Un article de Cécile Asanuma-Brice, chercheuse en sociologie urbaine, publié sur le site Japosphère le 25 novembre 2019.
Typhons, inondations, séismes : le nucléaire, un mode de production énergétique mal adapté aux catastrophes naturelles
Les conséquences du typhon 19 qui a longé la moitié nord-est de la principale île japonaise sont toujours présentes un mois après l’événement climatique. Les rivières en crue ont été à l’origine de nombreuses inondations mortelles. Les fortes précipitations ont lavé les sols des montagnes de Fukushima pour ramasser les nucléides encore présents, dans les vallées pour partie habitées.
Seule sous le ciel limpide d’automne, ma voiture se laisse guider par la voirie en direction du village d’Iitate. Tardivement évacué après le tremblement de terre de magnitude 9 à l’origine d’un tsunami de 15 à 30 m de hauteur générant l’arrêt du système de refroidissement et la fonte des cœurs de 3 des 6 réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima dai ichi, le village a été rouvert à l’habitat en avril 2017. De hameaux en hameaux, je traverse un paysage de nouveau parsemé de bâches bleues sensées retenir les glissements de terrain suite au passage du typhon n°19.
Typhon et anthropocène
Car c’est ainsi que nous décomptons les typhons ici. Pas de tensions inutiles sur des prénoms, trop souvent féminins, donnés par des sociétés à tel point anthropocentrées qu’elles avalent l’ensemble des phénomènes atmosphériques en y projetant les relans d’une nouvelle chasse aux sorcières. Non, les typhons ne sont pas nés avec ce que certains nomment « anthropocène » et d’autres « capitalocène », rejetant l’assimilation de tous les humains au même rang dans la responsabilité que nous avons face à la destruction de notre monde. Celui qui a su comprendre que la vie humaine n’était qu’une parmi d’autres vies animales, végétales, minérales voir d’autres encore si l’on en croit de récentes recherches sur l’ADN des plantes ou la mémoire de l’eau[1], celui (aujourd’hui majoritairement composé des «minorités indigènes»: aborigènes, papous, indiens des deux Amériques, pygmées, etc. - sans tomber dans la caricature du «bon sauvage») qui sait que la vie des uns dépend de celle des autres des composants de cet écosystème, ne peut, à moins d’une volonté autodestructrice originelle, fonder le système qui maintient son économie sur la continuité de la destruction des éléments composant l’univers nécessaire à sa vie. Dans cet écosystème, les entités autres qu’humaines, parce qu’elles existent pleinement, avec des fonctionnements qui leur sont propres, n’ont guère besoin que l’homo sapiens capitalis les prénomme, même s’il est nécessaire de les appréhender comme un des composants de cet univers dont nous sommes.
Au Japon, deux saisons de typhons balaient le territoire depuis tous temps, en raison d’un climat subtropical sur les trois-quarts du pays. La première saison connaît son pic en juin et la seconde en septembre. Les données sont minutieusement recensées sur le site japonais de la Meteorological Agency[2]. On y apprend qu’en 1958, 31 typhons sont passés sur l’archipel, record battu en 1967 avec 39 typhons en un an, 36 en 1971, 30 en 1978,… Rien, dans ces données, ne nous permet de conclure à l’accroissement du nombre des intempéries (24 typhons en novembre de cette année). Ce qui est en cause, est donc moins le nombre de typhons que leur intensité, en raison du réchauffement des eaux marines. Ainsi, les typhons se chargent énergétiquement lors de leur passage au dessus des océans. Sur-dynamisés, leur violence s’intensifie générant des dégâts matériels et humains conséquents, ici comme ailleurs.
Les dégâts des typhons 15 et 19
Le typhon n°15 avait principalement touché la région de Chiba en raison de vents extrêmement forts, avec une vitesse atteignant 207 km/h le 9 octobre à 4h30 du matin. Les précipitations qui accompagnent les bourrasques finissent d’achever le travail destructeur entamé par le cyclone. Les conséquences furent essentiellement matérielles, soit de nombreux toits envolés, mais les habitants de la presqu’île au sud de Chiba eurent à subir des coupures de courant électrique durant plus d’un mois. Un mois... Ce fut le temps nécessaire pour qu’un nouveau typhon, tout aussi destructeur, s’approche des côtes du Honshu (principale île de l’archipel japonais).
©CécileBrice Gerbes de tiges de riz répandues dans les rizières de la ville de Date après le passage du typhon 19
Le passage du typhon n°19 en octobre dernier, s’est, quant à lui, essentiellement traduit par de très fortes précipitations générant des inondations sans précédent dans les zones construites à proximité de rivières sorties de leur lit. Le rez de chaussée de 87400 habitations[3]a été enseveli sous des masses d’eau boueuse des rivières en crue. Le bilan de 93 morts a été particulièrement rude dans les départements de Kanagawa (16 morts), Miyagi (19 morts) et Fukushima (31 morts). Le nombre total de réfugiés, au 14 octobre était de 2367 personnes selon les données du Cabinet office.
Les répercussions du typhon 19 dans la région de Fukushima
Les regards se sont rapidement tournés vers Fukushima, soit la préfecture la plus gravement touchée par cet aléa, certes naturel, mais qui n’aura pas été sans effet sur les pollutions humaines déjà présentes. Ainsi, selon le ministère de l’environnement, pas moins de 91 sacs de terre contaminée ont été emportés par les flots.
Alors que les barrages sont encore en état d’alerte plus d’un mois après, les craintes concernant une nouvelle contamination des vallées en raison du lavage des sols par le ruissellement des eaux en provenance des forêts non décontaminées des montagnes se confirment. Le Dr Shinzô KIMURA, professeur à l’université médicale de Dokkyo et spécialiste des radiations, appelle à la prise de mesures particulières contre la contamination de la population suite à la nouvelle répartition des nucléïdes engendrée par les eaux de pluies. Ainsi, la mesure de sable charrié par les précipitations dans les vallées habitées de la ville de Minami Sôma (arrondissement de Kodaka) révèle des taux de 3000 à 5000 Bq[4]de césium/kg[5]. Dans le même arrondissement, un habitant, M. Shirahige (69 ans) a mesuré du sable en provenance de l’éboulement de la falaise qui jouxte son domicile. Les résultats dépassent les 11 000Bq/kg, taux nettement supérieur à la norme des déchets radioactifs fixée à 8000 Bq/kg après l’accident de Fukushima.
Par ailleurs, les travaux de remblayage et de digues construites après le passage du tsunami pour parer la population d’autres inondations éventuelles, ayant engendré de nouvelles zones d’érosion sont mis en cause. Bien qu’ils aient permis aux entrepreneurs de reconstruire sur des zones qui avaient été submergées par le tsunami, les points fragilisés par le détournement des rivières ont cédé sous la pression des eaux. Ainsi, les habitants du département d’Iwate (ville de Yamada) ont vu leurs habitations « neuves », reconstruites après le séisme de 2011, de nouveau ensevelies sous les flots.
Huit ans et demi après la catastrophe de mars 2011, les conséquences environnementales sont toujours bien présentes.
Et si la France était exposée ?
Les deux tremblements de terre de la semaine passée, au moment où le gouvernement français venait de commander à EDF un rapport sur la production énergétique, ont rappelé que la France n’était pas étrangère à la possibilité de séismes sur son territoire. Si le séisme de Strasbourg, plus réduit, semble avoir été déclenché par des forages géothermiques en profondeur (qui peuvent être arrêtés ?), la réplique qui a suivi le séisme de la Drôme, nettement plus conséquent (magnitude 5.4), tend à prouver qu’il s’agit bien là des conséquences des forces de la nature. L’arrêt de la centrale de Cruas, durant une quinzaine de jours a été nécessaire afin d’en vérifier sa sécurité. Si certains semblent effrontément assurés de la robustesse des centrales nucléaires face aux séismes, l’augmentation des inondations de plus en plus nombreuses et importantes, notamment dans le sud de la France, conséquentes du réchauffement climatique et des aménagements urbains inappropriés (augmentation des surfaces bitumées, enterrement des cours d’eau, barrages, etc.), nécessitent néanmoins que l’on s’interroge de façon responsable sur ce mode de production énergétique obsolète tant du point de vue de son niveau de sécurité que de sa balance économique, douloureusement déficitaire.
[1] Voir à ce sujet les travaux de Luc Montagnier : lien
[2] Voir ce lien
[3] Voir se lien
[4] Le becquerel est l’unité utilisée pour mesurer l’activité d’une certaine quantité de matière radioactive.
[5] Voir ce lien