Depuis le début de la catastrophe, Tepco et le gouvernement japonais cachent des informations importantes pour éviter l’effondrement de l’industrie nucléaire mondiale. Les melt-throughs ont été cachés, la fuite de 300 m3/j d’eau radioactive dans la mer aussi. Mais ce que dévoile Arnie Gundersen dans cet exposé va bien au-delà de ce qu’on peut imaginer. D’une part, l’histoire démontre que des tsunamis beaucoup plus importants avaient déjà eu lieu durant le siècle précédent, et malgré cela, une digue ridicule a été construite. Pire, la population japonaise a été soumise à un nuage radioactif à cause du grave défaut de confinement des réacteurs Mark 1 : des aérosols radioactifs ont été libérés jusqu’à atteindre Tokyo. Ce défaut était connu par les ingénieurs depuis les années 70. Or, rien n’a été fait pour contrer ces vices. La catastrophe nucléaire était donc inévitable.
[Cet article fait partie de la série de publications en version française d’exposés présentés en mars 2013 au symposium de New York « Les conséquences médicales et écologiques de l'accident nucléaire de Fukushima ». Avec le blog de Kna, le blog de Fukushima participe à la diffusion de ces textes de manière régulière. Merci infiniment aux traducteurs qui se sont investis dans ce grand projet. ]
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Symposium de New York, 11 mars 2013
Les conséquences médicales et écologiques de l'accident nucléaire de Fukushima
Que savaient-ils, et depuis quand ?
par Arnie Gundersen
ingénieur nucléaire, Fairewinds Associates
Bonjour, merci beaucoup d'être venus. J'aimerais remercier tout spécialement Helen Caldicott, la Fondation Caldicott et Médecins pour une Responsabilité Sociale de sponsoriser la rencontre d'aujourd'hui. Et pour ceux d'entre vous en ligne de par le monde, merci de nous écouter, pratiquement à minuit au Japon.
Un diaporama identique à celui que je vais vous montrer est en téléchargement sur le site web de Fairewinds pour ceux d'entre vous qui ne sont pas parmi nous et si vous voulez le récupérer, allez chez Fairewinds. Et il y a aussi une discussion Twitter en cours comme nous le disions plus tôt, et aussi chez Fairewinds sur Twitter.
OK, attachons nos ceintures et commençons.
Je voulais vous parler aujourd'hui de quand les gens savaient qu'il y avait des problèmes à Fukushima Daiichi, à la fois dans les décennies qui ont précédé l'accident, puis immédiatement après l'accident. Mais avant cela, il y a des centaines de personnes à Fukushima Daiichi et Daini que je voudrais reconnaître comme mes héros personnels. ça a été un accident, une tragédie, causée par l'échec de la technologie. Mais ce qui a sauvé la situation, ça a été le courage humain.
Nous avons donc ici un exemple de courage triomphant d'échecs de la technologie, grâce à plusieurs centaines de personnes qui ont tout risqué pour sauver le Japon et pour sauver le monde, et je suis en admiration devant ce qu'ils ont fait.
Les séquences : Dans les deux premières sections j'aimerais parler de ce qui s'est passé en 1965. Qu'est-ce que l'on savait, avant même que cette centrale ne démarre ? Les deux planches suivantes sont ce que l'on sait maintenant après l'accident.
L'accident de Fukushima a été fabriqué en Amérique. Le réacteur a été conçu par General Electric et construit par une entreprise nommée Ebasco. J'avais l'habitude d'aller dans les bureaux d'Ebasco ici même à Manhattan quand j'étais ingénieur à l'unité 1 de Millstone, qui est pratiquement identique à l'unité 1 de Fukushima Daiichi. Elle a été agréée par la Commission à l'Énergie Atomique qui était alors dans les années 60 l'autorité ultime d'accréditation nucléaire dans le monde – c'est du moins ce que nous pensions.
Ça n'est pas simplement un problème de Daiichi. Il y a 22 autres centrales similaires aux États-Unis. Et les centrales aux États-Unis sont par certains côtés bien pires, car il y a bien plus de combustible usagé dans les piscines qu'à Daiichi.
Les ingénieurs de General Electric et d'Ebasco ont commis 6 erreurs critiques en 1965 qui devaient mener le Japon à la ruine en 2011. Les 5 premières erreurs critiques tournent toutes autour du problème de ne pas vraiment comprendre la puissance d'un tsunami.
Ils ont réduit la hauteur de la falaise où la centrale a été construite.
Ils ont fait un mur anti-tsunami bas.
Les diesels ont été placés en sous-sols.
Les pompes d'urgence, appelées pompes de service, ont été placées dans un endroit où elles se sont retrouvées sous l'eau.
Et pour finir les réservoirs des diesels ont été placés de telle manière qu'ils ont aussi été inondés.
C'était des ingénieurs basés ici à New York qui n'ont simplement pas compris la puissance d'un tsunami. Le dernier problème du confinement Mark 1 est un peu plus vaste et j'y viendrai aussi.
C'est une photo de la falaise de Fukushima Daiichi en 1960 : elle faisait environ 115 pieds de haut [~35 m]. Les ingénieurs de GE et Ebasco l'ont arasée jusqu'à 10 mètres, c'est donc une falaise de 30 pieds.
C'est une photo après la construction de Daiichi. Ces zones ici et ici sont à 35 mètres. La zone le long de la côte est à 10 mètres et c'est une route d'accès taillée dans la terre pour avoir la centrale plus près de l'eau.
Tsunami est un mot Japonais venant de tsu qui signifie port et nami qui veut dire vagues. L'océan entier s'élève, et si vous êtes dans un bateau, vous ne savez pas que c'est un tsunami, car tout l'océan monte. Sauf quand il frappe un port, il devient alors terrifiant. Il se déplace à une vitesse proche de celle du son.
Les ingénieurs savaient pour les tsunamis, et j'ai pensé revenir 100 ans en arrière dans l'histoire du Japon pour voir ceux qui avaient frappé la côte Pacifique du Japon.
En 1896 il y a eu un tsunami de 40 mètres.
En 1923 il y en a eu un de 13 mètres.
En 1933 il y en a eu un de 28 mètres. Il détenait le record du nombre de victimes avant le tsunami de Daiichi. En 1944 il y a eu un 12 mètres, en 46 un autre 12 mètres. En 54 et 55, 10 ans avant que Fukushima Daiichi ne soit conçu, il y a eu 3 tsunamis, tous de plus de 13 mètres.
Le tsunami qui a frappé Fukushima Daiichi en 2011 était juste un tsunami modéré comparé à l'historique du siècle précédant. Mais face à cette histoire, le mur anti-tsunami a été construit à 4 mètres par les ingénieurs Américains, et par la suite relevé à 5,7 mètres.
De plus, les générateurs diesel ont été placés en sous-sol.
Les diesels peuvent être situés au sous-sol, mais vous devez pouvoir les mettre dans une sorte de conteneur étanche, ce qui n'a pas été le cas.
Il est important de savoir que General Electric a construit cette première douzaine de réacteurs Mark 1, sous la forme d'un “contrat clé en main”
Ils ont pris 60 millions de dollars pour construire ces centrales et y ont laissé leur chemise. Je le sais car j'ai travaillé sur l'un des ces réacteurs “clé en main” - Millstone 1 - à peu près au même moment. Donc il y avait beaucoup de pression économique sur General Electric pour maintenir les coûts bas car ils perdaient des sommes d'argent dramatiques sur la douzaine de réacteurs qu'ils ont construits selon cette formule clé en main.
De plus, les pompes à eau de service devaient être au niveau de l'eau, mais elles ont été conçues de telle manière qu'en cas de tsunami, elles auraient été inondées.
Donc peu importe que les diesels soient au sous-sol. Si les diesels avaient été en haut de l’Empire State Building, nous aurions eu le même problème, car les pompes de refroidissement de ces diesels auraient été inondées.
De plus les réservoirs de carburant pour ces diesels étaient aussi en zone inondable. De nouveau, ce n'est pas le fait que les diesels soient inondés; c'est à propos d'ingénieurs ici dans la ville de New York, des ingénieurs de GE et Ebasco, qui n'ont pas apprécié la magnitude d'un tsunami.
Voici un exemple. Voici la hauteur de la digue et bien sûr les pompes ont été totalement inondées. Le site était à 10 mètres, mais il y a eu 4 mètres d'eau en plus de cela. C'est une inondation de 12 pieds au dessus de la Terre-Mère. Ça arrivait pratiquement au bas de la salle de contrôle, voilà combien il y avait d'eau sur le site après le tsunami.
Maintenant il y a eu quelques problèmes politiques également.
General Electric, dont la devise dans les années 60 était “Notre plus important produit est le progrès”, a dit en 1961 : “Nous allons imposer ce truc nucléaire”.
Leur président est cité disant cela, et ils l'ont imposé. Ils ont rencontré le Comité Consultatif sur la Sécurisation des Réacteurs qui est en théorie un organisme indépendant conçu pour protéger les Américains dans ce cas, mais les décideurs ont été amenés à se conformer au design prévu pour le Japon également. Et le Dr. David Okrent qui était dans le Comité Consultatif a dit en substance que General Electric les a menacés de quitter le marché à moins que le Comité Consultatif ne continue avec ce modèle Mark 1. Des scientifiques aux États Unis, en 1965, on reconnu que ce modèle Mark 1 présentait des défauts, et comme l'a dit le Dr. Okrent, “Je pense que c'était une sorte de menace”.
Glenn Seaborg était alors le président du comité consultatif – on a en fait donné son nom à un atome, un élément “Seaborgium” porte son nom, c'est un poids lourd dans l'industrie nucléaire – et il a dit “Je ne pense pas que nous avions le pouvoir de les arrêter”. Maintenant réfléchissez à cela : c'était le gouvernement des États-Unis qui n'avait pas le pouvoir d'arrêter le concept défectueux de GE en 1966 !
Juste au moment où l'unité de Daiichi démarrait en 1972, il y a eu un échange de courriers fameux avec un responsable scientifique chez GE nommé Joseph Hendrie. Et M. Hendrie disait qu'il avait de sérieux doutes sur la conception de Daiichi, le confinement Mark 1. Mais comme je l'ai finalement souligné, il dit qu'il estimait qu'ils devraient être éliminés. Mais éliminer ce modèle Mark 1, je cite : “cela pourrait bien signifier la fin de l'énergie nucléaire, en créant plus de remous que je ne pourrais en supporter”.
Donc les remous qu'il a choisi d'éviter en 1972 sont devenus les troubles que Fukushima Daiichi a connus 40 ans plus tard.
Donc quand cette centrale a démarré – une conception “made in America” – c'était Fukushima Daiichi 1, les unités 2, 3 et 4 n'étaient pas encore construites. Fukushima Daiichi 1 a été construite par General Electric et Ebasco dans le projet clé en main,
Il n'y avait pas d'ingénierie Japonaise à Fukushima Daiichi 1, tous les problèmes que Daiichi allait affronter 40 ans après étaient en place. En substance, la mèche a été allumée à Fukushima Daiichi en 1970 et ça a explosé en 2011.
Si l'on fait une avance rapide de 40 ans, voici le site terminé juste avant l'accident,
et voici le tsunami frappant la centrale. Le terrain est descendu d'un mètre – 3 pieds – après le séisme. Le tsunami faisait 15 mètres de haut, mais souvenez-vous qu'il se déplaçait à la vitesse du son, donc la vague quand elle a frappé la centrale l'a en fait traversée à une hauteur de 46 mètres, par dessus tous ces bâtiments.
Donc quelle était la gravité ? Le secret est dans les hypothèses.
C'est la bande dessinée que je préfère au monde, et pour ceux qui ne peuvent la voir je vais la lire.
C'est Dilbert... Le patron à la tête en pointe dit : “Je peux faire cette analyse de faisabilité en 2...” Ah oui... Dilbert est interrogé par le patron à la tête en pointe et il dit : “Je peux faire cette analyse de faisabilité en 2 minutes”. Puis il dit “C'est la pire idée au monde. Les chiffres ne mentent pas”. Alors le patron à la tête en pointe dit : “Mais notre PDG aime cette idée”. Et Dilbert répond : “Par chance, les hypothèses, elles, mentent.”
Donc le message est ici : quand nous évaluons ces conséquences de Fukushima Daiichi, le secret est dans les hypothèses, et c'est ce sur quoi je vais passer le reste de cette présentation.
L'hypothèse n°1 est que les confinements conservent leur intégrité.
Après tout, on les appelle confinements pour une raison : ils sont prévus pour contenir. Aucun confinement au monde n'est conçu pour supporter l'onde de choc d'une détonation. C'est une onde de choc qui se déplace plus vite que la vitesse du son. Il y a 440 réacteurs nucléaires et aucun d'entre eux ne peut supporter une onde de choc de détonation, une onde de choc qui se déplace plus vite que le son, car les ingénieurs ont pensé que ça n'arriverait pas, que ça ne pourrait pas arriver.
Eh bien, juste après que ça se soit produit, il est intéressant que Chuck Casto de la NRC – c'est un gars important, il est en charge de la région 3 de la NRC dans les bureaux de Chicago, un gars très important de la NRC – a dit ceci : ''...bien sûr, ce confinement Mark 1 est le pire des confinements que nous ayons, et si vous avez ce qu'on appelle une perte d'alimentation externe, une “station blackout”, vous allez perdre le confinement. Il n'y a pas de doutes là-dessus.”
Donc, souvenez-vous que M. Hendrie de la NRC disait en 1972 que c'était le pire confinement du monde, et voilà la Commission de Régulation du Nucléaire [NRC] qui dit la même chose, immédiatement après l'accident.
Nous savions depuis 40 ans que ce modèle Mark 1 comme à Daiichi, c'était un accident attendant de se produire.
Bien, à quoi ressemble une fusion de cœur ?
Quand j'étais dans l’industrie, quelqu'un m'a donné un fragment de barre de combustible, sans combustible dedans. Et juste après l'accident, je l'ai chauffée à 2000°, voici à quoi ressemble une barre de combustible à 2000°. C'est ce qui s'est produit à l'intérieur des réacteurs à Fukushima Daiichi quand ils n'ont plus eu d'eau de refroidissement. C'est très chaud.
Ok, c'est une séquence d'images, je vais passer très rapidement.
L'unité 1 de Fukushima Daiichi a déjà explosé, elle est à l'extrême gauche, puis il y a les unités 2, 3 et 4. Gardez les yeux sur l'unité 3 au milieu.
Juste ici se trouve le début de quelque chose que la NRC pense ne pas pouvoir se produire : c'est l'onde de choc d'une détonation. Juste ici. Il y a le bâtiment intact. Voici le bâtiment qui explose avec la détonation. Mais ça ne peut pas arriver, donc… ne vous en souciez pas.
C'est la détonation image par image, et bien sûr nous avons tous vu la dévastation que l'onde de choc d'une détonation peut causer. Les confinements sont faits pour confiner, et ceci n'est pas supposé se produire.
La première seconde décomposée en 25 images (ce site ne fait pas partie de l'exposé d'Arnie Gundersen, mais il permet de réduire le nombre d'images de cet article)
L'hypothèse n°2, c'est la fuite de confinement.
Maintenant Dave Lochbaum s'était penché sur ce point avant même l'accident, et certainement pendant, comme Fairewinds : ce qui s'est passé à l'intérieur des réacteurs de Daiichi, c'est que la pression est devenue si élevée que les boulons qui maintenaient le confinement on commencé à s'étirer.
Et des gaz chauds radioactifs et de la vapeur radioactive ont commencé à fuir, ainsi que de l'hydrogène. En plus de l'hydrogène créé dans le combustible, il y avait également une fusion en cours, et ce combustible repose maintenant sur le béton. Le béton libérait également de l'hydrogène. Nous avions donc deux sources d'hydrogène après l'accident de Daiichi : Le combustible alors qu'il causait ce qu'on appelle une réaction zirc-water, une réaction zirconium-eau. Mais nous avions aussi la fusion qui créait davantage d'hydrogène car le combustible chaud était en contact avec le béton et cela libérait de l'hydrogène également.
La NRC considère qu'un confinement fuit de 1% par jour. Dans un bâtiment, une pièce de cette taille, nous disons que... les gaz qui sont produits, cela ferait environ 1%... ce qui veut dire qu'en une centaine de jours, les gaz de cette pièce partiraient et des gaz frais les remplaceraient. Mais ce qu'a dit la NRC lors d'un appel téléphonique le 23 mars, c'est que les réacteurs de Daiichi fuyaient à 300% par jour.
Cela signifie que les gaz à Daiichi quittaient le confinement en 8 heures.
Quelle que soit la radioactivité émise par ce combustible nucléaire, elle était libérée dans l'environnement en 8 heures, car le taux de fuite du confinement était de 300% par jour. Et non pas 1% comme le suppose la NRC.
L’hypothèse n°3 ce sont les gaz nobles.
Si vous vous souvenez de la chimie au lycée – levez la main ceux qui s'en souviennent. Je ne vois pas beaucoup de mains, “oh, je m'en souviens !” – à l’extrême droite de la table périodique se trouvent les gaz nobles, des choses comme le xénon ou le krypton. On les appelle nobles car ils ne réagissent avec rien.
Le combustible nucléaire est chargé de gaz nobles, et aussi longtemps qu'il garde son intégrité, les gaz sont emprisonnés à l'intérieur. Hé bien le combustible n'a pas gardé son intégrité, et tous les gaz nobles ont été libérés. Les données indiquent qu'à Chiba il y avait du xénon qui est un gaz noble, à 400.000 fois le taux normal, immédiatement après l'accident. Et aussi que la concentration de xénon à Chiba était de 1300 Becquerels par mètre cube pendant 8 jours. Un mètre cube, c'est 3 pieds par 3 pieds par 3 pieds, et imaginez cela, dans chaque mètre cube d'air à Chiba, il y avait 1300 désintégrations, émettant de la radioactivité chaque seconde, pendant 8 jours. Qu'est-ce que ces gens respiraient ? Des gaz nobles, qui ne peuvent être mesurés maintenant, ils sont partis.
Donc je pense qu'un des problèmes ici est que le gouvernement japonais n'a aucune idée de quelle exposition les gens de Chiba ont reçu de ce nuage de gaz nobles qui ont été rejetés.
Voici des données importantes, elles viennent de sortir. Le journal Mainichi a couvert cette histoire mais ce sont en fait des données de la préfecture de Fukushima et ça ne date que d'une paire de jours.
Accéder à la 2ème partie de la présentation :