginant « soutenu par les multinationales des énergies fossiles, qui font 2 millions de morts par an », (seulement ? !), de facto s’effondrent : les artisans du site du CNRS ont modifié ce jour un passage du texte du dossier sagascience sur l’énergie nucléaire à la partie Conséquences humaines des accidents nucléaires.
Je rappelle l’ancienne version :
« Le rapport de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) sur la catastrophe de Tchernobyl, paru en 2005 sous l’égide des Nations-Unies, a évalué le nombre de décès de victimes immédiates de l’accident à moins de 50 et à 2200 celui de l’excès de décès entraîné par l’exposition à la radioactivité des 200 000 “liquidateurs” les plus exposés. Par ailleurs, des registres font état d’environ 4000 cas de cancers de la thyroïde diagnostiqués imputables à l’accident de Tchernobyl, chez les enfants et les adolescents âgés de moins de 18 ans en 1986, âge où la maladie est rare et n’a pu être induite que par une contamination à l’iode radioactif dispersé dans les premiers jours qui ont suivi la catastrophe. D’autres conséquences graves, notamment psycho-sociologiques, existent pour les populations humaines : la détresse, pouvant mener au suicide, des populations évacuées qui perdent tout du jour au lendemain et la peur de la contamination (à Tchernobyl, un grand nombre de femmes ont avorté par crainte de donner naissance à des enfants malformés). »
Et je signale la nouvelle (en mettant en gras le passage ajouté, les fautes de frappe ne sont pas de moi) :
« Le rapport de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) sur la catastrophe de Tchernobyl, paru en 2005 sous l’égide des Nations-Unies, a évalué le nombre de décès de victimes immédiates de l’accident à moins de 50 et à 2200 celui de l’excès de décès entraîné par l’exposition à la radioactivité des 200 000 “liquidateurs” les plus exposés. Par ailleurs, des registres font état d’environ 4000 cas de cancers de la thyroïde diagnostiqués imputables à l’accident de Tchernobyl, chez les enfants et les adolescents âgés de moins de 18 ans en 1986, âge où la maladie est rare et n’a pu être induite que par une contamination à l’iode radioactif dispersé dans les premiers jours qui ont suivi la catastrophe.
Cependant, ces chiffres font l’objet de fortes controverses dans la commaunauté scientifique internationale et il est donc encore aujourd’hui, plus de 20 ans après, très difficile d’avoir une estimation fiable du nombre de victimes de cette catastrophe.
D’autres conséquences graves, notamment psycho-sociologiques, existent pour les populations humaines : la détresse, pouvant mener au suicide, des populations évacuées qui perdent tout du jour au lendemain et la peur de la contamination (à Tchernobyl, un grand nombre de femmes ont avorté par crainte de donner naissance à des enfants malformés). »
On note, outre la timidité de cet ajustement (pourquoi ne pas fournir directement les chiffres alternatifs disponibles partout ?) qu’une attention au moins aussi grande est portée aux « conséquences graves notamment psycho-sociologiques » de la catastrophe de Tchernobyl, qu’au chiffrage des victimes du cancer. Ce qui est encore une fois un parti pris évident en faveur de la non-évacuation des populations (donc d’une relativisation de la gravité des effets sanitaires physiologiques des radiations) alors que, comme l’indique le rapport gouvernemental ukrainien que j’ai cité dans mon article, sur les 13 136 enfants nés entre 1992 et 2009, des « liquidateurs » ukrainiens de Tchernobyl de 1986-1987, 10% présentaient des malformations congénitales à la naissance : la peur de la contamination » et la « crainte de donner naissance à des enfants malformés » sont bel et bien fondées. »
Comme quoi il est utile de dénoncer des textes honteux chaque fois que nécessaire. Le CNRS, qui lui-même a combattu le négationnisme dans ses propres rangs il y a une douzaine d’années, ne pouvait laisser ce texte en l’état. La correction est timide, mais la correction est là, c’est tout à son honneur.
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Photo d’entête : AFP/East News