Mauvaises nouvelles. Selon les informations données le 2 novembre lors d’une conférence de presse par Tepco, opérateur de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, le combustible fondu du réacteur 2 est sujet à une reprise de criticité. Ce qui signifie concrètement que des réactions en chaîne et des fissions nucléaires ont eu lieu récemment. Habituellement, dans une centrale nucléaire en bon état, tout ceci est sous contrôle. Mais là, il faut arrêter de parler de « réacteurs accidentés » car on ne maîtrise plus rien. En effet, il n’y a plus de réacteur digne de ce nom dans les unités 1, 2 et 3. Ils ne seront jamais réparés. Chaque cuve a été percée par un cœur fondu, qui a créé cette chose que l’on doit désormais appeler par son nom, un corium.
Tepco vient donc d’annoncer que du xénon a été détecté dans l’unité 2. Les deux éléments Xe-133 et Xe-135 révèlent des réactions en chaîne très récentes, car ces gaz rares sont des marqueurs d’une fission nucléaire de l’uranium et leur période radioactive est très courte (9 h pour Xe-135 et 5 jours pour Xe-135). Pour essayer d’arrêter ce phénomène, Tepco a injecté de l’eau boratée dans le réacteur (1), ce qui selon plusieurs sources, n’est pas forcément la meilleure solution : à Tchernobyl, quand une reprise de criticité a lieu, les équipes responsables du corium utilisent du nitrate de gadolinium, produit qui semble plus indiqué.
L’absence de repérage de bouffée de rayonnements et la non augmentation de la température ou de la pression pourraient s’expliquer par des réactions en chaîne non pas dans la centrale mais dans son sous-sol, ce qui correspondrait à un scénario de melting-out, c'est-à-dire de sortie totale du corium des différentes enceintes de confinement, radier compris. Seul les gaz produits par la reprise de criticité seraient ainsi détectables en surface.
Schéma explicatif du phénomène (Asahi Shimbun, via Enformable)
Certains commentateurs ont voulu voir dans une image de la webcam TBS des trous dans le mur sud du bâtiment réacteur 2, ce qui aurait pu indiquer qu’une explosion avait eu lieu. En fait, la caméra est située à plusieurs kilomètres du site et il s’agit probablement de la silhouette d’un arbre. On distingue très nettement en comparant des prises de vue d’août et de novembre qu’un défrichement forestier a eu lieu au sud-ouest du site, ce qui laisse voir une plus grande partie du bâtiment n°2. De plus, l’image diffusée par Euronews est sans équivoque : les murs n’ont souffert d’aucun dommage.
Image de la webcam TBS/JNN fin août 2011
Image de la webcam TBS/JNN du 2 novembre 2011
Image du bâtiment réacteur n°2 du 2 novembre (Euronews)
Il est toutefois légitime de s’inquiéter, car une réaction nucléaire non contrôlée pourrait rapidement tourner au désastre, une explosion de vapeur étant toujours possible dans le cas d’un réchauffement brusque du corium dans un endroit confiné. C’est bien parce que des explosions ‒ de vapeur ou d’hydrogène ‒ sont toujours à craindre dans la centrale que les médias se sont emparés de cette information qui a fait rapidement la une de nombreux sites d’information. Car oui, nous sommes dans le même état d’incertitude sur l’avenir de cette centrale, et cette information a ravivé les craintes et les angoisses de mars 2011.
Toutefois, il faut relativiser un tant soit peu cette nouvelle, car Tepco connaissait cette information depuis longtemps, et ceux qui suivent la catastrophe de près ne sont pas vraiment étonnés de la nouvelle. Les faisceaux de neutrons observés à 13 reprises au mois de mars indiquaient déjà des reprises de criticité, sauf que les coriums à cette époque se situaient probablement à un niveau plus élevé. En effet, à chaque fois que la réaction se développe, la chaleur produite peut brasser le mélange, réactiver le processus de corrosion et ainsi faire descendre le corium un peu plus dans le sol.
Selon Shinichi Saoshiro, correspondant pour l’agence Reuters, les ingénieurs de Tepco supposent que des débris de corium ont pris des formes granulaires de 1,5 à 5 cm de diamètre. Ces grains de matière fissile mélangés à l’eau de refroidissement pourraient constituer une géométrie favorable à une réaction en chaîne temporaire. Pourtant, jusqu’à présent, ces mêmes responsables avaient affirmés que le corium avait une forme ovale avec une croûte refroidie. Mais Tepco n’en est pas à sa première contradiction… Toujours est-il que les spécialistes nucléaires en sont toujours à faire des hypothèses, sans savoir réellement ce qui se passe.
Une chose est sûre, il va falloir revoir la définition d’ « arrêt à froid » d’un réacteur. La température seule ne peut plus servir de référence unique. Il faudra désormais y associer un état définitif de sous-criticité qui interdit toute reprise de réaction en chaîne.
(1) L'injection d'eau boratée a duré pendant une heure (02h48-03h47). TEPCO a déclaré avoir mis 480 kg de pentaborate de sodium (NaB5O8) dans le liquide de refroidissement.
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