Pour mieux comprendre la tragédie vécue par les évacués de la zone interdite
de Fukushima, Janick Magne, Française résidente au Japon depuis 33 ans et candidate aux élections
législatives pour les Français de l’étranger, s’est rendue le samedi 18 février à Futaba, ville-fantôme située à 1,5 km de la centrale de Fukushuma-Daiichi en ruines.
Une famille qui habitait Futaba jusqu’au 12 mars 2011 (date de l’explosion du réacteur n°1)
l’avait invitée à se joindre à une courte visite de leur ville, visite qui, pour des raisons de radioactivité intense, ne pouvait dépasser 5 heures.
Janick Magne était en tenue de protection complète, de la tête aux pieds, avec gants et masque.
Son groupe avait été prévenu qu’il était interdit de ramasser tout objet qui tomberait au sol, à cause de la forte radioactivité et des radionucléides omniprésents. La radioactivité actuelle y
est de 100 à 400 microsieverts/h (taux normal à Tokyo: 0,08 microsieverts).
La ville, bâtie en hauteur, est toujours debout, peu de maisons ont souffert à Futaba, fils et
poteaux électriques sont à leur place. Mais tout est tellement contaminé que les évacués ne peuvent pas même récupérer leurs vêtements.
Avant son départ, Janick Magne avait expliqué sa démarche :
“Après ma rencontre le 12 février avec des évacués de Futaba et leur maire réfugiés dans un
lycée désaffecté de la grande banlieue de Tokyo, j’ai voulu voir de mes propres yeux ce qu’était leur cadre de vie avant la catastrophe. Je veux témoigner en direct de l’horreur du nucléaire, des
tragédies humanitaires et du scandale sanitaire intolérable dont il est la cause.
Ce témoignage est une promesse faite aux évacués de Futaba, qui se retrouvent aujourd’hui
dépossédés de leurs maisons et de leurs terres, orphelins de leur passé et de leur avenir, malades, désespérés. Car jamais les habitants de la zone interdite ne pourront rentrer chez eux, ni
leurs enfants, et peut-être même pas leurs petits-enfants. Quand j’ai demandé au maire de Futaba quel message il voulait transmettre aux Français et au monde, il m’a dit : « Parlez
de nous, dénoncez ce qui se passe, faites-le savoir! ».
De retour à Tokyo, voici son premier témoignage relevé sur Facebook :
« Bonjour à tous,
Je suis rentrée ce soir à Tokyo. Cette visite de FUTABA et ma rencontre avec divers membres de la famille qui m'a amenée là-bas ont
été poignantes. Je me croyais forte, j'ai tenu le choc tant que j'étais avec eux tous, mais ce soir, en rentrant chez moi, je me suis mise à pleurer....
Les images des maisons écroulées, de la chaussée défoncée, de la ville basse en bordure de mer complètement disparue (il ne reste
qu'un terrain vague à l'infini),
les os des vaches dans l'étable (les gens pensaient revenir le lendemain, ils n'imaginaient pas que l'évacuation serait sans retour,
ils ont laissé les vaches enfermées dans l'étable),
la demi-mâchoire d'une vache dans la boue sur la route (probablement rongée par des chiens errants affamés),
le ventre gonflé d'une autre vache en putréfaction venue mourir sur le bord d'une autre route,
les devantures de magasins démolies,
leurs articles laissés à l'abandon pêle-mêle,
les petits temples traditionnels tout de guingois,
les monuments dans le cimetière en partie renversés,
les rideaux dérisoires qui sortent par des fenêtres cassées et s'agitent au vent glacial de février,
et puis toutes ces belles maisons intactes, récentes, entourées de jardins, dans lesquelles plus personne ne peut revenir vivre parce
qu'elles sont contaminées....
Mes amis essayant de récupérer quelques affaires, qu'il leur faut présenter au contrôle pour déterminer si elles ne sont pas trop
radioactives pour sortir de la zone... Eux-mêmes munis d'un compteur emprunté quelque part pour vérifier encore une fois... La plupart du temps, les vêtements sont trop contaminés pour pouvoir
être emportés. Ces gens pudiques sur leur malheur mais qui ne sourient plus, qui avaient une si belle vie ici, entre forêt, montagnes et océan, aujourd'hui réfugiés dans des préfabriqués
minuscules... Ils avaient des vaches, des maisons, des terres, des rizières...
Pudiques, mais ils se lâcheront tout à l'heure, lorsque, tous réunis autour d'un déjeuner dans un restaurant d'une autre ville, ils me
diront :
"Jamais je n'aurais imaginé devenir aussi pauvre."
"J'aurais tellement voulu aider ceux de la ville basse, dont les maisons ont été englouties par le tsunami, les héberger, mais
c'était impossible: notre maison est contaminée, plus personne ne peut y vivre."
"Après des mois dans un lycée désaffecté à partager une salle de classe avec d'autres réfugiés, on a réussi à trouver un tout petit
appartement, mais on n'a pas de travail",
et puis
"On est loin de la mer, ça nous manque, on a toujours vécu ici."
"On a encore 12 ans de crédit à payer pour la maison, devenue inhabitable.... Le peu d'argent qu'on reçoit, on est obligé de le garder
pour payer le crédit.... On n'a plus rien." (C'est un problème fréquent au Japon: les gens continuent de payer les crédits quoi qu'il arrive, même si leur maison est effondrée ou devenue
insalubre suite à une catastrophe).
"Ma maison, c'est la maison jaune avec la grande baie vitrée, face à la mer, que tu as vue tout à l'heure. Elle est belle, hein ? Elle
est très fortement contaminée, il n'y a plus rien à faire."
En temps normal, après une catastrophe naturelle, les gens s'entraident, nettoient, reconstruisent ensemble, et la vie repart.... MAIS
UNE CATASTROPHE NUCLEAIRE N'EST PAS UNE CATASTROPHE NORMALE. Il ne reste que des ruines, des maisons vides et des villes-fantômes, et on ne peut rien faire, rien réparer : ni les routes, ni les
toits, ni les murs, ni les cimetières, ni les étables.... Plus de place pour les hommes, plus de place pour leur labeur, plus de place pour leurs animaux ni leurs champs. C'EST COMME SI
L'HOMME ETAIT DE TROP.
Quelqu'un qui se retrouve sans rien et dont la vie professionnelle avait toujours tourné autour des centrales m'a finalement dit : "Il
faudrait une autre forme d'énergie..." »
sources (avec l'autorisation de J. Magne) :