5 avril 2015 7 05 /04 /avril /2015 06:00

Quatre articles ont été publiés récemment sur Fukushima. Ils montrent que rien n’est réglé, que les mêmes questions se posent depuis 4 ans. Partir est une solution pour ceux qui s’en donnent les moyens. Rester est-il pour autant un acte qui fait le jeu du gouvernement qui souhaite le retour des populations en zone contaminée ? Dans une situation qui reste inextricable, il y a plusieurs « solutions », chaque individu fait son choix ou son non choix.

  • À Fukushima, la population est dans une situation inextricable
  • Partir de Tokyo
  • Quatre ans après, Fukushima
  • Fukushima : cogérer l’agonie

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« À Fukushima, la population est dans une situation inextricable »

par Louise Lis (site Le journal du CNRS)

Logements provisoires pour personnes déplacées dans la municipalité de Minamisoma, dans la région de Fukushima - T. MUNITA/The New York Times-REDUX-REA

Logements provisoires pour personnes déplacées dans la municipalité de Minamisoma, dans la région de Fukushima - T. MUNITA/The New York Times-REDUX-REA

Quatre ans après l’explosion d’une centrale nucléaire à Fukushima, le sort des populations concernées est loin d’être réglé. La chercheuse Cécile Asanuma-Brice décrypte la politique qui vise à inciter ces personnes à réintégrer les zones encore contaminées.

Résidente au Japon depuis près de quinze ans, Cécile Asanuma-Brice travaille au bureau du CNRS à Tokyo et est chercheuse associée au centre de recherche de la Maison franco-japonaise de Tokyo et au Laboratoire international associé « Protection humaine et réponse au désastre » (HPDR) créé par le CNRS et d’autres institutions françaises et japonaises, à la suite de la catastrophe de Fukushima. Le 11 mars 2011, un tremblement de terre suivi d’un tsunami avait provoqué l’explosion, le lendemain, d’une centrale nucléaire dans cette région.
  
             

Combien de personnes restent déplacées ? Dans quelles conditions vivent-elles ?
Cécile Asanuma-Brice : Le gouvernement japonais fait état de 118 812 personnes déplacées1, dont 73 077 à l’intérieur du département de Fukushima et 45 735 à l’extérieur, ce qui représente une baisse puisque les mêmes statistiques officielles affichaient 160 000 personnes déplacées en 2011, quelques mois après la catastrophe. En réalité, le nombre de personnes déplacées est bien plus élevé que cela. Car le système d’enregistrement mis en place par l’Administration est extrêmement contraignant et une partie non négligeable des habitants n’a pas voulu s’y plier. J’ai personnellement interviewé plusieurs familles regroupées au sein d’associations qui ont refusé cet enregistrement, car cela aboutissait à leur faire perdre des droits, notamment quant à la gratuité de leur suivi médical.

Dans un premier temps, le gouvernement japonais a ouvert à la gratuité le parc des logements publics vacants sur l’ensemble du territoire aux personnes qui souhaitaient s’installer ailleurs. Cette mesure était positive, même si elle ne s’est pas accompagnée de politiques d’aide à l’emploi qui auraient permis une intégration durable des nouveaux migrants dans les territoires d’accueil. En outre, cette directive a pris fin en décembre 2012. Simultanément, des logements provisoires ont été construits mais en partie sur des zones contaminées selon la carte de répartition de la contamination produite par le ministère de la Recherche du gouvernement japonais.

Dans la loi, la vie dans ces logements est limitée à deux ans en raison de l’inconfort des lieux. Mais le provisoire est en train de durer. Les réfugiés qui vivent sur ces terrains vacants aux marges des villes ont à leur charge la consommation d’électricité, de gaz et d’eau, et sont également contraints d’acheter les aliments qu’ils produisaient autrefois, la plupart d’entre eux étant fermiers. Le revenu de compensation de 100 000 yens (environ 750 euros, NDLR) par mois qui leur est versé par Tepco, l’entreprise de gestion de la centrale, est insuffisant pour couvrir ces frais. Enfin, des logiques de discrimination commencent à apparaître, pointant les réfugiés comme des « assistés », ce qui est extrêmement mal considéré dans un pays qui place très haut la valeur du travail.

Le 9 novembre 2013, M. Ônuma et son épouse sont venus déposer les os de leur défunt au temple de Futaba, leur ville d’origine aujourd’hui inhabitable à cause de la radioactivité. Sur le portique derrière eux, on peut lire : «Le nucléaire, l’énergie pour un futur radieux.» - © M. Ônuma

Le 9 novembre 2013, M. Ônuma et son épouse sont venus déposer les os de leur défunt au temple de Futaba, leur ville d’origine aujourd’hui inhabitable à cause de la radioactivité. Sur le portique derrière eux, on peut lire : «Le nucléaire, l’énergie pour un futur radieux.» - © M. Ônuma

Les populations expriment-elles le souhait de rentrer chez elles ? Quel est l’état d’esprit dominant ?
C. A.-B. : Beaucoup de familles sont installées loin de leur village d’origine tandis que les pères continuent de travailler dans le département où elles vivaient. Une majorité d’entre elles sont propriétaires de leur maison ou appartement ; elles ont emprunté pour cela et il leur est par conséquent très difficile de tout abandonner sans l’application d’un droit au refuge, soit l’assurance d’une compensation financière et d’une aide à la recherche d’emploi dans la région d’accueil. Cela serait envisageable si l’on considère les sommes faramineuses consacrées à la décontamination inefficace des territoires. Ces habitants sont mis dans une situation inextricable et cela se traduit par un taux de divorce élevé, de même que celui des suicides et des dépressions nerveuses…

Néanmoins, le gouvernement entretient soigneusement l’idée d’un retour possible et tend à rouvrir progressivement les zones qui étaient interdites à l’habitation. Ainsi, la zone de réglementation spéciale qui recouvrait les neuf collectivités locales autour de la centrale a été totalement supprimée, ce qui recouvre une population de 76 420 personnes. Un peu moins de deux tiers d’entre elles – 51 360 personnes exactement – se trouvent dans la zone de « préparation à l’annulation de la directive d’évacuation » – dont le taux de contamination est en deça de 20 millisieverts (mSv) –, ce qui signifie qu’elles peuvent se déplacer librement dans cette zone durant la journée afin d’entretenir leur habitat ou d’y travailler. L’annulation de la directive a été effective en partie en 2014. Dans la zone de restriction de résidence, qui concerne 25 % des habitants (19 230 personnes), il est permis d’entrer et de sortir librement pendant la journée mais pas de travailler.

 

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Lire la suite ici : https://lejournal.cnrs.fr/articles/a-fukushima-la-population-est-dans-une-situation-inextricable

 

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Partir de Tokyo

Témoignage de Yabu sur le site lundimatin

Où Yabu nous raconte sa fuite de la capitale le lendemain de l’accident nucléaire, et des rencontres improbables qui s’en sont suivies.

 

L’après-midi du jour du séisme...

L’après-midi du jour de séisme, les transports publics ne marchaient plus à Tokyo, nous n’avions plus aucun moyen de rentrer à la maison, en tout cas pour tous ceux qui vivaient en banlieue. Des dizaines de milliers de gens marchaient jusqu’à leur maison, c’était une scène spectaculaire. Un ami m’avait prêté un vélo pour aller de Shinjuku à Kita-ku, il y a un peu moins de 10km, je suis donc rentré à la maison de cette manière. Heureusement, tout allait bien chez moi. J’ai allumé la télé, je crois me souvenir vers 18h ou 19h et j’ai vu un flash d’info qui parlait de la centrale de Fukushima Daiichi, ils disaient que le système de refroidissement était tombé en panne. Et comme j’avais déjà des connaissances sur le nucléaire avant l’accident, j’ai donc tout de suite compris l’ampleur de la situation, j’ai réalisé intuitivement que Tokyo ne serait pas à l’abri.

J’ai surtout pensé alors à comment protéger ma fille contre la radiation, je suis donc allé à la pharmacie, j’ai demandé des pastilles d’iode, mais il n’y en avait pas. Les pastilles d’iode ne sont pas des produits commercialisés qui circulent normalement, de ce fait, faute de mieux, j’ai acheté de la teinture de l’iode. J’en ai dilué et ma fille et moi en avons bu.

Points de vue sur Fukushima

Nous sommes partis avec ma fille

Le lendemain, la situation ne s’était pas vraiment arrangée, mais les transports publics reprenaient peu à peu. Je suis donc allé à la Gare de Tokyo pour voir si je pouvais prendre un Shinkansen (TGV japonais) pour Nagoya où vit ma mère, comme il circulait normalement, je suis parti avec ma fille. On a dû arrivés chez ma mère vers midi ou 15h, je regardais la télé pour suivre les infos, et c’est à ce moment là que j’ai appris que la centrale de Fukushima Daiichi avait explosé. Je me suis dit qu’il serait difficile de rentrer à Tokyo, c’est vrai qu’il y a tout de même 250 km qui séparent la ville de la centrale, mais il faut savoir que la plaine de Kanto, c’est tout plat, rien ne peut faire écran au panache radioactif, je me suis dit alors qu’il était fort possible que la contamination arrive jusqu’à Tokyo.

Je continuais à regarder la télé à Nagoya. Petit à petit, mes proches sont venus me rejoindre chez ma mère pour se réfugier temporairement. On regardait la télé tous ensemble, je crois me souvenir c’était environ le 20 mars. L’iode radioactif a à ce moment là été détecté dans l’eau du robinet de Tokyo, laquelle vient pour moitié du fleuve Tone-gawa, l’amont du fleuve Tone-gawa se trouvant dans le département de Tochigi, qui est un département voisin de Fukushima. Là-bas, c’était contaminé. Un peu plus tard, dans l’Est de Tokyo, notamment dans le quartier Tokatsu, un niveau de radiation élevé a été constaté dans l’air. Le panache radioactif était parvenu jusque là. Fin mars, nous avons déménagé précipitamment de Tokyo à Nagoya, en avril, ma fille a commencé à aller à sa nouvelle école [1] .

On s’est dit qu’il faudrait aller prendre des mesures par nous-mêmes
Au début, c’était très difficile d’avoir une idée de la contamination exacte à Tokyo, le problème étant qu’il n’y a qu’un point de surveillance, placé très haut, pour l’ensemble de la ville de Tokyo. C’est un équipement qui date de l’époque des essais nucléaires atmosphériques, il n’est donc pas adapté à un environnement humain. C’est pour cette raison que l’on s’est dit qu’il faudrait aller prendre des mesures par nous-mêmes. Je suis donc retourné à Tokyo pour cela, à la fin du mois de mai, après mon emménagement à Nagoya. Il me fallait d’abord des compteurs-Geiger mais ils étaient difficiles à trouver, j’ai donc demandé à mes amis japonais vivant en France qui m’ont fait savoir que la CRIIRAD viendrait bientôt faire une conférence à Tokyo, il était également prévu qu’elle se rende à Fukushima. Les gens de la CRIIRAD [2] nous ont proposé de nous donner deux compteurs-Geiger si nous les aidions à organiser la conférence à Tokyo.

J’ai fait appel aux amis de Tokyo pour organiser la conférence, nous l’avons intitulée : « Mesure citoyenne de la radiation pour les amateurs, pour n’importe qui ». Les chercheurs de la CRIIRAD ont expliqué comment utiliser un dosimètre, son principe, etc. Mais nous avons été victimes de notre succès, plus de 200 personnes sont venues, beaucoup de jeunes pères et mères comme moi-même, et ce bien qu’elle ait été organisée en urgence. La salle était trop petite pour accueillir tous ceux qui voulaient entrer.

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Lire la suite ici : https://lundi.am/Partir-de-Tokyo

 

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Quatre ans après, Fukushima

par Kolin Kobayashi

 

Quatre ans ont passé, nous sommes toujours dans l’état d’urgence. Cet état d'urgence ne sera levé qu'à condition que le niveau radioactif passe en dessous de 1mSV/an et qu’il n’y ait plus de zone sous contrôle.

Dans la loi japonaise, si le taux radioactif dépasse 40 000 bq/m2, la zone est mise sous contrôle administratif. Deux tiers du département de Fukushima et quelques autres zones chaudes sont dans ce cas de figure. Ces espaces sont en principe inhabitables, parcourus par des experts qui ont le droit d’entrer et sortir, l’eau est impropre à la consommation, alors qu’il y a environ 2 millions d’habitants qui y vivent encore aujourd’hui. Ces zones doivent donc être classées officiellement comme zones sous contrôle administratif, c'est ce que déclare avec insistance le Prof. Koïdé Hiroaki. (Par parenthèse, à Tchernobyl, il y a 15 millions d'habitants qui vivent aujourd'hui dans les régions qui devraient être considérées comme des zones sous contrôle administratif selon les normes internationales. Les conséquences de Tchernobyl n'est donc pas finies aujourd'hui encore après 29 ans).

 

Sur tous les fronts, la bataille fait rage

D'abord, la question du redémarrage :

On sait que le gouvernement Abé voudrait faire redémarrer malgré d'autres risques de séisme possibles. Le ministère de l'économie et de l'industrie essaie de corrompre les communes où se situent les centrales en proposant une subvention trois fois plus importante que celle de l'an dernier, soit 2,3 milliards de yen (=775 190 euros), afin qu'elles acceptent rapidement le redémarrage. Les centrales de Sendai, de Takahama, et de Ohi ont déposé une demande de redémarrage et l'Autorité de régulation nucléaire a l'intention de leur donner son feu vert. N'oublions pas que le président de l'Autorité est un scientifique, venu du lobby nucléaire dont la nomination a été très contestée. Tout de même, il y a une question administrative à surmonter. A la question d'un député d'opposition sur l'obtention de l'accord des communes situées dans un rayon de 30 km autour des centrales, le ministère de l'écologie a répondu que cet accord était indispensable, pour des raisons de mise en place des dispositifs d'évacuation des populations en cas d'accident. Quant à la centrale de Sendai, le gouverneur de Kagoshima et le conseil général ont donné leur aval, mais il y a un certain nombre de communes qui restent en désaccord justement sur la question de l'évacuation.

 

Retour de la population et travaux de décontamination

La politique gouvernementale du régime Abé sur les réfugiés consiste à ouvrir des zones de préparation au retour pour 32 000 personnes, comme Minami-Soma, Naraha, ou une partie de Tomioka et de Kawachi, Katsurao et Kawamata. La normalisation de ces zones et la sortie de l'état d'urgence sont nécessaires pour pouvoir commencer à préparer les Jeux olympiques de Tokyo de 2020. D'après les sondages, il n'y a qu'entre 12 et 17% de cette population qui accepterait de revenir dans les zones préparées, principalement des personnes de plus de 50 ans.

Mais les travaux de décontamination ne décontaminent pas et transfèrent la radioactivité ailleurs. Le gouvernement annonce quand même qu'ils ont avancé que 14 % sur l'ensemble des zones à décontaminer.

 

Gestion de l'eau contaminée

Cela a commencé depuis le tout début de l’accident en 2011. La fuite d'eau devient un défi quotidien impossible de 6 000 travailleurs nucléaires sur place. Mais cette affaire est finalement ingérable, c'est comme le mythe de Sisyphe. Concernant la dernière fuite ( février 2015), le niveau radioactif est 70 fois plus élevé que le taux normaux, TEPCO a caché l'information depuis mai dernier et l'Autorité de régulation nucléaire la laisse faire sans aucun contrôle.

En 2013, d’après TEPCO, l'eau contaminée évacuée contenait 14 milliards de Bq/par jour du Strontium90, 25 milliards de Bq/jour de Césium137, et 25 milliards de Bq/jour Tritium.

En 2014, 5 milliards de Bq/j de Tr90, 2 milliards de Bq/j de Césium137, et 15 milliards de Bq/j de Tritium.

En 2015, le Tr90 en est à 7230 Bq/litre.

L'AIEA préconise de verser l'eau contaminée dans la mer après l'avoir filtrée par un système de décontamination globale, mais qui ne filtre pas le Tritium puisqu'il fond dans l'eau. La Fédération nationale des syndicats de pêcheurs japonais s'oppose farouchement contre une telle décision.

 

Situation sanitaire

Au Japon, nous sommes toujours sous l'état d'urgence décrété le 11 mars 2011. Pour que la déclaration soit levée, il faut que le niveau radioactif redevienne normal, c'est-à-dire 1 mSV/an et que des zones sous contrôle soient supprimées, sauf les zones de non-retour. C’est la raison pour laquelle le gouvernement japonais se précipite de faire revenir la population locale dans son habitat d'origine. Mais on n'est encore très loin de la normalisation.

Quand on aborde la question de la santé après l'accident de Fukushima-Daiichi, on a l'impression d'être dans un brouillard épais. Pourquoi cette invisibilité profonde ? Il y a deux raisons principales. Premièrement, les effets des radiations sur le corps humain ne sont pas toujours évidents, il y a les effets dits stochastiques et les déterministes. Les premiers se verront dans dix à vingt ans, voire plus de trente ans, les seconds sont les réactions immédiates, dont on n’a pas besoin de parler puisqu’ils sont déjà reconnus (brûlures, détérioration de peau, saignements, cheveux tombés, cancers,  décès...). Mais pour les effets stochastiques, avec le temps, ils pourraient être attribués à d’autres causes, car le savoir scientifique d'aujourd'hui refuse de reconnaître l'impact de la radioactivité dans certaines maladies somatiques. Pourtant, depuis Tchernobyl, la science a connu un certain progrès, notamment dans le domaine de la biologie moléculaire pour déterminer les réactions des radionucléides dans les tissus. Deuxièmement, il y a une volonté de minimisations, de falsification, et de désinformation de la part des autorités nationales et internationales, de TEPCO, et des experts de radioprotection des organisations internationales, et Yves va aborder précisément cette question. Ces procédures ne sont pas nouvelles à Fukushima, mais on les observe depuis l'accident de Tchernobyl. C’est souvent le même discours, le même dogme mensonger propagé par les mêmes acteurs. Chaque fois qu'on parle de la gestion de la santé lié aux accidents nucléaires, on doit dénoncer ce système de censure instauré par la mafia atomique qui comprend non seulement les autorités locales et nationales mais aussi les organisations internationales telles que l'AIEA, l'UNSCEAR et la CIPR.

(…)

Lire la suite : http://echoechanges-echoechanges.blogspot.fr/2015/03/quatre-ans-apres-fukushima.html

 

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Fukushima : cogérer l’agonie

par Nadine et Thierry Ribault

Cet article a été publié sur le site de Paul Jorion

 

En ce 11 mars 2015, quatre ans après l’inachevable désastre nucléaire de Fukushima, on peut, bien entendu, établir un bilan officiel : 87 enfants atteints d’un cancer de la thyroïde, 23 autres suspectés de l’être, 120.000 « réfugiés », 50.000 liquidateurs mobilisés au seuil sacrificiel dûment relevé, des piscines remplies de combustibles prêtes à nous exploser au nez, des rejets massifs et réguliers d’eau contaminée dans l’océan, pas moins de 30 millions de m3 de déchets radioactifs à stocker pour l’éternité.

Ce bilan existe. Nous vous y renvoyons.

 

L’État fait des habitants de Fukushima des cogestionnaires du désastre

Une fois ce « bilan » dressé, une fois les victimes et les inquiétudes considérées avec respect, il s’agit de tirer les conclusions qui s’imposent. L’une d’entre elles est la suivante : au fur et à mesure que se mettait en place l’aide fournie par des groupes citoyens, des ONG, des structures plus ou moins indépendantes, l’État faisait des habitants de Fukushima, indéniablement et sous couvert de « participation citoyenne », des cogestionnaires du désastre. On pourra nous opposer que cet élan civique a relevé de la spontanéité, voire de l’amour du prochain, que l’État n’a donné aucun ordre allant dans ce sens, que chacun était, et reste, libre de « s’engager » dans de tels mouvements, certes ! Cependant, beaucoup des hommes et des femmes qui l’ont fait, même si c’est inconsciemment, ont fait le jeu de l’État.

Voilà ce que nous avons constaté.

La plupart de ses groupes citoyens, ces ONG, ces structures plus ou moins indépendantes ont appelé les habitants à s’équiper de dosimètres, les ont aidé à s’en procurer ou à s’en fabriquer sur le mode do-it-yourself, les ont assistés dans la tâche pharaonique d’une impossible décontamination, ont réuni des fonds aux sommes parfois colossales pour acheter des équipements permettant d’effectuer des anthropogammamétries, y ont fait asseoir leurs congénères pour leur asséner des chiffres dont ils ne savaient que faire, ont élaboré des cartes des retombées radioactives au mètre près, ont ouvert des dispensaires dédiés à l’évaluation des doses reçues et au suivi sanitaire des populations. Ces « initiatives citoyennes » ont visé à rendre compte d’une réalité dont les protagonistes estimaient qu’elle était niée par les autorités. Ce faisant, plutôt que de les mener à « sauver leur vie », autrement dit prendre leurs jambes à leur cou (comme l’ont fait certaines structures, dans le Yamanashi par exemple, aidant les gens à refaire leur vie ailleurs), la plupart d’entre elles ont aidé les gens à rester sur place, ce qui a fait le jeu d’un État qui n’avait d’autre objectif, dès le début des évènements, que de maintenir les populations en place. Ce faisant, plutôt que de remettre en question la thanato-politique de folles sociétés humaines bâties sur le danger et le gouvernement par la mort, ces structures ont appris aux gens à vivre avec, attendu que les dosimètres créeraient le miracle.

De Tchernobyl à Fukushima, la cogestion a fait faire un bond qualitatif à l’administration du désastre : travaillant à la grande inversion du désastre en remède, elle a porté à un degré de perfection jamais atteint jusqu’à présent la responsabilisation de chacun dans sa propre destruction et la nationalisation du peuple qui la fonde.

 

Groupes indépendants… intégrés

Prenons deux exemples qui montrent comment, un jour ou l’autre, ces structures plus ou moins indépendantes l’ont été de moins en moins et se sont, avec plus ou moins d’état d’âme, ralliées aux structures étatiques.

Premier exemple : Ethos, programme développé en Biélorussie dans les années 1990 pour « améliorer les conditions de vie dans les zones contaminées », soutenu par la commission européenne, dont le leader était notamment directeur du CEPN, Centre d’études sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire, association financée par EDF, le CEA, la Cogema et l’IRSN. Un clone de ce programme, Ethos in Fukushima, est né au Japon six mois après le 11 mars 2011, à l’initiative d’une ONG locale visant à soutenir le moral des troupes contaminées à travers des réunions d’information où sont prônées l’entraide entre les habitants et des mesures illusoires de protection contre la radioactivité. Le mot d’ordre de l’ONG, dont la foi, logiquement, renverse les montagnes, est : « Malgré tout, vivre ici, c’est merveilleux, et nous pouvons transmettre un avenir meilleur ». L’élève ayant rapidement dépassé le maître, cette initiative a fait l’objet d’une prise en main de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), qui a mené à la mise en place de « Dialogues ». Ces séminaires participatifs ont alors rassemblé des élus, des experts scientifiques et des groupes de citoyens soucieux de « revitaliser » les zones contaminées qui en avaient bien besoin, afin d’inculquer une « culture pratique radiologique » et d’aider chacun à « optimiser les doses ».

(…)

Lire la suite : http://www.pauljorion.com/blog/2015/03/13/fukushima-cogerer-lagonie-par-nadine-et-thierry-ribault/#more-73924

 

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commentaires

R
Il est très utile de pouvoir, grâce à des articles comme ceux-ci, suivre l'évolution de la situation post-accidentelle pour la population. Sur place, l'impression générale affichée est qu'il faut "regarder avec confiance vers l'avenir". En privé, on a des doutes sur la contamination et la sécurité de l'alimentation, mais on les garde pour soi. En réalité, et ces articles le montrent, malgré les études, les publications, les assurances données de source officielle, et même malgré les efforts de quelques particuliers pour faire des mesures, personne ne semble pouvoir dire quelle est l'étendue exacte du danger: combien y a-t-il de hot spots, comment sont-ils répartis,quels sont les différents radionucléides présents dans l'eau, dans la poussière, dans l'air, dans l'alimentation, dans nos organismes? ... Comme cela a été dit, nous sommes les cobayes d'une expérience bio-radiologique aventuriste à (très) grande échelle.
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Dossier sur le rejet des eaux contaminées dans le Pacifique

« Fukushima - Rejets dans le Pacifique : clarification et mise en perspective »

Une analyse critique des données concernant les rejets des eaux radioactives de la centrale de Fukushima Daiichi initiés en août 2023, dossier réalisé par la CRIIRAD qui tente de répondre à ces questions : Quels sont les principaux défis auquel est confronté l’exploitant de la centrale ? Quels sont les éléments radioactifs rejetés dans le Pacifique ? Les produits issus de la pêche sont-ils contaminés ? Est-il légitime de banaliser le rejet d’éléments radioactifs, notamment du tritium, dans le milieu aquatique ? Qu’en est-t-il en France ?

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