6 août 2014 3 06 /08 /août /2014 21:53

Texte de HORI Yasuo, rédigé le 10 juillet 2014

traduit de l'espéranto par Paul SIGNORET

 

_________________

 

 

Visite de Namie, ville située dans le rayon de dix kilomètres

 

Au cours des trois dernières années, j’ai visité presque toutes les villes situées sur le rivage du Pacifique, hormis celles qui sont dans le rayon de dix kilomètres autour de la centrale n°1 de Fukushima. Ces derniers temps il était devenu possible de pénétrer dans ce secteur après avoir reçu l’autorisation des villes concernées, mais je n’avais pas eu l’occasion de le faire.

Il y a deux semaines, je suis tombé par hasard sur la page d’accueil de l’organisation paysanne “Nomado”, sise dans la ville de Sōma, et j’ai découvert qu’elle organise des visites touristiques dans ce secteur, non seulement pour des groupes mais aussi pour des particuliers. J’ai aussitôt téléphoné et décidé que je m’y rendrais le 8 juillet.

Pour parvenir à Sōma, je devais d’abord aller à la ville de Fukushima et, de là, prendre le bus pour Sōma. J’ai pris la décision d’arriver à Fukushima le 7 juillet, à midi, et de parcourir divers endroits de la ville pour en mesurer la radioactivité. Dans ce but, j’avais emporté un dosimètre.

 

Dans la ville de Fukushima

 

Mais au préalable je veux montrer  ce chiffre :

« 0,230 microsieverts/heure », maximum de la norme fixée par le gouvernement. »

Si un lieu est pollué au-delà de cette norme, il est interdit d’y habiter, et le gouvernement doit le dépolluer. Il vous faut juger du danger de radioactivité selon cette norme.                      

Je suis parti de la gare Ōmiya, voisine de Tokyo, par le rapide Shinkansen. Voici quelle était l’intensité de la radioactivité en divers lieux du parcours :

 

Ϟ Chez moi (à 250 kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima) :  

0,035

Ϟ Utsunomiya, département Tochigi (à 130 km de la centrale, dans le wagon) :

0,030

Ϟ Kōriyama, département Fukushima (à 50 km de la centralo, dans le wagon) :

0,072

Ϟ Ensuite les chiffres ont augmenté :         0,108, 0,113, 0,119

Ϟ Place, devant la gare de Fukushima (à 50 km de la centrale)

                                      0,123 ~ 0,148

Ϟ Rue, devant la gare    0,655 ~ 0,829

Ϟ Jardin du Musée d’art départemental, dans la ville de Fukushima

                                             0,207

Ϟ Au pied de la colline Shinobu, dans la ville de Fukushima

                                      0,965 ~ 1,384

À côté de ce dernier endroit se trouvent des maisons et certainement des enfants y logent. Or selon la loi, on ne peut y habiter et il est de la responsabilité du gouvernement de la nettoyer. Ayant trouvé des lieux à fort rayonnement ionisant, j’ai commencé à m’inquiéter.

 

Ensuite j’ai mesuré la radioactivité d’un caniveau, au pied de la colline Shinobu. Lors de chaque mesure, je dois attendre trente-cinq secondes avant que le dosimètre ne livre son verdict. En regardant défiler les secondes sur le cadran, je comptais mentalement : 5, 4, 3, 2, 1, et voilà qu’apparut le nombre 7,308.

Visite de Namie

Est-ce que ça ne serait pas plutôt 0,730 ? Mais les nombres qui s’affichaient l’un après l’autre allaient croissant : 7,325, 7,496, 7,866, 8,213, 8,498, 8,858, 9,233. J’étais surpris. 9, à présent ! Et ça ne s’arrêtait pas : 9,918, 9,999, puis tout à coup, plus rien ! Que se passait-il ? J’ai regardé de plus près le cadran et j’ai vu que 9,999 était la limite au-delà de laquelle on ne peut plus mesurer. Je n’ai donc pas su quel était le taux de radioactivité de ce lieu. Choqué, j’ai écarté du ruisseau ma main gauche, qui tenait le dosimètre. Je craignais qu’elle n’ait été exposée à une très forte irradiation.

Visite de Namie

J’ai fait cette mesure dans le caniveau qu’on voit à droite sur la photo. En contrebas, on aperçoit une maison. Des matières radioactives s’écoulent vers le bas avec l’eau, donc je suppose que cette maison est très polluée. J’avais déjà entendu dire que la colline Shinobu l’était aussi, mais c’était la première fois que je le constatais de visu. Des gens de Fukushima logent en un tel lieu, en sachant ou en ignorant la chose. Personne ne peut individuellement dépolluer la colline, donc le choix offert aux habitants est de loger ici ou de fuir ailleurs. Le gouvernement et TEPCO n’ont ni l’intention ni la capacité de nettoyer la colline tout entière et ce sont toujours les faibles qui sont les victimes. Il est certain que, le long de ce chemin, des enfants passent chaque matin pour aller à l’école. Ils ignorent qu’ils s’exposent ainsi à la radioactivité, et dans dix, vingt ou trente ans ils pourront tomber malades sans que personne n’en sache la cause. Ils ne pourront donc recevoir aucune indemnité. Ils ne pourront que se résigner à leur sort.

 

 

 

Dans la ville de Namie

 

Le 8 juillet, à neuf heures, je suis arrivé au bureau de Nomado, dans la ville de Sōma. Là, attendaient déjà deux autres participants et un guide, M. Miura. Celui-ci est l’un des responsables de Nomado, société fondée dans le but d’aider les paysans victimes du tsunami et de l’accident nucléaire. Lui aussi, du reste, est une victime, puisqu’il a perdu sa maison et ses champs à cause du raz-de-marée et il a dû fuir à cause de l’accident. Pourtant il n’a pas été complètement vaincu. Il parlait gaiement et avec humour et il était même éloquent. Il croit fortement à la justesse de sa cause et c’est pourquoi il n’a pas perdu sa pugnacité vis-à-vis du  gouvernement et de TEPCO.

Nous sommes partis en voiture de la ville de Sōma, et après avoir traversé   Minami-Sōma et Odaka, nous avons atteint la ville de Namie, qui est dans le rayon de dix kilomètres autour de la centrale nucléaire n° 1 de Fukushima.

Visite de Namie

À trois reprises déjà, j’ai visité les villes de Sōma, Minami-Sōma et Odaka. Cependant, à ces occasions, je n’avais pas emporté de dosimètre et j’ignorais donc le taux de radioactivité de ces villes. Pour la première fois, j’ai effectué des mesures et j’ai su que, contrairement à ce que je supposais, elles n’étaient pas très polluées :

 

Minami-Sōma                   0,558 microsieverts/heure

Odaka                      0,139            "

Idagawa de Odaka   0,034            "

Gare de Namie                  0,626            "

 

On explique la chose ainsi :

Quand l’accident s’est produit, les vents soufflaient vers le nord-ouest, dans la direction du village de Iitate et de la ville de Date (voir carte et suivre la zone violette et rouge qui commence à la centrale). La ville de Fukushima est située non pas dans le lit même du vent, mais un peu par côté, et elle a été polluée ; cependant, comme les vents venaient de la mer, ils n’ont pas pollué les régions côtières.

Nous avons en premier lieu visité le port de pêche de Ukedo. Nous étions debout sur le pont et nous avons vu la mer. Il y avait là, auparavant, une bourgade de pêcheurs mais il n’en reste rien. M. Miura se rappelait : « La bourgade d’Ukedo était un bord de mer très agréable. Il était réputé pour ses saumons. En automne, ceux-ci reviennent et on les capture. Quand des amis venaient me voir, à tout coup je les accompagnais ici. Nous faisions rôtir du saumon que nous mangions en buvant de la bière. De tels jours ne reviendront peut-être jamais. Regardez, il reste une construction. C’était le Parc Marin pour les enfants. Dans son jardin, ils pouvaient déguster de la viande rôtie. »

La bourgade d’Ukedo était à droite. Dans la rivière, les restes d’un pont détruit.

La bourgade d’Ukedo était à droite. Dans la rivière, les restes d’un pont détruit.

Vers l’arrière s’étendait une prairie. J’ai vu, dans les herbes, des objets blancs. C’étaient des bateaux que le tsunami avait transportés là depuis le port.  Namie, pendant longtemps, a été interdite d’accès, et même à présent on n’a pas le droit d’emporter des objets irradiés hors de la ville et l’on ne peut donc rien faire de ces bateaux. Depuis déjà plus de trois ans ils sont là, exposés aux pluies et aux vents.

Là où étaient des rizières, les bateaux à présent gisent dans des vagues d’herbes.

Là où étaient des rizières, les bateaux à présent gisent dans des vagues d’herbes.

Au loin on aperçoit l’école élémentaire d’Ukedo.

Elle non plus n’a guère changé depuis le tsunami. Dans le gymnase au plancher écroulé, restait encore le panneau annonçant la cérémonie de fin de cours du 11 mars 2011. L’horloge marquait toujours 20 heures 37, heure de l’assaut du tsunami contre l’école.

Visite de Namie

Quand se produisit le tremblement de terre, à 14 heures 46 minutes, il y avait encore dans l’école soixante-dix-sept élèves. Le séisme dura longtemps ; ensuite ils se groupèrent dans le gymnase. Peut-être ne disposaient-ils que de trente minutes pour gagner un refuge. La colline la plus proche est à deux kilomètres. Ils s’encouragèrent mutuellement et réussirent à se sauver. Aucun n’a péri. Ce fut un miracle.

Mais les habitants de Namie ou bien sont morts ou continuent à souffrir :

 

Victimes directes du tsunami :             149

Victimes indirectes * :                          209

Disparus :                                             33

Total des morts :                                 391

 

Maisons détruites :                              614

Maisons provisoires :                          2847

 

*victimes indirectes : morts pendant l’exode, à cause d’insuffisance de soins ou de prise en charge, par suicide, etc. (statistique établie en novembre 2012, donc le nombre de ces victimes a certainement augmenté depuis).

 

Cette statistique montre, indirectement, que 614 familles ont perdu leurs maisons, principalement à cause du tsunami, que 2 233 autres (2 847- 614), qui n’ont pas souffert du tsunami, ont dû partir ailleurs et occuper une maison provisoire, à cause de l’accident nucléaire. Ces derniers ont bien une maison dans la ville mais ne peuvent revenir l’occuper en raison d’une trop intense radioactivité. Leur maison devient un nid à rats et se détériore de plus en plus. Les victimes de l’accident nucléaire sont dans un état très instable ou très incertain : ils veulent revenir mais ne le peuvent pas. Cette condition de vie les désespère et les rend physiquement et psychiquement malades et en définitive hâte leur mort.

J’ai vu souvent, dans les villes de Sōma et de Minami-Sōma des rangées de maisons provisoires. Elles sont construites vite et provisoirement, donc en été il y fait très chaud, et en hiver, très froid. Sur les murs de bois apparaissent des moisissures. “Ce ne sont pas des logements humains”, dit M. Miura, qui y a lui-même logé avec les cinq membres de sa famille.

Nous avons ensuite visité la gare de Namie. Elle ne s’est pas du tout dégradée, mais aucun train n’y vient. Devant la gare sont restés deux minibus, que leurs chauffeurs, terrifiés par l’accident nucléaire, avaient abandonnés. Des boutiques proches ont été très endommagées par le séisme. Les rues sont désertes. La ville est déjà morte.

Gare de Namie. Deux bus attendent des passagers, depuis 2011.

Gare de Namie. Deux bus attendent des passagers, depuis 2011.

 

Visite à des vachers

 

Notre voiture s’est arrêtée dans le jardin de M. Sugi, l’un des deux responsables de Nomado. Voilà quelle est leur vie depuis l’accident nucléaire :

« Quand a eu lieu l’accident, nous sommes partis, les sept membres de la famille, nous réfugier dans le département de Niigata, mais quatre jours après, je suis revenu seul à la maison, car je suis vacher. Les vaches tombent facilement malades si elles ne sont pas traites. Avant, je produisais le foin moi-même, mais  depuis l’accident je l’achète avec les indemnités versées par TEPCO.

J’ai décidé de continuer à travailler car si je m’arrête et me repose, ensuite je ne pourrai plus reprendre. Mon corps s’affaiblira, les machines rouilleront et deviendront inutilisables. Pour avoir l’espoir de voir un jour revenir les villageois, il nous faut préparer les conditions de leur retour. À présent huit vachers, sur dix familles, sont revenus et travaillent.

Quatre mois après l’accident, nous avons commencé à commercialiser du lait. Mais malheureusement, le lait estampillé Fukushima se vend mal. Pourtant nous persistons à travailler comme vachers. Nous ne faisons pas de profit, au contraire. Nous nous battons pour que TEPCO nous indemnise afin de compenser les frais du déficit et de notre vie de réfugiés. Nous n’avons rien fait de mal. C’est notre droit d’exiger d’elle une compensation et de vivre ici avec fierté.

 

Nomado se bat contre TEPCO et le gouvernement. Les membres de la famille de M. Sugi logent encore dans Niigata. Quand pourront-ils revenir chez eux ? Jusque là, lui devra travailler et vivre seul. Certes la vie est difficile, mais qu’il se batte ! Quand a fini notre voyage, il était déjà  treize heures trente. Long – quatre heures et demie – mais fructueux voyage ! Un grand merci à M. Miura.

 

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commentaires

S
Un grand merci à Monsieur Hori Yasuo pour ce texte poignant et particulièrement intéressant. <br /> Car au-delà des informations strictement techniques - doses de radioactivité mesurées dans différents lieux et dégâts matériels constatés - , grâce aux photographies et à son témoignage, nous pouvons prendre la mesure, concrètement, de ce que signifie, pour des milliers de personnes, un accident nucléaire. La tristesse est partout palpable, sur ces parkings, dans ces halls d'école ou de gymnase, ces routes et ces maisons désolées... Les hommes se trouvent là confrontés à un événement qui n'est pas à échelle humaine, ce qui est d'ailleurs le propre du nucléaire : quelque chose qui échappe à notre maîtrise et qui, dans le même temps, nous affecte au plus profond de nous, puisque les rayonnements ionisants détruisent l'ADN des êtres vivants. Cette monstruosité sensée nous apporter le confort et le progrès, idoles totalitaires de notre modernité,se révèle, au gré des &quot;accidents&quot; qui émaillent l'histoire du nucléaire, telle qu'elle est dans la réalité : comme sur les photographies de Monsieur Hori, elle n'est porteuse que de silence, de vide, et de mort.
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L
Toujours et comme d'habitude, des expériences individuelles qui choquent, car on se demande où est la communauté internationale avec ses bonnes intentions! A vrai dire, personne au monde n'est préparé pour ce genre d'accident. Pire encore, personne ne veut prendre responsabilité pour les victimes et tous les prétextes sont bons pour cela : dénies, mensonges, etc... Depuis les premiers instants, même un simple contrôleur en soudure comme moi, familier avec l'utilisation de ces substances et des appareils de mesure y relevant, savait qu'il fallait évacuer jusqu'à Tokyo! Et pourtant 2ans et demis plus tard, la ville de Fukushima avec ses 300 000 habitants est toujours peuplé, et les paysans continuent à produire pour alimenter les villes du monde avec des récoltes qui causeront à coup sûr des cancers incurables... Je suis tout simplement consterné de la condition humaine, et je perd de plus en plus espoir de voir &quot;le véritable homme bon&quot; sortir du lot.<br /> Je te remercie &quot;Pierre FETTET pour cet article, car ton dévouement pour cette cause est nul doute ce qui sauve &quot;l'homme&quot;.
Répondre
P
Il faut surtout remercier HORI Yasuo pour ses témoignages réguliers, et Ginette MARTIN et Paul SIGNORET, infatigables et fidèles traducteurs. Sans eux nous n'aurions pas ces informations de terrain. Il faut aussi souligner le rôle de l'espéranto qui facilite bien la communication entre personnes de langues très différentes.

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