Depuis deux mois, beaucoup de chiffres circulent sur le tonnage des combustibles de la centrale de Fukushima Daiichi. Mais il est difficile de s’y retrouver car les données diffèrent d’une source à l’autre. Cet article essaie de faire le point.
« Chaque piscine du bâtiment du réacteur contient 3.450 assemblages de combustible » ; « Le chargement du réacteur 3 ne contient que 32 barres de MOX » ; « TEPCO a aussi pu observer les 1535 assemblages et leurs rangements » : ce sont des "informations" que j’ai trouvées ici ou là sur la toile mais les données sont fausses. Il faut bien avouer que les sources manquent. Malgré sa soi-disant « transparence », l’industrie nucléaire n’est pas très encline à diffuser des informations précises, d’où l’abondance des approximations et des méprises.
Certaines erreurs proviennent aussi de confusions entre les réacteurs à eau bouillante utilisés à Fukushima et les réacteurs à eau pressurisée que nous avons en France. D’autres écarts de mesures résultent des différents assemblages utilisés dans les six réacteurs. A Fukushima Dai-ichi, le réacteur 1, de type BWR-3, ainsi que les réacteurs 2 à 5, de type BWR-4, étaient équipés à l’origine avec des assemblages 7x7, c’est-à-dire constitués de 49 barres de combustible. Puis, suite à l’évolution de cette technologie, ils ont été remplacés par des assemblages 8x8, soit 64 barres, dont 63 sont destinées au combustible et 1 à la circulation de l’eau ; le réacteur 6 est plus récent ; de type BWR-5, il pourrait, si l'on suit la logique de l'évolution des assemblages, avoir le modèle 8x8R, soit 64 barres, dont 2 sont réservées à l’eau ; mais comme je n'en ai pas de certitude, je le considérerai dans les estimations comme ayant 63 barres de combustible comme pour les autres réacteurs du site.
La méconnaissance du vocabulaire explique aussi certaines erreurs. Il ne faut pas confondre barre et assemblage, BWR et PWR (ou REB et REP), Fukushima Daiichi et Fukushima Daiini, etc. Cet article est donc là pour donner quelques éclaircissements, en particulier avec des tableaux de données précises.
Tableau 1 - Informations générales sur la centrale de Fukushima Daiichi
Fukushima Daiichi |
Unité 1 |
Unité 2 |
Unité 3 |
Unité 4 |
Unité 5 |
Unité 6 |
Type de réacteur |
BWR-3 |
BWR-4 |
BWR-4 |
BWR-4 |
BWR-4 |
BWR-5 |
Modèle |
Mark I |
Mark I |
Mark I |
Mark I |
Mark I |
Mark II |
Constructeur |
General Electric |
General Electric et Toshiba |
Toshiba |
Hitashi |
Toshiba |
General Electric et Toshiba |
Début des travaux |
1967 |
1969 |
1970 |
1972 |
1971 |
1973 |
Mise en service |
mars 1971 |
juillet 1974 |
mars 1976 |
oct. 1978 |
avril 1978 |
oct. 1979 |
Statut de l’installation le 11 mars 2011 |
En service |
En service |
En service |
A l’arrêt pour entretien |
A l’arrêt pour entretien |
A l’arrêt pour entretien |
Dernière inspection |
15 oct. 2010 |
15 déc. 2010 |
26 oct. 2010 |
30 nov. 2010 |
3 jan. 2011 |
14 août 2010 |
Puissance thermique |
1380 MWt |
2381 MWt |
2381 MWt |
2381 MWt |
2381 MWt |
3293 MWt |
Puissance électrique brute |
460 MW |
784 MW |
784 MW |
784 MW |
784 MW |
1100 MW |
Puissance électrique nette |
439 MW |
760 MW |
760 MW |
760 MW |
760 MW |
1067 MW |
Tableau 2 - Données sur les réacteurs de Fukushima Daiichi
Avec une longueur avoisinant les 4 mètres, une barre (appelée aussi crayon) est constituée de plusieurs centaines de pastilles de dioxyde d’uranium enveloppée dans une gaine de zircaloy (alliage de zirconium). Les pastilles peuvent aussi être constituées d’un mélange de dioxyde d’uranium et de dioxyde de plutonium que l’on appelle le MOX. Dans le réacteur 3 de Fukushima Daiichi, il y a 32 assemblages de MOX sur les 548 présents au moment de l’accident. Mais le problème, quand on recherche la justesse des nombres, c’est qu’on ne dispose d’aucune information concernant la masse d’une pastille d’oxyde d’uranium ou de plutonium et le nombre de ces pastilles par barre dans les réacteurs de Fukushima. Malgré tout, on peut se faire une idée du nombre avec des données connues sur des réacteurs similaires construits par General Electric : une barre d’assemblage de type 8x8 peut contenir 366 pastilles. Chaque pastille, d’un diamètre et d’une hauteur approchant 10 mm, pèse environ 8 grammes.
Dans le réacteur à eau bouillante n°1 de Fukushima Daiichi, le cœur est composé de 400 assemblages. Chaque assemblage est constitué de 63 crayons de combustibles. Les réacteurs 2 à 5 de Fukushima Daiichi sont quant à eux composés chacun de 548 assemblages, constitués eux-mêmes de 63 crayons de combustibles chacun. Enfin, le sixième réacteur, plus récent, est chargé de 764 assemblages de 63 barres chacun (ou de 62 barres si BWR5 utilise des assemblages 8x8R). D’après les informations recueillies dans le site web de Tepco, on considère qu’un assemblage a une masse moyenne de 172 kg, et c’est à partir de cette estimation que les poids des combustibles ont été évalués ; ils ont été reportés dans le tableau 3 ci-dessous.
Tableau 3 - Données sur les combustibles de Fukushima Daiichi
Il y a deux sortes de combustibles, le combustible neuf et le combustible usé. La centrale de Fukushima Daiichi produit environ 700 assemblages de combustible usé chaque année. On les entrepose de trois manières : dans les piscines des réacteurs, dans une piscine commune et dans des conteneurs d’entreposage à sec pour les combustibles en fin de refroidissement ("dry casks").
Tableau 4 - Stockage annexe de combustible usé de Fukushima Daiichi
Les piscines dans les unités 2, 3, 4 et 5 ont toutes un volume de 1 425 mètres cubes, avec des dimensions de 12,2 m x 9,9 m x 11,80 m de profondeur. La piscine du réacteur 1 est un peu plus petite avec 1 020 mètres cubes et celle du réacteur 6 légèrement plus grande avec 1497 mètres cubes. La piscine de stockage de combustible usé commun aux 6 réacteurs se situe à 50 m à l’ouest du réacteur 4. Son volume est de 3828 mètres cubes (29 m x 12 m x 11 m). Sa capacité maximale d’entreposage est de 6840 assemblages, elle en avait 6375 au moment du tsunami, ce qui correspond à 1097 tonnes de combustible.
Tableau 5 - Données sur les combustibles de Fukushima Daiichi
d’après l’ambassade de France au Japon
Vous avez remarqué avec le tableau 5 qu’il reste une divergence entre les chiffres donnés par Tepco et ceux fournis par le Service Nucléaire de l’ambassade de France au Japon. La différence est de taille puisqu’elle est de 37 tonnes ! Lequel des deux se trompe ? S’agit-il d’une modification du tonnage par l’abandon des assemblages 7x7 au profit des 8x8 ? Cette hypothèse est à étudier, bien que la logique veuille que le poids augmente avec le nombre de barres et non l’inverse. Tepco essaierait-il de cacher encore quelque chose ? Bien sûr il y a 11 ans d’écart entre ces données mais les réacteurs sont toujours les mêmes et le combustible ne s’évapore pas ! J’ai contacté l’ambassade de France pour avoir des éclaircissements. A suivre donc.
Autre découverte : durant ma recherche, j’ai appris que dans plusieurs centrales nucléaires japonaises existait un entreposage à sec de combustible usé « en châteaux ». L’ambassade de France indique que les réacteurs 4, 5 et 6 avaient ce type de stockage en plus de la piscine en 1999. Habituellement, ce type de confinement est utilisé pour le transport. Il s’agit en fait d’un stockage supplémentaire en conteneurs appelés « dry casks ». Le commentaire du document en français de l’ambassade du japon dit : « Stockage à sec en châteaux des combustibles usés utilisé en supplément des piscines ». Ce qui est étrange, c’est que le document rattache ces conteneurs à 3 réacteurs alors qu’un bâtiment commun est spécialisé pour entreposer ces conteneurs. Il est situé en bordure de mer, entre les réacteurs 1 et 5. Cet entrepôt a-t-il été construit après 1999, date du document, ou bien les réacteurs 4 à 6 ont-ils un entrepôt particulier ? A suivre également.
Tableau 6 - Total des combustibles du site de Fukushima Daiichi
La radioactivité est invisible, mais le tonnage est concret, c’est pourquoi il est intéressant de comparer la catastrophe de Fukushima avec les accidents nucléaires précédents. A Three Mile Island en 1979, la quantité de carburant perdu dans la fusion du cœur était d'environ 30 tonnes, et en 1986, le réacteur de Tchernobyl avait environ 180 tonnes lorsque l'accident est survenu.
En 2011, la catastrophe est pire : les 6 réacteurs sont concernés (explosions, destruction des infrastructures, inondations, fuites, perte de contrôle) et ce sont 1350 tonnes de combustible qui sont en cause.
Dans le cas d’une explosion du réacteur 4, la piscine commune pourrait aussi être affectée car elle n’est qu’à 50 mètres de ce dernier. Ce serait alors 1096 tonnes de combustible supplémentaire qui seraient en cause, soit un total de plus de 2400 tonnes de combustible radioactif.
Pierre Fetet
Petit lexique anglais-français
CV = Confinment Vessel (enceinte de confinement)
RPV = Reactor Pressure Vessel (cuve du réacteur)
assembly = assemblage
core = cœur
fuel pellet = pastille de combustible
rod = barre (ou crayon)
suppression pool = piscine torique de condensation à la base de la cuve de confinement
BWR = Boiling Water Reactor (REB = réacteur à eau bouillante)
PWR = Pressurized Water Reactor (REP = réacteur à eau pressurisée)
Sources :
Ambassade de France au Japon
ANSN (Asian Nuclear Safety Network)
http://www.ansn-jp.org/index.php
DOE (Department of Energy)
JNES (Japan Nuclear Energy Safety)
http://www.jnes.go.jp/english/index.html
NIRS (Nuclear Information and Resource Service)
NISA (Nuclear and Industrial Safety Agency)
http://www.nisa.meti.go.jp/english/
NEA (Nuclear Energy Agency)
OSTI (Office of Scientific and Technical Information)
TEPCO (Tokyo Electric Power Company)