8ème témoignage de Fonzy
Bientôt arrive le septième anniversaire de l’accident de Fukushima. Ici, tout fonctionne comme avant. Il y a beaucoup moins de manifestations antinucléaires, beaucoup moins de personnes qui continuent à mesurer régulièrement le taux de la radiation avec leur compteur Geiger ou le taux de césium avec leur détecteur Nal. Moi non plus d’ailleurs, cela fait déjà quatre ou cinq ans que mon compteur Geiger se trouve intact dans un tiroir. La radioactivité n’est plus un sujet de la conversation quotidienne. Pourtant, nous n’avons pas oublié Fukushima. Au contraire, Fukushima est omniprésent sur des affiches publicitaires à la gare, dans des émissions à la télé ou dans les supermarchés avec ses tomates, ses pêches ou ses brocolis, mais on ne montre guère le Fukushima qui est couvert de ses milliers de sacs noirs fourrés de terre contaminée, ni le Fukushima dont la terre et les forêts restent contaminées même après des séances de décontamination, ni les réfugiés souffrants qui désirent rester hors de leur pays natal même après la levée de l’interdiction. Bref, parler de Fukushima n’est pas un tabou, mais c’est toujours centré sur le genre « notre Fukushima, le très beau pays ».
Par ailleurs, il y a une autre « détabouisation » qui est en cours : la banalisation du cancer. Surtout, la banalisation du cancer de la thyroïde chez les enfants est courante : il y a des médecins qui disent que c’est une maladie tellement courante que l’on en découvre souvent, même des petites tumeurs avec lesquelles on peut vivre, etc… On remarque aussi depuis quelque temps des publicités lancées par le Ministre de la Santé qui encourage les « cancers survivors » de continuer à travailler, et également des téléfilms dont les protagonistes sont atteints d’un cancer grave… Enfin le cancer, qui était un tabou, ne l’est plus, car un Japonais sur deux « l’attrape » selon les spécialistes, du coup c’est une maladie banale.
Malgré tout, tous les Japonais ne pensent pas que les misères de Fukushima sont finies. Nous ne sommes pas dupes. Il y a souvent des pétitions contre les décisions de l’Etat qui force à retourner les anciens habitants dans les terres contaminées ou qui vise l’arrêt total du contrôle du césium des produits récoltés à Fukushima, et aussi sont en cours des procès pour les indemnisations des réfugiés ou des employeurs de Daiichi. Il y en a, comme moi, qui ne mangent toujours pas les produits du Nord-Est du Japon, et qui font toujours attention à ce qui se passe dans la centrale. De surcroit, nous nous préparons à des accidents nucléaires éventuels. J’ai récemment été à une assemblée qui distribuait des pastilles d’iode, organisée par une petite association bénévole très locale. Pourtant, à ma surprise, il y avait 350 personnes qui étaient venues à la distribution ! J’ai vu de jeunes mamans avec leurs bébés, des tontons sympas, des dames peu militantes, bref des personnes tout à fait « ordinaires » qui venaient pour chercher leurs pastilles d’iode pour se protéger contre la radioactivité. Cela montre que les Japonais savent maintenant que le nucléaire est équivalent au danger mortel, et qu’il faut se protéger contre un autre accident nucléaire futur, vu la grande probabilité d’un séisme important dans les 30 prochaines années dans la région de Kanto selon des sismologues.
Nous, les Japonais, nous nous mobilisons avec calme, pas de révolution comme chez vous. Même si à vos yeux nous ne faisons rien, nous continuons à combattre. Nous agissons en sourdine, petit à petit, un peu comme le césium dans le corps…