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La catastrophe de Fukushima a inspiré Audrey Vernon pour écrire un spectacle poético-écologique intitulé « Fukushima work in progress. Une légende japonaise ». En compagnie de Xavier Mathieu, elle le présentera au public de la région parisienne les 19, 20 et 21 mai 2015 à l’Avant Seine / Théâtre de Colombes. Le blog de Fukushima a voulu en savoir plus sur cette œuvre originale en interrogeant sa créatrice.
BF : Qu’est-ce qui vous a motivé pour faire un spectacle sur le thème de Fukushima ?
AV : Après Comment épouser un milliardaire et Marx et Jenny, deux spectacles sur le capitalisme et le capital, il m'a semblé que Fukushima était l'apogée de l'irresponsabilité totale du capitalisme, de la quête de profit qui passe avant tout. Avant même la vie et la mort. C'est l'exemple ultime du capitalisme qui, par appât du gain, fait une énorme bêtise et ne sait que répondre après sinon : « Je suis désolé ». Personne n'a été condamné, personne ne le sera. Et qui va payer ? Les Japonais et le monde entier.
Voilà le capitalisme encore une fois résumé : l'enrichissement de certains par l'appauvrissement de tous... Je suis fascinée de voir que la vie continue pour les responsables, là où elle s'est arrêtée pour les 160 000 déplacés, les 16 000 morts et les populations locales qui ont été privées de leur passé, de leurs racines et parfois de leur futur. Personne ne se soucie d'eux. Ils sont devenus des parias : être victime du capitalisme est presque considéré comme un crime.
BF : Quelles ont été vos sources pour écrire ce spectacle ?
AV : Le blog Fukushima a été une aide précieuse pour trouver les documents officiels et notamment le rapport de la commission d'enquête sur l'accident, véritable base de travail pour moi. Egalement les traductions des différents témoignages, ceux de Hori Yasuo, de Naoto Kan et Masao Yoshida. Le blog de Fukushima a été une de mes sources principales avec le livre d'Antonio Pagnotta, Le Dernier Homme de Fukushima.
BF : En quoi votre spectacle peut faire prendre conscience des dangers du nucléaire ?
AV : Je pense que mon spectacle dévoile la vérité de l'accident, point par point, de façon factuelle, donc objective. Voilà ce qui s'est passé : pendant 10 heures le réacteur numéro 1 n'a plus été refroidi puis, puis, puis... Je veux que chacun se fasse son idée. Je montre l’irresponsabilité de comportements capitalistes.
Quelques jours avant, un rapport montrait déjà les dangers. Ce qui est fou c'est que ça aurait pu être bien pire : la gestion de la crise a vraiment été menée par des gens dévoués et sacrificiels. Ils ont tout fait pour que la catastrophe soit contenue. Et voilà ce que donne le « minimum » de dégâts : 3 coriums, des kilomètres carrés inhabitables, une pollution radioactive incessante... C'est le résultat avec 54 centrales qui se sont arrêtées. On peut imaginer ce qui se passerait dans d'autres circonstances. Si l’accident à Fukushima n’avait pas été « contrôlé », que serait-il advenu ? Et que pourrait-il se passer en France où nous en avons 58 ?
L'énergie nucléaire n'est pas maitrisable, il suffit de 3 heures sans surveillance et le combustible commence sa course à la catastrophe. Comment accepter que, partout dans le monde, il existe des choses si dangereuses qu'on ne peut les quitter des yeux plus de 3 heures ? Sans parler du fait qu'une fois la réaction de fission arrêtée, il faut refroidir pendant des années pour éviter la fusion du "combustible. Ces centrales électriques sont immaitrisables sans électricité. C'est tellement absurde.
Ce que j'ai trouvé drôle, c'est l’aspect humain de la situation : tout à coup des ouvriers en situation de panique, sans lumières, sans instruments de mesure doivent contrôler 3 réacteurs nucléaires avec les moyens du bord, des lances à incendies, des batteries de voitures... Et les réacteurs tout à coup deviennent très poétiques : ils ont l'air de s'éclater dans la catastrophe, comme si leur instinct reprenait le dessus, comme des tigres de cirque retournés à l'état sauvage et qui mangent leur dresseur. L'instinct de l'énergie nucléaire n'est pas d'être contenue.
BF : En utilisant la scène comme « espace de lutte » pouvez-vous expliquer comment la culture peut avoir un rôle à jouer dans l’évolution de notre société ?
AV : Vu que les puissants, les hommes politiques et les médias en général se foutent de la survie des êtres humains et de la planète, il me semble que les artistes et le peuple doivent s'unir pour essayer de changer les choses. Je n'utilise pas la scène comme un espace de lutte mais comme un espace de création. Sur une scène, on peut recréer le monde, le modifier, montrer comment il pourrait exister si... Et ensuite le public se fait son idée.
Je ne sais pas comment l'art peut changer le monde mais il me semble que Delacroix, Hugo, Marx - que je place parmi les artistes - ou Mozart ont inspiré des gens pour le faire. Les artistes ont du temps, toute leur journée (surtout moi en tant qu'actrice), pour rêvasser, lire, écrire... On est là pour essayer de réfléchir autrement. Je trouve que l'art donne du courage, de l'inspiration, pour devenir « the tipping point », cet élément qui fait basculer le système. Sans cette possibilité, la vie serait trop triste. Heureusement qu'on a le droit de rebattre les cartes. Je suis aussi contente de travailler avec Xavier Mathieu qui porte en lui cette révolte contre le capitalisme destructeur de vies humaines. Ce capitalisme qui avance une fin de non-recevoir quand ça l'arrange.
En tout cas, j'ai adoré créer le spectacle Fukushima, même si c'est la matière la plus triste, la plus dense et la plus profonde sur laquelle j'ai travaillé. En général, j'arrive à écrire des journées entières quand je suis lancée. Pour Fukushima, j'étais obligée de m'arrêter au bout de 3 ou 4 heures, sinon j'avais l'impression d'être complètement irradiée et épuisée. Et je suis ravie de jouer le spectacle maintenant, alors que l’actualité nucléaire est toujours brûlante au Japon, mais surtout en France. Vu ce qui se passe autour d'Areva et EDF, le gouffre financier, la menace permanente, l'obligation de rogner sur tout, les risques d'une catastrophe écologique, humaine, etc. On devrait être 65 millions actuellement à croiser les doigts.
En savoir plus sur le spectacle d’Audrey Vernon : cliquez ici.
La bande annonce du spectacle
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Dernière mise à jour : 12/05/15