Il existe deux webcams braquées en permanence sur la centrale de Fukushima Daiichi et disponibles en ligne. L’une est gérée par Tepco sur le site nucléaire même (lien), l’autre par une chaîne de télévision commerciale, JNN (Japan News Network), régie par le réseau TBS (Tokyo Broadcasting System, Inc.). Aujourd’hui, je vais vous parler de la seconde, connue sous le sigle TBS/JNN. L’accès à cette webcam se fait sur le compte Youtube TBS News-i , mais attention, le lien change de temps en temps et il faut le réactualiser. Cette webcam est très visitée par les veilleurs de Fukushima du monde entier.
Depuis longtemps, je me demandais où pouvait se trouver cette caméra indiscrète qui donne des images de la centrale avec un autre angle de vue que celle de Tepco et qui a fourni en mars 2011 les célèbres images des explosions des unités 1 et 3. Pour tenter de localiser cette caméra, j’ai prospecté les montagnes situées au sud-ouest de Fukushima Daiichi en utilisant l’outil Google Earth. Une fois trouvés quelques points culminants possibles, j’ai comparé l’image virtuelle 3D avec une vue grand angle capturée le 16 mars 2011 (explosion de l’unité 3) par la caméra TBS/JNN et j’ai choisi la configuration de paysage la plus proche du cliché.
La position possible de la caméra TBS/JNN se situe à 17 km à vol d’oiseau de la centrale, au sommet d’une montagne du district de Naraha, à 682 m d’altitude. A cet endroit, on voit sur la photo aérienne plusieurs mâts, reconnaissables par leur ombre au sol.
Le fait que cette caméra soit placée en altitude donne une image oblique plongeante avec un horizon qui n’est pas le ciel mais la mer.
La qualité HD de l’objectif lui permet de faire des zooms impressionnants qui ont permis par exemple de voir évoluer les ouvriers sur le niveau technique du réacteur n°4 en 2012.
En revanche, toute perturbation atmosphérique de type brouillard, brume, nuage, pluie, neige engendre un brouillage partiel ou complet de l’image. Un autre écueil à la netteté de l’image est la chaleur, les mouvements de convection de l’air chaud provoquant des distorsions visuelles.
La webcam TBS/JNN a permis durant deux ans et demi de suivre l’évolution des travaux sur le site, souvent même avant d’avoir des informations de Tepco. Ce qu’ont découvert les veilleurs de Fukushima en visionnant cette webcam, c’est que justement Tepco ne donne pas toutes les informations. Par exemple, l’opérateur japonais ne s’est jamais vanté de l’apparition de panaches de vapeur alors que l’arrêt à froid avait été décrété.
Par ailleurs, la caméra ne fixe pas sans arrêt la centrale. De temps à autre, des plans sont faits sur le paysage, avec quelques zooms intéressants donnant divers aspects du point de vue. Par exemple, voici des clichés extraits de l’enregistrement du 25 janvier 2012 :
Dernièrement, le 3 mai 2013, la caméra s’est intéressée aux réacteurs 5 et 6, très peu observés jusqu’à maintenant. Malheureusement, la source a disparu en l’espace de quelques semaines et je n’avais pas encore extrait de clichés quand je m’en suis aperçu. Dans ces défuntes images, on percevait que les deux bâtiments réacteurs n’ont pas la même hauteur. Le n° 6, que l’on voyait en arrière-plan, dépasse de 14 m son voisin n° 5. Il est aussi plus puissant, avec une puissance thermique presque 3 fois supérieure à l’unité 1 : 3293 MWt contre 1380 MWt. Mis en service en 1979, il est le dernier construit sur le site de Fukushima Daiichi (source).
Cela m’amène à penser que la disparition progressive des images et des vidéos sur Fukushima peut faire partie d’un plan de nettoyage du net. Certaines parties sensibles des installations ne sont jamais montrées, et si, pour une raison ou pour une autre, une image gênante sort par mégarde, on s’arrange pour la faire disparaître. Par exemple, les images de l’incendie survenu le 19 octobre 2012 ont été « nettoyées ». Mais le cas du réacteur n°4 est un meilleur exemple. Tepco a déjà prouvé plusieurs fois son intention de cacher des endroits de ce bâtiment, soit directement par coloriage blanc, soit par aplats noirs. Mais le summum est bien le verrouillage total de la diffusion d’images des incendies et de l’explosion du bâtiment réacteur 4. Pourtant, la caméra TBS/JNN, ainsi que bien d’autres caméras fixées sur la centrale en pleine crise, filmaient bien la centrale en continu en ces jours des 15 et 16 mars 2011…
En fait, je suis très inquiet de la disparition progressive des documents sur Fukushima, car cette suppression des sources empêchera les historiens de travailler correctement et permettra un lissage, voire un gommage de certains faits. Tout en rédigeant ce billet, alors que je vérifiais quelques liens, je me suis rendu compte à nouveau de la fragilité des documents mis en ligne et de la nécessité de les sauvegarder. Non seulement la vidéo infrarouge du 11 mars 2011 a disparu, mais la pire découverte pour moi a été de constater la suppression de l’intégralité de la collection des 11 vidéos de 2012 prouvant que « l’arrêt à froid » était un mensonge (lien vers la collection massacrée). La création d’une base de données francophone sur la catastrophe de Fukushima pourrait contrer cette dégradation progressive et continue des sources.
Pierre Fetet