Qu’il aurait été agréable d’annoncer une reprise en main de la situation… Mais il ne faut pas rêver. La catastrophe nucléaire, même si certains ont tendance
à l’oublier ou à la minimiser, est toujours en cours au Japon : la centrale continue de relâcher ses radionucléides dans l’environnement ‒ air, terre, eau ‒, le territoire japonais continue
à être contaminé jusqu’aux portes de Tokyo, et la majeure partie de la population continue à vivre comme si de rien n’était alors que certains points chauds montrent des taux de radioactivité
supérieurs aux zones évacuées dans la région de Tchernobyl.
Cet article ne prétend pas faire un point exhaustif de la situation, mais propose simplement de faire le tour de l’actualité en cette fin
d'octobre.
1. Etat de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi
2. Contamination du Japon
3. Intérêt des scientifiques
4. Radioprotection
5. Mobilisation de la population japonaise
6. Mouvements humanitaires
7. Et les coriums dans tout ça ?
1. Etat de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi
D’abord, une petite visite s’impose. C’était le 22 octobre, belle journée ensoleillée d’automne. C’est Tepco qui filme. C’est beau, c’est propre, les
liquidateurs
ont bien travaillé, au risque de leur vie (ils sont actuellement 3000 employés
sur le site). On filme essentiellement ce qui ne fâche pas : seulement 10 secondes pour les réacteurs accidentés sur un total de 6 minutes 25. On oublierait
presque la radioactivité ambiante…
D’après Tepco, la situation s’améliore et serait presque maîtrisée : ils auraient réussi à faire un « arrêt à froid »,
comme ils disent dans leur jargon, des réacteurs accidentés. En fait, cela signifie une température « inférieure à 100°C » (lien). Donc de l’eau frémissante à 99°C, pour eux ça ne compte pas. Bertrand Barré (Areva) va plus loin : il affirme que « Les cœurs qui ont fondu sont resolidifiés et
sont refroidis » (lien). Impressionnant. Mais on ne sait toujours pas comment il sait ça !
Sinon, rien n’a changé au réacteur n°1, il est toujours aussi radioactif au niveau du sous-sol : 3 juin, 4000 mSv/h (vidéo) ; 13
octobre, 4700 mSv/h (lien). Quant au 2ème étage, ce n’est pas mieux : août, 5000 mSV/h. La toile qu’ils ont
installée autour du bâtiment ne changera quasiment rien, sinon de redorer l’image même de Tepco.
Une toile recouvre maintenant le bâtiment du réacteur n°1
La centrale, selon Tepco, dégagerait aujourd’hui moins de radioactivité que le mois dernier ; on peut évidemment s’en réjouir, mais tout de même, elle crache
encore 2,4 milliards de becquerels chaque jour (lien). Cette vidéo de la webcam de la centrale nous montre que de la vapeur continue à se dégager
de la centrale de manière abondante (début de l’évènement à 1:08, correspondant à 17h22 le 22 octobre 2011) :
Et les hotspots trouvés récemment dans la banlieue de Tokyo confirment que ces dégagements peuvent se rabattre sur les terres à partir du moment où le vent les
pousse vers le sud.
Le problème de l’accumulation de l’eau hautement contaminée sur le site reste entier. Il y aurait actuellement 175 000 tonnes d’eau radioactive stockée sur le site, essentiellement dans les sous-sols. Tepco a constaté que le pompage de l’eau des sous-sols était inefficace car ils sont situés sous le niveau de la nappe
phréatique, dans la roche sédimentaire
aquifère. Dès que le niveau baisse, l’eau arrive de nouveau par le jeu des fissures. La centrale est devenue un puits infernal, car l’eau arrive en
permanence : 200 à 500 tonnes par jour selon Tepco. C’est le tonneau des Danaïdes inversé. Les hommes sont désormais condamnés à
vider un trou qui se remplit. Mais l’eau qu’on en retire est mortelle. Tepco ne sait plus quoi en faire, au point de l’éliminer en arrosant du bois pour éviter un improbable incendie…
(lien).
Arrosage de bois avec de l'eau contaminée
L’enjeu aujourd’hui est de prévoir une installation pérenne qui va pouvoir traiter cette eau de manière constante durant des dizaines d’années, sans que cela
n’affecte l’environnement.
2. Contamination du Japon
D’après le dernier rapport de l’IRSN du 27 septembre 2011, « depuis le 1er juillet, les concentrations
en radionucléides dans les produits végétaux terrestres ont continué de présenter une tendance générale à la baisse ». Certes, mais il faut savoir que les radionucléides ne disparaissent pas
pour autant, ils se déplacent. Et ils peuvent se concentrer ailleurs.
En fait, la contamination se répand partout dans le Japon. Dans l’alimentation, dans le sol, dans les matériaux. La pollution ne se limite pas à la préfecture de
Fukushima car les nuages ne connaissent pas les limites administratives et les vents sont capricieux. Les cendres d’incinération, si elles ne dépassent pas 8000 Bq/kg, peuvent être réemployées
dans les matériaux de construction, en particulier le ciment. Par exemple, un morceau de panneau de béton vient d’être découvert dans le nord de Tochigi (lien) avec une radioactivité de 2,5 µSv/h, soit 50 fois la radioactivité habituelle (1).
Mesure d’un hotspot à Kashiwa du 24 octobre : plus de 11 µSv/h, soit 100 mSv/an.
Kashiwa est une ville de 400 000 habitants à 200 km de la centrale de Fukushima Daiichi. C’est la banlieue de Tokyo. On y détecte aujourd’hui de
nombreux points chauds, essentiellement dans les caniveaux et sous les arbres à larges
feuillages. La plus importante mesure a été 57,5 µSv/h, ce qui correspond à plus de 1000 fois la radioactivité habituelle… A Tchernobyl, on a évacué des territoires pour moins que ça.
D’après les échantillons de terre analysés par la mairie de Kashiwa (lien), la pollution provient bien de la centrale de Fukushima (présence abondante de Césium 134)
et elle serait relativement récente (lien). 276 000 Bq/kg de césium pour un de ces prélèvements, c’est très inquiétant, et cela
confirme une nouvelle fois que la centrale continue à polluer le Japon, même très loin de la source.
Recherche de points chauds par les autorités
D’après les principes des nucléophiles, pour réduire la radioactivité, il faut la diluer. Alors après que Tepco ait généreusement dilué dans le Pacifique la radioactivité de l’eau polluée provenant de la centrale (et ce n’est pas fini, la côte est du Japon
continue d’être polluée par la centrale : lien), le gouvernement la dilue maintenant dans l’environnement : comme on ne sait plus quoi faire des déchets
radioactifs (terre : 29 millions de mètres cube ; cendres ; boues), on va les répandre partout dans le Japon : l'Agence forestière autorise dorénavant les municipalités à enterrer dans les forêts domaniales les sols radioactifs
provenant des zones contaminées (lien). Le Japon est donc condamné par son propre gouvernement à voir la radioactivité ambiante
augmenter avec le temps, avec à la clé de nombreuses décharges de déchets radioactifs. Inodores. Invisibles. Incontrôlables à long terme… et avec quels effets sur la santé ?
Décharge secrète de déchets radioactifs de Fukushima (
source)
3. Intérêt des scientifiques
Les forums scientifiques français, comme les médias en général, se désintéressent petit à petit de Fukushima. Par exemple sur Futura Sciences, le
principal fil de
discussion sur l’explosion de Fukushima a été fermé, et le fil
d’actualités n’apporte plus d’info depuis plus de deux semaines. En France doit-on s’en étonner ?
Pourtant les sujets de recherche et les questionnements concernant la catastrophe pourraient être nombreux si on s’y intéressait un tant soit peu. On pourrait aussi
imaginer des forums de consensus, où des scientifiques pourraient débattre sur un sujet polémique, en acceptant d’avancer point par point vers une acceptation commune d’un fait. Au lieu de cela,
même si les discussions sont souvent de bon niveau, on déplore parfois du mépris vis-à-vis des amateurs ou du dédain envers des autodidactes. Et ce sans parler des trolls, ces intervenants
professionnels qui viennent perturber des débats dès qu’ils deviennent intéressants.
Et au-delà de la France, que penser du site Physics Forums où l’on fustige les rares scientifiques qui prennent position et qui
informent sur Fukushima, tels Arnie Gundersen et Chris Busby ? (2)
Le monde scientifique est ainsi quasi muet sur la catastrophe de Fukushima. L’appel lancé par Harry Bernas en avril n’a guère eu de suite. Bien sûr il y a les sites militants de l’Acro, de la Criirad, de l’Aipri, ou le blog exemplaire de Dominique Leglu, Sciences pour vous et moi. Mais mis à part le dossier spécial de Science & Vie sorti en avril, « Fukushima. Ce qui s’est vraiment passé », les publications sont
rares. Il faut dire qu’en France, les experts en nucléaire sont souvent salariés de la filière nucléaire. Les 48 000 employés d’Areva n’ont donc pas intérêt à aller contre le discours
officiel ou à faire des vagues. N’avez-vous pas remarqué que souvent, ce sont des retraités ou des personnes anonymées qui s’expriment le plus facilement ? Aussi, le citoyen intéressé par la
physique nucléaire a tout intérêt à s’informer par des réseaux indépendants du groupe industriel, tout en gardant un esprit critique.
Au Japon, le CRMS, association de citoyens qui font des mesures indépendantes de la radioactivité, a organisé une conférence sur le
thème "A qui appartient le débat scientifique ?" The Japan Times reprend dans un long article l'essentiel de leurs discussions (lien, langue anglaise).
4. Radioprotection
Au Japon, les règles de radioprotection ne semblent pas être les mêmes qu’ailleurs. Après l’accident, on a commencé par relever les limites de doses. On se souvient
en particulier du tollé provoqué en avril par la décision d’une limite de 20 mSv/an pour les enfants de Fukushima. Les consignes de prise de pastille
d’iode n’ont pas été données assez rapidement. On décontamine les sols et les maisons avec des outils et des protections
rudimentaires…
En France, s’il y avait un accident, il n’en serait pas autrement. La population n’est pas formée pour subir un désastre nucléaire. Vu le taux élevé de réacteurs
nucléaires sur le territoire français, il serait souhaitable que chaque élève reçoive une formation minimum sur la radioactivité afin de connaître les gestes qui sauvent en cas de
catastrophe.
Décontamination d’un terrain scolaire en famille : consternant !
Suite à la catastrophe de Fukushima, un appel à projet a été lancé conjointement par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) et le JST (Japan Science and
Technology Agency) qui invite les chercheurs Français et Japonais à étudier conjointement tous les aspects du tremblement de terre du 11 mars 2011 au Japon… à l’exclusion de la sûreté nucléaire
et de la radioprotection. La recherche française est donc manipulée par le lobby atomique qui ne souhaite absolument pas que l’on travaille sur l’effet des faibles doses sur la santé humaine
(lien).
Pour quelle raison ?
5. Mobilisation de la population japonaise
Il y avait un impressionnant dispositif policier lors de la manifestation antinucléaire organisée à Tokyo le 15 octobre dernier. On peut le constater sur cette
vidéo (c’est vrai que l’énergie nucléaire implique une société policière) :
Malgré tout, la pression populaire ne faiblit pas. Les Japonais sont majoritairement opposés à la poursuite de l’utilisation de l’énergie nucléaire et ils le font
savoir par des jeûnes, des manifestations et des occupations symboliques. La manifestation du 19 septembre, rassemblant 60 000 personnes à Tokyo, a été la plus démonstrative dans ce pays où
traditionnellement, on n’a pas l’habitude de sortir dans la rue.
Manifestation du 15 octobre à Tokyo
La mobilisation continue avec l'action des 100 femmes de Fukushima qui commence aujourd'hui à Tokyo.
6. Actions humanitaires
Le gouvernement japonais espère faire revenir aussi vite que possible les 80 000 réfugiés qui habitaient dans un rayon de 20 km autour de la centrale. Pourtant
ce territoire est fortement contaminé par le césium qui a une période radioactive de trente ans. La gestion de la catastrophe est étrange, entre le déni du danger et la désinformation.
Bientôt un mois que le gouvernement a demandé aux réfugiés de la zone rouge (20-30 km) de rentrer chez eux. C’est terrible. Dans cette zone encore contaminée, un
certain Monsieur Odome s’organise pour distribuer de la nourriture aux habitants démunis, la plupart des magasins étant fermés.
Un soutien s’organise en France pour l’aider.
Plus de renseignements ici :
M. Odome en pleine action
Des Japonais ont commencé à quitter leur pays. Si vous souhaitez accueillir l’un d’eux, ou si vous habitez au Japon et souhaitez partir, vous trouverez des moyens
de vous faire connaître en lisant l’une de ces pages :
7. Et les coriums dans tout ça ?
On n’a pas fini de parler de cette matière qui empoisonne la vie des nucléophiles, et plus généralement la vie humaine tout court. Tepco a bien avoué (l’opérateur
finit toujours par avouer !) qu’il avait fait une estimation fin mars de la descente du corium (lien) ; mais comment être sûr de leurs conclusions en sachant que chaque expérience sur le sujet mène à des
résultats différents ?
Alors qu’en France tout le monde se fout de ce qui s’est réellement passé, le CEA fait sa pub sur la sûreté nucléaire avec un dossier écrit par Claire ABOU dans
« Les défis du CEA » n° 163, intitulé « Au cœur du corium ».
Dans cet article
consacré au corium, on vante les mérites de la recherche nécessaire pour augmenter la sûreté. Mais ce que l’article ne dit pas, c’est que les expériences ne peuvent atteindre les températures et
les masses de combustible en cause dans l’accident de Fukushima, ce qui explique que le monde nucléaire soit muet sur le sujet des coriums de
Fukushima : on ne peut pas communiquer sur quelque chose qu’on ne sait pas modéliser ! L’article ne dit pas non plus que même avec des
instituts de recherche, l’accident majeur finit toujours par arriver. Dommage que les centrales ne soient pas sûres AVANT les « accidents » !
Une question reste en suspens : pourquoi Bertrand
Barré n’a-t-il pas été interviewé dans ce dossier ? C’est pourtant l’expert qui semble le mieux informé. Pourquoi n’en dit-il pas plus ? Et
pourquoi aucun journaliste ne lui demande de s’expliquer ?
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(1) En France, il faudra rester très vigilant pour que cela ne se produise pas, car il existe une pression et une possibilité pour que les déchets radioactifs de faible activité soient recyclés
dans les matériaux de construction ou même les casseroles. Ce n’est pas une blague, voyez vous-mêmes le dossier de la Criirad sur ce sujet :
Mobilisation contre l’ajout de substances radioactives dans les biens de consommation et les
matériaux de construction. La dilution de la radioactivité dans l’environnement reste un objectif des industriels de l’atome. Mais cette pratique qui au final aboutit à un
accroissement du bruit de fond radioactif nie les effets de la radioactivité à faible dose sur la santé.
(2) J’ai moi-même été banni de ce forum scientifique après avoir proposé un lien vers mon article sur le corium. On voit là toute l’ouverture d’esprit de certains scientifiques assis sur
leurs principes, et soumis aux intérêts du lobby atomique.