Au moment où Naoto Matsumura s'apprête à témoigner en Europe de ce qu'est réellement une catastrophe nucléaire, Elyane Rejony lui rend hommage avec ce très beau texte, émouvant et profond.
Hommage au « dernier homme de Fukushima »
Naoto Matsumura
Le printemps arrive dans nos garrigues, le Ventoux sur l’horizon bleuit, les mésanges chantent le printemps, il fait bon sur la Terre.
Derrière les grands cyprès, Tricastin ronronne sans bruit.
Là-bas, à Fukushima, les cerisiers en fleurs allument leurs bourgeons, le ciel joue à sourire, et l’horizon respire.
Mais tout n’est que mensonge. Le bonheur visible n’est que malheur caché. La vie est Mort.
Tout est Mort sur les buissons verts. Tout est Mort dans l’espoir du monde.
Les flèches des radiations transpercent la matière. Chaque seconde. Par millions.
Les oiseaux innocents volent, dans le ciel clair, comme avant. Les cadavres d’animaux abandonnés ont séché. Toutes ces bêtes oubliées dans le maelstrom de l’horreur.
Naoto Matsumura, debout, face au futur perdu, est revenu vivre, seul avec les chats rescapés en quête de caresses, les chiens fidèles oubliés, les vaches aux yeux doux, les chevaux affamés ; il sourit et survit en Paradis perdu, nourrit ses frères vivants, guérit les éclopés, oubliés et tremblants ; il vit dans le dénuement, les aide à vivre, pauvres innocents, victimes autant que lui, ignorants et vivants, dans les claires solitudes de Paradis perdu
Debout, face à ceux qui nous tuent.
Il boit et mange la Mort, son corps est plein de Mort invisible
Derrière son beau sourire d’homme qui aime vivre, vivre, comme tous les vivants il sait.
Il sait mais il vit sa vie de résistant qui mange et boit la Mort chaque jour, souriant, avec ses petits frères aux doux regards aimants, simples êtres vivants, condamnés tous ensemble par l’Apprenti Sorcier qui joue avec le monde.
Il est l’humanité. L’humanité perdue par ceux qui nous tuent.
Il est la vie. La vie perdue par ceux qui nous tuent.
Il témoigne, sourit et nous le regardons.
Nous serons peut-être comme lui, un jour, en garrigues désertes, nourrissant les bêtes abandonnées, si la Mort invisible, concoctée patiemment, recouvre nos destins de son voile transparent.
Il nous faut vivre, vivre en résistant. Vivre malgré ceux qui nous tuent,
Ceux qui ont généré les paradis perdus
Naoto Matsumura, merci d’aimer la vie, autant que nous l’aimons.
Les flèches des radiations transpercent la matière. Chaque seconde. Par millions.
___________________
Photo d’entête © Antonio Pagnotta