Tokyo est située dans la région du Kanto. Quand la pluie vient du nord, elle est chargée
de particules radioactives provenant de la centrale de Fukushima Daiichi. Et cette pluie tombe sur les 35 millions d’habitants de cette mégalopole sans que personne ne s’en inquiète. Oui, ces
phrases sont au présent. Oui, nous sommes en août 2011, c’est-à-dire 5 mois après « l’accident » nucléaire dont on a tant parlé aux mois de mars et avril. Non vous ne rêvez pas.
« L’accident » n’est pas un accident, c’est une catastrophe, jamais égalée, qui est toujours en train de se produire. Comment en est-on arrivé là ?
La pluie noire : une vieille histoire
Les premières pluies noires ont été observées par les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki en
1945, quelques minutes après les bombardements. La pluie avait cette couleur car elle était mêlée de cendres provenant de l'explosion. Les survivants l'ont bue pour se réhydrater sans savoir
qu'elle était contaminée. A cause de cela, ils développèrent des symptômes similaires à ceux des personnes exposées directement à l'explosion de la bombe atomique.
Depuis, entre 1945 et 1980, de nombreuses pluies noires ont eu lieu dans le monde puisque 543
essais nucléaires ont été effectués dans l’atmosphère. Mais, alors même que l’on avait enfin décidé d’arrêter de produire cette pollution radioactive, arriva la catastrophe de Tchernobyl.
L’explosion du réacteur n°4 envoya dans l’atmosphère 50 tonnes de poussières radioactives qui retombèrent au sol principalement en Europe avec la pluie. Le 1er mai 1986, les Soviétiques « rincèrent » le ciel avec de l’iodure d’argent pour faire pleuvoir et fixer les
radionucléides au sol, ce qui provoqua, selon les témoins, une pluie noire. Mis à part cet événement précis, les poussières de Tchernobyl ont surtout formé des pluies jaunes, comme l’a rapporté
plus tard la biélorusse Antonina Sergieff (1).
La pluie jaune
Suite aux explosions de la centrale de Fukushima Daiichi, une pluie jaune est tombée sur Tokyo
le 23 mars. Il pleuvait sur la capitale depuis 2 jours. Dès le 21 mars, un pic de débit de dose ambiant avait déjà été relevé, avec une augmentation subite de 0,1 à 0,2 µSv/h selon les sources
(2). Le 23 mars donc, la pluie était jaune et a causé de grandes inquiétudes chez les habitants : l’agence météorologique du Japon a reçu des centaines d’appels téléphoniques pour en
connaître l’origine. Les fonctionnaires ont répondu que c’était du pollen ; ils ont donc donné la même réponse que les autorités soviétiques donnaient il y a 25 ans aux victimes de
Tchernobyl. Un fonctionnaire de la santé au gouvernement métropolitain de Tokyo avait toutefois avoué alors qu’il y avait une possibilité que la pluie soit radioactive, mais pas à un niveau
suffisant pour avoir des effets néfastes sur la santé.
Un Tokyoïte a filmé les traces jaunes sur sa voiture
Et voilà le fond du problème : on fait croire au gens que cette pluie n’est pas
dangereuse, alors qu’une seule particule radioactive, si elle se colle à votre peau ou si vous l’ingérez, peut nuire à votre santé. Car cette pluie, poussée par les vents du nord-est, était sans
doute chargées de radionucléides, entre autres d’iode-131, de césium-137, de strontium-90 et de plutonium-239. Mais sa couleur jaune n’était pas forcément due aux poussières radioactives, car
effectivement cette production massive de pollen est un phénomène connu au printemps.
Radioactivité des pluies de Tokyo des 21-23 mars 2011. Constatez le pic de radioactivité pour la pluie "jaune" du 23 mars
(tableau IRSN).
Pourtant, des pluies jaunes ont été constatées aussi en avril et, en juin, on interdisait
encore aux enfants de jouer dans les cours d’écoles de Tokyo à cause de la trop grande radioactivité au sol. Suite à ce problème, les autorités japonaises ont décidé de prendre les mesures non
plus à hauteur du sol, mais au dessus des toits. Non, vous ne rêvez pas, c’est comme cela que l’on a réduit la radioactivité à Tokyo, en éloignant les appareils de mesure des sources émettrices
: les poussières chargées de radioéléments.
Des pluies chaudes
Que les pluies soient noires, jaunes ou transparentes, si elles proviennent de la région de la
centrale accidentée, elles sont chaudes. C'est-à-dire qu’elles contiennent des particules radioactives. Car contrairement à ce que dit l’IRSN qui prétend qu’ « il n’y a plus de rejet
atmosphérique » (3), il faut continuer à se méfier des pluies.
En effet, la pluie tombée sur la région du Kanto le 19 août 2011 s’est faite remarquée. Elle a
produit par exemple dans la ville de Saitama une augmentation de la radioactivité de 0,04 µGy/h, ce qui correspond à 0,04 µSv/h (4). Sur l’illustration, la ligne noire correspond à cette ville,
la jaune à Tokyo et la bleue à Shinjuku Hyakunincho.
Bien sûr, cette dose est infime, mais on peut en tirer deux choses
importantes :
1) elle contredit la position officielle française qui annonce que la centrale de Fukushima
Daiichi ne rejette plus de radioactivité dans l’atmosphère.
2) cette irradiation mesurée ne correspond qu’à la mesure de l’air ambiant. Les particules
chaudes, quant à elles, tombent au sol, et s’ajoutent aux autres particules qui s’y étaient déposées précédemment.
Mesures croisées
Le KEK, à Tsukuba, mesure également en permanence la radioactivité de l'air de Tokyo. Son relevé du 19 août 2011 est en parfaite adéquation avec celui de l’Institut de santé
publique puisqu’il présente aussi un pic correspondant à une augmentation de 0,04 à 0,05 µSv/h. Toutefois, malgré son allure minimisante (échelle de graphique qui écrase le pic), on peut lire
certaines mesures à 0,17 µSv/h, loin des 0,10 µSv/h habituels.
Donc on peut dire que l’évènement est bien là : des masses d’air chargées de particules
circulent encore, et la pluie rabat la pollution au sol.
D’où vient cette pollution ?
Selon la direction du vent qui entraînait les nuages, elle provient du nord-est de Tokyo. Dans
cette direction, trois centrales nucléaires : Tokai, Fukushima Daini et Fukushima Daiichi. Seule la troisième est en situation de polluer. Si ce n’est pas le cas, il faudra sérieusement
s’inquiéter des deux premières ! Malgré les propos
rassurants du directeur de la centrale de Fukushima Daiichi, il est probable que cette pollution vienne de son établissement. En effet, des rejets
radioactifs à 10 Sv/h ont été notifiés le 1er août et des jets de vapeur sont
visibles régulièrement depuis. Un corium serait-il en train de bouger ? Et ce corium, alimenté par les produits qu’il dévore, est-il plus
actif quand il y a des tremblements de terre (cf. article de
Gen4) ?
L’empoisonnement du Japon
Quoi qu’il en soit, si cette pollution perdure sur le long terme, il faut bien comprendre que
les particules qui tombent sur le sol resteront radioactives durant des dizaines, voire des milliers d’années selon les éléments. A chaque fois, elles s’ajoutent aux précédentes ‒ elles ne
disparaissent pas ‒ et petit à petit empoisonnent le Japon, par l’intermédiaire de la chaîne alimentaire. C’est un empoisonnement inodore, incolore, invisible. Un crime parfait. Mais à qui
profite le crime ?
En fait, il faudrait alerter la population japonaise des dangers de la contamination interne,
donner des conseils quotidiens de radioprotection. La Criirad l’a déjà dénoncé : ce n’est pas fait correctement. Pourquoi ? Pour ne pas décrédibiliser
l’énergie nucléaire. Si les tenants de cette énergie avouaient la sortie des coriums de Fukushima dans la nature, s’ils expliquaient les dangers de cette matière incontrôlable, la population
demanderait immédiatement la sortie du nucléaire. Pour ne pas décevoir les investisseurs et les actionnaires, il leur faut donc cacher la vérité à la population. Ainsi les mots
« corium » et « plutonium » resteront des mots tabous (Ils sont déjà proscrits de plusieurs forums scientifiques). Si vous lisez à l’avenir un article ou si vous voyez un
reportage sur la catastrophe de Fukushima qui n’emploie pas ces mots, sachez que vous perdez votre temps. Un véritable journaliste d’investigation ne pourra plus ne pas s’intéresser à la cause de
cette pollution permanente et à ses produits mortels. Tous ceux qui n’en parleront pas feront de la désinformation.
PS : Les dernières nouvelles sur la contamination des sols sont très
mauvaises.
(2) 0,1 µSv/h selon l’IRSN :
0,2 µSv/h selon Tatsuhiko Kodama, directeur du Radioisotope
Center de l’Université de Tokyo :
(3) conférence d’Olivier Isnard (IRSN) du 7 juillet 2011
Il dit aussi : « Lorsque les particules se déposent sur le sol, elles tendent à y adhérer et s’en
décollent difficilement » (3). Ce que dit l’IRSN est à nuancer. Tant qu’il y a de l’humidité, la poussière adhère au sol, c’est d’accord. Mais dès que la poussière est sèche, en été par
fortes chaleurs particulièrement, la poussière s’envole au moindre vent, et les particules radioactives avec.
(4) Graphique en ligne donné par l’Institut de santé publique de Tokyo :
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Pour en savoir plus sur ce sujet :
Article sur la « Black Rain » et la viande contaminée
Article sur les pluies jaunes dues à Tchernobyl (en anglais)
Article sur la corrélation entre les tremblements de terre et la radioactivité de Fukushima
Daiichi
Intervention de Tatsuhiko Kodama le 27 juillet 2011 au Parlement japonais
(sous-titrage en français)
Même vidéo en deux parties de 8 min avec sous-titrage français :