La Révolution des Hortensias se poursuit de manière déterminée au Japon. L’occupation du site de la centrale d’Ôi a commencé dès samedi soir avec plusieurs centaines de manifestants. Un cordon de policier empêche l’accès aux bâtiments. Aujourd’hui dimanche 1er juillet 2012, malgré la pluie, des milliers d’opposants au redémarrage de cette installation nucléaire vont se rendre sur le site pour manifester leur désaccord avec la politique de Noda.
Dans le même temps, diverses anomalies ayant été détectées, il est possible que le redémarrage de la centrale qui était prévu ce 1er juillet soit repoussé de quelques jours. (Mise à jour 2 juillet : la centrale a redémarré )
Ludovic Klein, doctorant en japonologie et contributeur à l’écriture du livre « Oublier Fukushima », revient sur le contexte de ce redémarrage de la centrale d’Ôi, dévoilant les mensonges des responsables et la stratégie du village nucléaire japonais pour duper la population. Merci à l’auteur pour cette contribution détaillée qui analyse très bien la situation.
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REDÉMARRAGE D’ŌI : MENSONGES ET OPACITÉ GÉNÉRALISÉS (I)
par Ludovic Klein
Le redémarrage d’Ōi devra prendre effet ce 1er juillet à 21h, donc dans quelques heures. L’occasion de faire, en 2 parties, le point sur les mensonges, approximations et manipulations diverses en jeu. Et réitérer notre opposition absolue à un redémarrage synonyme de danger nucléaire renouvelé pour la population japonaise.
La principale raison de la remise en service des réacteurs 3 et 4 de la centrale d’Ōi (département de Fukui) était le risque de pénurie d’électricité de 15% dans la région avoisinante du Kansai, conurbation regroupant Ōsaka, Kyōto et Kōbe, et le prix de l’énergie en hausse. Mais certains éléments permettent de douter de la bonne foi du Premier Ministre et des autorités de sûreté nucléaire.
Les chiffres sont en trompe-l’oeil
Le 17 juin 2011, le journal Asahi Shinbun, ainsi que la plupart des quotidiens nationaux et régionaux, a publié les chiffres de l’approvisionnement en électricité et des économies d’énergie sur l’ensemble des régions du Japon. Un examen attentif permet de dresser un certain nombre de constatations étonnantes.
Document 1 : Prévision de puissance électrique et d’économies d’énergie dans tout le pays pour cet été (Journal Asahi) :
Voici une retranscription complète de ce tableau :
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Document 2 : Prévision de puissance électrique et d’économies d’énergie dans tout le pays pour cet été (Journal régional Ehime Shinbun, île de Shikoku)
(Quelques mineures variations : le conditionnel a été abandonné et le plan d’économie d’énergie de la région de Hokuriku est montré comme ayant été abandonné)
1èreconstatation : malgré une perte sèche de 26% de sa puissance électrique, et un mode de vie énergivore à l’extrême, le Japon ne voit que 3 régions subir une pénurie d’électricité qui serait problématique pour affronter le pic de surconsommation de cet été. Sur ces 3 régions, une seule présente une pénurie d’électricité significative, le Kansai (région d’Ōsaka-Kyōto-Kōbe). Les deux autres régions déficitaires (Kyūshu au sud et Hokkaidō au nord) ne présentent qu’un déficit énergétique minime (respectivement de 2.2% et de 1.9%).
2ème constatation : Le Kansai AVAIT un plan d'économies prévu de 15%, mais suite au redémarrage en vue de Ōi il l'a abandonné pour le ramener à 10% (histoire peut-être de faire encore semblant de faire des économies). La pénurie impossible à éviter dans le Kansai selon le Premier Ministre avait donc été primitivement prévue et intégrée dans un plan d’économies d’énergie rationnel.
Et 3èmeconstatation : les chiffres sont basés sur... 2010 (c'est notamment sur le document du journal Asahi, légende d’en bas). Mais pourquoi pas 2011, l’année dernière ? La raison en est simple : le pourcentage est forcément plus grand si l'on compare 2012 avec 2010, été qui a battu des records de chaleur au Japon, et qui se place (c’est bien pratique !) avant la catastrophe du Tōhoku et les économies d'énergie qui en ont découlé. Il est dès lors légitime de se demander « en 2011, quelles étaient le pourcentage des économies d’énergie consécutives à la catastrophe de Fukushima ? »
Voici un extrait du journal Yomiuri Shinbun du 24 juillet 2011 :
政府が関西電力管内に要請した10%以上の節電期間が25日からスタートする。9月22日までの約2か月間、自主的な節電を求め、今夏の電力不足を乗り切る狙いだ。
Le gouvernement a demandé à la circonscription approvisionnée par la compagnie d’électricité Kansai Electric de mettre en place à partir du 25 [juillet] une économie d’énergie de 10%. Sur cette période de deux mois qui s’étend jusqu’au 22 septembre, le but est de solliciter des économies d’énergie volontaires, afin de triompher du manque d’électricité de cet été.
Les renseignement pris par téléphone auprès du Plan général d’économies d’électricité de la ville d’Ōsaka ont permis de confirmer les points suivants : Il y avait bien pour 2012 15 % de plan d’économie d’électricité qui sont passés à 5 % ~ 10 % pour cause de redémarrage de Ōi, et il y a eu 10 % d’économie d’énergie l'année dernière (2011) dans le Kansai, planifiées et mises en place (et le tout s'est passé de manière tellement naturelle que quasiment personne ne s'en est aperçu).
Noda nous prend donc pour des imbéciles (et encore je suis poli). Évidemment, s’il avait commencé ses discours en disant : « il y a une pénurie d'électricité de 5 % dans le Kansai par rapport à l'année dernière, on n'a pas d'autre choix que de faire redémarrer la Centrale », l’opinion publique aurait été beaucoup moins réceptive. D'où le choix des chiffres de 2010. Le but était de réussir à mettre en place une sorte de chantage en soulignant le caractère inévitable du redémarrage : le nucléaire ou le chaos : absence d’électricité, usines en panne, etc.
La vérité est qu’il n’y avait aucune nécessité à redémarrer à toute force la centrale d’Ōi : les économies d’énergie étaient amplement suffisantes.
Indépendants, les membres de l’Agence de sûrété nucléaire ?
Ce n’est pas tout. Ino Hiromitsu, un membre de l’Agence de sûreté du nucléaire, membre qui se distingue par son indépendance d’esprit envers l’industrie nucléaire, a directement accusé un de ses collègues d’avoir reçu des pots-de-vins monumentaux de la part des compagnies électronucléaires.
La mise en accusation a pris place lors de la séance de questions de la réunion d’audition de points de vue, le 22 décembre 2011 :
« Selon les rapports, le membre [de l’Agence de sûreté du nucléaire] Akira Yamaguchi a reçu la somme de 33.850.000 yens en budget de recherche de la part de la société Nuclear Developmentsous le prétexte d’un « dépôt de recherche ». Nuclear Development est une entreprise affiliée aux Industries lourdes Mitsubishi, le fabricant principal des centrales de Ōi, de Ikata [dans l’île de Shikoku] et de Tomari [à Hokkaidō], qui sont actuellement en cours d’examen. Si cela est avéré, cela mettrait en valeur une possibilité de cas de conflit d’intérêt, et comme je pense que pour un membre de l’Agence cela n’est pas approprié à l’éthique de la recherche scientifique, j’en appelle au jugement de l’Agence de sûreté nucléaire.»
【参考】井野博満委員の12月22日意見聴取会への質問書より
「報道によれば、山口彰委員は、(株)ニュークリア・デベロップメントから『受託研究』の名目で3,385万円の研究費を受け取っている。ニュークリア・デベロップメントは、現在審議中の大飯原発・伊方原発・泊原発主製造メーカである三菱重工の関連企業である。これが事実であれば、利益相反の事例に該当する可能性があり、研究者倫理としても委員にはふさわしくないと考えるが、保安院の判断をお聞きしたい。」
En plus de Yamaguchi Akira, deux autres membres de l’Agence sont soupçonnés d’avoir reçu des pots-de-vins (sous forme de « budgets de recherche » :
Source : Journal Asahi Shinbun du 1er janvier 2012
Okamoto Kōji – Professeur spécialisé dans l’énergie nucléaire, chercheur en génie de l’université de Tōkyō. Aurait reçu 2.000.000 de yens de Mitsubishi – Industries lourdes. (réponse via son université : « Il ne peut pas répondre car il est très occupé »)
◆岡本孝司 東京大学工学研究科原子力専攻教授 三菱重工業 200万円
「多忙につき答えられない」(大学広報を通じて回答):朝日1/1記事
Abe Yutaka – Enseignant-chercheur en ingéniérie des systèmes d’information – cursus post-universitaire de l’université Tsukuba. Aurait reçu 5.000.000 de yens de Mitsubishi – Industries lourdes. Déclare « lors des délibérations exprimer son opinion en toute neutralité, d’un point de vue d’expert ».
◆阿部豊 筑波大学大学院システム情報工学研究科教授 三菱重工業 500万円
「審議では専門の立場から中立な意見を述べてきた」:朝日1/1記事
Mais ce n’est pas encore tout. Toujours selon le même article du quotidien national Asahi Shinbun (1er janvier 2012), 24 membres de l’Agence de sûreté nucléaire japonaise auraient reçu pas moins de 85.000.000 de yens de 2005 à 2010, gracieusement offerts par 11 sociétés en relation avec le nucléaire (sociétés de production électronucléaire et de traitement des combustibles usagés), et ce sans que ces dons d’argent ne soient reportés, les rendant plus faciles à utiliser discrètement. Les membres de l’Agence affirment que cela ne met pas en cause leur neutralité. Voire.
On redémarre le nucléaire d’abord, on discute après
Heureusement, une nouvelle mouture de l’Agence de sécurité, beaucoup plus indépendante, devrait voir le jour. Voici un extrait du Monde (édition en ligne) du 20 juin 2012 :
"Le Parlement a par ailleurs adopté mercredi la loi qui précise les termes de la création et du fonctionnement d'une nouvelle instance de régulation nucléaire, pour remplacer la structure précédente sous tutelle ministérielle et vertement critiquée lors de l'accident de Fukushima. La nouvelle entité de régulation, qui devrait être effectivement mise en place en septembre, aura une plus grande indépendance que la précédente, bien qu'étant placée sous le ministère de l'environnement. A l'instar de ceux de la banque centrale du Japon, ses cinq hauts membres seront nommés par le Parlement, avec accord obligatoire des deux chambres. L'accident de Fukushima a montré les lacunes et limites de l'Agence de la sûreté nucléaire actuelle, qui dépend du ministère de l'industrie, ouvertement pronucléaire."
Voilà encore qui témoigne de la bouffonerie généralisée du redémarrage de la centrale d’Ōi : nommer une commission « indépendante » APRÈS la décision du redémarrage d’Ōi, qui statuera sur les éventuelles ouvertures d’autres centrales. Et pourquoi ne pas avoir créé cette fameuse commission il y a quelques mois afin qu’elle analyse les conditions (problématiques évidemment) du redémarrage de la centrale d’Ōi ? Comment dès lors faire confiance à une commission, entachée de soupçons de pots-de-vins, qui a peu brillé par son indépendance vis-à-vis du pouvoir ?
De même, une grande discussion sur l’avenir énergétique du pays sera ouverte en août, après le redémarrage d’Ōi. Elle portera sur les 4 grands scénarios énergétiques possibles pour le Japon de demain : sur 30 ans, faire porter la part du nucléaire a zéro (scénario 1), à 15% (scénario 2), à 20~25 % (scénario 3), soit quasiment le même pourcentage qu’avant la catastrophe de Fukushima ! (avec très ironiquement une facture énergétique très similaire selon chacun des plans !)
Source : Journal Nikkei en ligne, du 29 juin
Mais évidemment, ce genre de discussion DOIT intervenir après le redémarrage du nucléaire au Japon, processus antidémocratique, entaché d’irrégularités et de complaisances, exposant derechef la population japonaise à une nouvelle catastrophe en sus de la première.
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dovic Klein