Du 24 mai au 3 juin 2011, une équipe scientifique de la Criirad est allée au Japon,
dans les préfectures d’Ibaraki et de Fukushima. Composée de Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et responsable du laboratoire de la Criirad, et de Christian Courbon, technicien
spécialiste des investigations de terrain, cette mission d’étude avait un triple objectif : évaluer les niveaux d’irradiation, former et équiper des citoyens et des associations japonaises
au contrôle radiologique, et limiter au maximum l’exposition des personnes.
Au moment où la Criirad édite la vidéo d’une conférence faite fin juin pour faire
connaître le compte rendu de la mission, l’IRSN publie une synthèse sur la pollution radioactive sur terre, un article du site d’Alexander Higgins dévoile une contamination importante du sol de
la banlieue de Tokyo et l’Acro met à jour les résultats de ses propres analyses. Il est donc intéressant de comparer leurs différentes approches.
Vidéo de la conférence de la Criirad du 29 juin 2011 à Lyon avec Bruno Chareyron (1/2
h)
1) Informations données lors de la conférence de la Criirad
Selon Bruno Chareyron, les Japonais ont été très mal informés et très mal protégés. Très
peu de pastilles d’iode ont été distribuées pour éviter les cancers de la thyroïde. Des doses extrêmement élevées de radiations ont été relevées seulement 10 jours après le début de la
catastrophe, ce qui est inacceptable car on a laissé la population dans l’ignorance du danger des retombées.
La Criirad ne comprend pas comment cela a pu se passer dans un pays moderne, riche comme le
Japon, ayant des ingénieurs en radioprotection. Cela est inacceptable 25 ans après Tchernobyl.
Par ailleurs, la simulation de l’IRSN du 17 mars a laissé penser qu’il ne fallait évacuer
personne, alors qu’on était en pleine contamination. La simulation a été faite sans chiffres fiables, puisqu’encore aujourd’hui, on ne connaît pas exactement la réalité de cette
contamination.
Fin mai 2011, les mesures de terrain et analyses de sol effectuées par le laboratoire de la
Criirad sur la ville de Fukushima, située à 60-65 km de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, indiquent que les retombées de césium 134 et 137 radioactif sont de plusieurs centaines de
milliers de Bq/m2 : 490 000 Bq/m2 sur la pelouse de l’école primaire Moriai ; plus de 700 000 Bq/m2 dans le quartier Watari.
Les débits de dose relevés à 1 mètre du sol, en extérieur, sont plus de 10 fois, voire plus de
20 fois supérieurs à la normale (supérieurs à 1 et 2 μSv/h). L’irradiation est encore mesurable dans les étages des bâtiments. Des mesures effectuées au 4ème étage d’un immeuble ont montré un
excès de radiation qui augmente lorsqu’on se rapproche des fenêtres, même fermées.
Les maisons ne sont donc pas vraiment des protections, car les rayonnements gamma des
radionucléides qui sont sur le sol à l’extérieur sont très puissants et traversent les murs et les fenêtres. A l’intérieur d’une maison individuelle du quartier Watari, la Criirad a mesuré un
débit de dose plus de 3 fois supérieur à la normale au contact du tatami dans la chambre des enfants (0,38 μSv/h) et 6 fois supérieur dans le salon à 1 mètre du sol (0,6 μSv/h). Devant la maison,
on mesure 2,2 μSv/h dans le jardin d’agrément et 2,9 μSv/h au niveau de la pelouse d’une école proche (mesures à 1 mètre du sol).
Un prélèvement sous une balançoire de la ville de Fukushima a donné un taux de radioactivité en césium de 370 000 Bq/kg, donc la terre de cette école peut être considérée comme un
déchet radioactif.
La centrale de Fukushima Daiichi souffre également d’un manque de contrôle de la radioactivité
de l’air : la balise qui se trouve devant la centrale ne fonctionne que 20 minutes par jour. Tepco répond à ce problème en prétendant qu’ils n’ont pas assez de personnel disponible pour
changer les filtres.
Selon la Criirad, les autorités japonaises n’ont pas lancé de critères d’évacuation obligatoire
suffisants. Si rien n’est fait, les habitants de la ville de Fukushima pourraient subir dans les douze mois à venir une irradiation externe de plusieurs milliSieverts alors que la dose au-delà de
laquelle le risque de cancer est jugé inacceptable par la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) est de 1 milliSievert par an, ce qui correspond à 5 décès pour 100 000
personnes exposées.
Or les autorités japonaises ont fixé une limite de dose de 20 milliSieverts comme critère pour décider d’évacuer définitivement ou non les populations. Ceci correspond à un risque de cancer
mortel à terme 20 fois supérieur au risque acceptable en France. Ceci est d’autant plus grave que les habitants de Fukushima ont déjà été fortement exposés. Il faut également tenir compte des
doses liées à la contamination interne que ces populations continuent à subir par ingestion de denrées contaminées et des risques liés à l’inhalation de poussières à partir du sol
contaminé.
L’intérêt de la mission de la Criirad au Japon a été de permettre aux Japonais qui ont
rencontré Bruno Chareyron et Christian Courbon d’intellectualiser cette menace invisible, afin de mieux s’en prémunir.
2) Le rapport de l’IRSN
"Synthèse des informations disponibles sur la
contamination radioactive de l’environnement terrestre japonais provoquée par l’accident de Fukushima Dai-ichi"
13 juillet 2011
Selon ce rapport que vous pouvez consulter avec le lien ci-dessus, il n’est pas dangereux de
boire du thé faiblement radioactif. Les amateurs de thé apprécieront, j’en suis certain !
Par ailleurs, l’IRSN utilise différentes unités de mesures de radioactivité, soit des Bq/kg
(densité massique), soit des Bq/m² (densité surfacique) ce qui ne permet pas de lire le document de façon aisée puisque l’on saute de l’une à l’autre sans explication ni données de comparaison.
Il est évident qu’il serait plus juste de donner uniquement des mesures de densité surfacique, car c’est sur le sol que les hommes vivent.
Toutefois, on pourrait quand même comparer ces mesures en transformant les densités massiques
en densité surfacique. Mais, petit problème, il manque deux données essentielles : la densité de la terre prélevée et la hauteur du prélèvement. Seul le prélèvement de l’ACRO comporte
l’information de profondeur (2 cm). Il faut donc utiliser une densité minimale pour la terre superficielle d’environ 1200 kg/m3 (densité de la terre végétale = 1200, densité de l’argile ou du
sable = 1700) pour ensuite envisager de convertir la mesure de 86 680 Bq/kg pour l’iode 131 (prélèvement du 31 mars à Iitate Maeda) avec cette formule : Bq/kg (radioactivité massique) x
kg/m3 (densité de la terre) x m (profondeur de prélèvement) = Bq/m² (radioactivité surfacique)
Ce qui donne :
86 680 x 1200 x 0,02 = 2 080 320 Bq/m²
Eh oui, 2 080 320 Bq/m², ça fait plus mal aux yeux dans un rapport que 86 600
Bq/kg ! Voilà comment les scientifiques manient les chiffres pour manipuler les gens.
Quant aux autres données de l’IRSN en Bq/kg, impossible d’en tirer quoi que ce soit puisqu’il
n’est jamais mentionné la profondeur du prélèvement. Dommage, ça aurait été intéressant, car plus le prélèvement est profond, plus la radioactivité massique baisse !
Pour la ville de Fukushima, si on compare les mesures faites par la Criirad et celles fournies
par l’IRSN, voici ce que l’on constate :
Selon la Criirad (Ville de Fukushima, fin mai 2011, césium 134 et 137) :
- 490 000 Bq/m² sur la pelouse de l’école primaire Moriai
- Plus de 700 000 Bq/m2 dans le quartier Watari.
Selon l’IRSN (Ville de Fukushima) :
- 48 Bq/m² en césium 134 du 29 au 30 mai 2011,
- 70 Bq/m² en césium 137 du 30 au 31 mai 2011, soit un total pour le césium de 118
Bq/m².
[ Il y a comme un problème de mesure pour l’un ou pour l’autre ! A la même date (fin mai), les mesures données par
l’IRSN sont 5 000 fois inférieures à celles de la Criirad. Certes, il peut y avoir des écarts énormes entre des endroits très rapprochés mais quand même, cela est très surprenant. Cela
voudrait-il dire que l’IRSN ne retient que les « bons » endroits ou que la Criirad ne retient que les « mauvais » (en dessous d’une balançoire par exemple) ?
]
Correction du 15 juillet 2011 13h : suite à un commentaire pertinent d’un lecteur, je supprime ce paragraphe car on
ne peut effectivement pas comparer un flux avec un dépôt. La Criirad donne une somme de dépôts radioactifs accumulés sur le sol alors que l’IRSN donne le flux, c’est-à-dire l’apport de
poussières radioactives en une journée. L’erreur provient de l’utilisation de la même unité « Bq/m² » dans les deux mesures. Pour un flux, il faudrait plutôt utiliser
« Bq/m²/j » pour plus de clarté.
Peut-être y verra-t-on plus clair avec les mesures effectuées par un Japonais dans la banlieue
de Tokyo ?
3) Article “52,547 Bq/Kg of cesium radiation found in
soil just outside Tokyo – 135 miles south of Fukushima”
Je ne vais pas développer cet article écrit en anglais, mais simplement résumer l’information
la plus importante : selon l’auteur de l’article, Alexander Higgins, un Japonais a fait analyser un échantillon de terre prélevé à Kashiwa, à une trentaine de km au nord-est de Tokyo. Les
résultats du laboratoire montrent un rayonnement de 52 547 Bq/kg de césium : 23 663 Bq/kg de césium 134 et 28 884 Bq/kg de césium 137.
52 547 Bq/kg, ça fait vraiment beaucoup ! Il doit être, au même titre que la terre sous
la balançoire de Fukushima, considéré comme un déchet radioactif (limite maximale au Japon fixée à 8000 Bq/kg).
Si on essaie de comparer ces mesures alarmantes avec celles de l’IRSN, eh bien on ne peut pas,
tout simplement, car cette « synthèse » n’en fournit pas. Le rapport mentionne simplement que « dans la grande majorité des préfectures japonaises (dont Tokyo), le césium 134 et le
césium 137 ne sont plus détectés dans les retombées atmosphériques collectées ». Mais il ne parle pas des mesures faites au sol. Pourquoi ?
Dans quel but l’IRSN laisse-t-il les habitants de Tokyo dans l’ignorance ?
4) Résultats des mesures de l’ACRO : mise à jour au 13 juillet
2011
Ce laboratoire indépendant a reçu des échantillons en
provenance des provinces de Fukushima et de Miyagi qui mettent en évidence une contamination alarmante, ce qui ne contredit en rien les relevés de la Criirad.
Je ne peux reproduire ici tous les tableaux, il est préférable de consulter le site directement
à l’aide du lien donné ci-dessus.
Quant à la ville de Kashiwa, l’Acro relève que la contamination surfacique des sols en césium
137 est supérieure à la limite biélorusse de 37 000 Bq/m2 qui implique un contrôle radiologique périodique et qu’il conviendrait de faire une étude plus détaillée de la contamination de cette
zone. Cette conclusion ne contredit pas non plus les résultats de l’analyse décrite plus haut par Alexander Higgins.
Pour conclure, il semble prudent de conseiller aux Japonais de ne pas tenir compte des mesures officielles. Elles sont souvent prises trop en hauteur (sur les
toits par exemple), en dehors de la réalité de la vie humaine qui se passe la plupart du temps au sol. Quant on compare les données officielles aux mesures des organisations indépendantes des
intérêts liés à l’industrie nucléaire, on se rend compte qu’il y a une manipulation des données pour désinformer la population. Il existe enfin un site qui rassemble des centaines de milliers de
mesures réalisées au Japon par les citoyens volontaires avec des compteurs Geiger. C’est le site http://safecast.org/présentant des cartes interactives.